Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les orateurs précédents ayant été très éclairants sur le fond du texte, voyez dans mes propos plutôt un témoignage, une réflexion sur la parité et sur la manière quelque peu artificielle par laquelle nous sommes poussés à l'aborder.
Quoi de plus naturel que de respirer avec ses deux poumons ? C'est le premier geste du nouveau-né, celui par lequel la vie est possible. C'est un geste instinctif, naturel. Aucune loi n'oblige le nouveau-né à respirer avec ses deux poumons, et pourtant il le fait. Il eût été naturel, de la même manière, que notre société respire avec ses deux poumons complémentaires, le masculin et le féminin. Nous ne serions pas là à examiner ce texte aujourd'hui.
Des initiatives locales n'ont certes pas attendu le Parlement pour faire progresser la parité. J'ai souvenir que, dès 1989, le maire de Paris de l'époque avait dans son exécutif municipal sept femmes sur vingt et un adjoints. Dans d'autres situations, ce n'est pas le cas. C'est ainsi que j'observe que, sur les vingt-deux présidents de région, la parité est loin d'être atteinte.
C'est un vaste chantier que nous abordons aujourd'hui avec la parité en politique, un chantier complexe. Certes, il est aisé de voir que nous n'utilisons qu'un seul poumon, le masculin, et que nos assemblées et nos exécutifs - nationaux, régionaux, généraux et municipaux - sont peu féminisés.
Certes, il est aisé de percevoir dans ce constat une forme évidente de discrimination, odieuse comme toutes les discriminations. Certes, il est aisé de comprendre que notre pays et nos institutions y perdent. En un mot, il est aisé de voir qu'il y a là un problème.
Mais, dans ce domaine, aucune solution n'est évidente. Comme en témoigne le nombre impressionnant de propositions de loi traitant de ce sujet, le Parlement a longtemps cherché des solutions. Le Gouvernement en a cherché également. Ces recherches aboutissent puisque nous examinons aujourd'hui ce bon projet de loi.
Les dispositifs qu'il propose - je pense notamment à l'instauration du ticket paritaire prévue à l'article 3 de ce texte et à l'obligation de parité dans les exécutifs locaux instaurée par les articles 1er et 2 - permettront en effet un rééquilibrage du personnel politique. Le renforcement des sanctions financières, proposé par l'article 4, va dans le même sens, le bon sens. Vu le retard pris par notre pays, qui est au dix-huitième rang des pays de l'Union européenne quant au pourcentage de femmes siégeant dans les parlements nationaux selon l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, il fallait agir. Le Gouvernement l'a fait, et je l'en félicite.
Mais ce qui m'interpelle et me pousse à prendre la parole aujourd'hui, c'est ce paradoxe qui nous conduit à légiférer pour rattraper une évolution qui aurait dû être naturelle, pour respirer avec nos deux poumons. La véritable question est donc moins celle des moyens qui permettent d'obtenir la parité que celle des causes qui expliquent qu'elle ne va pas de soi.
Tout le monde l'admet, la femme et l'homme ont une intelligence, un regard sur le monde et une grille de lecture sur le temps qui se complètent. À la croisée de différences physiques et de différences sociales souvent mêlées, ces approches du politique gagneraient non pas à être opposées, ou mises sur le même rang, mais à être combinées.
Or, les lieux de pouvoir ont été peu à peu dominés par une vision masculine de la politique où priment l'action et la parole, écartant par là même les femmes des affaires de la cité.
Les mentalités ont d'ailleurs peu évolué, comme on l'a vu ici même, au Sénat, la semaine dernière, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2007. Les hommes investissent la parole et la monopolisent, interviennent sur les finances et l'urbanisme, laissant aux femmes le social et la famille, domaines rappelant les fonctions maternelles.
Ne voyons pas la parité comme une question législative, voire électorale - certains cherchent moins l'intérêt des femmes qu'un scrutin qui leur soit favorable -, mais recherchons-la comme une exigence sociétale, le refus d'une norme, celle d'un débat politique répondant aux seuls critères de la pensée masculine.
Comme le dit notre collègue Maurice Blin, la politique a beaucoup à gagner ou à perdre dans sa féminisation. Une féminisation excessive ne serait qu'un changement de poumon : la politique tomberait alors dans un excès inverse à celui que nous connaissons aujourd'hui. Maternante, elle pourrait infantiliser les citoyens.
Le risque existe également, si l'on ne change que les règles du scrutin tout en conservant un système fondé sur la norme de l'intelligence masculine, de faire des femmes politiques des clones de leurs homologues masculins, en gommant les différences naturelles entre l'homme et la femme, les transformant ainsi en une disparité d'origine purement sociale, source d'inégalité et de justice.
Les femmes perdraient ainsi cet autre regard qui fait leur complémentarité. Nul ne l'a mieux dit que Hetty Hillesum, jeune femme hollandaise morte à vingt-neuf ans à Auschwitz : « Je suis une petite femme de vingt-sept ans et je porte en moi un amour très fort de l'humanité. Est-ce une tradition séculaire, dont la femme devrait s'affranchir, ou bien au contraire un élément essentiel de la nature de la femme ? »
Les femmes remplissent également une autre fonction politique importante dans la cité, à travers la vie associative et le bénévolat. Nous savons tous combien elles sont essentielles pour tisser des liens sociaux dans nos cités.
Ainsi la parité véritable n'est-elle pas selon moi tant l'égalité en nombre que la complémentarité dans des regards différents pour porter un diagnostic et élaborer la décision, que ce soit à l'échelon municipal, départemental, régional ou législatif.
En vérité, monsieur le ministre, dans ce débat, le véritable obstacle n'est pas tant physique et numérique que psychique, celui qui naît peut-être de la peur de la dépossession et du désir de domination.