Quels ajustements seront nécessaires entre les quatre grandes masses de l'APD que sont l'aide multilatérale, l'action européenne, les annulations de dettes et l'aide bilatérale ?
La réponse à ces questions révèle des enjeux importants.
Ces dernières années, les grandes masses de l'APD ont évolué, la part de l'aide bilatérale pouvant être affectée à de véritables actions de développement variant de 20 % à 30 % du total. Un tel montant est évidemment peu élevé, d'autant qu'il est réparti entre plusieurs opérateurs : ministère des affaires étrangères, ministère des finances, Agence française de développement. L'effet de levier dont peut bénéficier l'influence française s'en trouve réduit, à l'égard tant des pays en développement que de nos partenaires dans un cadre bilatéral, multilatéral ou européen.
Il y a donc là un enjeu au regard de la préservation et du renforcement de l'outil de coopération bilatérale de la France, d'autant que la baisse programmée des annulations de dettes offrira des marges de manoeuvre pour allouer de nouvelles ressources aux secteurs et activités considérés comme prioritaires.
Quand on établit le budget alloué à la coopération et au développement, on additionne d'abord nos contributions aux fonds mondiaux et européens, puis les annulations de dettes qui ont été promises aux différents pays : le solde, permettant d'aboutir au pourcentage désiré, soit 0, 5 % en 2007, est consacré à la coopération traditionnelle bilatérale, qui est la forme la plus porteuse de développement direct.
Dans les toutes prochaines années, les annulations de dettes vont diminuer pour tendre vers zéro, tout au moins pendant un certain temps, car puisque nous continuons à accorder des prêts et qu'un certain nombre de pays bénéficiaires ne pourront pas les rembourser dans l'avenir, il faudra bien encore annuler des dettes.
Si nous persistons, comme je l'espère, à accroître le pourcentage de notre PIB affecté à l'aide publique au développement pour arriver à 0, 7 %, la part consacrée à l'aide bilatérale va devoir augmenter très fortement, de plusieurs milliards d'euros, et dépasser largement 50 % du budget de l'APD.
Je me réjouis d'une telle évolution, madame la ministre, mais aurons-nous alors les moyens humains et techniques de faire face à cette très importante augmentation mathématique des crédits consacrés à l'aide bilatérale ?
Il est vrai que la coopération gouvernementale pourra financer beaucoup plus largement qu'aujourd'hui les projets de terrain mis en place par les ONG et les collectivités territoriales, qui accomplissent un excellent travail et peuvent faire davantage. Cependant, cela ne suffira pas. Existe-t-il un cadrage, en termes de cohérence, des politiques à l'égard des pays en développement ?
En effet, le soutien aux pays en développement ne relève pas seulement de l'aide financière ; d'autres politiques peuvent avoir des incidences, positives ou négatives, sur les pays en développement, et donc, indirectement, sur l'efficacité de la politique d'aide : ce sont les politiques commerciale, agricole, environnementale, migratoire, d'investissement.
Sur le plan géographique, si la priorité africaine est rappelée, rien n'est dit, ou du moins peu de choses, au sujet du bassin méditerranéen. La France a pourtant des liens culturels et historiques avec cette région. Les conflits qui la traversent, avec tous les risques de déstabilisation qu'ils comportent, appellent un soutien important aux pays qui la composent, voisins immédiats de l'Europe.
L'examen du projet de loi de finances n'est évidemment pas le cadre approprié à la présentation d'un rapport d'ensemble sur l'aide sous toutes ses formes aux pays en développement.
Cela étant, un cadrage d'ensemble permettrait de donner au Sénat les moyens d'apprécier le bien-fondé des allocations de ressources budgétaires qui lui sont proposées.
La stratégie française d'aide publique au développement gagnerait à être clarifiée : à ce titre, plusieurs constats peuvent être faits.
Du point de vue des objectifs, il est clairement annoncé que la France, par son aide, vise l'atteinte des objectifs du Millénaire pour le développement, la réduction de la pauvreté et la promotion de la croissance dans les pays en développement. Elle accorde la priorité à l'Afrique. Sur tous ces points, nous sommes d'accord.
L'aide concerne trois des huit enjeux mondiaux : lutte contre les maladies transmissibles et émergentes, lutte contre le changement climatique, préservation de la biodiversité. Retenir ces problématiques est légitime, mais leur champ excède les seuls pays en développement. Le financement de ces « biens publics mondiaux » pourrait ainsi conduire, à terme, à dériver une partie de l'aide publique au développement.