Intervention de Christian Cointat

Réunion du 7 juillet 2009 à 15h00
Nouvelle-calédonie et mayotte — Adoption d'un projet de loi organique et d'un projet de loi

Photo de Christian CointatChristian Cointat, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le président, madame le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’essentiel du débat qui s’ouvre devant nous porte sur deux points particulièrement importants, à savoir le transfert de compétences vers la Nouvelle-Calédonie et la départementalisation de Mayotte.

Ces deux sujets n’ont aucun lien entre eux. Ils ne se trouvent dans le même « véhicule législatif » que pour de pures raisons de convenances pratiques, ainsi que vous nous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État.

Nous pouvons, certes, comprendre ce souci de rationalisation, mais permettez-moi quand même de regretter cette présentation commune. La politique, surtout quand elle porte sur un sujet sensible, est parfois plus simple quand elle n’est pas trop simplifiée.

Plusieurs des élus et dirigeants locaux des deux territoires concernés m’ont fait part, à juste titre, lors de leur audition, de leurs regrets et interrogations face à un « amalgame » pour le moins curieux.

Cependant, nous savons désormais, puisque vous nous l’avez affirmé, madame la secrétaire d’État, qu’ils peuvent être rassurés, car aucune malice ne se cache derrière ce rapprochement de simple circonstance.

Comme vous le savez, mes chers collègues, le statut de la Nouvelle-Calédonie est le fruit des accords de Matignon, puis de Nouméa, concrétisés par la loi organique du 19 mars 1999 et consacrés par un titre spécial de notre Constitution.

Les règles et principes édictés sont ainsi gravés dans le marbre de la République. On peut d’ailleurs s’en féliciter, car ce dispositif institutionnel, quelles que puissent être les critiques qu’il a fait naître, accompagné par une volonté déterminée des responsables néo-calédoniens, toutes sensibilités confondues, qu’ils appartiennent à la majorité ou à l’opposition, de travailler ensemble, a permis à ce territoire de retrouver depuis plus de vingt ans la paix, la prospérité et un important développement économique qui le place dans le peloton de tête de la zone Océanie-Pacifique.

Alors, pourquoi une nouvelle loi organique pour la Nouvelle-Calédonie ? Tout simplement parce que l’expérience commande quelques adaptations et autres réglages dont la nécessité s’impose naturellement. Les signataires de l’accord de Nouméa en sont d’ailleurs convenus.

J’évoquerai brièvement la teneur des projets de loi organique et ordinaire déposés par le Gouvernement puisque Mme la secrétaire d’État en a brossé les grandes lignes et développé les points saillants.

En fait, pour ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie, l’objectif principal est de faciliter la mise en œuvre des transferts de compétences qui restent à accomplir avant 2014, autrement dit, avant la fin du mandat du congrès qui vient d’être élu, et de définir les moyens techniques, humains et financiers que l’État pourra mettre à la disposition de la Nouvelle-Calédonie pour accompagner ces transferts.

D’autres dispositions assurent un renforcement du rôle des élus et davantage de transparence financière.

Enfin, plusieurs articles apportent précisions et clarifications.

Le projet de loi organique porte également sur la départementalisation de Mayotte.

Quant au projet de loi ordinaire, il traite essentiellement d’ajustements techniques et propose la ratification d’une série d’ordonnances.

L’accord de Nouméa fait l’objet d’un suivi régulier lors de réunions rassemblant les acteurs calédoniens et les représentants de l’État.

La plupart des propositions retenues dans le projet de loi organique reprennent les conclusions de ces comités du suivi et, bien entendu, le congrès de Nouvelle-Calédonie a été consulté par le Gouvernement.

De son côté, la commission des lois m’a mandaté afin d’entendre les différents acteurs de la vie politique calédonienne, soit directement, à l’occasion de leur passage à Paris, soit par le biais de vacations téléphoniques.

Ainsi, presque tous les responsables ont été auditionnés, mais tous, en tout cas, avaient été invités à s’exprimer.

Les aménagements proposés à la loi organique de 1999 portant statut de la Nouvelle-Calédonie concernent les Calédoniens tant pour leur avenir que pour la maîtrise de leur destin, quel que soit celui pour lequel ils opteront le moment venu.

Il a donc paru essentiel à la commission, et notamment au rapporteur, de suivre au plus près, chaque fois que possible, l’avis des élus du territoire : en effet, ce n’est pas à Paris que l’on connaît le mieux la réalité du quotidien en Nouvelle-Calédonie ; ce n’est pas à Paris que l’on vivra les dispositions votées.

Dans le rapport que nous vous présentons, dans le texte que nous vous soumettons, mes chers collègues, nous avons tout simplement placé au centre de notre approche celles et ceux, de la majorité comme de l’opposition, qui auront sur place la charge d’appliquer et de gérer les conséquences des lois que nous sommes en train d’adopter.

À l’article 21, paragraphe III, de la loi organique de 1999, est visée toute une série de compétences à transférer au cours des mandats commençant en 2004 et en 2009. L’article 26, quant à lui, dispose : « Les compétences transférées et l’échéancier des transferts font l’objet d’une loi du pays adoptée à la majorité des trois cinquièmes des membres du congrès, au plus tard le dernier jour du sixième mois suivant le début de chaque mandat. »

L’énumération de ces compétences suffit à démontrer leur importance et leur complexité : police et sécurité en matière de circulation aérienne intérieure et de circulation maritime dans les eaux territoriales, enseignement du second degré public et privé, enseignement primaire privé, droit civil, état civil, droit commercial, sécurité civile.

Comme ces compétences n’ont pas été transférées ni même commencé de l’être en 2004, il ne nous reste plus, selon cet article 26, qu’à peine six mois – cinq mois, en fait – pour nous exécuter. Or le comité des signataires de l’accord de Nouméa est convenu, à juste titre, que ce délai était trop court pour les quatre compétences suivantes : droit civil, état civil, droit commercial et sécurité civile, compte tenu, notamment, de la nécessité de délimiter clairement le périmètre de chacune d’entre elles et de mettre en place un dispositif normatif pour l’évolution du droit. Et cela n’est pas facile. La commission des lois, soucieuse de clarifier les choses en ce domaine, a tenté d’esquisser un périmètre, mais, dans le temps qui lui était imparti, la tâche s’est avérée impossible.

Mais il faut trouver une solution. Il avait été suggéré de faire glisser ces quatre compétences de l’article 21, qui prévoit une loi du pays, à l’article 27 de la loi organique de 1999, qui offre, pour d’autres domaines de compétences, un dispositif plus souple, avec une simple résolution du congrès demandant à l’État de procéder lui-même au transfert par le biais d’une loi organique. Autrement dit, si le congrès ne parvenait pas, dans les six mois, à régler la question, on pouvait « passer la main » au Gouvernement.

Cette approche est, certes, astucieuse, je le reconnais bien volontiers, mais la commission ne l’a pas retenue parce qu’elle présente un fort risque d’inconstitutionnalité – pas une certitude, à la lecture attentive des textes, mais une probabilité élevée – et elle a estimé qu’il ne fallait pas le prendre. En effet, toutes les parties seraient mises dans l’embarras si l’article était invalidé par le Conseil constitutionnel.

D’ailleurs, le Conseil d’État a, semble-t-il, fait la même analyse. Je dis « semble-t-il », parce que tout le monde parle de cette analyse, mais personne, du moins aucun membre du Parlement, n’en a eu la version écrite entre les mains !

En effet, un tel dispositif ouvrirait la possibilité de retirer ces quatre compétences à la Nouvelle-Calédonie puisque le Parlement pourrait, de fait, s’opposer aux transferts en ne votant pas la loi organique. Nous sommes en démocratie : le Parlement est libre de voter ce qu’il souhaite et ne peut recevoir d’ordres dans quelque sens que ce soit.

La commission a donc, par sagesse, préféré allonger pour ces quatre compétences, et uniquement pour elles, de six mois à deux ans le délai fixé à l’article 26 sans le moindre glissement possible de l’article 21 vers l’article 27. Elle espère que le Conseil constitutionnel, ainsi rassuré, reconnaîtra comme constitutionnellement valable cet allongement du délai, l’équilibre des compétences et des pouvoirs n’étant pas modifié.

Comme je l’ai déjà annoncé, la commission s’est efforcée de retenir le plus grand nombre possible des suggestions présentées par le congrès de Nouvelle-Calédonie et a ainsi adopté un grand nombre d’amendements présentés dans ce sens tant par moi-même que par notre excellent collègue Simon Loueckhote, sénateur de Nouvelle-Calédonie.

Ainsi que vous pouvez vous en douter, mes chers collègues, le chapitre des compensations financières, humaines et techniques est un élément central et particulièrement sensible des transferts.

Or, vous ne l’ignorez pas, l’article 40 de la Constitution ne nous laisse qu’une marge de manœuvre réduite à sa plus simple expression. Nous nous sommes donc nécessairement limités aux seules propositions émises par le congrès qui pouvaient franchir ce filtre inexorable.

Depuis plusieurs années, différentes lois organiques et ordinaires ont eu pour objet d’adapter le statut et l’encadrement normatif de l’outre-mer. La commission des lois tient beaucoup à ce que ces aménagements restent cohérents entre eux et dénotent une volonté politique parfaitement lisible, d’autant que, comme elle l’a démontré régulièrement, elle est très attachée à l’outre-mer.

Ainsi, elle estime que des situations absolument comparables appellent des réponses législatives analogues.

Des adaptations du texte du projet de loi organique ont donc été introduites dans ce sens, pour que la cohérence, notamment par rapport à la Polynésie, soit parfaitement visible.

La commission a également insisté sur le renforcement du rôle des élus en complétant le projet du Gouvernement, qui mérite d’être salué à cet égard.

Elle a aussi étudié la transparence financière et budgétaire et le contrôle qui doit en découler.

Divers aménagements ont été apportés en matière d’inéligibilité et d’incompatibilités électorales.

Enfin, la commission, après un entretien approfondi avec les membres du cabinet du président du sénat coutumier, a estimé qu’il était nécessaire de mieux souligner le rôle de cette institution, qui représente un élément important de l’accord de Nouméa, comme l’autorité de son président.

En ce qui concerne Mayotte, le projet de loi organique ne comporte qu’un seul article. Mais quel article ! En effet, il vise à transformer la collectivité de Mayotte en département à partir du renouvellement de son conseil général en 2011.

Comme je l’ai dit à titre liminaire, il est dommage que cet article ait été rattaché au dispositif relatif à la Nouvelle-Calédonie, et ce tant pour les uns, les Calédoniens, que pour les autres, les Mahorais. Il fallait un projet de loi organique pour la Nouvelle-Calédonie et un autre projet de loi organique pour Mayotte.

Puisque tel n’est pas le cas, la commission, à la suite de ses auditions avec les élus de Mayotte, a estimé qu’il n’était pas souhaitable, en définitive, d’aboutir à un article relatif à Mayotte « flottant » quelque part dans l’immensité des lois organiques de la République, mais qu’il convenait au moins de le rattacher, pour qu’il soit clairement identifié, au code général des collectivités territoriales.

S’agissant de la loi ordinaire, qui est essentiellement de nature technique, la commission des lois suggère de requalifier une partie de ses dispositions en les transposant à l’échelon organique.

Je me limiterai à aborder un point qui me paraît important, concernant les pouvoirs du Parlement.

Mes chers collègues, la commission des lois vous propose de ne pas ratifier l’ordonnance du 14 mai 2009. Il s’agit non d’une quelconque opposition aux choix opérés dans ce texte par le Gouvernement, mais d’une réaction forte, je le dis clairement, face à l’attitude de la commission des finances.

En effet, après avoir entendu les diverses parties prenantes, j’avais suggéré à la commission des lois de ratifier l’ordonnance à l’exception de l’un de ses articles, qui supprimait une aide de l’État, minime et pratiquement jamais utilisée, suppression contre laquelle les bénéficiaires, qui n’avaient été ni consultés ni informés, protestaient à juste titre. Il s’agissait donc d’inviter l’État à prendre contact avec les personnes intéressées et, ensuite, à procéder aux ajustements nécessaires, ce qui pouvait, d’ailleurs, aboutir au même résultat.

J’avais donc déposé, au nom de la commission des lois, un amendement en ce sens, auquel la commission des finances a opposé l’article 40 de la Constitution, au motif que l’entrée en vigueur de l’ordonnance en cause avait supprimé une charge, que l’amendement, en refusant la ratification de cette disposition-là de l’ordonnance, tendait de fait à recréer.

Je tiens à souligner que le pouvoir de ratifier ou non une ordonnance relève constitutionnellement du Parlement. Il serait très grave que, par le biais de l'article 40, ce pouvoir de ratification lui soit retiré.

Pour que ce droit ne soit ni supprimé ni altéré, la commission des lois n’a eu d’autre choix que de refuser la ratification de l’ordonnance dans sa totalité, ce qui revient d’ailleurs à réintroduire la charge incriminée. Cette situation devient quelque peu ubuesque !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion