Intervention de Anne-Marie Escoffier

Réunion du 7 juillet 2009 à 15h00
Nouvelle-calédonie et mayotte — Adoption d'un projet de loi organique et d'un projet de loi

Photo de Anne-Marie EscoffierAnne-Marie Escoffier :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi organique que nous discutons aujourd’hui ne sera sans doute pas, dans cette session extraordinaire du Parlement, celui qui retiendra le plus l’attention de l’opinion publique. Il n’en demeure pas moins essentiel dans la mesure où sa portée concerne directement deux territoires de la nation, l’île de Mayotte et l’archipel de la Nouvelle-Calédonie, même si, d’un point de vue géographique, ceux-ci figurent parmi les plus éloignés de l’Hexagone puisqu’ils relèvent de ce qu’il est convenu de nommer les « territoires ultramarins ».

L’île de Mayotte, située dans l’archipel des Comores dont le récent et tragique accident d’avion ayant frappé des Français et des Mahorais nous a brutalement rappelé les liens qui l’unissent à la France, est une terre avec laquelle nous entretenons des relations anciennes. Elle est entrée dans l’empire colonial sous Louis-Philippe, en 1846, avant d’être rattachée à Madagascar en 1909 et de devenir un territoire d'outre-mer en 1946, à l’autonomie accrue par les lois de 1956, de 1961 et de 1968. Or, malgré l’accession des Comores à l’indépendance, en 1975, Mayotte, collectivité départementale régie par la loi du 13 juillet 2001, a toujours manifesté sa volonté de demeurer française.

Le projet de loi organique qui nous est aujourd'hui soumis se borne à constater les résultats du référendum du 29 mars dernier, qui ouvre la voie de la départementalisation de l’île, approuvée par 94 % de la population. Mayotte est donc, en puissance, le cent unième département de la République, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir.

Je souhaite que cette départementalisation s’opère de manière harmonieuse et paisible, dans l’intérêt de Mayotte comme dans celui de la France. Je relève cependant que l’alignement sur le droit commun des départements d'outre-mer sera long, le droit applicable à Mayotte étant largement dérogatoire.

Ainsi, l’absence d’impôt d’État, de TVA et de fiscalité communale, l’application d’un droit statutaire et familial coutumier musulman, la compétence d’une justice exercée par le cadi en matière notarial et d’état civil, l’existence d’un double système d’état civil ou la reconnaissance de la propriété foncière coutumière sont autant de difficultés qu’il faudra prendre en considération.

Les efforts seront importants et il appartiendra à l’État de veiller à ce que cet alignement ne lèse pas le développement économique et social de l’île. De même, l’État devra mettre en place des outils préventifs permettant de placer le futur département d'outre-mer dans une situation financière satisfaisante, au regard tant des dépenses à venir qui lui seront imputées et de ses dotations que de la nouvelle autonomie de décision qui lui échoira.

La situation de la Nouvelle-Calédonie est plus complexe et, avant de commenter la partie du texte la concernant, je souhaite souligner d’abord combien l’accord dit « de Nouméa », du 5 mai 1998 et la loi organique du 19 mars 1999 non seulement ont constitué une avancée significative dans les relations entre la France et la Nouvelle-Calédonie, mais encore ont illustré une manière de gouverner particulièrement sage, prudente et efficace, trop rarement mise en œuvre dans notre histoire.

Ce fut en effet sur l’initiative de Michel Rocard, alors Premier ministre, que nous devons l’extinction de l’incendie que des mesures maladroites avaient allumé. Il sut trouver des interlocuteurs particulièrement expérimentés, qui privilégièrent le dialogue et le respect absolu de ceux qui ne partageaient pas la même opinion, mais qui se trouvaient appelés à siéger à la même table. Il en est d’ailleurs de même aujourd'hui.

Souhaitons que le Gouvernement s’inspire de cette méthode, dont les bases furent jadis jetées en Afrique par le grand Félix Éboué, méthode qui est certes la plus difficile, mais aussi la plus efficace, et qui reste, à bien des égards, un modèle. Cette éthique de la tolérance fut encore pratiquée avec un rare bonheur par un sénateur du groupe auquel j’ai l’honneur d’appartenir, Gaston Monnerville, longtemps président de notre institution, qui fut, après la guerre, l’un des efficaces promoteurs de la transformation des trois colonies des Caraïbes en départements, la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique, en cette même année 1946 qui vit la Nouvelle Calédonie passer de l’état de colonie au statut de territoire d’outre-mer et connut enfin l’abolition du détestable code de l’indigénat.

Avant qu’on ne parvienne aux accords de Matignon, combien de pages violentes s’étaient écrites dans cet archipel calédonien, découvert le 4 septembre 1774 par l’expédition de Cook, et dont la France prit officiellement possession moins d’un siècle plus tard, le 24 septembre 1853, non pas dans l’intention d’aménager cette nouvelle terre, mais dans celle d’en faire un bagne… Ce bagne fut non seulement celui du Second Empire, mais encore celui de la Troisième République, laquelle y envoya quelques-uns des plus emblématiques condamnés de la Commune, en particulier une femme, qui, par la force de ses convictions et de son caractère, a ouvert, à nous les femmes, le périlleux chemin de la carrière politique ; je veux, bien sûr, parler de Louise Michel.

Il n’est pas dans mes intentions de rappeler ici la longue et complexe histoire de la Nouvelle-Calédonie, mais je tiens à souligner que, parmi les histoires de tous ces territoires que l’on appelle parfois « les confettis de l’Empire », celle de la Nouvelle-Calédonie fut probablement l’une des plus violentes. De la tête du chef Ataï conservée depuis 1878 dans un bocal au Musée de l’Homme jusqu’aux émeutes des années 1984-1988, avec la tragique affaire de la grotte d’Ouvéa ou l’assassinat du leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou, les relations entre Paris et l’archipel calédonien ne furent ni simples ni sereines.

Tout cela était sans doute la conséquence d’un schéma évolutif complexe, mêlant indistinctement le bagne, le nickel, la pêche à la baleine, le développement de grandes propriétés au seul profit de quelques-uns, la non-reconnaissance par une République éradicatrice et « glottophage » de la spécificité de la culture kanak.

C’est dire, une fois de plus, combien, après la loi-cadre Deferre de 1956, la loi Stirn de 1974 et la loi du 4 mai 1984, l’accord de Matignon de 1989 fut exemplaire. Un peu moins d’une décennie plus tard, l’accord dit « de Nouméa » de 1998, qui fut suivi de la loi organique du 19 mars 1999, prévoyait la mise en place progressive d’une autonomie forte, avec des transferts de compétences successifs, hors les missions régaliennes de l’État, et participait à la construction d’un destin commun et à la mise en place d’une citoyenneté calédonienne.

C’est précisément la suite de l’application de ce dernier accord, qui nous occupe aujourd’hui, une nouvelle décennie plus tard, au terme de quatre années de travaux préparatoires, sous l’autorité du haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie, en concertation avec les autorités de l’archipel, dont les conclusions ont été approuvées in fine au mois de décembre dernier par le comité des signataires de l’accord de Nouméa.

La Nouvelle-Calédonie est une collectivité d’outre-mer régie par les articles 76 et 77 de la Constitution, dont le statut est précisément fixé par la loi de 1999, qui l’a dotée des institutions suivantes : un congrès élu à la proportionnelle, assemblée délibérante ; un gouvernement élu par le congrès et responsable devant lui, organe exécutif dirigé par un président ; un sénat coutumier, désigné par les conseils coutumiers ; des conseils coutumiers locaux et un conseil économique et social.

Je tiens à souligner l’intérêt qu’offre la reconnaissance du droit coutumier, qui concerne particulièrement l’état des personnes et le droit de la famille. S’il n’est pas conforme à l’idée du droit positif que se faisait Étienne Portalis, dont le regard veille sur nous dans cet hémicycle, le droit coutumier n’en demeure pas moins un sage garant de la paix sociale et culturelle et il montre qu’une République sereine est celle qui sait, empiriquement, s’adapter aux situations, qui n’impose pas un modèle non conforme à des sensibilités différentes de celles de la métropole.

Ce projet de loi organique a d’abord pour but de faciliter les transferts de compétences prévus par l’accord de Nouméa et d’actualiser l’organisation institutionnelle de l’île, à travers trois axes principaux. Le premier axe met en action une organisation plus progressive des transferts pour permettre au congrès de mettre en œuvre des préalables à ceux-ci. Le deuxième axe renforce les garanties pour le droit à compensation et la mise à disposition des services, par la modification des règles de calcul et la complète réorganisation des transferts de services. Le troisième axe instaure une complémentarité entre les services de l’État et ceux de la Nouvelle-Calédonie.

Ce texte a ensuite pour vocation de moderniser les institutions de la Nouvelle-Calédonie en ouvrant de nouvelles possibilités d’intervention dans la vie économique locale aux collectivités publiques de la Nouvelle-Calédonie, en s’inspirant des dispositions déjà applicables en Polynésie française, ce dont il faut se réjouir.

Enfin, ce texte actualise opportunément, au niveau institutionnel, le droit applicable aux élus en matière de remplacement, d’indemnité, de protection, d’incompatibilités et d’inéligibilité.

Ces nouveaux transferts marquent une étape importante dans la perspective du référendum d’autodétermination qui sera organisé entre 2014 et 2018. Ils permettront aux élus et aux responsables locaux de se familiariser avec des outils dont ils auraient à se servir dans la perspective d’une éventuelle indépendance future.

L’ensemble des compensations financières sera en revanche indexé sur la DGF, qui, on le sait, va connaître dans les prochaines années un tassement important en raison de la modification du calcul de l’enveloppe normée, qui n’intégrera plus que l’inflation.

Ce ne sera pas, d’ailleurs, le seul problème que devra affronter l’archipel qui, d’une part, ne reçoit aucune compensation particulière, et, d’autre part, aura encore bien du mal avec le transfert des personnels techniciens, ouvriers et de service, les TOS.

En revanche, constituent des points positifs des dispositions telles que la possibilité donnée à la collectivité de Nouvelle-Calédonie et aux provinces de prendre des participations en capital dans des sociétés privées chargées d’une mission de service public ou d’intérêt général, et celle de créer des groupements d’intérêt public, ou GIP, ou des sociétés d’économie mixte locales, tout en soumettant ces personnes publiques à la plupart des dispositions de la loi Sapin.

Enfin, la réforme des collectivités locales intéressera particulièrement la Nouvelle-Calédonie puisque l’intercommunalité constituera un autre outil de poids pour aider les communes les plus pauvres en leur permettant de mutualiser leurs moyens.

Ce texte, écrit dans le respect de la logique qui, depuis deux décennies, privilégie clairement le consensus, ne peut que recueillir l’approbation des élus des deux bords de notre Haute Assemblée puisque celle-ci est traditionnellement ouverte aux intérêts des collectivités locales et territoriales, ainsi qu’aux libertés dont doivent pouvoir jouir sans réserve nos compatriotes, quel que soit le territoire sur lequel ils vivent, dans le respect de leur spécificité.

Pour autant, ce projet de loi n’était sans doute pas parfait à l’origine, ce qui a conduit la commission des lois du Sénat et son excellent rapporteur à revoir la rédaction et le nombre des articles, par l’adoption de plus de quarante-cinq amendements, dont le Gouvernement, j’en suis sûre, saura mesurer l’intérêt.

C’est pourquoi, sous réserve de l’acceptation de ces amendements, le groupe RDSE votera un texte qui s’inscrit dans la tradition humaniste qu’il a toujours défendue. Ce texte vise également à s’adapter au plus près des besoins de nos compatriotes calédoniens, lointains par la distance, mais proches par le cœur.

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