Intervention de Simon Loueckhote

Réunion du 7 juillet 2009 à 15h00
Nouvelle-calédonie et mayotte — Adoption d'un projet de loi organique et d'un projet de loi

Photo de Simon LoueckhoteSimon Loueckhote :

Je tiens tout d’abord à m’associer aux propos tenus tout à l’heure par M. le président du Sénat à votre égard, madame la secrétaire d’État.

Je veux vous exprimer notre satisfaction de vous voir au banc du Gouvernement afin de défendre les présents projets de loi. Je suis personnellement très heureux que ce soit vous, une ultramarine, qui soyez en charge, au Gouvernement, des affaires ultramarines. Vous pouvez compter totalement sur moi pour vous aider dans votre mission, ô combien difficile, à l’égard de nos compatriotes vivant loin de l’Hexagone.

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi organique inscrit aujourd'hui à notre ordre du jour est un texte majeur pour la Nouvelle-Calédonie puisqu’il concerne son évolution institutionnelle.

Il s’agit en effet de modifier la loi organique votée en mars 1999, qui n’était rien d’autre que la traduction juridique de l’accord politique – et un accord de paix – qu’est l’accord de Nouméa, signé en 1998 par les deux camps qui s’étaient affrontés auparavant ; je veux parler des indépendantistes et des partisans du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France.

Dix ans après la signature des accords de Matignon qui avaient permis le retour à la paix dans notre archipel, l’accord de Nouméa a ouvert une nouvelle période d’espoir. Dans son préambule, ce texte fondateur affirme que « le moment est venu de reconnaître les ombres de la période coloniale, même si elle ne fut pas dépourvue de lumière ». L’accord de Nouméa prône « le rééquilibrage », ses signataires y ayant inscrit le vœu de « constituer […] une communauté humaine affirmant son destin commun ».

Fruit de l’intelligence des acteurs des deux camps, il a permis, et permet toujours aujourd’hui, d’envisager de manière pacifiée l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, un avenir prometteur où tout le monde aura sa place, où toutes les communautés vivant dans l’agglomération de Nouméa, sur la Grande Terre ou dans les îles, chacun de ces territoires ayant ses spécificités et son histoire, décident de vivre ensemble.

La route tracée par l’accord de Nouméa vers le destin commun est longue, et tout n’est pas gagné. Néanmoins, un long chemin a déjà été parcouru.

Le rééquilibrage, certes incomplet, prend corps. Ainsi, depuis une quinzaine d’années, les écarts économiques et de niveau de vie entre provinces ne cessent de se réduire.

Le rattrapage social a eu lieu. Il est visible à plusieurs signes, dont l’augmentation du niveau de formation des jeunes originaires de la province Nord et des îles, l’amélioration de l’équipement des ménages dans les deux provinces ou encore l’allongement de la durée de la vie.

Du point de vue économique, le produit intérieur brut par habitant de la province Nord égale aujourd’hui les deux tiers de celui de la province Sud, alors que celle-ci abrite 71 % de la population calédonienne. La situation s’améliorera encore lorsque les projets industriels de la province Nord, notamment l’usine de traitement du nickel exploitée par la société minière du Sud Pacifique, la SMSP, et Xstrata, verront le jour. Le chantier de construction de l’usine soutient déjà fortement l’activité économique de la région en employant sur le site 1 068 personnes, dont 674 sont originaires de la province Nord. Autre indice du rééquilibrage, la croissance a été deux fois plus rapide, entre 1996 et 2004, dans la province Nord que dans la province Sud. Quant à la province des îles Loyauté, l’écart entre son PIB par habitant et celui de la province Sud a diminué de 60 % en quinze ans.

La reconnaissance de l’identité kanake, inscrite dans l’accord de Nouméa, a elle aussi progressé. Elle est symbolisée par le centre culturel érigé en hommage au leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou, signataire, avec Jacques Lafleur, des accords de Matignon ; il contribue fortement à diffuser la connaissance de l’art et des traditions kanaks.

Au-delà de ce symbole incontournable, d’autres chantiers ont été ouverts comme celui de la toponymie, notamment en province Nord, où tous les lieux sont désormais nommés en langue française et en langue vernaculaire. L’académie des langues kanakes a été créée et celles-ci sont enseignées, comme le prévoit l’accord de Nouméa.

Des dispositions centrales de l’accord de Nouméa, reprises par la loi organique, ont été mises en œuvre, même si toutes ne sont pas totalement en place. Ainsi le corps électoral restreint a-t-il été adopté par le Congrès de Versailles en 2007 dans sa version la plus stricte puisque c’est une notion figée et non glissante, contrairement à ce que j’aurais préféré, qui a été retenue. C’était un geste fort des différentes communautés, afin de prouver, s’il en était besoin, leur volonté de créer, en Nouvelle-Calédonie, un destin commun.

Par ailleurs, la définition des signes identitaires a fait l’objet d’un premier consensus, mais ce chantier n’est pas achevé. D’après les premiers échanges intervenus au sein du gouvernement collégial, dont j’ai l’honneur de faire partie, les travaux devraient reprendre très prochainement.

Concernant la protection de l’emploi local, autre point phare de l’accord de Nouméa et de la loi organique, un projet de texte pour le secteur privé, préparé par l’ensemble des partenaires sociaux, qui ont réussi, après des mois de travail, à parvenir à un consensus sur ce sujet épineux, a été approuvé par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie à la fin de la dernière mandature.

Pour ma part, en tant que membre du gouvernement de la nouvelle mandature chargé de la fonction publique et du schéma d’aménagement et de développement de la Nouvelle-Calédonie, je proposerai très rapidement une démarche participative afin d’aboutir à un texte consensuel de nature à protéger l’emploi local dans la fonction publique. Je veillerai aussi, dans l’élaboration du schéma de développement, à ce que l’avenir, à l’horizon 2025, s’écrive bien dans le respect de l’accord de Nouméa.

Enfin, la clé de voûte de l’accord de Nouméa est le transfert progressif et irréversible des compétences de l’État à la Nouvelle-Calédonie. Nous sommes à un moment charnière de ce processus, le congrès de la Nouvelle-Calédonie devant se prononcer d’ici au mois de novembre sur le calendrier et les modalités de ce deuxième train de transferts.

Au cours des deux dernières réunions du comité des signataires de l’accord de Nouméa, qui se sont tenues à Matignon en 2007 et en 2008, les Calédoniens avaient insisté sur l’importance qu’ils accordaient à ces transferts. Ils avaient également sollicité le concours et l’accompagnement financier de l’État pour les préparer et, surtout, les réussir.

Rappelons que ce dossier était au point mort depuis 1999 et que, depuis 2008, le chemin parcouru avec l’appui technique de l’État est considérable.

Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie présidé par Harold Martin, sous la précédente mandature, a accompli un travail important et fait preuve d’une grande détermination, dans le souci permanent de faciliter le consensus. Il faut également saluer l’action du haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie et la contribution des experts de la mission d’appui que l’État a mandatée sur ce dossier. Je voudrais ici remercier le Gouvernement d’avoir répondu à cette demande de soutien et d’avoir tenu l’engagement pris devant les signataires de l’accord. Cette aide nous a été précieuse : elle nous a permis de mesurer et d’aplanir les difficultés, en associant aux discussions, pour la première fois dans l’histoire institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, tous les acteurs concernés par ce processus.

Le transfert des compétences en matière d’enseignement est certainement ce qui présente le plus de difficultés, d’abord par son ampleur, avec 42 000 élèves, 4 500 personnels et près de 386 millions d’euros de dépenses annuelles, soit un tiers des ressources de la collectivité de Nouvelle-Calédonie– 1, 25 fois son budget de fonctionnement propre et 3 fois ses effectifs actuels –, mais aussi par son importance économique et sociale. L’étape est cruciale, car c’est un secteur majeur, tant par le poids qu’il représente que par l’importance qu’il revêt pour les familles calédoniennes et l’avenir du pays.

Il est évident que les caractéristiques de la Nouvelle-Calédonie, conjuguées à l’irréversibilité du processus, rendent extrêmement difficile la comparaison avec les transferts de compétences intervenus en métropole.

En Nouvelle-Calédonie, ce transfert suscite des attentes, mais également des craintes, exprimées par les syndicats d’enseignants et les parents d’élèves.

Les solutions élaborées entre les signataires de l’accord ont permis de dépassionner le débat et d’aboutir à un consensus. Cependant, l’équilibre reste fragile et doit être conforté par les modifications de la loi organique du 19 mars 1999 que nous allons examiner. Il requiert des garanties de l’État, attendues par les élus de Nouvelle-Calédonie et la population, dont je me permets de me faire, aujourd’hui, l’interprète auprès de vous.

Comme je le disais, un long chemin a été parcouru depuis la poignée de main historique entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, le 26 juin 1988, et la signature de l’accord de Nouméa, le 5 mai 1998. La loi organique nous a accompagnés tout au long de ces années, comme un guide auquel on se réfère sans cesse, mais, au fil du temps, ce texte a montré ses faiblesses. Ambiguës, sources de contentieux, incomplètes ou inadaptées, certaines dispositions doivent être modifiées, tandis que d’autres doivent être ajoutées, le droit devant s’adapter à la pratique.

Il ne s’agit en rien de réviser l’accord de Nouméa par un biais détourné : il s’agit de le renforcer, en en clarifiant la traduction juridique qu’est la loi organique, afin qu’elle respecte encore mieux l’esprit de l’accord approuvé, je vous le rappelle, par 72 % des Calédoniens en 1998 et dont les orientations ont aujourd’hui valeur constitutionnelle.

Il a fallu trois ans de travail pour aboutir au texte que nous allons examiner. Des dizaines de réunions ont eu lieu, quatre-vingts modifications ont été proposées à la fin de 2006.

Je voudrais aussi souligner que les amendements que j’ai déposés émanent tous du rapport qui a obtenu, le 12 juin dernier, un avis favorable du congrès de la Nouvelle-Calédonie, à l’unanimité de ses membres, qui représentent toutes les sensibilités politiques des trois assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. C’est donc un signe fort que les cinquante-quatre élus du Congrès adressent aujourd’hui à la fois au Gouvernement de la France et au Parlement.

Vous comprendrez aisément, après ces premiers propos, ma forte implication dans ce dossier. Cette implication, je la dois à mon pays et à tous les Calédoniens, car il y va de notre avenir commun. C’est aussi ma responsabilité de signataire de l’accord de Nouméa. Je sollicite donc votre attention bienveillante aux amendements que je défendrai tout à l’heure.

Pour l’occasion, et à titre exceptionnel, j’ai intégré la commission des lois, qui s’est réunie le 24 juin. Je sais gré au président, au rapporteur et aux autres membres de cette commission de m’avoir ainsi permis de travailler sur ce texte, avant que je ne rejoigne ma commission d’origine.

Je salue tout particulièrement la qualité du travail et la grande connaissance de la Nouvelle-Calédonie de mon collègue Christian Cointat, dont le rapport fera référence.

La majorité des amendements que j’ai présentés ont été accueillis favorablement et intégrés au texte de la commission ; j’en remercie mes collègues de la commission des lois. D’autres, en revanche, ont été rejetés pour cause d’inconstitutionnalité.

Je prends acte de cet obstacle juridique. Je connais les difficultés financières de la France et je ne veux pas alourdir encore le budget de l’État. L’État, qui transfère tous les ans près de 1, 2 milliard d’euros à la Nouvelle-Calédonie, accomplit déjà un effort important pour accompagner notre archipel dans son développement.

Les amendements que j’avais déposés et qui répondaient aux souhaits du congrès de la Nouvelle-Calédonie avaient, en fait, trois objectifs : améliorer le fonctionnement des institutions ; favoriser le développement économique de la Nouvelle-Calédonie ; assurer la bonne mise en œuvre de l’accord de Nouméa

Ne voulant pas vous imposer un discours trop long, je ne m’attarderai que sur les modifications qui représentent un fort enjeu pour la Nouvelle-Calédonie. Elles concernent essentiellement les transferts de compétences que j’évoquais tout à l’heure, exception faite d’une modification, qui n’en est pas moins fondamentale à mes yeux : la reconnaissance des conjoints de citoyens calédoniens et des personnes pacsées avec des citoyens calédoniens, afin de leur permettre de bénéficier des dispositions des futures lois de protection de l’emploi local.

Le congrès a demandé un tel ajout à la loi organique, car c’est l’une des dispositions du projet de loi sur la protection de l’emploi local dans le secteur privé qui ont fait l’objet d’un consensus en Nouvelle-Calédonie. Une fois cette modification effectuée, ce texte très attendu par la population pourra reprendre son parcours institutionnel et arriver au congrès de la Nouvelle-Calédonie d’ici la fin de l’année.

S’agissant des transferts des compétences, la première demande de la Nouvelle-Calédonie concerne le transfert du droit civil, du droit commercial et de la sécurité civile. En effet, la Nouvelle-Calédonie n’est pas totalement préparée, à ce stade, à assumer ces transferts complexes et lourds. Les réticences des professionnels du droit et de la sécurité civile ne peuvent être ignorées, et les conditions à réunir pour les réussir ne peuvent être éludées.

La Nouvelle-Calédonie a donc souhaité un délai afin de se préparer au mieux à cette échéance. Ce délai devra être mis à profit pour que l’État concrétise l’accompagnement auquel il s’est engagé en qualité de partenaire de l’accord de Nouméa.

Une modification a été introduite en ce sens : le congrès pourra décider du transfert de ces compétences deux ans plus tard que prévu, c’est-à-dire en mai 2011, au lieu de novembre 2009.

Les autres principales modifications souhaitées par le congrès de la Nouvelle-Calédonie concernent le transfert des compétences de l’enseignement secondaire et de l’enseignement privé. L’enjeu, je vous le disais, est colossal. Le souhait des élus calédoniens est de garantir la possibilité pour la Nouvelle-Calédonie d’assurer le financement d’un enseignement secondaire de qualité, d’organiser la transition dans les meilleures conditions pour les personnels, voire de bâtir un projet éducatif adapté à nos enjeux.

Il serait inconcevable, vous en conviendrez, de sacrifier la qualité de l’enseignement faute de moyens suffisants et donc inimaginable que les constructions de lycées annoncées ne se fassent pas ou que la plus grande attention ne soit pas portée aux personnels, car les transferts devront se réaliser avec eux et non contre eux. C’est donc au nom d’élus responsables que j’ai déposé ces amendements.

Le projet de texte adopté en conseil des ministres traduit juridiquement les arbitrages rendus par les signataires de l’accord de Nouméa sur ce sujet. Cependant, il était nécessaire d’améliorer les dispositions rédigées par le Gouvernement et d’y accorder la plus grande attention. L’absence de consensus au Congrès, qui devra se prononcer par une loi de pays adoptée à la majorité des trois cinquièmes, entraînerait en effet à coup sûr des tensions en Nouvelle-Calédonie.

Nous savons, en Nouvelle-Calédonie, à quel point le Président de la République est attaché à la mise en œuvre de l’accord de Nouméa, dans sa lettre et dans son esprit. C’est ainsi que, en 2007, il écrivait aux Calédoniens : « J’attache la plus grande importance au respect de l’accord de Nouméa, conclu entre vos représentants et l’État, approuvé par vous et inscrit dans notre Constitution. » Il ajoutait : « Je crois à une démarche politique fondée sur le consensus, le respect des engagements et la recherche constante de la volonté de vivre ensemble. »

La France doit absolument réussir les transferts de compétences en Nouvelle-Calédonie pour réussir la mise en œuvre du processus exemplaire inscrit dans l’accord de Nouméa, qui fait aujourd’hui référence non seulement dans la région, mais aussi dans le reste du monde.

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