Intervention de Bernard Piras

Réunion du 5 décembre 2006 à 15h00
Loi de finances pour 2007 — Compte d'affectation spéciale : développement agricole et rural

Photo de Bernard PirasBernard Piras :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget consacré à l'agriculture pour 2007 est à l'image de ceux qui ont été votés depuis 2003 : il ne prépare pas l'avenir, ne tient pas compte des problèmes présents et oublie les fondements qui ont permis à l'agriculture de constituer l'un des fleurons de notre économie.

Je partage l'ambition de la LOLF, à savoir qu'un bon budget n'est pas forcément un budget en augmentation. Je suis sensible à l'idée selon laquelle l'action publique doit se caractériser avant tout par son efficience, plutôt que par l'importance de la masse financière absorbée. Que le budget annoncé pour l'agriculture soit, en réalité, en baisse, compte tenu de l'inflation, serait donc admissible, si la stagnation affichée était justifiée par l'efficacité des réformes menées ou programmées.

Or, tel n'est absolument pas le cas. Notre agriculture et, au-delà, notre ruralité vont mal. L'inquiétude, pour ne pas dire le désarroi, est palpable. Ce malaise est amplifié par la politique conduite depuis 2003, en raison du décalage entre les paroles et les actes.

Face à ce constat, il ne ressort de ce budget que quelques modestes orientations significatives, lequel se réduit, en grande partie, à n'être que la contrepartie indispensable à la mobilisation des crédits communautaires.

Pour illustrer mon propos, monsieur le ministre, je prendrai plusieurs exemples.

L'idée d'une agriculture contractualisée et multiobjectifs est progressivement abandonnée, mais sans le dire. Celle-ci reposait sur les contrats territoriaux d'exploitation, qui ont été remplacés par le mécanisme des contrats d'agriculture durable, lesquels, selon vous, seraient mieux adaptés. Or, avec 2 000 contrats financés en 2007, nous sommes loin des 10 000 annoncés !

Le soutien à l'agriculture biologique régresse, alors qu'il s'agit d'un secteur en plein essor, qui répond par ailleurs à de nombreuses préoccupations sociétales.

Le désengagement à l'égard de l'enseignement agricole, conjugué à une absence de projet, se poursuit. Le Gouvernement ignore sa qualité et son utilité, pourtant unanimement reconnues, et annihile ainsi les efforts entrepris. Il ne reconnaît pas la vocation de cet enseignement à favoriser la profonde mutation que connaît notre agriculture, laquelle se répercute sur l'ensemble de l'économie rurale.

À ce propos, monsieur le ministre, intervenant la nuit dernière dans le cadre de l'examen des crédits de la mission « Enseignement scolaire », j'ai souligné le désarroi des professeurs de l'enseignement agricole. S'il faut vous en convaincre, je vous invite à lire l'excellent rapport pour avis sur ce sujet, cosigné notamment par notre collègue Françoise Férat. Par ailleurs, j'espère que M. de Robien, ministre de l'éducation nationale, vous remettra la pétition contenant 2 000 signatures que les enseignants m'ont chargé de vous transmettre, au travers de laquelle ils expriment leurs inquiétudes.

L'action de structuration et d'adaptation des filières est gravement remise en cause. Elle est pourtant extrêmement importante dans un contexte d'abandon des outils de régulation et d'orientation des productions et dans un environnement international de plus en plus concurrentiel.

Le choix a été fait de favoriser le développement de l'assurance face aux aléas climatiques, sans pour autant y consacrer les moyens financiers nécessaires.

De nombreux jeunes agriculteurs ont été exclus du droit au second versement de la DJA, à la suite d'une modification des règles en cours de procédure.

Le dispositif des prêts bonifiés a été démantelé. Malgré certaines critiques formulées par la Cour des comptes, ce mécanisme a prouvé son efficacité dans l'accompagnement des projets d'investissement des agriculteurs.

La gestion des droits à paiement unique ne garantit pas une bonne redistribution des ressources, ce qui revient à entériner la réalité actuelle, à savoir que 80 % des aides vont à 20 % des agriculteurs.

Enfin, monsieur le ministre, cette législature est marquée par l'inaction dans le dossier des retraites agricoles, que vous avez tenté de masquer avec un geste modeste. Cette situation contraste fortement avec les avancées spectaculaires et sans précédent réalisées de 1997 à 2002. Le désengagement de l'État conduira le FFIPSA à enregistrer, à la fin de 2007, un déficit cumulé de 6 milliards d'euros.

Je pourrais multiplier ainsi les exemples pour démontrer que le bilan et les perspectives sont bien sombres, mais je m'arrêterai là, car je souhaite aborder maintenant la situation de la filière fruits et légumes, en prenant le cas de mon département de la Drôme.

Après plusieurs années de morosité, dues en partie aux prix de vente peu rémunérateurs, l'année 2006 a été pour les fruits d'été moins catastrophique, en matière tant de prix que d'écoulement de la marchandise.

Cependant, cette relative accalmie ne permettra pas de combler les dettes accumulées lors des précédentes saisons, qui se sont révélées fatales à de nombreuses exploitations. En outre, une lourde incertitude pèse sur la véritable nature de cette éclaircie : est-elle en effet conjoncturelle ou bien structurelle ?

Par ailleurs, la baisse constante du taux d'adhésion aux organisations de producteurs est préoccupante. La raison est double : certaines d'entre elles pâtissent d'une absence de reconnaissance, due au changement de statut des organisations professionnelles ; les formalités administratives étant à la fois plus importantes et plus complexes, elles deviennent décourageantes. Or, la désorganisation engendrée est préjudiciable tant pour la profession dans son ensemble que pour les producteurs pris isolément.

Je profite de cette intervention pour rappeler que le problème majeur posé par la maladie de la sharka est loin d'être réglé. Ce virus, qui affecte les plantations d'arbres fruitiers à noyaux tels que les pêchers, les abricotiers ou les pruniers, et qui rend la commercialisation des fruits impossible, a décimé une grande partie des vergers de mon département.

Depuis des années, à travers des questions écrites ou orales, je suis intervenu à de nombreuses reprises auprès des gouvernements successifs pour alerter sur l'incidence économique, mais également social, de ce fléau. La réponse apportée sur le terrain a toujours été largement insuffisante, donnant le cruel sentiment aux arboriculteurs que les pouvoirs publics jouaient avec le temps, laissant la maladie faire son travail de sélection naturelle.

Désormais, la sharka poursuit son extension vers le sud et le nord de la Drôme, et concernera bientôt tout le couloir rhodanien. Autour de l'épicentre, lequel concerne une dizaine de communes, on dénombre déjà 15 arrêts d'activité, 33 exploitations très sérieusement menacées et plus de 200 fortement fragilisées.

En attendant que des variétés résistantes au virus soient mises au point, que fait-on ? Va-t-on continuer à assister, impuissants, à la faillite des exploitations ? Jusqu'à présent, la profession a collaboré aux actions de prospection. Cependant, au regard des maigres résultats obtenus, le découragement a pris le dessus.

Par ailleurs, les zones les plus durement frappées se retrouvent désormais exsangues et dévastées. Une personne venue dans notre région il y a dix ans ne reconnaîtrait plus le paysage, le regard pouvant désormais s'étendre à l'infini. Quel dispositif de reconversion, susceptible de s'adapter à la configuration des parcelles, avez-vous prévu ?

Monsieur le ministre, vous avez récemment missionné M. Patrice Devos, ingénieur général du génie rural, afin qu'il procède à un état des lieux et propose des solutions, ces dernières devant être annoncées avant le 15 décembre prochain. L'attente suscitée par cette énième expertise est très importante. Ne décevez pas à nouveau la profession, les élus et la population ! Une nouvelle désillusion serait sans aucun doute fatale pour un pan entier de l'économie drômoise.

Les différents partenaires sont prêts à se mobiliser en faveur d'un nouveau projet de territoire, pour peu que l'État, par un engagement financier sans précédent, montre sa volonté indéfectible de prendre le dossier de la sharka à bras-le-corps. Les décisions prises seront lourdes de conséquences.

Au regard de tous ces problèmes non réglés, sans doute trop brièvement évoqués, faute de temps, je dois vous dire monsieur le ministre, malgré l'estime, voire l'affection, que je vous porte, que ce budget n'est pas à la hauteur des enjeux. Aussi, nous ne le voterons pas.

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