Intervention de Jean-Patrick Courtois

Réunion du 9 février 2010 à 14h30
Droits des personnes placées en garde à vue — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Jean-Patrick CourtoisJean-Patrick Courtois :

Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, le sujet dont nous débattons aujourd’hui concerne deux impératifs essentiels qui fondent notre État de droit : d’une part, le devoir de la société de poursuivre les auteurs d’infractions, d’autre part, l’obligation faite à la justice de garantir les droits de la défense.

Notre législation en matière de garde à vue doit faire l’objet d’un subtil équilibre entre ces deux impératifs : c’est ce que nous appelons tous de nos vœux.

En dépit du développement de la police scientifique et technique et des méthodes d’analyse faisant notamment appel à l’ADN, notre système judiciaire reconnaît toujours à l’aveu, ancienne « reine des preuves », une valeur probante particulière. Or, pendant la garde à vue, les suspects sont dans une situation de vulnérabilité psychologique et physique. Plus le mis en cause est susceptible ou fragile, plus il risque de tenir des propos avec lesquels il pense pouvoir satisfaire l’enquêteur, mais qui éloigneront la justice de la vérité.

Vous avez affiché, madame le ministre d’État, votre volonté, dans le cadre de la future réforme de la procédure pénale, de rendre l’aveu en garde à vue insuffisant pour justifier à lui seul une condamnation. Le groupe UMP et moi-même saluons votre démarche. Nous ne saurions tolérer, en effet, qu’en France, pays des droits de l’homme, les seuls aveux obtenus en garde à vue puissent déterminer l’issue du procès.

Notre droit consacre, en outre, l’équilibre entre les droits de la défense et l’intérêt de la communauté à faire juger les personnes coupables d’infractions.

Ainsi, afin de contrebalancer l’atteinte portée à sa liberté individuelle, il est reconnu à la personne placée en garde à vue une sphère protectrice.

D’une part, il est fait obligation aux services de police judiciaire d’enregistrer les interrogatoires de tout suspect faisant l’objet d’une mesure de détention policière en matière criminelle.

D’autre part, le gardé à vue se voit notifier par les enquêteurs la nature de l’infraction sur laquelle portent les investigations, la durée possible de la mesure, le droit de faire prévenir un proche ou son employeur du placement en garde à vue, le droit d’être examiné par un médecin, et enfin la possibilité de s’entretenir avec un avocat.

Sur ce dernier point, la loi du 15 juin 2000 prévoit que le gardé à vue suspecté d’avoir commis une infraction de droit commun peut s’entretenir au début de la garde à vue durant trente minutes avec un avocat. Comme l’a énoncé le Président de la République lors de son discours du 7 janvier 2009 devant la Cour de cassation : « On ne doit pas redouter la présence de l’avocat dès le début de l’enquête. » À l’heure actuelle, si l’avocat est présent, il n’a toutefois pas accès au dossier de son client en amont et ne peut assister aux interrogatoires ultérieurs.

Madame le ministre d’État, vous envisagez que l’avocat puisse avoir accès à tous les procès-verbaux d’interrogatoire du gardé à vue et qu’il puisse assister aux auditions de son client en cas de prolongation de la mesure ; c’est une bonne chose. De la sorte, vous contribuerez à restaurer le plein exercice de l’avocat. S’il s’agit d’abord pour l’avocat de protéger les intérêts de son client, il s’agit aussi d’un intérêt plus large : celui de s’assurer que le système répressif fonctionne correctement, et ce afin que la justice s’appuie sur des preuves fiables et des condamnations justifiées.

La garde à vue est une mesure privative de liberté prise pour les nécessités de l’enquête à l’encontre d’une personne dont il est plausible qu’elle ait commis ou tenté de commettre un crime ou un délit. Notre droit devrait ainsi garantir qu’une personne n’est placée en garde à vue que si la contrainte est absolument nécessaire.

Or nous sommes obligés d’observer, à regret, que, loin de rester une décision grave, la garde à vue s’est banalisée. Ici, les chiffres parlent d’eux-mêmes : le nombre de placements en garde à vue est passé de 336 000 en 2001 à plus de 577 000 en 2008. En l’espace de sept ans, il a donc presque doublé !

Vous avez déclaré, madame le ministre d’État, que, dans le cadre de la réforme de la procédure pénale, la gravité des faits reprochés et les peines d’emprisonnement encourues seraient mieux prises en compte dans la décision de mise en garde à vue. Nous nous en réjouissons, car une meilleure visibilité des conditions de mise en garde à vue serait une avancée majeure.

En effet, si l’augmentation du nombre de mises en garde à vue est à mettre en relation avec le taux d’élucidation des délits, qui atteint aujourd’hui presque 40 % – nous nous en félicitons tous –, il est évident que certaines gardes à vue sont moins justifiées que d’autres.

Dans certains cas, notamment pour les crimes et délits les plus graves, l’isolement du gardé à vue paraît pleinement justifié. Il est indispensable à la manifestation de la vérité face à un « délinquant chevronné » pour qui la privation de liberté est aisément plus supportable que pour le délinquant de droit commun. Ainsi, les régimes spéciaux de garde à vue en matière de terrorisme, de proxénétisme ou encore de trafics de stupéfiants ne sauraient être alignés sur le droit commun.

Dans d’autres cas, et dès lors que le gardé à vue n’est pas interrogé et qu’aucune mesure d’investigation n’est effectuée par ailleurs, il est a contrario difficile d’admettre que la garde à vue puisse être nécessaire. Une simple audition sur convocation serait alors suffisante.

Permettez-moi, madame le ministre d’État, de vous donner un exemple pour étayer mon propos.

Encore hier, dans un reportage télévisé, une pharmacienne livrait son témoignage après une garde à vue dont les conditions même laissent peser un certain nombre de doutes sur la légalité : alors qu’au départ les policiers ne semblaient vouloir que des informations sur son compagnon, elle se serait retrouvée vingt-quatre heures en garde à vue…

On ne saurait présumer de la véracité des faits relatés, mais ce témoignage, s’il devait être confirmé, ne fait que soulever une nouvelle fois le problème récurrent de la remise en cause des libertés individuelles. En effet, cet exemple est loin d’être marginal. C’est quotidiennement que, par le biais de la presse ou de la télévision, nous sommes confrontés à des témoignages de ce type. Face à l’émotion qu’ils suscitent, nous ne saurions rester muets.

En l’absence d’habeas corpus dans notre droit, l’article VII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen prévoit que « nul homme ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi ». Et c’est à regret que l’ensemble des membres du groupe UMP et moi-même ne faisons que constater les nombreuses lacunes de notre législation en matière de garde à vue.

Les sénateurs, garants des libertés individuelles, seront particulièrement attentifs à ce que soit opérée une véritable avancée en matière de droits de la défense et de conditions de garde à vue.

À ce titre, je souhaiterais évoquer le cas particulier des gardes à vue en matière d’infractions routières, qui sont en constante augmentation.

Un grand quotidien a récemment révélé qu’en 2008 près de la moitié des auteurs de ces infractions ont été placés en garde à vue. De plus, en ce domaine, la garde à vue donne lieu à un usage variable. Ainsi, un policier pourra décider qu’un automobiliste contrôlé positif à l’alcool sera reconduit chez lui dans son véhicule par le passager, alors que, dans la même situation, un autre officier de police judiciaire pourra décider de conduire l’automobiliste en garde à vue. Ces incohérences semblent avoir pour origine le fait que les procureurs adressent des instructions différentes aux forces de l’ordre, et nous le regrettons.

Madame le ministre d’État, nous souhaiterions savoir si vous prévoyez un dispositif plus cohérent en matière de placement en garde à vue pour les infractions au code de la route, afin que, d’une part, seules les personnes susceptibles de faire l’objet d’une peine de prison soient mises en garde à vue, et que, d’autre part, les auteurs de ces infractions soient traités de la même manière sur l’ensemble du territoire de la République.

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