Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article 30 du projet de loi de finances rectificative, sous des airs techniques, remet assez largement en cause, par deux mesures emblématiques, la politique menée par la France ces dernières années pour lutter contre le tabagisme : la suppression des prix plancher et celle des restrictions de circulation ou de détention.
Tout d’abord, je voudrais vous faire part de mon étonnement. On nous dit : « C’est l’Europe ! ». Nous devons donc nous mettre en conformité avec le droit communautaire, sous peine d’astreintes.
Or nous sommes en infraction avec une directive de 2008, qui devait être adoptée, comme tous les textes en matière fiscale, à l’unanimité des États membres. Monsieur le ministre, la France a donc bien dû voter en faveur de cette directive, à cause de laquelle nous sommes désormais en difficulté !
Se pose un problème majeur, qu’il serait nécessaire de régler un jour : les modalités de négociation de la législation communautaire.
Par ailleurs, j’ai du mal à comprendre la logique de la Commission européenne, qui nous dit deux choses contradictoires : nous pouvons, selon elle, lutter contre le tabagisme en fixant une fiscalité élevée mais nous ne pouvons pas restreindre les quantités que les consommateurs importent pour leur consommation personnelle. Cette position est totalement aberrante en l’absence d’harmonisation fiscale : pourquoi continuer à décider de prix élevés à la frontière avec l’Espagne quand les prix pratiqués dans ce pays sont nettement plus faibles qu’en France et qu’il n’y a pas de restrictions pour aller s’y approvisionner ?
Je souhaite rappeler, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’augmentation très importante du nombre de cancers du poumon ou de pathologies associées au tabac dans notre pays. Vous savez aussi que ce nombre augmente, notamment chez les femmes, conséquence directe du fait qu’elles sont de plus en plus nombreuses à fumer depuis une trentaine d’années.
C’est pourquoi je soutiens pleinement la position votée très largement à l’Assemblée nationale : onze amendements identiques en provenance de toutes les sensibilités ont été adoptés pour supprimer les alinéas 25 à 27 du texte initial.
Je suis donc favorable au maintien des restrictions à l’importation de produits du tabac.
La France n’a pas été condamnée à ce sujet par la Cour de justice de l’Union européenne, qui n’a même pas encore été saisie !
Et nous avons des arguments solides : par exemple, le nouveau traité sur le fonctionnement de l’Union européenne reprend, en son article 36, des dispositions anciennes autorisant les États membres à pratiquer des restrictions quantitatives à l’importation pour des raisons de protection de la santé.
Je signale d’ailleurs que, dans son arrêt de mars dernier, la Cour de justice relève - elle n’était pas obligée de le faire, ce qui rend sa remarque d’autant plus intéressante - que la Commission n’a pas invoqué de violation de ces dispositions. En conséquence, je ne suis pas certaine que la Cour nous condamnerait pour avoir limité la circulation du tabac à un kilogramme et la détention à deux kilos, comme le prévoit la législation aujourd’hui en vigueur.
Nous ne pouvons pas admettre des exceptions et des atermoiements lorsque l’on poursuit un tel objectif de santé publique.
Je voterai donc contre l’amendement de M. Marini, qui supprime les restrictions dont j’ai parlé.
Qui plus est, cet amendement envoie un mauvais signal, car il fixe deux seuils : d’abord, entre 800 et 2 400 cigarettes, il devra y avoir une enquête « sur la base d’un faisceau d’indices » pour vérifier qu’il s’agit bien de consommation à titre personnel, et non d’un commerce. Autant vous dire que je ne crois pas qu’il y aura beaucoup d’enquêtes ou de poursuites ! Ensuite, au-delà de 2 400 cigarettes, la détention est réputée avoir un caractère commercial.
C’est malheureusement ce second seuil qui sera retenu par les usagers. Or il constitue un niveau supérieur au droit en vigueur. Il va même au-delà de celui qui est envisagé dans la directive européenne, puisque le seuil est limité à 800 cigarettes.
Dans ces conditions, l’amendement constitue une régression indéniable dans la lutte contre le tabagisme.