On peut parfaitement concilier et conjuguer le délai butoir, qui est présent dans l'esprit du magistrat, et les améliorations qui ont été évoquées tout à l'heure. C'est une question de dosage.
Néanmoins, il faut prendre la mesure des phénomènes dont on parle.
J'ai évoqué, avec d'autres, la question du stock. Il s'agit de mesurer, année après année, à un moment précis et constant, quel est le stock - ce terme, bien qu'il soit malheureux, est celui qui est usité en matière carcérale - de prévenus et de détenus.
Il faut aussi mesurer les flux, à savoir le nombre de personnes qui entrent en détention et le nombre de personnes qui en sortent. Ce chiffre a une importance particulière dans la mesure où il permet de savoir combien de personnes sont placées en détention.
S'agissant du nombre des entrées, je dispose ici de donnée indiscutables, à savoir celles de la Chancellerie : en 2003, 81 900 personnes ont été incarcérées ; 84 700 l'ont été en 2004 ; 85 536 l'ont été en 2005 ; 85 540 l'ont été en 2006. Force est de constater que le flux des entrées ne cesse de croître.
L'annuaire statistique de la justice pour 2006 indique, par ailleurs, que sur les 85 536 incarcérations qui ont été ordonnées en 2005, 60 948 concernaient des personnes prévenues, soit 71, 2 % du total. C'est considérable. Il s'agit donc d'une donnée structurelle.
Le Conseil de l'Europe a diligenté une enquête pour l'année 2004. Il en ressort que la France se trouvait, à cet égard, dans une situation particulièrement affligeante, dont je me permets de livrer les détails à la réflexion de nos collègues, tant cette question essentielle pour notre justice pénale intéresse chacun d'entre nous. Ainsi, la proportion de détenus non jugés dans les prisons était alors de 32, 2 % en France, contre une moyenne européenne de 22, 2 %. Seuls le Luxembourg, la Slovaquie, la Turquie et l'Irlande du nord, parmi les membres du Conseil de l'Europe, faisaient moins bien que nous, l'Azerbaïdjan atteignant quant à lui le taux record de 93, 2 %.
Il s'agit là d'un phénomène culturel très ancré contre lequel nous devons continuer de lutter. C'est pourquoi il convient d'utiliser aussi bien le délai butoir, certes avec circonspection et avec des exceptions pour les cas extrêmes, que les modalités que nous introduisons aujourd'hui.