Intervention de Alain Lambert

Réunion du 17 juin 2010 à 9h30
Débat sur l'optimisation des moyens des collectivités territoriales

Photo de Alain LambertAlain Lambert, président  :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour sa première demande de débat en séance publique, notre toute jeune délégation, qui a la chance de compter parmi ses membres le président de séance, a choisi un sujet non pas théorique qui ferait controverse, mais, au contraire, un sujet concret qui vise à organiser la poursuite d’un objectif d’intérêt général : l’optimisation de l’action publique locale, à partir d’idées, de pistes d’évolution, d’attentes, de pratiques émanant de nos territoires, lesquels sont en forte demande sur cette question.

À l’heure où les ressources sont comptées, où les finances sont tendues, où des dépenses inéluctables se profilent, telles celles liées au vieillissement, qui pourrait être contre l’optimisation des moyens des collectivités territoriales ? Qui pourrait regretter la recherche de leur meilleure efficacité, de leur meilleur rendement ? Qui pourrait ne pas souhaiter une amélioration constante des services rendus à nos concitoyens au meilleur rapport coût-efficacité ? Personne, évidemment, sauf peut-être le droit existant, réel ou supposé !

C’est dans cet esprit, serein et constructif, que notre délégation s’est longuement penchée sur une question clef de la problématique de l’optimisation, celle de la mutualisation des moyens.

Cinq sénateurs, membres de quatre groupes politiques différents, se sont régulièrement rencontrés, ont procédé à des auditions, auxquelles se sont souvent joints d’autres sénateurs, et ont échangé des idées.

Cinq sénateurs ont travaillé ensemble afin de parvenir à un rapport transpartisan, qui formule treize propositions et qui prend en considération, je le crois, les points de vue de chacun.

Cinq sénateurs, pour quatre signatures, Edmond Hervé n’ayant pas souhaité figurer formellement en qualité de rapporteur. Cependant, je peux témoigner de la part active qu’a pris notre collègue à nos réflexions, tout particulièrement à la partie dont je suis signataire relative à « la problématique générale de la mutualisation des moyens des collectivités territoriales », qui s’est largement nourrie de ses observations.

Pour ce qui me concerne, afin d’éviter toute redondance avec les interventions de mes corapporteurs, je me bornerai à un point, dont vous mesurez tous l’importance dans le débat sur la mutualisation, point que j’ai appelé « la donne communautaire ».

Cette donne, comme l’indique le rapport écrit, a notablement évolué au cours de la période récente, à tel point que, selon la délégation, on ne peut plus appréhender aujourd’hui la question juridique mutualisation-droit communautaire comme on le faisait il y a encore dix-huit mois. En effet, bien des portes se sont entrouvertes, et il est de notre devoir – je le dis avec solennité – de les pousser.

N’est-il pas temps d’ailleurs d’en revenir à une autre évidence, qui semble avoir été oubliée : le droit de la commande publique est non pas une finalité en soi, mais un outil ? Celui-ci est au service de valeurs essentielles, qui constituent sa raison d’être : l’éthique, d’abord, en fournissant des critères objectifs à la sélection des candidats ; l’efficacité de l’action locale, ensuite, grâce à la mise en concurrence, laquelle permet à une collectivité de retenir l’offre la plus intéressante.

Lorsque ni l’éthique ni l’efficacité ne sont menacées, recourir à un marché public revient à administrer un remède à une personne bien portante : c’est toujours inutile, souvent coûteux, parfois même nocif.

Or en quoi la mise en commun des moyens et la suppression de doublons inutiles menacent-ils l’efficacité ? En quoi le fait qu’une collectivité publique puisse demander à des agents publics de participer à l’accomplissement de tâches d’intérêt public en collaboration avec une autre collectivité publique dans le cadre d’une convention de droit public menace-t-il l’éthique ? Si j’insiste sur l’épithète « public », c’est pour bien marquer le fait que je me situe dans le cadre de tâches qui ne relèvent pas de l’initiative privée, soit parce que celle-ci n’a pas vocation à les accomplir – je pense bien sûr avant tout aux services publics administratifs –, soit parce que celle-ci n’existe pas.

Ainsi conçue, circonscrite et encadrée dans les conditions prévues par la délégation, la mutualisation des moyens des collectivités territoriales bénéficiera à chaque citoyen et ne portera atteinte à aucun intérêt, qu’il soit public ou privé.

Je comprends que certains hauts fonctionnaires européens hésitent à franchir le cap, bien que la Cour de justice, selon nous, ait été suffisamment claire. Je ne conteste pas que le droit des marchés publics, pour reprendre la formule de certains avocats généraux, soit « l’un des instruments politiques les plus influents » de l’intégration européenne. Néanmoins, comme le disent ces mêmes personnes ô combien autorisées, « il [cet instrument] ne peut pas être utilisé de manière inconsidérée ». De surcroît, ce n’est qu’un instrument, ce n’est pas une valeur en soi. Par parenthèses, je me dis parfois que, dans les sociétés développées, l’on en arrive à confondre « valeur » et « instrument », ce qui est la pire perversion de l’esprit. Le droit des marchés publics ne saurait être mis sur le même plan que le droit à l’autonomie locale ou que le principe de bonne administration, tous deux consacrés comme valeurs – non comme instruments ! – sur le plan européen.

Enfin, ai-je besoin de rappeler à nouveau ici la nécessité et l’urgence de faire face aux évolutions démographiques, sociologiques et économiques auxquelles sont aujourd’hui confrontées les collectivités territoriales ?

Notre collègue Bruno Sido, qui ne peut être des nôtres ce matin, a parfaitement mis l’accent sur la situation des départements, mais c’est pour toutes les collectivités que la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation vous lance aujourd’hui cet appel, monsieur le secrétaire d’État : agissons !

Nous demandons donc instamment au Gouvernement de ne pas céder à la tentation d’une prudence excessive au regard du droit communautaire. Ne laissons pas la Commission européenne s’enfermer dans une contradiction qui verrait l’une de ses directions générales engendrer des dépenses inutiles pour les collectivités territoriales pendant qu’une autre nous rappellerait à nos devoirs de maîtrise des dépenses publiques ! Ce ne serait pas un comportement européen.

Monsieur le secrétaire d’État, ne nous abandonnez pas dans notre combat. Nous ne le menons pas au nom d’une quelconque idéologie, mais tout simplement parce que, pour nous, cela relève de notre devoir et de notre responsabilité.

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