Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, aussi loin que l’on remonte dans l’histoire de l’intercommunalité, on constate que l’objectif principal de celle-ci a toujours été de mutualiser des moyens au service d’un territoire.
Cependant, si l’intercommunalité est aujourd’hui très développée et si l’on se dirige même vers la généralisation au cours des prochaines années de l’intercommunalité à fiscalité propre sur l’ensemble du territoire, il est clair que l’on n’est pas allé au bout de la logique de mutualisation. Plusieurs raisons permettent d’expliquer cet état de fait. D’une part, les intercommunalités étant des personnes morales distinctes des communes qui les composent, elles doivent logiquement posséder leurs propres services. D’autre part, en exigeant que tout transfert de compétence des communes vers un établissement public de coopération intercommunale, un EPCI, s’accompagne du « transfert du service ou de la partie de service chargé de sa mise en œuvre », l’article L. 5211-4-1 du code général des collectivités territoriales a en quelque sorte provoqué un cloisonnement entre l’intercommunalité et ses communes membres : à chacun ses services et ses moyens, quand bien même ceux-ci feraient doublons.
Pour autant, en prévoyant que « les services d’un établissement public de coopération intercommunale peuvent être en tout ou partie mis à disposition d’une ou plusieurs de ses communes membres, pour l’exercice de leurs compétences, lorsque cette mise à disposition présente un intérêt dans le cadre d’une bonne organisation des services » – je cite à nouveau le code général des collectivités territoriales –, le législateur a permis que les services supports d’une commune, tels que les services gérant le personnel, les marchés publics, les finances ou l’informatique, puissent intervenir également pour la communauté. La mutualisation que l’on pourrait qualifier de « verticale » entre intercommunalité et communes membres est donc possible dans certains cas.
Néanmoins, une forme de mutualisation pose encore problème au sein de l’intercommunalité : celle que l’on pourrait qualifier d’« horizontale » : il s’agit de la mise en commun de moyens entre deux ou plusieurs communes de la même intercommunalité pour l’exercice de compétences qui n’ont pas été transférées à celle-ci. Cette forme de mutualisation est très importante si l’on veut que le territoire intercommunal soit de plus en plus vécu comme un véritable espace de coopération, au-delà de la coopération institutionnelle qui s’exerce au travers de la communauté de communes, et pour renforcer les relations entre communes voisines.
Pourquoi, par exemple, ne pas permettre à la cuisine centrale d’une commune, sans mise en concurrence et dans un simple cadre conventionnel, de fournir les repas pour la restauration scolaire d’une autre commune de la même intercommunalité ? Pourquoi ne pas permettre aux services chargés du fleurissement ou de l’entretien des bâtiments dans une commune membre d’intervenir sans formalisme particulier dans la petite commune voisine de la même intercommunalité qui ne possède pas elle-même les services compétents ?
Si ce type de coopération conventionnelle semble pouvoir se mettre en place sans difficulté pour la gestion des services publics administratifs, en raison de la proximité de ce concept très français avec la notion européenne de service non économique d’intérêt général, il n’en est pas de même en matière de coopération pour les services communaux pouvant être qualifiés de services industriels et commerciaux et dont la gestion, en vertu de la règlementation européenne relative aux services économiques d’intérêt général, ne peut pas être attribuée sans mise en concurrence.
Si la jurisprudence européenne dans ce domaine évolue et donne lieu aujourd’hui à des interprétations nuancées, comme M. Lambert vient de le rappeler à l’instant, il semble que toute mutualisation entre personnes morales de droit public pour l’accomplissement d’un service public autre qu’administratif ne puisse être conforme au droit communautaire de la commande publique que si elle se traduit par une véritable coopération entre les cocontractants, coopération qui est distincte d’une prestation de services dans laquelle l’une des deux collectivités se contenterait d’une participation financière. Or nous sommes convaincus de l’intérêt de favoriser ce type de coopération entre communes à l’intérieur d’une même intercommunalité, d’une part parce que cela permet d’optimiser l’utilisation des services existants, d’autre part parce que, pour de nombreuses petites communes, la complexité, le formalisme et le coût des démarches de mise en concurrence sont souvent décourageants.
Il est d’ailleurs intéressant de constater que les exemples de coopération entre communes à l’intérieur d’un territoire intercommunal tendent à se multiplier dans des domaines très divers, comme nous avons pu le constater au cours des auditions auxquelles nous avons procédé ces dernières semaines et comme l’a démontré la journée d’échanges et de témoignages organisée le 1er juin dernier à la Caisse des dépôts et consignations. Ces coopérations se traduisent par une optimisation des moyens humains et matériels de la commune qui en dispose. Nous avons donc tout intérêt à avancer dans cette direction, compte tenu des reproches qui ont été faits à l’intercommunalité, cette dernière étant accusée, non seulement par la Cour des comptes, mais également par d’autres organismes, de multiplier les services au lieu de les rationaliser,
Voilà pourquoi nous proposons, notamment, d’élargir le champ des mutualisations purement conventionnelles en autorisant, outre la mutualisation des services fonctionnels pour la satisfaction de besoins d’intérêt général à caractère administratif, les mutualisations pour la satisfaction de besoins d’intérêt général à caractère industriel ou commercial, à condition qu’il s’agisse de véritables coopérations entre cocontractants.
Nous proposons également de permettre aux communes membres d’un même EPCI d’avoir des agents communs pour l’exercice de leurs missions de service public dont la compétence n’a pas été transférée. Par ailleurs, pour tenir compte des faibles moyens de nombreuses communes et du montant souvent limité des prestations pouvant faire l’objet de ce type de mutualisation, nous proposons de saisir nos partenaires européens de la possibilité d’édicter une règle de minimis applicable à la mutualisation des moyens affectés aux services économiques d’intérêt général. À titre de comparaison, je rappelle que les règles communautaires de mise en concurrence ne s’appliquent pas aux aides d’État d’un montant n’excédant pas 200 000 euros sur trois ans. En effet, l’article 106 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne permet de déroger aux règles de concurrence pour un service économique d’intérêt général dès lors que « cela n’entrave pas le développement des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union ». Convenons que, en règle générale, pour ne pas dire dans la totalité des cas, la coopération et la mutualisation des moyens à l’intérieur d’une intercommunalité n’entravent pas « le développement des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union » !
Voilà, monsieur le secrétaire d’État, quelques-unes des propositions que nous souhaiterions voir se concrétiser. Mon collègue Jacques Mézard évoquera dans quelques instants d’autres pistes dans le domaine de la mutualisation à l’intérieur des intercommunalités. Comme l’a dit le président de la délégation, nous espérons véritablement pouvoir compter sur l’appui du Gouvernement pour mettre en œuvre ces propositions, car, outre le fait qu’elles conforteront l’intercommunalité – c’est l’un des volets centraux de la réforme des collectivités territoriales actuellement en discussion au Parlement –, elles permettront de simplifier la gestion de nos communes et constitueront un élément de réponse à l’intention de ceux qui reprochent trop facilement aux intercommunalités d’augmenter inconsidérément leurs services.