Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « le grand chantier de la réforme de nos administrations locales sera ouvert dès le mois de janvier » : voilà ce que M. le Président de la République annonçait à Toulon le 25 septembre 2008, au nom de « la compétitivité de notre économie… [qui] ne peut supporter un poids excessif de dépenses publiques ». Il développa à nouveau ce thème, lors d’un second grand discours à Saint-Dizier le 20 octobre 2009. Notre assemblée, tout naturellement, a eu et aura à connaître de ce « grand chantier ».
Dans le flot des observations, je veux en retenir une, largement partagée et due à Jean-Pierre Raffarin, pour qui il eût été nécessaire de dresser un bilan de la décentralisation avant de légiférer de nouveau.
Cela aurait eu de très nombreux mérites, d’abord celui d’apporter de la transparence, source d’objectivité et de loyauté, et ensuite celui de nous éclairer sur la pratique de la mutualisation des moyens par nos collectivités territoriales. C’est un existant qu’il importe de connaître et de développer.
Je reste convaincu que le rapport de nos collègues Alain Lambert, Yves Détraigne, Jacques Mézard et Bruno Sido favorisera un tel processus par la nouveauté de ses éclairages, par son pragmatisme et par ses identifications et propositions.
Monsieur le président de la délégation, en introduisant votre propos, vous avez bien voulu rappeler ma participation ; soyez-en remercié !
Comme cela n’a pas échappé à votre présidence sereine, attentive et constructive (, je ne pouvais pas m’associer à un premier projet d’orientation qui faisait de la mutualisation des moyens « une initiative administrative et non politique », « un enjeu essentiel de la maîtrise des dépenses publiques locales », le remède à « la multiplication des personnels communautaires, les effectifs des communes ayant continué de croître nonobstant les nombreux transferts de compétence au profit des EPCI ».
Je reconnais qu’il y a des atténuations bienvenues dans les premières pages de votre rapport. Un différent demeure toujours vertueux dès lors qu’il exprime des fidélités et nourrit un dialogue républicain auquel nous sommes tous deux attachés. (
Au nom d’un tel dialogue, retrouvons les finalités de la mutualisation qui nous concerne. De quoi s’agit-il ? Vous en donnez une très juste définition dans le glossaire de fin de rapport.
C’est un processus d’organisation et de valorisation qui a pour finalités la réponse à des attentes, la qualité, l’efficacité de l’action publique, le respect des principes du service public et, bien évidemment, l’utilisation optimale des ressources, qu’il s’agisse de la compétence des personnes, de l’utilisation des moyens techniques ou de la disponibilité financière.
Cette mutualisation peut prendre les formes les plus diverses, allant de la gestion d’un temps partiel d’un agent à celle d’un équipement intégré pouvant réunir nos collectivités territoriales, l’État et des personnes de droit public ou de droit privé. Elle peut également suivre des scénarios très différents suivant que l’on se situe dans telle ou telle ville, dans tel ou tel département.
Et la mutualisation n’est pas un caprice d’affichage ou d’autorité. Elle ne dépossède pas. C’est une manière d’envisager l’avenir. Moment de réflexion, elle permet d’anticiper des évolutions institutionnelles. Ne la confondons pas avec le transfert de compétences ; ce sont deux logiques totalement différentes. La mutualisation relève du principe constitutionnel de libre administration.
Monsieur le secrétaire d’État, au point où nous en sommes de nos travaux parlementaires, nous avons peut-être quelques réflexions supplémentaires à mener. Il est difficile d’évoquer la mutualisation si départements et régions sont enfermés dans des blocs de compétence exclusifs. D’ailleurs, une telle idée m’a toujours paru attentatoire au principe de libre contractualisation. C’est pourquoi je n’ai de cesse de militer au bénéfice de la région et du département pour des compétences obligatoires non exclusives.
Y a-t-il des conditions à la réussite de la mutualisation ? J’en mentionnerai une seule : la confiance que nous devons toujours retrouver au cœur de nos collectivités territoriales et de la relation entre l’État et ces dernières. Confiance dans le principe, dans son projet préalablement délibéré, puis mis en œuvre. Confiance entre les décideurs et entre ceux-ci et les agents concernés, qui seront rassurés par un accord sur la gestion du personnel.
Il n’est pas inutile de prévoir au niveau local une conférence de la mutualisation, de son suivi et de son évaluation. C’est cette conférence qui vous évitera d’être déçus. La mutualisation portera bien souvent au départ sur des services de gestion, dont le poids financier est marginal dans l’ensemble concerné.
Mes chers collègues, ne vous faites pas trop d’illusions sur l’importance des premières économies réalisées.
La réussite suppose bien évidemment une parfaite définition de l’activité concernée. C’est alors qu’il nous faut rencontrer le droit communautaire.
Alain Lambert, à la page 27 de son rapport, écrit ceci : « On ne peut donc le nier : c’est délibérément, en toute connaissance de cause, que la Cour de justice a offert aux responsables politiques des opportunités pour développer la mutualisation. Ceux-ci ont le devoir de les saisir. » Il faut oser.
Eu égard à l’importance que nous conférons à la mutualisation, je partage l’optimisme du président de la délégation.
Sans surprise, la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes se réfère, certes, au droit des marchés publics, mais également au droit de l’autonomie locale, consacré par la Charte européenne de l’autonomie locale.
Dans son avis motivé du 27 juin 2007, la Commission européenne versait dans l’absurde, puisqu’elle remettait en cause la possibilité pour une commune de mettre ses services à disposition d’une structure intercommunale et, dans le même temps, nous indiquait qu’une communauté pouvait mettre ses services à disposition de la commune. À mon sens, une telle incohérence ne rapproche pas nécessairement les responsables locaux de l’Europe.
D’où vient cette dissonance entre la Cour de justice des communautés européennes et la Commission européenne ? Tout simplement de l’absence de définition de la notion des « services non économiques d’intérêt général », pour lesquels le code des marchés publics ne s’applique pas, alors qu’il s’applique aux services économiques d’intérêt général.
Nous voyons tout l’intérêt qu’il y aurait à l’existence d’un texte de droit positif sur les services publics. Mais, lorsque nous étions à Bruxelles, nous avons constaté une inclinaison culturelle vers une démarche à l’anglo-saxonne, en décalage avec le cartésianisme des définitions qui sont les nôtres.
Aussi, monsieur le président de la délégation, je me permets de reprendre votre expression pour suggérer à M. le secrétaire d’État de « pousser les portes ».
En attendant, puisse la Cour de justice des communautés européennes être aussi bien inspirée dans ses décisions que notre Conseil d’État !
S’il y a là incertitude et attente, je souhaite exprimer une conviction déterminée. La poursuite et l’approfondissement de la coopération intercommunale constituent une absolue nécessité. La révision générale des politiques publiques conduit à un rétrécissement des services déconcentrés de l’État. Bon nombre de communes et de communautés intercommunales se trouvent désemparées.
Au nom de la démocratie, de la décentralisation et du développement, nous leur devons une sécurité juridique et technique. Le département, qui est chargé de la solidarité territoriale en lien avec l’État, la région et les principaux EPCI, doit assurer conseils et expertises aux communes et établissements intercommunaux. La responsabilité des acteurs locaux n’a de sens que s’ils peuvent en bénéficier.
Monsieur le secrétaire d’État, dans le même état d’esprit, vous comprendrez que je sois hostile à l’égard de tout projet tendant à amoindrir la fonction de contrôle et d’évaluation des chambres régionales des comptes et, de ce fait, à éloigner ces dernières des territoires.
Pour les mêmes raisons, en l’occurrence la sécurité des acteurs, je serai dans une disposition identique à l’égard de tout projet d’éventuelle certification privée des comptes publics.
Je terminerai en évoquant à nouveau le discours de Saint-Dizier. M. le Président de la République entendait faire participer les collectivités territoriales à « la réduction de nos déficits ». Elles peuvent et doivent le faire de différentes manières, y compris par des stratégies de croissance et de développement, dès lors qu’on leur en laisse les moyens. J’ai parlé de « confiance » : voilà la première ressource que vous leur devez. Elles vous le rendront bien, et elles nous le prouvent quotidiennement !