Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, j’ai pratiqué la mutualisation sans m’en rendre compte, des décennies durant, à la tête de structures communales ou intercommunales.
Pourtant, nos collègues MM. Détraigne et Mézard l’indiquent dans leur rapport sur la mutualisation des moyens dans le cadre intercommunal : « Curieusement, aucun des termes “intercommunalité” ou “intercommunal” et “mutualisation”, qui figurent à de si nombreuses reprises dans nos textes législatifs et réglementaires, n’a aujourd’hui reçu l’onction de l’Académie française. »
Aussi, j’évoquerai la mutualisation qui se pratique hors des communautés de communes, des communautés d’agglomération ou des communautés urbaines.
Permettez-moi d’emblée d’apporter une précision : maire d’une petite commune de 2 007 habitants, élu d’un canton de 22 000 habitants regroupant six communes, ma latitude à mettre en œuvre la mutualisation depuis plus de vingt-cinq ans a été plus forte, sans doute, que si j’avais eu en charge une grande collectivité. Je pratiquais la mutualisation bien avant que l’on ne contraigne certaines communes à se regrouper dans des EPCI, qui éloignent les élus de la réalité du terrain. La principale raison du succès de certaines actions mutualistes qui ont précédé la possibilité de regroupement au sein des communautés de communes est à rechercher dans la motivation des élus et des agents.
L’implication des personnels, attachés à leurs villages et à leurs terroirs, a certainement été un gage de réussite : ils se sentent fortement concernés et, dans les petites communautés, l’esprit de chapelle règne moins qu’on ne le croit habituellement.
Depuis plus de vingt ans, avec mes collègues maires du canton, nous avons mis en commun des moyens financiers, des biens immobiliers et du personnel de nos établissements respectifs afin de gérer au mieux nos budgets, de réaliser des économies, de pratiquer des synergies et de mettre en place des financements croisés, plus faciles à obtenir du département, de la région, de l’État, voire de l’Europe, si l’on est plusieurs à les demander. Nous nous enorgueillissons de certains résultats positifs, mais nous avons également connu quelques désillusions.
Ainsi, les communes concernées ont profité, soit dans leurs budgets, soit dans les services offerts à la population, des avantages procurés par les économies réalisées et les moyens supplémentaires dégagés ou mis en œuvre grâce à la mutualisation telle qu’elle se pratiquait avant les regroupements forcés dans les nouvelles structures.
Cette mutualisation, qui a permis, par exemple, d’édifier sur des terrains mitoyens à deux communes l’un des plus beaux stades de mon département, géré de manière souple et efficace par une simple convention avec la commune voisine, trouve à présent ses limites puisqu’il faut désormais utiliser l’espace public autrement qu’en le mettant simplement à la disposition d’associations. Quoi qu’il en soit, cette pratique existe depuis soixante-dix ans ! Nous n’avons rien inventé. Nos prédécesseurs, par pragmatisme et sans souci de formalisme superflu, se donnaient les moyens d’agir efficacement.
Leur efficacité devait aussi quelque chose au fait qu’ils se posaient moins de questions que nous et que les élus n’étaient pas suspectés par avance de tout et de n’importe quoi ! Ils pratiquaient un certain laisser-faire, voire un certain laisser-aller, principe cher aux physiocrates emmenés par François Quesnay, qu’ils appliquaient à la gestion de la chose publique. Permettez-moi de vous rappeler ce que disait ce bon François Quesnay, philosophe et économiste du temps des Lumières : « Les prohibitions restreignent le travail, les taxes le renchérissent et le surchargent, les privilèges exclusifs le font dégénérer en monopole onéreux et destructeur ; il ne faut donc, sur ce travail, ni prohibitions, ni taxes, ni privilèges exclusifs. »
Je vous propose de vous inspirer de ce programme pour laisser aux collectivités, quelle que soit leur taille, la liberté de s’associer pour mutualiser les moyens qu’elles jugent utiles, sans plus de formalisme.
Il y a toutefois un inconvénient à réussir la mutualisation : lorsqu’on demande des moyens complémentaires, on se les voit parfois refuser parce qu’on a su dégager des excédents !
La mutualisation est, certes, une incitation à la vertu et à la coopération, mais elle offre également une possibilité aux collectivités d’un échelon supérieur, et surtout à l’État, de moins s’engager.
La pratique mutualiste des petites communes n’est pas récompensée. J’ai lu avec attention les dispositifs proposés par MM. les rapporteurs. Je formulerai deux objections : d’une part, dans les EPCI communautaires, ce sera toujours la plus grande collectivité qui prendra l’initiative ; d’autre part, ce sera toujours elle qui bénéficiera des dotations obtenues, par simple effet mécanique des pourcentages.
C’est la raison pour laquelle je vous demande de retenir l’idée d’un débat d’orientation budgétaire annuel entre les responsables des EPCI et l’ensemble des communes, proposée par nos collègues dans leur rapport, et de l’intégrer sous forme de mesure dans la réforme des collectivités territoriales.
Je m’attarderai un moment sur les services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS. Aux termes de l’article L. 1424–3 du code général des collectivités territoriales, « les services d’incendie et de secours sont placés pour emploi sous l’autorité du maire ou du préfet, agissant dans le cadre de leurs pouvoirs respectifs de police ».
Pourtant, les députés Georges Ginesta, Bernard Derosier et Thierry Mariani ont noté dans un récent rapport : « On peut se demander s’il faut continuer à inclure la sécurité civile dans la compétence du maire et du préfet en matière de police, alors que les SDIS sont désormais financés majoritairement par les conseils généraux. »
Ce constat est largement partagé par les membres de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Comme l’a rappelé M. le rapporteur Bruno Sido lors de la réunion de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du 25 mai 2010, les missions des SDIS en matière d’incendie et de secours relèvent de l’État tandis que leur financement provient en majorité des départements.
C’est la raison pour laquelle M. Sido souhaite que le statut des SDIS et les relations de ces derniers avec l’État et les départements soient clarifiés. Mes chers collègues, une fois de plus, mutualisation ne signifie pas raison, encore moins efficacité. Aujourd’hui, les SDIS sont présidés par des élus conseillers généraux. Demain, seront-ils présidés par des conseillers territoriaux ?
Les SDIS sont financés par les conseils généraux, dont la participation est majoritaire puisqu’elle s’élève à 54 %, par les collectivités et par l’État. Tout cela est bien. Mais sous l’autorité de qui sont placés les SDIS dans l’exercice de leurs pouvoirs de police ? Sont-ils placés sous l’autorité du préfet ou du maire ? Car c’est ce que prévoit l’article L. 1424-3 du code général des collectivités que citent les auteurs du rapport. S’il y a bien une rationalisation des moyens par le financement, la mutualisation n’est pas évidente en ce qui concerne le commandement, et ceux qui décident de l’engagement des capacités sur le terrain sont souvent éloignés des lieux de sinistre ou de prévention.
Ne pourrait-on pas, avec la réforme des collectivités territoriales, décider une fois pour toutes de faire des SDIS des directions départementales placées sous l’autorité du préfet et du maire ? Il serait ainsi prévu que les SDIS s’équipent, s’entraînent et se gèrent sous la responsabilité du président du conseil général, mais qu’ils interviennent sous la direction du préfet et du maire.