Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens d’abord à saluer le travail de la délégation et à rendre hommage à son président, Alain Lambert, pour son engagement consensuel.
Ce débat sur l’optimisation des moyens des collectivités territoriales semble d’une brûlante et cruelle actualité pour l’ensemble de celles-ci, et tout particulièrement pour les départements. C’est du moins ce qui apparaît en première analyse, au regard du contexte. Toutefois, si la mutualisation des moyens est sans doute une voie à explorer, elle est loin de constituer une réponse aux problèmes d’aujourd’hui.
Permettez-moi, mes chers collègues, d’évoquer la situation du département dont je préside le conseil général, le Doubs. À bien des égards, j’en ai la conviction, sa situation est en effet emblématique des risques et des difficultés que connaissent actuellement nos territoires départementaux.
Jusqu’à l’apparition de la crise, mon département a su faire face tant bien que mal, comme les autres, à ses dépenses obligatoires ressortissant au champ des solidarités sociales. Depuis, la chute des recettes et la hausse exponentielle des dépenses rendent l’équation impossible.
Pourtant, les trois allocations individuelles – APA, PCH, RSA – dont le versement incombe aux départements relèvent à l’évidence d’un enjeu de solidarité majeur et sans doute préalable à tous les autres puisque ces allocations conditionnent le minimum vital des personnes les plus fragiles. C’est pourquoi chacun s’accorde à reconnaître le caractère nécessairement national – j’insiste sur ce point – de cette solidarité. Elle est en effet au fondement de notre pacte républicain ! Or son financement repose aujourd’hui de plus en plus sur les contributions du contribuable local.
Puisqu’on veut évoquer la mutualisation comme une solution possible pour les finances locales, le premier devoir de mutualisation ne serait-il pas d’organiser au niveau national les conditions de cette solidarité plutôt que de la transférer sans moyens correspondants à des collectivités qui seront bientôt complètement exsangues ?
Au-delà du caractère par définition injuste et inéquitable du système – c’est évidemment suffisant pour le condamner –, les conséquences de cette situation sont désastreuses pour les territoires. Ces conséquences, vous les connaissez : les inégalités se creusent aussi bien en termes sociaux qu’en termes territoriaux et il devient de plus en plus difficile d’assurer l’entretien de nos collèges ou de nos routes. Et que dire de nos compétences facultatives, qui remplissent pourtant une fonction décisive, au service de la cohésion sociale ou du développement économique de nos territoires ?
J’illustrerai mon propos de deux chiffres significatifs concernant le département du Doubs : en 2009, la charge nette des trois allocations de solidarité pour le département a été de l’ordre de 55 millions d’euros ; depuis 2005, l’écart cumulé représente 150 millions d’euros, soit l’équivalent de huit collèges neufs !
Pourtant, avec Jean-Pierre Raffarin, la décentralisation semblait avoir franchi une étape irréversible lorsque avait été gravé dans la Constitution le principe de la compensation à l’euro près des charges transférées : aux termes de l’article 72-2, « tout transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice ».
Or le transfert des compétences sociales aux départements s’est affranchi de ce principe constitutionnel. Plus personne ne conteste l’asphyxie financière de nos départements. Ce constat dépasse aujourd’hui les clivages politiques et fait consensus. Le président du conseil général de Haute-Loire, Gérard Roche, a d’ailleurs souligné qu’il s’agissait non pas d’un combat entre la droite et la gauche, mais d’un combat contre un État central qui a voté des lois qu’il est incapable de financer. Comment ne pas être d’accord avec lui ?
Quelles sont donc les solutions proposées face à l’asphyxie des finances locales ? La mutualisation constitue-t-elle une réponse ? À l’évidence, non. La mutualisation la plus efficace et la plus radicale, c’est celle qui garantit, outre l’optimisation, les conditions de l’équité et de l’efficacité sociale, c’est-à-dire la péréquation entre les territoires. Réalisons d’abord les conditions de cette justice préalable : il sera bien temps, ensuite, de rechercher les voies de progrès en direction d’une mutualisation plus effective.
Au service de cette justice de base, je propose, à titre de contribution, deux voies. La première, je l’ai indiqué, passe par une refonte des règles de la solidarité nationale. La seconde – je n’aurai pas le temps de l’exposer en cet instant, mais j’y reviendrai dans la suite du débat – passe par une réflexion sur les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle, suppression qui se traduit par l’abolition de toute autonomie fiscale pour nos collectivités.
Mes chers collègues, oui, les voies de la mutualisation méritent d’être empruntées dès lors qu’elles permettent optimisation et efficacité renforcée. Mais cela n’aura de sens que si des prérequis sont satisfaits, à savoir l’organisation d’une justice élémentaire dans la répartition des ressources. À défaut, cette affaire de mutualisation risque fort de devenir un leurre, aussi dérisoire qu’inutile.