Intervention de Gérard Larcher

Réunion du 17 juin 2010 à 15h00
Soixante-dixième anniversaire de l'appel du 18 juin 1940

Photo de Gérard LarcherGérard Larcher, président :

Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’appel dont nous célébrons le soixante-dixième anniversaire appartient à notre histoire commune.

Il fut pourtant bien singulier, mais au fond évident, le destin de ces quatre feuillets, raturés et travaillés dans l’urgence, pour parvenir à un ordonnancement de onze paragraphes d’une rigueur, d’un dépouillement et d’une précision qui rompaient avec l’art oratoire de l’époque.

Elle fut pourtant bien étonnante, mais au fond évidente, la destinée de cette adresse au peuple français, qui ne fut guère entendue au moment où elle s’envola vers notre pays, depuis un studio du quatrième étage de l’immeuble de la BBC, par une soirée londonienne où la lumière de juin avait une couleur grise.

Il fut étrange, mais au fond évident, l’écho que rencontra dans notre histoire ce court message prononcé par une voix, alors inconnue, mais dont la détermination était prémonitoire, annonciatrice d’un destin qui allait rencontrer celui de la France.

Elle fut admirable, mais au fond évidente, la dimension que prit cette exhortation à destination de la France défaite, formulée par un sous-secrétaire d’État à la défense, depuis à peine deux semaines, d’une grande puissance vaincue, général de brigade depuis moins de deux mois.

Cet appel – l’Histoire l’a oublié mais celui qui le prononça ne n’oublia jamais – ne fut possible que parce que le Royaume-Uni ne s’y opposa pas. C’était, alors, loin d’être évident ! La France était vaincue, mais sa flotte constituait encore une menace pour l’Empire britannique.

Il y eut le général Edward Spears, affecté aux relations avec la France combattante. Il y eut Duff Cooper, le ministre britannique de l’information. Il y eut Winston Churchill. Il y eut le roi Georges VI d’Angleterre et la reine Elizabeth, qui, dans la singularité séculaire de leurs fonctions respectives, manifestèrent, un soutien délicat et permanent à la France libre. Il y eut, tout simplement, le Royaume-Uni et son peuple.

Qu’avaient-ils en commun ces rares hommes et ces quelques femmes, isolés, qui, dès le 19 juin, se manifestèrent dans les austères locaux de Seymour Place pour rallier ce qui allait devenir la France combattante ?

Qu’avaient-elles en commun la France de l’Extrême-Ouest – entre mer et granit – des marins de l’île de Sein et celle de l’Extrême-Sud – entre sable et savane –, d’un gouverneur du Tchad, originaire de Guyane, du nom de Félix Eboué ?

Qu’avaient-ils en commun ces 1 036 Compagnons de la Libération, venus d’horizons, de classes sociales et de convictions les plus divers – dont 13 siégèrent plus tard dans cet hémicycle –, et dont seulement 700 survécurent à la guerre ?

Ils n’étaient pas de droite, ces femmes et ces hommes. Ils n’étaient pas de gauche. Ils n’étaient pas, loin de là, au lendemain du 18 juin 1940, toute la France. Ils étaient une infime minorité.

Pourtant, déjà, ils étaient toute la France ! Car ces femmes et ces hommes croyaient en l’espoir. Ils croyaient en la liberté. Ils croyaient en l’égalité. Ils croyaient en la fraternité. Ils croyaient en la résistance contre une idéologie abjecte, dont ils refusaient la présence sur le sol national de la force armée qui en était l’instrument. Ils croyaient en la résistance aux compromissions, que, déjà, ils pressentaient croissantes, d’un gouvernement faible et, dès l’origine, si peu légitime.

Oui, ces femmes et ces hommes, déjà, étaient toute la France !

Quels furent les ressorts de cette improbable rencontre entre un jeune et très récent général de brigade « sans notoriété, ni crédit ni justification », « limité et solitaire » et un peuple humilié, désemparé, dévasté, occupé, qui errait sur les routes de l’exode ?

Il y eut, sûrement, la force de l’appel intransigeant de cette voix énergique et étrange, venue d’outre-Manche. Cette voix qui appelait à des valeurs qui grandissent : le courage, l’ardeur, l’espoir. Elle était l’antithèse du ressentiment, de la résignation et de la compassion que prônait le gouvernement de Vichy.

Il y eut, sûrement, la fulgurance visionnaire d’un homme d’exception.

Cette fulgurance fut politique dans la soudaineté de la réplique formulée, à la demande d’armistice sollicitée, le 17 juin, par le maréchal Pétain. Elle fut politique, dans l’analyse tranchante de la nature d’un régime d’emblée marqué par le ressentiment et inspiré par les chefs d’une armée défaite. Elle fut politique dans la définition même de l’envahisseur. Le maréchal Pétain le qualifiait, de manière atténuée et quasi chevaleresque, d’« adversaire ». Le général de Gaulle, lui, dénonçait d’emblée et sans détours, la nature profonde du régime nazi par le terme, radical et sans appel, d’« ennemi ».

Cette fulgurance fut visionnaire. « L’ennemi serait vaincu par la supériorité des mêmes armes que celles qui lui donnèrent la victoire ». C’est ce qu’il advint. L’ennemi serait vaincu parce que cette guerre « était mondiale », et parce que « La France n’était pas seule ». C’est ce qu’il advint. Grâce à une guerre qui devint mondiale, grâce à ses alliés, grâce à son Empire, grâce à des Français de nationalité, mais aussi de cœur ou de circonstances, oui, « la France ne fut pas seule… ».

C’est sans doute beaucoup pour ces raisons que la rencontre entre cet appel et le peuple de France se perpétua dans une longue et belle histoire. Il y eut les sacrifices, le courage, les larmes et le sang de la Résistance. Il y eut la participation des armées de la France combattante, de l’Empire et d’ailleurs, à la victoire. Il y eut, dans une joie immense, le rétablissement de la liberté, de la démocratie et des droits fondamentaux, qui furent enrichis d’une dimension sociale nouvelle.

Il y eut plus, plus tard, le renforcement de l’autorité de l’État, l’affermissement de la parole internationale de la France, l’essor nouveau de son économie, la gestion de la douloureuse question de la décolonisation, l’entrée, visionnaire et courageuse, de la France dans un monde marqué par la rivalité Est-Ouest et par l’émergence de puissances nouvelles, dont le général de Gaulle fut l’un des premiers à déceler les conséquences.

Il y eut la construction de la paix européenne au travers de la réconciliation franco-allemande.

L’appel du 18 juin fut une réponse du moment, forte et lumineuse, à un drame historique. Mais l’appel du 18 juin demeure une référence, dont les valeurs gardent leur puissante actualité.

Ces valeurs sont celles d’une France courageuse, ambitieuse et exigeante. Elles sont celles d’une France clairvoyante, juste et ouverte au monde.

Ces valeurs, ce sont les valeurs de la France.

Ces valeurs, dans la vigueur de nos différences et, parfois, de nos oppositions, sur toutes les travées de l’hémicycle, nous les aimons et nous les servons tous ensemble !

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