Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, que j’ai l’honneur de présider, et l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, dont j’ai plaisir à saluer le Premier vice-président, M. Jean-Claude Etienne, ont souhaité la tenue de ce débat, et je m’en félicite.
La France est en effet le seul pays qui a organisé un débat public national sur les nanotechnologies. Il me paraît important que la représentation nationale, à son tour, se saisisse d’une question qui est devenue, en quelques années, un véritable enjeu de société. Pour cause, puisque les nanotechnologies se situent au carrefour de problématiques à la fois économiques, scientifiques, industrielles, sanitaires ou encore éthiques.
C’est pourquoi Jean-Claude Etienne et moi-même avons souhaité élargir au maximum le champ de ce débat en ouvrant celui-ci à des personnalités extérieures représentant la société civile. Je saisis d’ailleurs cette occasion pour leur souhaiter la bienvenue.
En préambule, je voudrais m’inscrire en faux contre une idée trop largement répandue et qui a gravement perturbé les travaux menés par la Commission nationale du débat public : non, le débat sur les nanotechnologies n’est pas encore tranché et tout n’est pas déjà décidé.
À cet égard, je ne peux que regretter que la consultation nationale sur ce sujet ait été émaillée d’actions « antinanotechnologies », à l’instar de celles que mènent les « faucheurs volontaires », qui détruisent les champs d’expérience destinés à étudier les dangers éventuels des OGM, les organismes génétiquement modifiés, ou, pourrait-on également dire, cher Daniel Raoul, des PGM, les plantes génétiquement modifiées.
Il existe des adversaires du débat public, débat qui constitue pourtant la plus élémentaire liberté d’expression. Décider de ne pas participer est une attitude respectable, mais regrettable, car elle signifie que l’on n’a pas confiance dans la démarche démocratique qui est celle du débat. Participer ne veut pas dire accepter mais plutôt « accepter de défendre ses idées ».
Dès lors, pourquoi une telle résistance et de telles craintes à l’égard des nanotechnologies ?
Au sein de la société civile, les opinions qui s’expriment sur ce sujet sont contradictoires.
Certains souhaitent un moratoire total, concernant toutes les applications des nanotechnologies, y compris les applications médicales, mais aussi la recherche. Cette position globalisante me paraît excessive, car l’ignorance qui résulterait de l’abandon des recherches pourrait être sans doute plus préjudiciable encore dans un monde où les nanotechnologies continueront à se développer.
D’autres préconisent un moratoire partiel, portant sur certaines applications tant que leur innocuité pour l’homme ou pour l’environnement n’est pas établie.
Quelles que soient les positions qui peuvent être exprimées, je reste convaincu de la nécessité de poursuivre la recherche en la matière.
De quoi parlons-nous lorsque nous faisons référence à la problématique des nanosciences ?
Les nanomatériaux constituent une terminologie qui recouvre des réalités très différentes : nanotubes, nanoparticules, nanofils, etc.
Les applications des nanomatériaux sont elles aussi très variées : applications médicales, matériaux nanostructurés dans des produits de la vie quotidienne, transmission, stockage et traitement de l’information, et d’autres encore.
Au croisement de ces différentes approches, une chose est certaine : les nanotechnologies marquent une rupture avec le monde visible qui est le nôtre depuis des millénaires. En effet, les objets nanométriques ne mesurent qu’entre 1 et 100 milliardièmes de mètres. Les nanotubes de carbone, par exemple, ont un diamètre 500 000 fois plus petit que celui d’un cheveu. Je laisse à chacun le soin de se représenter la taille de ces molécules cylindriques.
Du point de vue technique, il est remarquable de souligner que de telles dimensions offrent aux objets nanométriques des propriétés très différentes de celles des objets du monde visible. Le seul fait que les nanoparticules aient une surface beaucoup plus grande par rapport à leur masse modifie leur comportement.
Dès lors, des perspectives semblent s’offrir à nous, et je pense particulièrement aux chercheurs mais aussi aux industriels qui tentent d’exploiter toutes ces potentialités.
Que ce soit dans la mise au point de nouveaux traitements médicaux, la production de nouvelles sources d’énergie ou encore la fabrication de nouveaux produits cosmétiques, les nanotechnologies suscitent des espoirs en termes d’amélioration de la vie quotidienne de nos concitoyens.
Ainsi, nombreux sont ceux qui souhaitent, à travers ces nouvelles technologies, améliorer les performances humaines. Et comment ne pas fonder des espoirs dans ces nouvelles sciences lorsque les applications peuvent, par exemple, faciliter des opérations microchirurgicales par ordinateur en rendant fluorescentes des tumeurs cancéreuses ?
À l’inverse, d’autres sont plus « nano-sceptiques », car, si ces nouvelles technologies offrent de formidables espoirs, il n’en demeure pas moins qu’elles suscitent de grandes inquiétudes.
D’aucuns s’inquiètent ainsi des risques qu’elles peuvent présenter pour la santé, pour l’environnement ou même pour les libertés individuelles.
En matière de protection de la santé d’abord, je crois que personne ne contestera la nécessité de mettre en œuvre toutes les mesures de précaution pour les travailleurs dans les laboratoires et les ateliers où sont fabriqués ou manipulés des nanomatériaux : masques, vêtements, gants destinés à se protéger contre les dangers potentiels du contact ou de l’inhalation.
S’agissant des consommateurs, l’accent doit être mis sur la traçabilité, l’étiquetage, l’information et la transparence.
En matière de protection de l’environnement ensuite, les précautions ne doivent pas seulement être prises dans les laboratoires et les ateliers où sont fabriqués et manipulés les nanomatériaux pour éviter les rejets accidentels dans la nature. Sur ce point, il convient d’adopter une approche sur l’ensemble du cycle de vie des produits contenant des objets nanométriques et tenant compte de leur recyclage ou, bien sûr, de leur destruction.
En matière de protection des libertés individuelles, il ne fait pas de doute – et je crois que sur ce dernier point notre collègue Alex Türk, président de la CNIL, ne me démentira pas – que les nanotechnologies sont en train de révolutionner les technologies de l’information.
Or, si l’on ne peut que se féliciter de l’impact positif des nanotechnologies dans l’acquisition, le stockage et le traitement de l’information, on ne saurait accepter, à force de miniaturisation, la possibilité d’être surveillé constamment par le biais de nanopuces indétectables, possibilité qui paraît de plus en plus réelle, au point de donner corps à un nouveau « biopouvoir », pour paraphraser Michel Foucault.
C’est pourquoi il ne faudrait pas, au nom de la concurrence internationale dans le cadre de la mondialisation, imposer à une population inquiète des innovations utiles, certes, mais qui pourraient se révéler dangereuses.
Il s’agit de maîtriser collectivement le risque, de débattre des innombrables applications des nanosciences et de décider démocratiquement lesquelles nous souhaitons.
Ce débat soulève des interrogations éthiques et interroge notre relation au progrès, à l’incertitude, au rôle de l’expertise.
Pour le législateur, l’enjeu reste fondamentalement celui de la protection des libertés individuelles et donc de la régulation de ce nouveau champ technologique. Et je le dis solennellement, mes chers collègues, le Parlement devra, le moment venu, prendre ses responsabilités en la matière et déterminer s’il convient ou non d’interdire certaines applications des nanotechnologies, notamment dans les systèmes d’information.
La tâche ne sera pas aisée, car, dans ce domaine, les gouvernances se superposeront et devront être articulées entre elles : gouvernance mondiale à travers une normalisation internationale et coopération au sein de l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce ; gouvernance européenne au travers des règlements communautaires et des principes qui régissent le marché européen ; enfin, gouvernances nationales et locales, qu’il faudra coordonner.
En définitive, je crois, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, que, loin d’être conclu, le débat sur les nanotechnologies ne fait en réalité que commencer. Personne, même les scientifiques les plus renommés, ne pourrait prétendre avoir une connaissance exhaustive en la matière.
C’est pourquoi l’accent doit être mis sur la transparence qui entoure ces technologies de l’avenir, notamment auprès des élus, mais aussi et surtout des populations concernées.
Ministres et élus, syndicats et représentants d’associations, organisations non gouvernementales et consommateurs doivent poursuivre le débat. Il s’agit, j’en suis persuadé, d’une exigence démocratique salutaire pour notre société.