Ce monde peut être atteint de deux façons différentes : soit par la démarche que l’on appelle Top down, ou miniaturisation, cette démarche étant classique, connue depuis un certain temps et qui obéit en particulier à la loi de Moore, laquelle prévoit un doublement tous les dix-huit mois de la puissance dans un même espace ; soit par la démarche que l’on appelle Bottom up, c’est-à-dire par l’assemblage d’atomes pris un par un, constituant ainsi de nouvelles molécules.
La principale évolution dans ce domaine a été permise par les progrès des microscopes électroniques à effet tunnel, à la fin des années soixante-dix du siècle dernier. Il s’est alors produit une véritable révolution dans la démarche habituelle des sciences, où la théorie précède les applications. Les nanotechnologies ont en effet alors devancé la théorie. Dans le monde nanométrique, les lois de la physique classique ne s’appliquent plus, en tous les cas dans le domaine confiné. En conséquence, les propriétés macroscopiques habituelles sont différentes des propriétés de l’échelle nanométrique. Par exemple, la couleur et les constantes physiques de l’or varient considérablement entre l’état massif et l’état de nanoparticule.
Le monde nanométrique n’est pas étrange : il a des effets sur notre environnement depuis fort longtemps, que ce soit lors d’un feu de bois où des nanoparticules sont créées, ou dans les pneus depuis le début du siècle dernier.
L’utilisation de la démarche Bottom up m’interpelle davantage que la démarche de miniaturisation. S’ouvrent ainsi de nouveaux horizons, en particulier à la chimie et à la physique. Grâce aux nanotechnologies, la chimie, qui était une science d’assemblage quelquefois maîtrisée, va devenir entièrement créative, en produisant de nouvelles molécules inexistantes dans la nature.
Cela n’est pas sans soulever des problèmes qui seraient la conséquence d’une volonté de démiurge ou d’un rôle de créateur. On disséminerait dans la nature des molécules inédites dont notre système immunitaire ne nous protégerait éventuellement pas et qui porteraient atteinte à la biodiversité. Ce point a été évoqué voilà quelques instants par notre collègue Jean-Claude Etienne.
Dans le même temps, cette technologie a donné lieu à des fantasmes. Je sais bien que, depuis Shakespeare et l’acte III de Macbeth, les dangers virtuels font plus peur que les dangers réels. Que n’avons-nous entendu sur des robots s’autoreproduisant, dévorant entièrement l’énergie de notre planète et conduisant à une purée grise recouvrant toute la Terre ?
Il est possible de concevoir des nanomatériaux aux propriétés tout à fait différentes. Les lois de la nanophysique s’appliquent lorsque le confinement à l’échelle nanométrique change qualitativement à la fois le comportement des particules mais aussi leurs propriétés.
Je n’évoquerai pas les applications de la démarche de miniaturisation. J’en suis persuadé, mon collègue Christian Gaudin, notamment en raison de la profession qu’il a exercée avant d’être parlementaire, mesurera tous les enjeux et pourra nous préciser les avancées relatives aux gains d’énergie, de temps pour les signaux, et de puissance de calcul.
Je rappellerai simplement que, dans votre téléphone portable, mes chers collègues, vous avez la même puissance de calcul que dans le module lunaire. Cela vous donne une idée de la puissance développée en quelques années et des avancées permises par la miniaturisation et, notamment, de la puissance des microprocesseurs.
Je l’ai dit, des nanoparticules existent dans la nature. Ainsi, le bois, l’os, la coquille d’œuf sont des matériaux nanostructurés. Il ne faut donc pas exagérer le caractère novateur de ces technologies.
Je voudrais évoquer un domaine qui m’interpelle personnellement. Il s’agit de la convergence des nanotechnologies et des biotechnologies, ce que les Américains appellent NBIC, intégrant à la fois l’informatique et les sciences de la connaissance. La récente publication concernant la synthèse de l’ADN n’est pas sans soulever des problèmes de bioéthique. C’est pourtant là que sont les enjeux.
Premièrement, il faut évoquer les aspects positifs des nanotechnologies en matière médicale, point qui a été abordé par notre collègue Jean-Claude Etienne. D’une part, elles permettent de mieux diagnostiquer. D’abord, elles aident à mieux voir in vivo avec, notamment, la caméra embarquée dans une gélule ou bien les marqueurs fluorescents des molécules biologiques. Ensuite, elles aident à mieux voir in vitro. Tel est le cas de l’utilisation des biopuces à ADN qui sont déjà opérationnelles et des lab on chips, c’est-à-dire des micro-laboratoires embarqués sur une nanostructure.
D’autre part, les nanotechnologies permettent de mieux soigner. Je donnerai trois exemples.
D’abord, la vectorisation des médicaments avec des encapsulations dans des fullerènes permet de délivrer le médicament à l’endroit souhaité sans provoquer de dégâts sur d’autres cellules, ciblant la seule tumeur.
Ensuite, ces technologies offrent la possibilité d’une activation des nanoparticules pour des médicaments anticancéreux. Il en est ainsi, en particulier, du chauffage de nanoparticules de fer détruisant les cellules visées.
Enfin, elles permettent de compenser les déficits acquis ou congénitaux, tant en ce qui concerne les neuroprothèses que dans le domaine de l’ingénierie cellulaire avec, notamment, la cornée artificielle et l’ingénierie cutanée.
Deuxièmement, quels sont les enjeux économiques ? On constate une nette augmentation du marché des biopuces. Ce marché qui représentait 250 millions d’euros en 1999 s’élevait à 3 milliards d’euros en 2005, avec une croissance annuelle de 30 % à 40 %, en particulier pour le diagnostic in vitro. Le marché de l’ingénierie tissulaire est estimé entre 5 milliards et 10 milliards d’euros par an.
À l’heure actuelle, les pays européens, isolément ou dans le cadre d’initiatives de l’Union européenne et des différents PCRD, sont largement distancés par les États-Unis et, surtout, par le Japon. L’Inde et la Chine investissent fortement pour rattraper leur retard dans ce domaine.
J’ai eu l’occasion de mesurer l’effort des États-Unis, notamment du département de la défense. Comme je ne les ai jamais pris pour des philanthropes, j’imagine bien quels sont les enjeux stratégiques attachés au développement des nanotechnologies.
Troisièmement, je voudrais évoquer les problèmes socioculturels. D’abord, la toxicité des nanoparticules peut être décuplée en raison de l’augmentation considérable de leur surface efficace. En effet, la surface de toutes ces microsphères offerte en interaction est bien plus grande que la surface de ces matériaux à l’état massif. Il existe donc un problème de dose, mais aussi, peut-être, de porosité des barrières physiologiques, singulièrement de la barrière hémato-encéphalique.
Ensuite, il faut évoquer les dangers liés à l’autoréplication, à propos desquels le Prince Charles s’était exprimé à une certaine époque dans la presse. Le ridicule ne tue pas…