Intervention de Christian Gaudin

Réunion du 17 juin 2010 à 15h00
Débat sur les nanotechnologies

Photo de Christian GaudinChristian Gaudin :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le Premier vice-président de l’Office, mes chers collègues, les nanotechnologies et les nanosciences font l’objet depuis quelques années d’une attention toute particulière non seulement des scientifiques et des industriels, mais aussi des politiques et de la société, qui en utilise déjà beaucoup, souvent sans le savoir.

Les rapports de l’AFSSET – Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail –, de la Commission nationale du débat public, ou encore de la Commission européenne montrent l’étendue de l’intérêt porté aux nanotechnologies.

Je rappellerai que les nanotechnologies consistent à travailler la matière à l’échelle de l’atome. Elles exigent en conséquence d’énormes efforts de recherche dans des domaines multidisciplinaires impliquant une diversité des spécialités : génome et biotechnologies, développement durable, sécurité alimentaire, santé, etc.

Les nanotechnologies constituent indéniablement un pilier de la croissance économique à l’échelon européen depuis la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne.

Le budget alloué à ce secteur s’élèvera à près de 3, 5 milliards d’euros entre 2007 et 2013. La France est le deuxième bénéficiaire des crédits de recherche et développement alloués par la Commission européenne et devrait percevoir en moyenne 10 % de la dotation globale, soit environ 50 millions d’euros par an.

Mais la politique européenne agit aussi sur l’encadrement de la brevetabilité, ou encore sur la création de pôles d’excellence qu’elle favorise, tels ceux de Saclay, Toulouse et Grenoble.

L’harmonisation du cadre réglementaire, nécessaire à l’échelon européen, est enfin une dimension non négligeable de cette politique économique, car on a pu constater par le passé que les différences d’appréciation entre les États membres ne facilitaient pas le débat public.

Bref, les nanotechnologies ne sont pas un sujet franco-français et l’Europe souhaite développer sa politique de soutien en ce domaine pour conserver sa troisième place, derrière les États-Unis et le Japon, dans cette nouvelle révolution industrielle.

Les nanotechnologies bouleversent les propriétés des matériaux, leur résistance, leur longévité, la miniaturisation des composants, etc. Elles représentent un marché qui pourrait atteindre 1 000 milliards de dollars en 2015 et trois points de croissance du PIB dans l’Union européenne, à condition de réussir là aussi les passerelles entre la recherche fondamentale et le secteur de l’industrie.

En effet, les pays européens, notamment la France, rencontrent aujourd’hui des difficultés à convertir leurs travaux en produits et en valeur, que ce soit pour ce qui concerne la conversion des connaissances en dépôts de brevets ou la création d’entreprises innovantes. Au sein de l’Union européenne, l’Allemagne occupe une place prépondérante, consacrant 390 millions d’euros à la recherche publique sur les nanotechnologies, somme sans commune mesure avec celle que consent la France.

Outre l’aspect économique, les nanotechnologies suscitent des réserves car, qu’elles soient à l’état naturel ou utilisées dans des processus industriels, elles font partie de l’infiniment petit. Les professionnels des secteurs du bâtiment, de l’automobile ou de l’électronique les inhalent ; les consommateurs ingèrent les nanoparticules contenues dans les aliments, et celles qui sont présentes dans les produits cosmétiques ou les textiles pourraient pénétrer dans le corps humain par voie cutanée. Nous ne nous rendons pas compte de tout cela et surtout nous ne savons pas si ces nanoparticules présentes dans une centaine de produits quotidiens constituent des risques pour la santé ou même pour l’environnement.

Sur ce point, je souhaite mettre en perspective les nanotechnologies qui font l’objet du débat de ce jour avec d’autres innovations technologiques de l’infiniment petit : la découverte et le développement de l’énergie atomique et les OGM. À l’instar des nanotechnologies, ces matières ont constitué des innovations aux répercussions économiques importantes. Elles ont fait l’objet d’arbitrages politiques, de débats au sein de la société, d’avis divergents de la communauté scientifique au moment où il s’agissait de les développer. S’agissant du nucléaire, son développement ayant précédé l’aboutissement de la recherche sur le traitement des déchets, il en est résulté une prise de risques.

La société, face à cela, est un peu démunie, puisqu’il est difficile d’appréhender scientifiquement ces innovations. Ainsi, les Français sont globalement défavorables à la culture des OGM dans notre pays, mais ils en consomment chaque jour en raison de la présence de tels organismes dans les plats préparés ou même dans des produits frais, issus de croisements de variétés.

Le débat public sur les nanotechnologies, dont les conclusions ont été remises récemment, souligne une mauvaise connaissance du public des nanotechnologies et des risques qu’elles peuvent engendrer sur l’homme et sur l’environnement.

C’est le rôle même de la classe politique de favoriser les liens entre le monde de la recherche scientifique, la conversion de l’innovation scientifique en valeur et la compréhension des enjeux et risques scientifiques pour la société. L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques participe à cette mise en relation en éclairant le Parlement – tel est le cas de l’initiative d’aujourd’hui, que je salue – auprès d’une commission organique d’une assemblée.

Le développement des nanotechnologies exige en outre du corps politique un arbitrage entre le progrès économique et technologique résultant d’une telle innovation et les risques sociaux, environnementaux et sanitaires qu’il comporte. Seulement, le rapport de l’AFSSET, saisie en 2008, montre la difficulté d’évaluer les risques sur l’homme des produits manufacturés contenant des nanomatériaux, en l’absence de données spécifiques à ces matériaux et d’une méthodologie dédiée.

Nous devons nous interroger lors de débats, comme aujourd’hui à propos des nanotechnologies, sur le niveau d’acceptabilité du risque face au progrès technologique. Cette question est d’autant plus importante que le rythme des innovations et des progrès scientifiques « structurants », comme les nanotechnologies, va en s’accélérant, cadence que soutient l’économie de la connaissance.

Quelle méthode retenons-nous : soutenons-nous à tout prix l’application de la recherche ou laissons-nous le temps d’informer le public, d’évaluer les risques de l’utilisation de certains produits contenant des nanotechnologies ?

En l’absence d’une connaissance approfondie des risques, et à l’instar de l’article 73 du projet de loi Grenelle II de l’environnement, nous commençons aujourd’hui à poser des garde-fous relatifs à l’information et à la traçabilité des produits nanotechnologiques manufacturés, tout en soutenant la recherche en ce domaine, car cette dernière constitue, comme je l’ai rappelé tout à l’heure, un facteur de développement économique sans précédent.

En outre, traite-t-on de la même manière les nanotechnologies structurées dans des produits élaborés ou déstructurées, comme la poussière respirée par les professionnels qui usinent ces matériaux ?

Dans notre comportement face au risque, nous devons évidemment tirer les conclusions du problème de l’amiante, matériau très innovant à l’époque, inoffensif quand il est structuré, mais hautement toxique au cours de son processus de fabrication ou lors de son utilisation.

Aborde-t-on aussi de la même manière les nanotechnologies appliquées aux matériaux, à la médecine, à l’électronique ?

En conclusion, je pense que la France, à l’instar des grands pays industriels de l’Union européenne, doit participer à la définition de ce secteur stratégique.

Il faut accroître la connaissance des risques en matière de nanotechnologies pour mieux les prévenir, mieux appréhender le comportement des nanomatériaux tout au long du cycle de vie des produits manufacturés, y compris lors de leur recyclage.

Les nanotechnologies constituent une révolution industrielle et une opportunité économique qui doit profiter à la croissance de nos entreprises, à condition que nous soyons en mesure d’avancer en toute transparence sur la question du risque. Mener une politique publique éclairée et ambitieuse en la matière permettra à l’Union européenne d’affirmer demain sa capacité à préparer la compétitivité de son industrie sur la scène internationale à partir des technologies de l’infiniment petit.

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