Intervention de Louis Nègre

Réunion du 17 juin 2010 à 15h00
Débat sur les nanotechnologies

Photo de Louis NègreLouis Nègre :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission de l’économie, mes chers collègues, en ces temps de « grenello-scepticisme », il est important de souligner que c’est justement dans le cadre du Grenelle de l’environnement qu’il a été décidé d’organiser un débat public sur les risques et les bénéfices des nanotechnologies. Il s’agissait, pour être précis, de l’engagement n° 159. La commission particulière du débat public sur les nanotechnologies a donc été missionnée par la Commission nationale du débat public, la CNDP, pour réaliser cet exercice difficile de « démocratie participative ». Le débat a bien eu lieu, malgré les difficultés qu’il a rencontrées.

Lorsqu’on évoque les nanotechnologies, on parle d’une échelle qui va du milliardième au cent milliardième de mètre. Surtout, la matière peut acquérir des propriétés physiques particulières lorsqu’elle est structurée en objet d’aussi petite dimension. Prenons le cas du carbone. Nous savons tous que, depuis des siècles, il peut être cristallisé sous forme de diamant. On découvre qu’il peut aussi s’organiser en nanotubes aux propriétés physiques et chimiques totalement nouvelles. La même substance peut alors – cela rend le sujet encore plus complexe – prendre différentes formes. En outre, ses propriétés peuvent varier.

De telles caractéristiques ne sont pas sans conséquences en termes de maîtrise de ces technologies. Elles impliquent en effet d’inventer de nouveaux appareils pour détecter ces nouveaux matériaux ou encore de mettre au point des méthodes spécifiques en toxicologie.

Le phénomène n’est pourtant pas nouveau. Depuis qu’il est sur Terre, l’homme vit avec des nanoparticules qui ne sont pas exactement celles que vient d’évoquer M. Türk : la fumée des volcans, la poussière des déserts ou les embruns marins en sont composés.

Ce qui est nouveau, en revanche, c’est que nos industries commencent à utiliser ces matériaux de façon abondante dans des objets courants, qu’il s’agisse des produits cosmétiques, dont les fameuses crèmes solaires, des lunettes, des piles, des pneumatiques, des raquettes de tennis ou encore du ketchup. Toutes nos industries sont concernées : de l’électronique à l’information et aux communications, en passant par la cosmétologie, l’agroalimentaire, ou encore les transports et le bâtiment. La situation est telle que, aujourd’hui, la présence de ces matériaux est identifiée dans plus de 700 produits de consommation.

Les applications des nanomatériaux semblent ainsi illimitées. Je relevais récemment que des chercheurs de l’université de Stanford aux États-Unis avaient réussi à stocker de petites batteries électriques dans un simple vêtement grâce à des nanotubes de carbone, ce qui ouvrirait la possibilité, à l’avenir, de recharger un téléphone portable ou un baladeur radio grâce à une simple chemise, et ce dans les cas d’application favorables.

Les potentialités offertes par ces nouvelles sciences sont donc particulièrement passionnantes, car celles-ci combinent la haute technologie avec des aspects pratiques de la vie quotidienne de millions d’individus.

D’autres utilisations, sans doute plus intéressantes pour l’humanité, se profilent, notamment dans le domaine médical : médicaments ciblés et encapsulés dans des nanovecteurs, imagerie moléculaire, aide à la chirurgie, technique des implants cérébraux, nanopuces pour déceler et suivre l’évolution des maladies. Dans le domaine médical, les espoirs semblent donc être immenses. Les nanotechnologies permettront peut-être, et nous l’espérons, de traiter des maladies qui sont aujourd'hui hors de portée de la médecine. À Grenoble, où se trouvent les pionniers de ces thérapies, des chercheurs travaillent sur l’application des nanotechnologies depuis plus de vingt ans.

Si le potentiel des nanosciences semble illimité, et alors que ces produits commencent à être fabriqués en masse, le débat sur la réglementation des nanotechnologies lui, en revanche, débute à peine, madame la secrétaire d’État. Et pourtant, il existe bel et bien des risques pour l’homme, son environnement et ses libertés.

L’AFSSET, dont on ne peut mettre en cause l’indépendance, soulignait par exemple les risques d’effets biopersistants des nanotubes de carbone rigides dans le corps humain. En clair, notre corps ne serait pas en mesure de les assimiler ou de les détruire, ce qui entraînerait un risque pour la santé humaine.

L’environnement peut, lui aussi, être directement concerné par les nanomatériaux. Prenons l’exemple bien connu des chaussettes composées de nano-argent, aux propriétés antibactériennes et antitranspirantes. Ce qui peut paraître formidable à première vue l’est moins si l’on pense aux effets potentiels en chaîne. Ainsi, le lavage de ces chaussettes dans votre lave-linge pourrait techniquement faire passer dans l’eau des nanoparticules d’argent qui se retrouveraient ensuite dans les stations d’épuration. Malheureusement, ces nanoparticules sont aussi susceptibles de « tuer » les « bonnes » bactéries, lesquelles sont pourtant indispensables au traitement de l’eau dans ces stations.

Ces deux exemples très simples nous invitent à ne pas sous-estimer les risques de dissémination dans l’environnement, d’une utilisation non maîtrisée des nanotechnologies.

Or, il est paradoxal de le constater, jusqu’à très récemment, notre législation ne prévoyait aucune obligation d’information sur les usages des substances à l’état nanoparticulaire. La situation, madame la secrétaire d’État, est désormais plus claire, grâce au projet de loi portant engagement national pour l’environnement, dont j’ai eu l’honneur d’être l’un des rapporteurs. À cet égard, il faut rendre hommage au travail du Gouvernement. En effet, nous avons rendu obligatoire, dans le cadre du Grenelle de l’environnement, la déclaration des substances nanoparticulaires pour les fabricants et les importateurs, ce qui devrait permettre d’identifier précisément les substances concernées, ainsi que les usages qui en sont faits et les quantités mises sur le marché.

En tant que rapporteur de ce texte, j’ai eu l’occasion d’examiner les dispositions relatives aux « risques pour la santé et l’environnement ». Qu’il s’agisse d’exposition des personnes aux ondes électromagnétiques, question sur laquelle le débat a également été intense, ou d’encadrement de l’utilisation des substances nanoparticulaires, les problématiques me paraissent similaires.

À la lumière de cette expérience, permettez-moi d’exprimer une conviction forte : quelles que soient nos opinions politiques, il nous faut écouter toutes les parties, recueillir tous les avis, confronter sans cesse les points de vue. Je suis même tenté de dire que l’opposition au débat fait partie intégrante du débat.

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