Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le grand débat sur les nanotechnologies de la Commission nationale du débat public, la CNDP, a suscité des discussions houleuses.
La CNDP a été placée en difficulté, à cause, certes, de ceux qui ne voulaient pas débattre, mais surtout de ceux qui l’ont envoyée au contact de citoyens avertis du fait que 2 000 nanoparticules manufacturées étaient déjà commercialisées, non répertoriées publiquement, non signalées, mal évaluées et que leur mise sur le marché est allée bon train, sans contrôle, à partir de plateformes d’innovations inaugurées et financées par les autorités publiques, par centaines et centaines de millions d’euros !
J’espère que notre débat conduira les autorités sanitaires et le Parlement à reprendre la main.
En effet, nous reproduisons dramatiquement le schéma de l’amiante, la culture du secret en plus : mise sur le marché sans évaluation, surdité aux lanceurs d’alerte, évaluation dans les mains des producteurs.
Les professionnels pourraient être les premiers touchés, 7 000 personnels de laboratoires et 3 200 ouvriers de l’industrie travaillant au contact de ces particules.
Mais, au fond, pourquoi tant d’inquiétudes pour un pas de plus dans la miniaturisation, dont chacun apprécie au quotidien la légèreté ? Je pense par exemple aux batteries.
L’INSERM, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, oscille entre le médicament qui atteint seulement sa cible et l’homme réparé. Le CNRS, le Centre national de la recherche scientifique, et le CEA, le Commissariat à l’énergie atomique, évoquent une « société économe en énergie et en ressources naturelles ».
Mais permettez-nous de ne dormir que d’un œil quand le même CEA retrouve 39 kilogrammes de plutonium, non nanométrique, donc bien plus lourd, là où il pensait n’en retrouver que 7 kilogrammes !
Je souhaite tout de même apporter une petite précision. Les nanoparticules ne sont pas dans l’infiniment petit. Un milliardième de mètre, c’est quand même un milliard de fois plus gros que l’espace occupé par notre familier électron !
Justement, le risque est que nous sommes à l’échelle atomique, dans des éléments chimiques dont nous connaissions les propriétés naturelles – je pense au carbone, au cuivre ou à l’argent –, mais qui changent totalement de propriétés après que leurs atomes ont été « rangés » artificiellement.
Dès lors, la fibre de carbone se plie mais résiste, au risque de perforer les cellules pulmonaires. L’or en bille devient très réactif, l’argent se met à tuer les bactéries, et on l’a donc mis dans les déodorants quarante-huit heures et dans les chaussettes, ce qui crée des risques de migrations dans les tissus des organes, d’inflammations et de cancérisation.
Madame la secrétaire d’État, on nous avait dit que, avec les nanomatériaux, les aveugles allaient voir et que les sourds allaient entendre, et on nous fait prendre des risques sanitaires et environnementaux, parce des firmes spéculent sur les individus qui ne veulent pas se laver tous les jours !
Nombre d’institutions font part de leurs doutes.
L’AFSSA invoque le cadre réglementaire actuel pour ne pas faire l’inventaire des produits alimentaires et de leurs additifs, ainsi que de leurs emballages.
L’AFSSET a demandé un premier retrait au nom du principe de précaution.
Le Parlement européen, lors du vote du 25 mars 2009, relève des « lacunes considérables dans la connaissance indispensable à l’évaluation des risques et des méthodes toxicologiques […] existantes, qui peuvent ne pas s’avérer suffisantes pour faire face à tous les problèmes en matière de nanoparticules ».
Le règlement REACH – vous l’avez mentionné –, bien manipulé dès son élaboration, ne s’applique qu’aux produits mis en circulation dépassant la tonne. Belle astuce pour éviter l’évaluation indépendante !
Des lacunes dénoncées unanimement, et pour cause ! Les nanomatériaux franchissent les barrières cellulaires, au risque de se distribuer dans l’organisme, y compris par voie lymphatique ou nerveuse et de s’accumuler dans certains organes sans que le corps ait le moyen de les éliminer.
De très petit volume, donc pourvues d’une surface de contact proportionnellement très étendue, ces particules sur place ont de fabuleuses propriétés de réaction chimique, et présentent par conséquent des risques de toxicité in vivo.
Encore faudrait-il que chacun puisse se saisir du débat et que la culture scientifique ne soit pas la branche mourante de nos politiques publiques !
Il est remarquable que, sur les sept ministères ayant saisi la CNDP, il n’y ait pas l’éducation nationale ; circulez, il n’y a rien à comprendre ! En revanche, il y a la défense. On pressent bien la gourmandise de l’armée, au-delà de l’allégement des uniformes, pour d’autres applications moins avouables de capacités augmentées, de peurs inhibées, voire de commandement plus efficace.
Si la production de connaissances et la recherche ont tout leur sens, l’arrogance de certaines filières industrielles est inadmissible. L’Oréal a fait faux bond aux auditions de l’Office parlementaire. La Fédération des entreprises de la beauté cautionne l’introduction sans information de ces particules dans des produits utilisés sur la peau, refuse l’étiquetage et se réfugie derrière le secret industriel pour priver les toxicologues des informations nécessaires à leurs investigations. C’est ainsi que le dioxyde de titane nanostructuré se retrouve dans les dentifrices blancs, dans les crèmes solaires, avec écran efficace mais transparent, malgré l’avis de 2006 de l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, le classant dans les cancérogènes et en dépit des cassures démontrées sur l’ADN, au risque de migrations dans le derme, voire dans les tissus de l’œil et dans la très sensible rétine.
Il est hors de question de payer un tel prix aux fameux « pôles de compétitivité », à la croissance ou à la place de la France !
Quant à l’évaluation par l’industrie, elle a consisté, sur ce sujet précis, à déposer la crème sur un morceau de peau morte et à constater au bout d’une semaine qu’elle avait une faible pénétration ! Quel protocole exigeant !
Lors du Grenelle II, l’amendement des parlementaires Verts exigeant l’établissement d’une nomenclature a été sacrifié sur l’autel des intérêts industriels. La connaissance de la structure spatiale des particules, accessible à l’Institut national de la propriété industrielle, l’INPI, ou au juge quand il s’agit de lutter contre un plagiat, ne l’est pas aux agences sanitaires et de santé.
Cette transparence est pourtant indispensable, car nous ne confondons pas tous les nanomatériaux, qui vont de la nacre naturelle aux catalyseurs des carburants.
Le Parlement européen a adopté hier un règlement sur l’étiquetage, avec la mention obligatoire des nanomatériaux dans les emballages alimentaires.
Le Plan national santé environnement 2 annonce des recherches sur l’impact sanitaire des nanomatériaux.
Le respect du Grenelle II devrait obliger les entreprises à déclarer leurs usages. Nous votons, nous votons… mais rien ne se passe !