La France est un acteur de premier plan des nanotechnologies : sa très forte communauté scientifique la place au cinquième rang mondial, avec plus de 5 300 chercheurs, derrière les États-Unis, la Chine, le Japon et l’Allemagne. Une concurrence que l’on peut qualifier d’acharnée s’exerce au niveau international pour se positionner sur ce futur marché. La Chine investit très fortement et est en passe de devenir un acteur de tout premier plan. Une véritable course mondiale aux découvertes et aux brevets est actuellement en cours.
En France, le Gouvernement a accompagné le développement de ce nouveau secteur par le plan « Nano-Innov », lancé en 2009, qui aborde simultanément la recherche fondamentale, la recherche technologique et la recherche sur la sécurité des nanotechnologies.
La recherche a d’ailleurs été renforcée en 2009 dans le cadre d’un appel à projets spécifique financé à hauteur de 17 millions d’euros par le plan de relance. L’« écosystème grenoblois » a également fait l’objet d’une dotation exceptionnelle dans le cadre du plan « Nano 2012 », avec un effort global de 457 millions d’euros sur la période 2008-2012.
Nous engageons donc des moyens importants pour développer le plus possible la recherche dans ce secteur. Cet effort n’est peut-être pas encore suffisant, car nous devons encore travailler sur de nombreux sujets.
Mais, vous l’avez tous dit, face à ce formidable potentiel, d’énormes inconnues demeurent. Les données dont nous disposons sur la toxicité des nanoparticules proviennent pour l’essentiel d’études sur les particules fines de la pollution atmosphérique et sur les nanoparticules manufacturées. Comme vous l’avez rappelé, monsieur Louis Nègre, nos connaissances sont très insuffisantes : les études montrent que les nanoparticules peuvent être plus toxiques que les particules de plus grosse taille – je simplifie, parce que je ne suis pas une spécialiste comme vous. Par ailleurs, ces substances peuvent, sous certaines conditions, franchir les barrières naturelles de l’organisme et pénétrer jusque dans les cellules.
Il est donc essentiel de progresser dans la connaissance des effets sanitaires de ces produits, de leur devenir dans l’environnement, en apportant une grande attention à l’exposition des travailleurs, comme l’a souligné Mme Blandin. En effet, lorsque l’on étudie les risques associés à différentes techniques ou substances, il faut cibler soit les personnes exposées à un volume important de ces substances, donc les travailleurs, soit les personnes les plus fragiles.
Je souhaiterais que nous évitions de reproduire, dans ce débat, les erreurs commises à l’occasion d’autres débats. Si nous abordons ces innovations sous un angle purement scientifique, n’essayons pas de démontrer désespérément qu’elles ne représentent aucun risque, puisque nous savons que la science comporte toujours une part d’incertitude. De même, si l’on envisage ces technologies sous l’angle purement économique, on oublie de placer, en regard des gains espérés, les avantages attendus par la société.
On pourrait faire le parallèle avec un vaccin : vous ne vous faites pas vacciner parce que le vaccin présente a priori peu de risques dans l’état actuel des connaissances, et que cela va rapporter beaucoup d’argent aux laboratoires. Vous le faites parce que vous savez que c’est nécessaire pour votre santé et pour la société dans son ensemble.
La question primordiale est donc la suivante : pourquoi voulons-nous ces nanotechnologies, pour quels avantages et quelles utilisations ? On se trompe souvent de débat en n’envisageant la question qu’en termes de risques. Il faut que la société choisisse les nanotechnologies qu’elle souhaite, celles qu’elle veut développer en priorité.
Les questions d’ordre social ou éthique qui portent sur l’opportunité de certaines applications, ainsi que sur d’éventuelles dérives, sont en général mal posées ou oubliées. Par exemple, la création des « nano-mouchards », que nous allons appeler nano brothers sur le modèle de Big Brother, pose une question centrale, qui constitue le cœur du débat, celle de la protection de la liberté individuelle, point qui a été évoqué par M. Alex Türk. C’est probablement le sujet sur lequel nous n’avons pas encore assez travaillé. On ne résoudra pas la question des nanotechnologies dans nos sociétés au sens large sans travailler de manière fouillée ce sujet profondément éthique.
Face aux interrogations sur les effets de ces technologies, nous devons construire une réponse globale et démocratique, effectuer un choix de société qui mette en balance la dimension scientifique et la dimension socio-économique.
Dans ce débat très délicat, le Gouvernement refuse de tomber dans deux types d’excès, qui ont été rappelés par M. Jean-Claude Etienne.
D’une part, il est hors de question d’abandonner ces technologies à leur propre mouvement, sans se préoccuper des questionnements qu’elles suscitent, ni des dommages potentiels. Cette attitude entraînerait inévitablement un rejet et conduirait donc les industriels eux-mêmes dans une impasse.
D’autre part, il serait tout aussi déraisonnable de geler complètement ce développement technologique parce que nous serions incapables de procéder à des choix collectifs.
Le vrai problème, surtout pour notre pays, consiste à se réconcilier avec le progrès en le maîtrisant et en le choisissant. Comme vous l’avez dit dans votre conclusion, monsieur le président, l’enjeu est démocratique, parce que les « sachants » ne peuvent pas déterminer seuls l’avenir du monde, en tout cas l’avenir de notre société.
C’est pour cette raison que huit ministres, dont le ministre de la défense, ont décidé de porter le débat public.