Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, présentée par notre collègue Roland Courteau et les membres du groupe socialiste du Sénat.
Longtemps considérées comme un tabou, les violences conjugales, tout en demeurant une réalité difficile à évaluer, sont désormais reconnues comme un fléau majeur, que les pouvoirs publics doivent endiguer.
La politique volontariste menée par ces derniers depuis plusieurs années a cherché à mieux prévenir et, surtout, à mieux détecter ces violences, à améliorer l’accompagnement des victimes et à prendre en charge de façon plus ciblée les conjoints violents, afin de lutter contre la récidive.
La lutte contre les violences conjugales a ainsi constitué l’un des axes essentiels du plan global de lutte contre les violences faites aux femmes lancé en 2005. Un second plan triennal lui a succédé en 2008. Enfin, la lutte contre les violences faites aux femmes, qui incluent les violences conjugales, a été déclarée « Grande cause nationale 2010 ».
De fait, un certain nombre de progrès peuvent être relevés, notamment en matière de sensibilisation des professions concernées et du public en général. Des référents locaux ont été progressivement mis en place dans les départements. L’accueil dans les commissariats et les locaux de gendarmerie a été peu à peu adapté au traitement des violences conjugales et près des trois quarts des parquets mènent désormais une action ciblée sur le traitement judiciaire des violences faites aux femmes.
Les efforts doivent néanmoins être poursuivis et complétés, notamment en ce qui concerne l’hébergement des victimes ou l’implication des personnels de santé dans le repérage et la prise en charge des victimes, comme des auteurs de violences conjugales.
Par ailleurs, le législateur est venu progressivement adapter le droit pénal et le droit civil afin de mieux protéger les victimes et de punir plus sévèrement les auteurs de ces actes. Ainsi, le nouveau code de procédure pénale prévoit, depuis le 1er mars 1994, que les peines encourues par les auteurs de violences seraient aggravées lorsqu’elles sont infligées par le conjoint ou par le concubin de la victime.
La loi du 4 avril 2006, votée sur l’initiative de nos collègues Roland Courteau et Nicole Borvo Cohen-Seat, a renforcé la prévention et la répression des violences au sein du couple ou celles commises contre les mineurs. Cette loi reconnaît explicitement la notion de viol et d’agression sexuelle au sein du couple, ainsi que celle du vol entre époux lorsque celui-ci porte sur des documents indispensables à la vie quotidienne de la victime.
Cette loi du 4 avril 2006 a en outre élargi la circonstance aggravante que j’ai mentionnée aux partenaires liés à la victime par un PACS, ainsi qu’aux anciens conjoints, anciens concubins et anciens partenaires liés à la victime par un PACS lorsque les violences ont été infligées en raison des relations qui ont existé entre l’auteur des faits et cette dernière.
Enfin, la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a prévu que les personnes reconnues coupables de violences conjugales pouvaient être également condamnées à un suivi socio-judiciaire.
Néanmoins, en dépit des progrès notables que ces lois ont permis, de réelles difficultés subsistent, comme le révèlent les chiffres constatés par les services de police et de gendarmerie, qui paraissent toutefois bien en deçà des violences conjugales réellement subies. En effet, selon les estimations réalisées par l’Observatoire national de la délinquance, le nombre de plaintes déposées par les victimes de violences conjugales représenterait moins de 9 % des violences conjugales réellement subies.
En outre, le nombre d’homicides au sein du couple constatés n’inclut pas les suicides consécutifs aux violences physiques ou psychologiques infligées par un conjoint.
Selon les termes employés par notre collègue Roland Courteau, la proposition de loi qui nous est soumise vise à « aborder une nouvelle étape » dans la prévention et la répression des violences commises au sein du couple.
Pour répondre à cet objectif, ce texte précise d’abord que les violences peuvent être « physiques ou psychologiques ».
S’agissant des auteurs de ces violences, il prévoit de les punir plus sévèrement lorsqu’elles sont commises de façon habituelle, rappelle que les personnes condamnées dans ces conditions peuvent également se voir imposer un suivi socio-judiciaire et permet au juge aux affaires familiales d’évincer du domicile commun le concubin ou le partenaire pacsé auteur des violences.
Ce texte vise également à permettre aux victimes d’accéder à l’aide juridictionnelle sans condition de ressources.
Pour ce qui est de la mise en œuvre de ces dispositions, la proposition de loi prévoit, dans le cadre des mesures de sensibilisation du public à la problématique des violences au sein du couple, d’une part, de rendre obligatoire la tenue mensuelle d’une information sur le respect mutuel et l’égalité entre les sexes dans les établissements scolaires, d’autre part, d’instituer une journée nationale de sensibilisation à ce type de violences.
Elle prévoit aussi la mise en place d’une formation initiale et continue, propre à permettre aux professions concernées par la problématique des violences commises au sein du couple d’assister les victimes de ces violences et de prendre les mesures nécessaires de prévention et de protection qu’elles appellent.
Enfin, elle gage les éventuelles conséquences financières résultant pour l’État de son application par la création d’une taxe additionnelle sur les tabacs.
Les préoccupations exprimées par les auteurs de cette proposition de loi sont pleinement partagées par les députés. Le 2 décembre 2008, ces derniers ont créé au sein de leur assemblée une mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, laquelle s’est donnée pour tâche d’évaluer l’ensemble des violences infligées aux femmes au sein du foyer, mais aussi dans l’espace public et sur les lieux de travail, ainsi que d’apprécier la réponse qui leur était apportée. Les violences conjugales ont, naturellement, constitué un de ses axes de réflexion.
À l’issue de ses travaux, cette mission a formulé dans son rapport d’information, publié en juillet 2009, soixante-cinq propositions, dont une partie a été transposée dans une proposition de loi cosignée par Danielle Bousquet, Guy Geoffroy et plusieurs de leurs collègues députés.
Cette proposition de loi, composée de vingt et un articles, recoupe en partie les principaux thèmes abordés par la proposition de loi de notre collègue Roland Courteau. Ainsi, son article 17 prévoit de créer un délit de violences psychologiques au sein du couple. Son article 9 tend à étendre aux partenaires liés par un PACS et aux concubins les dispositions relatives à l’éviction du conjoint violent du domicile commun. Quant à son article 11, il aborde la question de la formation des professions appelées à connaître de faits de violences conjugales.
La proposition de loi des députés comporte également un certain nombre de dispositions complémentaires, comme la mise en place d’une ordonnance de protection des victimes, une protection accrue des personnes étrangères victimes de violences conjugales ou encore la reconnaissance de la notion de mariage forcé.
C’est pourquoi la commission des lois estime souhaitable, avant de se prononcer sur le fond, d’étudier ces deux propositions de loi concomitamment afin de parvenir à l’établissement d’un texte unique.
Cet avis est évidemment renforcé par le fait que la proposition de loi des députés a été adoptée hier en commission et sera examinée par l’Assemblée nationale en séance publique le 25 février.
Je vous propose en conséquence, mes chers collègues, de ne pas établir de texte à ce stade et d’adopter une motion tendant au renvoi en commission de la présente proposition de loi, en attendant la transmission par l’Assemblée nationale de la proposition de loi de Mme Bousquet et M. Geoffroy.