La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des finances. Il est disponible au bureau de la distribution.
J’informe le Sénat que le projet de loi de finances rectificative pour 2010, adopté par l’Assemblée nationale (n° 276, 2009-2010), dont la commission des finances est saisie au fond, est envoyé pour avis, à leur demande, à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, présentée par M. Roland Courteau et les membres du groupe socialiste (proposition n° 118, rapport n° 228).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État à la justice, mes chers collègues, au mois d’avril 2006, le texte issu des propositions de loi n° 62 et 95, déposées respectivement sur notre initiative et sur celle du groupe CRC, après avoir été modifié par le Sénat et l’Assemblée nationale, était définitivement adopté, puis promulgué.
De l’avis de la plupart des associations, cette loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs a constitué une avancée sans précédent. C’était, il faut le souligner, la première fois que le Parlement osait affronter ce sujet trop longtemps tabou, trop longtemps ignoré, en tout cas trop longtemps minimisé.
Je rappelle que cette loi comportait aussi bien des mesures préventives que des dispositions répressives, visant notamment quatre objectifs : la lutte contre les mariages forcés, avec le relèvement de l’âge du mariage à dix-huit ans pour les femmes ; l’accompagnement psychologique, sanitaire et social des auteurs de violences ; la lutte contre le tourisme sexuel ; la lutte contre les violences sur les mineurs.
Depuis sa mise en application, toujours selon les associations, « le voile du silence s’est enfin déchiré, la parole des victimes s’est enfin libérée » : les victimes osent enfin parler, osent enfin dénoncer, osent enfin porter plainte ; en tout cas, elles le font plus qu’auparavant.
Certes, la partie n’est pas gagnée, il s’en faut de beaucoup, hélas ! Nous devons encore agir de multiples façons pour renverser certains schémas profondément ancrés dans les mentalités.
Certes, la loi ne peut pas tout, elle n’est pas la seule voie pour éradiquer les violences conjugales, mais elle permet d’accélérer l’évolution des mentalités. C'est la raison pour laquelle nous avons déposé, au mois de juin 2007, une deuxième proposition, portant le numéro 322, afin de compléter le dispositif précédent sur différents points : les violences psychologiques, la prévention, la formation des intervenants, l’aide aux victimes et la protection des enfants.
Malheureusement, plus de deux années plus tard, ce texte, jugé peut-être – qui sait ? – trop global, n’était toujours pas inscrit à l’ordre du jour de nos travaux. J’ai donc décidé, avec l’accord de mes collègues du groupe socialiste, d’alléger la proposition de loi sur certains points, de la compléter sur d’autres et d’en présenter une nouvelle version. Je remercie donc le groupe socialiste et son président, Jean-Pierre Bel, d’avoir bien voulu proposer de l’inscrire aujourd'hui à l'ordre du jour du Sénat.
Le contexte semble plutôt propice. D’abord, la lutte contre les violences conjugales a été déclarée « Grande cause nationale 2010 ». Ensuite, l’Espagne, dans le cadre de sa présidence de l’Union européenne, a voulu faire de l’élimination de ce fléau l’une de ses priorités pour l’Europe. Enfin, M. le Premier ministre a annoncé vouloir créer « un délit de violences psychologiques au sein du couple ».
C’est très exactement ce que nous proposons à l’article 1er du présent texte.
Bien sûr, je n’ignore pas que le repérage de ce type de violences peut, dans certains cas, être difficile dans la mesure où les violences psychologiques ne laissent pas toujours de traces aisément identifiables et médicalement « objectivables ».
Cependant, comme le note le psychiatre Roland Coutanceau, « le délabrement mental de la victime est évident et les psychiatres peuvent se porter garants de l’impact de la maltraitance ». Ainsi, précise-t-il, « à partir d’une certaine intensité, la violence psychologique peut être mesurée dans ses conséquences pour la victime ».
Dans ces conditions, et compte tenu de l’ampleur du phénomène, il nous paraît hautement souhaitable de faire reconnaître les violences conjugales à caractère psychologique, comme le harcèlement moral a fini par être reconnu dans le monde du travail.
Il s’agit d’un phénomène de société alarmant, qui frappe plus souvent les femmes que les hommes – même si un nombre non négligeable de ceux-ci en sont aussi victimes –, mais également les enfants, qui, souvent instrumentalisés, subissent indirectement cette emprise destructrice.
La violence psychologique est insidieuse, la finalité étant, pour le manipulateur, d’exercer une domination totale sur sa victime, mettant en jeu son intégrité physique et morale. C’est lorsque le conjoint ou concubin parle de séparation que la violence devient paroxystique.
Voici ce qu’indique le docteur Israël Feldman à ce propos : « L’usage répété de comportements néfastes dans le but de contrôler une personne a autant d’impact – sinon plus – sur la santé et le bien-être de la victime, que la violence physique. Et même si les cicatrices sont invisibles, ses conséquences sont lourdes et difficilement éradiquables. »
Injures graves et répétées, brimades, comportements vexatoires, chantage, séquestration, menaces de tuer, d’enlever les enfants, isolement, dénigrement public ou privé, humiliation, dévalorisation : toutes ces formes de violence constituent un véritable harcèlement mental, une mise à sac de toute confiance et d’estime de soi, et aboutissent à une vraie démolition morale de la victime.
Ce sont autant d’agissements ou de paroles répétées qui dégradent les conditions de vies, portent atteinte à la dignité de la victime et altèrent sa santé mentale et physique. Pour le docteur Coutanceau, une gifle ou un coup de poing font certes mal, mais le plus difficile à supporter est le sentiment de mépris qui les a « propulsés ». Selon lui, « la maltraitance psychologique est tout aussi capable de faire disparaître l’élan vital, “l’envie de vivre”, sans pour autant laisser de traces visibles ».
Ce sont ces cas extrêmes, ces pressions gravissimes et réitérées sur une longue durée, aux effets dévastateurs, que nous voulons cibler aujourd'hui.
« Que reste-t-il à faire pour la victime ? », s’interroge le docteur Feldman. Rester, se soumettre, et donc aller, à plus ou moins brève échéance, vers la destruction ? Ou bien partir et se libérer, mais sans savoir ce que deviendront les enfants ? Est-il seulement possible, pour la victime, de partir lorsqu’elle sait que le bourreau ne la lâchera jamais ? Est-on seulement en état de partir lorsqu’on est détruit intérieurement ? En effet, par l’emprise psychologique qu’il exerce sur la victime, l’agresseur peut la dévaloriser au point d’anéantir chez elle toute velléité d’autonomie et de départ.
Autre technique d’usure, la menace itérative : « Si tu pars, tu le regretteras ! », « Si tu me quittes, je te tue ! », « Si tu t’en vas, tu ne verras plus tes enfants et je me tue après »... Selon certains psychologues, dans de tels cas, la séparation ne peut avoir lieu que si l’auteur des menaces est soumis à la justice. Il ne renoncera à ces violences que s’il sait quels risques il court sur le plan judiciaire.
Or, comme le soulignaient Yaël Mellul, avocate, et Eliette Abecassis, écrivain et philosophe, « lorsque la violence psychologique s’exerce à l’intérieur du couple, aujourd’hui, la justice reste à la porte ». Évoquant « la souffrance et les dégâts qui sont bien réels », elles indiquaient que « ce processus d’emprise entraîne chez la victime une saturation de ses capacités critiques et une abolition totale de sa capacité de jugement, qui la conduisent à accepter l’inacceptable, à tolérer l’intolérable ». Elles ajoutaient encore : « Puis, la violence augmente progressivement et la résistance de la victime diminue jusqu’à devenir simplement une lutte pour la survie. »
Voilà pourquoi nous voulons créer le délit de violences psychologiques au sein du couple tout en proposant que leurs auteurs puissent être condamnés à un suivi socio-judiciaire. Nous ne proposons pas de définir la violence psychologique, car toute énumération est en soi restrictive. De toute manière, il existe dans le droit français, plus précisément dans la jurisprudence, un arsenal suffisant pour les définir. Quant à la preuve, elle peut venir de témoignages ou de certificats de psychologues, de médecins ou même de psychiatres.
J’en viens à l’article 2 de la proposition de loi.
L’article 12 de la loi du 4 avril 2006 renforce, aussi bien dans le code de procédure pénale que dans le code pénal, les mesures d’éloignement du domicile commun de l’auteur des violences, qu’il soit conjoint, concubin, partenaire pacsé ou ancien conjoint, ancien concubin, ancien partenaire pacsé.
En droit civil, la loi du 26 mai 2004, relative au divorce, a permis au juge aux affaires familiales, lorsque les violences exercées par l’un des époux mettent en danger son conjoint, un ou plusieurs enfants, de statuer sur la résidence séparée des époux. Le juge se prononce également, s’il y a lieu, sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, les mesures prises étant caduques si, à l’expiration d’un délai de quatre mois, aucune requête en divorce ou en séparation de corps n’a été déposée.
On notera qu’aucune disposition n’est prévue en droit civil lorsque les violences mettent en danger le concubin ou le partenaire pacsé et donc, dans ce cas, le ou les enfants. Nous proposons par conséquent d’étendre la possibilité donnée au juge aux affaires familiales de statuer sur la résidence séparée des concubins ou des partenaires pacsés, en précisant lequel des deux continuera à résider dans le logement. Dans un tel cas, il appartient au juge de statuer sur la résidence dans le domicile familial et non de statuer sur la résidence dans le domicile conjugal, comme cela est précisé pour les conjoints à l’article 220-1 du code civil.
En fait, il s’agit surtout, dans les cas d’urgence et à titre provisoire, de donner un peu de répit à la victime non-propriétaire ou non-locataire en titre du logement, de lui laisser le temps nécessaire pour trouver un autre lieu d’habitation ou un hébergement social d’urgence.
Je signale au passage qu’une erreur s’est glissée dans la rédaction de la deuxième phrase de l’article 2 de notre proposition de loi. Il faut lire : « Sauf circonstances particulières, la jouissance de ce logement est attribuée à celui qui n’est pas l’auteur des violences ».
Les articles 3 et 4 de la proposition de loi traitent de la prévention.
À ce titre, nous proposons qu’une information soit dispensée dans les écoles, collèges et lycées, à raison d’une séance mensuelle, sur le respect mutuel entre les garçons et les filles et sur l’égalité entre les sexes.
L’école a un rôle primordial à jouer dans la prévention des violences entre les jeunes, bien entendu, mais aussi dans la lutte contre les comportements sexistes. Il s’agit d’éduquer au respect pour éviter que ne s’ancrent, à l’âge adulte, des comportements de domination.
Si nous voulons faire changer les mentalités, alors, commençons par agir au niveau de l’école, du collège et du lycée. « Tout commence sur les bancs de l’école», affirmait Romain Rolland. Et il avait raison !
Nous proposons également, toujours au titre de la prévention, d’instituer une journée nationale de sensibilisation aux violences au sein du couple, qui pourrait être fixée le 25 novembre, en coordination avec la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.
Autre question majeure : la formation des professionnels de santé, des personnels de la police et de la gendarmerie, des travailleurs sociaux, des magistrats, des avocats... Nous proposons que l’ensemble de ces acteurs fassent l’objet d’une formation initiale et continue, propre à leur permettre de mieux détecter les violences, de mieux assister et accompagner les victimes.
Si les besoins sont évidents, les professionnels ne sont pas toujours sensibilisés à la problématique des violences conjugales. J’ai le sentiment que, à quelques exceptions près, ce terrain est encore en friche.
La qualité de l’accueil, dans une gendarmerie ou un commissariat, d’une personne bien souvent en état de choc est essentielle. Quant aux médecins, ils occupent une position clé pour dépister les violences intrafamiliales, conseiller, prévenir l’escalade, éviter les drames.
J’évoquerai enfin l’aide juridictionnelle qu’il conviendrait d’accorder, sans condition de ressources, aux victimes de violences conjugales ayant entraîné une interruption temporaire de travail.
Aujourd’hui, seules bénéficient de cette aide sans condition de ressources les victimes de tortures, d’actes de barbarie, les victimes de violences habituelles sur mineurs ou de viol, etc.
Je l’ai dit, les victimes de violences conjugales sont bien souvent en état de choc et il importe de leur faciliter la tâche, notamment dans les moments difficiles où elles se décident à réagir, où elles décident de ne plus accepter de subir. Or leur dépendance financière peut aussi constituer un frein dans leur décision d’engager des poursuites judiciaires, car elles ne peuvent évidemment pas compter sur le concours financier de l’auteur des faits…
Enfin, et d’une manière générale, nous ne ferons pas l’économie, à l’avenir, d’un débat sur le manque de places d’hébergement pour les victimes et de centres de soins pour les auteurs de violences.
Un vrai problème se pose aussi pour les Français de l’étranger. En effet, comme le faisait remarquer Claudine Lepage, sur ce point précis, nos consulats manquent de moyens.
J’ai pu dire à diverses reprises que le Sénat pouvait être fier d’avoir joué, dès 2006, un rôle de précurseur dans un domaine qui nous mobilise aujourd’hui encore. « Encore ! », s’exclameront peut-être certains. Eh bien oui, encore !
Sans aller jusqu’à reprendre la fameuse formule Boileau, « Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage, polissez-le sans cesse et le repolissez », je prétends que les dispositions que nous proposons aujourd'hui d’apporter en complément de la loi du 4 avril 2006 sont hautement nécessaires.
En conclusion, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je me permettrai de vous lire quelques extraits d’une lettre que j’ai reçue hier – et j’en ai, hélas ! reçu de très nombreuses rapportant des faits similaires –, émanant d’une jeune femme de vingt-huit ans, prénommée Jessica.
« Il a suffi d’un an pour que les agissements de cet homme avec qui je vivais détruisent tout en moi. […] Les violences psychologiques, les vraies, hors disputes de couple, sont reconnaissables par l’entourage, par les amis, par les professionnels. […] Aujourd’hui, je dis merci à ma famille, je dis merci à mes amis, je dis merci aux médecins. Depuis quelques jours, en effet, j’ai décidé de me libérer et j’ai décidé de porter plainte.
« Je ne pensais pas que ce que j’ai vécu aurait autant de répercussions sur ma vie personnelle et même professionnelle. Aujourd’hui, j’ai peur. Aujourd’hui, je suis suivie par un psychiatre. Aujourd’hui, je suis en dépression et j’ai perdu mon travail. […] Aujourd’hui, j’ai tellement de souffrances en moi ! Alors, avec vos collègues sénateurs, aidez les femmes qui vivent de telles situations. Prenez les bonnes décisions. » On ne saurait mieux dire !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Muguette Dini applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, présentée par notre collègue Roland Courteau et les membres du groupe socialiste du Sénat.
Longtemps considérées comme un tabou, les violences conjugales, tout en demeurant une réalité difficile à évaluer, sont désormais reconnues comme un fléau majeur, que les pouvoirs publics doivent endiguer.
La politique volontariste menée par ces derniers depuis plusieurs années a cherché à mieux prévenir et, surtout, à mieux détecter ces violences, à améliorer l’accompagnement des victimes et à prendre en charge de façon plus ciblée les conjoints violents, afin de lutter contre la récidive.
La lutte contre les violences conjugales a ainsi constitué l’un des axes essentiels du plan global de lutte contre les violences faites aux femmes lancé en 2005. Un second plan triennal lui a succédé en 2008. Enfin, la lutte contre les violences faites aux femmes, qui incluent les violences conjugales, a été déclarée « Grande cause nationale 2010 ».
De fait, un certain nombre de progrès peuvent être relevés, notamment en matière de sensibilisation des professions concernées et du public en général. Des référents locaux ont été progressivement mis en place dans les départements. L’accueil dans les commissariats et les locaux de gendarmerie a été peu à peu adapté au traitement des violences conjugales et près des trois quarts des parquets mènent désormais une action ciblée sur le traitement judiciaire des violences faites aux femmes.
Les efforts doivent néanmoins être poursuivis et complétés, notamment en ce qui concerne l’hébergement des victimes ou l’implication des personnels de santé dans le repérage et la prise en charge des victimes, comme des auteurs de violences conjugales.
Par ailleurs, le législateur est venu progressivement adapter le droit pénal et le droit civil afin de mieux protéger les victimes et de punir plus sévèrement les auteurs de ces actes. Ainsi, le nouveau code de procédure pénale prévoit, depuis le 1er mars 1994, que les peines encourues par les auteurs de violences seraient aggravées lorsqu’elles sont infligées par le conjoint ou par le concubin de la victime.
La loi du 4 avril 2006, votée sur l’initiative de nos collègues Roland Courteau et Nicole Borvo Cohen-Seat, a renforcé la prévention et la répression des violences au sein du couple ou celles commises contre les mineurs. Cette loi reconnaît explicitement la notion de viol et d’agression sexuelle au sein du couple, ainsi que celle du vol entre époux lorsque celui-ci porte sur des documents indispensables à la vie quotidienne de la victime.
Cette loi du 4 avril 2006 a en outre élargi la circonstance aggravante que j’ai mentionnée aux partenaires liés à la victime par un PACS, ainsi qu’aux anciens conjoints, anciens concubins et anciens partenaires liés à la victime par un PACS lorsque les violences ont été infligées en raison des relations qui ont existé entre l’auteur des faits et cette dernière.
Enfin, la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a prévu que les personnes reconnues coupables de violences conjugales pouvaient être également condamnées à un suivi socio-judiciaire.
Néanmoins, en dépit des progrès notables que ces lois ont permis, de réelles difficultés subsistent, comme le révèlent les chiffres constatés par les services de police et de gendarmerie, qui paraissent toutefois bien en deçà des violences conjugales réellement subies. En effet, selon les estimations réalisées par l’Observatoire national de la délinquance, le nombre de plaintes déposées par les victimes de violences conjugales représenterait moins de 9 % des violences conjugales réellement subies.
En outre, le nombre d’homicides au sein du couple constatés n’inclut pas les suicides consécutifs aux violences physiques ou psychologiques infligées par un conjoint.
Selon les termes employés par notre collègue Roland Courteau, la proposition de loi qui nous est soumise vise à « aborder une nouvelle étape » dans la prévention et la répression des violences commises au sein du couple.
Pour répondre à cet objectif, ce texte précise d’abord que les violences peuvent être « physiques ou psychologiques ».
S’agissant des auteurs de ces violences, il prévoit de les punir plus sévèrement lorsqu’elles sont commises de façon habituelle, rappelle que les personnes condamnées dans ces conditions peuvent également se voir imposer un suivi socio-judiciaire et permet au juge aux affaires familiales d’évincer du domicile commun le concubin ou le partenaire pacsé auteur des violences.
Ce texte vise également à permettre aux victimes d’accéder à l’aide juridictionnelle sans condition de ressources.
Pour ce qui est de la mise en œuvre de ces dispositions, la proposition de loi prévoit, dans le cadre des mesures de sensibilisation du public à la problématique des violences au sein du couple, d’une part, de rendre obligatoire la tenue mensuelle d’une information sur le respect mutuel et l’égalité entre les sexes dans les établissements scolaires, d’autre part, d’instituer une journée nationale de sensibilisation à ce type de violences.
Elle prévoit aussi la mise en place d’une formation initiale et continue, propre à permettre aux professions concernées par la problématique des violences commises au sein du couple d’assister les victimes de ces violences et de prendre les mesures nécessaires de prévention et de protection qu’elles appellent.
Enfin, elle gage les éventuelles conséquences financières résultant pour l’État de son application par la création d’une taxe additionnelle sur les tabacs.
Les préoccupations exprimées par les auteurs de cette proposition de loi sont pleinement partagées par les députés. Le 2 décembre 2008, ces derniers ont créé au sein de leur assemblée une mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, laquelle s’est donnée pour tâche d’évaluer l’ensemble des violences infligées aux femmes au sein du foyer, mais aussi dans l’espace public et sur les lieux de travail, ainsi que d’apprécier la réponse qui leur était apportée. Les violences conjugales ont, naturellement, constitué un de ses axes de réflexion.
À l’issue de ses travaux, cette mission a formulé dans son rapport d’information, publié en juillet 2009, soixante-cinq propositions, dont une partie a été transposée dans une proposition de loi cosignée par Danielle Bousquet, Guy Geoffroy et plusieurs de leurs collègues députés.
Cette proposition de loi, composée de vingt et un articles, recoupe en partie les principaux thèmes abordés par la proposition de loi de notre collègue Roland Courteau. Ainsi, son article 17 prévoit de créer un délit de violences psychologiques au sein du couple. Son article 9 tend à étendre aux partenaires liés par un PACS et aux concubins les dispositions relatives à l’éviction du conjoint violent du domicile commun. Quant à son article 11, il aborde la question de la formation des professions appelées à connaître de faits de violences conjugales.
La proposition de loi des députés comporte également un certain nombre de dispositions complémentaires, comme la mise en place d’une ordonnance de protection des victimes, une protection accrue des personnes étrangères victimes de violences conjugales ou encore la reconnaissance de la notion de mariage forcé.
C’est pourquoi la commission des lois estime souhaitable, avant de se prononcer sur le fond, d’étudier ces deux propositions de loi concomitamment afin de parvenir à l’établissement d’un texte unique.
Cet avis est évidemment renforcé par le fait que la proposition de loi des députés a été adoptée hier en commission et sera examinée par l’Assemblée nationale en séance publique le 25 février.
Je vous propose en conséquence, mes chers collègues, de ne pas établir de texte à ce stade et d’adopter une motion tendant au renvoi en commission de la présente proposition de loi, en attendant la transmission par l’Assemblée nationale de la proposition de loi de Mme Bousquet et M. Geoffroy.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’abord de remercier M. Courteau, auteur de la présente proposition de loi, et M. Pillet, rapporteur, du travail remarquable qu’ils ont accompli sur un sujet qui me tient très à cœur.
Adapter notre arsenal juridique à une délinquance pendant trop longtemps renvoyée à la sphère privée, voire niée, relève en effet de notre responsabilité partagée.
Les violences commises au sein du couple – qui ne sont pas une fatalité, comme en témoignent les résultats obtenus grâce aux efforts déjà accomplis pour lutter contre ces actes dramatiques – doivent être mieux connues pour être encore mieux combattues.
La proposition de loi soumise à votre examen, dont je salue la qualité, procède ainsi à la fois d’une approche informative en direction du public, répressive à l’encontre des auteurs et protectrice au bénéfice des victimes.
Cependant, comme l’a à juste titre souligné M. le rapporteur, un autre texte portant sur le même sujet, la proposition de loi de Mme Bousquet et de M. Geoffroy renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes, est actuellement en cours d’examen à l’Assemblée nationale.
Comme vous le savez, à la suite du long débat qui s’est tenu hier après-midi au sein de la commission chargée de l’étudier – débat au début duquel Mme le garde des sceaux s’est exprimée –, ce texte a été approuvé par tous les groupes, des amendements émanant tant de la majorité que de l’opposition ayant d’ailleurs été adoptés.
Ainsi élaboré conjointement par tous les groupes parlementaires, mais aussi enrichi par des propositions du Gouvernement, il sera examiné en séance à l’Assemblée nationale le 25 février et donc transmis dès la fin du mois de février au Sénat, qui pourra donc débattre à brève échéance des améliorations encore nécessaires en matière de lutte contre les violences au sein des couples.
Eu égard à la gravité du sujet et à la nécessité d’assurer la cohérence du travail parlementaire mené par le Sénat et l’Assemblée nationale, le Gouvernement soutient la position que vient de défendre de façon convaincante M. le rapporteur, à savoir l’adoption d’une motion tendant au renvoi en commission de la présente proposition de loi, étant entendu qu’il ne s’agit ni d’une mesure dilatoire ni d’un refus d’aborder le débat.
Ce renvoi permettra de traiter ce sujet important dans le cadre d’un débat unique, afin non seulement d’éviter les incohérences entre les deux textes, mais aussi de fédérer les idées et les mesures qui vont dans le sens de la protection des victimes de violences. Il s’agit donc évidemment non pas de s’opposer à un texte dont tout le monde souligne d’ailleurs la qualité, mais de coordonner le travail parlementaire en vue de parvenir à texte unique sur un même thème.
Il n’en reste pas moins que débattre comme nous le faisons en ce moment des violences commises au sein de la sphère familiale est fort utile tant l’ampleur de cette forme de délinquance reste difficile à apprécier, ce qui rend d’autant plus fondés les efforts réalisés par l’ensemble des institutions et pouvoirs publics depuis plusieurs années. Il faut en effet mieux connaître et identifier ce fléau, les chiffres officiels ne permettant pas d’avoir une connaissance précise et affinée des violences commises au sein du couple.
La délégation aux victimes du ministère de l’intérieur a ainsi recensé pour l’année 2008 un total de 184 personnes décédées, dont 156 femmes, tombées sous les coups d’un conjoint ou d’un concubin. Mais combien de victimes de ces violences ont-elles mis fin à leur calvaire physique et psychique en se donnant la mort ? Ce chiffre reste inconnu alors même que les enquêtes de victimisation ont été multipliées depuis l’an 2000.
De même, les parquets français ont, en 2008, enregistré 59 427 nouvelles affaires de violences conjugales, contre 42 574 en 2005. Cette augmentation résulte-t-elle de la hausse – souhaitable – du nombre des plaintes liée à une plus forte sensibilisation à la question ou d’une dégradation des comportements au sein de notre société ? On ne le sait, mais force est de constater le phénomène.
Sur la même période, le nombre des condamnations prononcées de ce chef est passé de10 684 à 16 773. Mais personne, là encore, ne peut aujourd’hui affirmer connaître l’exacte ampleur du fléau tant la loi du silence reste trop souvent la norme chez les victimes, par peur des représailles, par « honte » – terme souvent employé par les victimes – ou par ignorance de leurs droits.
L’Observatoire national de la délinquance, je le rappelle, estime que les plaintes déposées par les victimes ne représenteraient que 9 % des violences conjugales réellement subies dès lors que la victime vit avec l’auteur au moment des faits.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous comprendrez que le chemin qui nous reste à parcourir est encore long. Il faut que nous allions vers une meilleure connaissance du phénomène, un renforcement dans l’accompagnement de la victime et une répression accrue des auteurs de ces violences, qui touchent tous les milieux sociaux, sans exception.
Il importe donc que les pouvoirs publics poursuivent leur lutte contre ce fléau. La répression plus sévère des violences dès lors qu’elles sont commises par un conjoint ou un concubin, inscrite dans le nouveau code pénal en 1994, avait montré leur attachement à combattre plus fermement les violences commises au sein du couple.
La loi du 26 mai 2004 relative au divorce, la loi du 12 novembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, à l’origine de laquelle se trouvait déjà le sénateur Roland Courteau, la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance et, enfin, la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs ont, depuis, créé une dynamique salutaire.
D’abord, ce sujet douloureux n’est plus tabou : on en parle de plus en plus librement. Il fait aujourd’hui l’objet de débats, de campagnes de sensibilisation – et je puis témoigner que les collectivités territoriales s’y impliquent –, notamment au travers d’affiches, mais aussi dans les médias, lesquels ont d’ailleurs pris conscience du problème et se sont eux-mêmes engagés dans des démarches de sensibilisation, en particulier par le biais de films de courte durée diffusés à la télévision et qui ont eu un impact indiscutable.
Ensuite, le dispositif législatif existant est d’ores et déjà parvenu à atteindre un double objectif : la protection de la victime, souvent par l’éviction de l’auteur des violences du domicile familial, mais également une répression pénale accrue tant dans la sanction que dans le traitement thérapeutique imposé à l’auteur de violences.
Le ministère de la justice participe évidemment à cet effort en sensibilisant les parquets à cette question érigée pour cette année 2010 en « Grande cause nationale ». J’en veux pour preuve – et ce ne sont que des exemples parmi d’autres – la diffusion d’un guide de l’action publique consacré à la lutte contre les violences au sein du couple ou le lancement d’une expérimentation en Seine-Saint-Denis reposant sur l’attribution d’un téléphone portable d’alerte aux victimes de violences.
Vous le savez, beaucoup d’autres initiatives ont été prises, à tous les niveaux, et les magistrats comme les enquêteurs peuvent s’appuyer sur un corps législatif très sensibilisé et qui est à la pointe de la lutte contre les violences au sein de la sphère familiale.
Néanmoins, cette lutte ne peut souffrir aucun répit et, nous en convenons tous, beaucoup reste à faire.
Mme le garde des sceaux et moi-même avons la conviction qu’au cours des prochains débats parlementaires il nous faudra nous montrer attentifs sur plusieurs aspects afin de renforcer le dispositif existant. Je pense notamment à l’amélioration du délai de réponse de la justice en matière d’éviction de l’auteur du domicile familial ou d’attribution de l’aide juridictionnelle à la victime, sujet évoqué par l’auteur de la proposition de loi, ainsi qu’au renforcement des mesures d’accompagnement pour les enfants, témoins douloureux et impuissants des violences subies par l’un de leurs parents.
Mesdames, messieurs les sénateurs, beaucoup a déjà été fait, mais beaucoup reste à faire pour lutter efficacement contre les violences au sein du couple, notamment au préjudice des femmes. La présente proposition de loi comme celle qui sera défendue devant l’Assemblée nationale, puis devant le Sénat, réaffirment l’une et l’autre un objectif que nous partageons tous : garantir la protection de chacun, mais surtout des plus faibles, en toutes circonstances, y compris au sein de la sphère familiale. C’est notre devoir, c’est notre responsabilité vis-à-vis de nos concitoyens.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et du RDSE. – Mme Muguette Dini applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la violence au sein des couples, sujet resté trop longtemps dans l’ombre, est une nouvelle fois aujourd’hui mis en lumière avec cette proposition de loi de notre collègue Roland Courteau.
Cependant, la lumière reste insuffisante au regard de la situation d’urgence dans laquelle se trouvent les victimes, très majoritairement des femmes.
Inacceptables, ces violences ont des conséquences dramatiques pour les femmes et leurs enfants, témoins « privilégiés », si l’on ose dire, et victimes collatérales de ces violences perpétrées au sein des couples dans le huis clos de la sphère privée.
Selon une enquête de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales portant sur les années 2007 et 2008, on estime à 418 000, dont 310 000 femmes, le nombre de personnes de dix-huit à soixante-quinze ans victimes de violences physiques ou sexuelles et dont l’auteur principal est le conjoint.
L’enquête souligne également « l’augmentation significative des violences physiques ou sexuelles commises par un autre membre de la famille, en dehors du conjoint, mais vivant sous le même toit. ». Pour les mêmes années, cela concerne 250 000 femmes de dix-huit à soixante-quinze ans.
Aujourd’hui, de tels chiffres sont inadmissibles et l’un des éléments majeurs de la lutte contre les violences au sein des couples reste la répression de leurs auteurs, qui ne doivent plus bénéficier de l’ombre tenace dans laquelle ils continuent de se dissimuler. La répression fait, en ce sens, partie intégrante de la prévention, car elle indique clairement le refus de ces violences par la société et envoie un signe fort à l’ensemble de nos concitoyens.
Dévalorisées, humiliées, isolées, vivant dans la peur et sous la tyrannie de leur conjoint, les femmes victimes de violences ne sont pourtant que 10% à oser porter plainte. Ce chiffre illustre bien la difficulté pour ces femmes d’engager des procédures contre leur conjoint. Il montre aussi que les mesures de protection et d’écoute des victimes méritent encore d’être améliorées dans notre pays.
Si de réelles avancées ont été accomplies ces dernières années, telles la prise en compte des violences et l’inscription dans la loi du viol entre époux, notre pays doit avancer d’un pas plus déterminé dans la prévention et la lutte contre ce fléau, notamment par une formation adaptée et des moyens substantiels pour l’ensemble des professionnels et des services en contact avec les victimes.
À cet égard, l’Espagne a franchi un cap décisif avec sa loi-cadre et son « ordonnance de protection », qui comportent un arsenal de mesures visant à protéger les femmes et les enfants. Je vous rappelle, mes chers collègues, que le groupe CRC-SPG a déposé, le 25 novembre 2007, une proposition de loi n° 138 qui va précisément dans ce sens.
Cette proposition était issue des travaux de nombreuses associations féministes regroupées au sein du collectif national pour les droits des femmes. Celui-ci a été à l’origine des 16 000 pétitions déposées à l’Assemblée nationale en 2008 et qui ont conduit à la création d’une commission spéciale et à la proposition de loi qui sera examinée à l’Assemblée nationale le 25 février prochain.
Ainsi, même si de nombreux textes existent déjà dans notre législation, il faut envisager toutes les améliorations possibles pour compléter et perfectionner notre dispositif afin d’y intégrer l’ensemble des mesures nécessaires à une politique audacieuse de lutte contre les violences au sein des couples.
Dans cette optique, la prévention des violences doit prendre toute sa part, car, sans une prévention efficace et pertinente, c’est la place des femmes dans notre société qui est menacée, c’est l’égalité qui est mise en cause !
Relevant d’un véritable phénomène de société, les comportements violents des hommes envers les femmes sont des actes individuels inscrits dans des rapports de domination masculine encore trop tolérés par notre société.
Outre « l’extension de la compétence du juge aux affaires familiales aux situations de concubinage et de PACS » et les mesures de « formation de tous les acteurs en contact avec les victimes » proposées par le texte de notre collègue Roland Courteau, la sensibilisation aux violences appelle d’autres mesures.
De fortes résistances au changement persistent dans l’ensemble de notre société. Ces résistances sont fondées sur les discriminations liées au genre, car, si les femmes subissent des violences, c’est d’abord parce qu’elles sont des femmes !
C’est donc à un dispositif global de prévention que nous nous devons de réfléchir, afin de faire disparaître les comportements machistes qui conduisent à ces violences.
La sensibilisation et la formation dans la sphère éducative, que prévoit la proposition de loi déposée par mon groupe et que nous voulons introduire dans le présent texte, constituent un enjeu essentiel dans la lutte contre les violences.
La prévention par l’éducation doit être prise en compte dès le plus jeune âge pour modifier les comportements sociaux, afin que petites filles et petits garçons soient sensibilisés aux valeurs de respect mutuel et d’égalité entre les deux sexes.
La lutte contre les violences faites aux femmes comme aux hommes commence par une véritable révolution éducative !
La lutte contre les violences au sein du couple suppose aussi que l’accent soit mis sur le changement des modèles familiaux de notre société et qu’on prenne en compte son évolution dans ce domaine.
Devant l’ampleur des violences, les traumatismes pour les victimes, les enfants, le coût social pour la société, rien ne doit rester dans l’ombre !
Nous l’avons constaté, la cellule familiale est le premier terrain de violence, et le phénomène des « mariages forcés » concerne de plus en plus de jeunes filles, qui se retrouvent généralement dans des situations dramatiques.
Si la proposition de loi du 27 novembre 2009 crée une « ordonnance de protection » pour les victimes de mariage forcé, les jeunes femmes concernées sont confrontées au chantage familial. Faut-il rappeler qu’une femme en danger de mariage forcé est souvent une femme en danger de viol ?
Faut-il rappeler aussi que la lutte contre les mariages forcés est tombée dans le champ du ministère de l’intégration, au détriment de la protection de l’enfance et de la législation contre les violences faites aux femmes ?
Vous le voyez, mes chers collègues, le champ d’action d’une loi contre les violences au sein du couple est vaste, complexe et mérite toute notre attention.
Il ne suffit pas, monsieur le secrétaire d'État, de déclarer l’année 2010 « année de lutte contre les violences faites aux femmes » à grands coups de communication, ou d’envisager le problème d’une façon plus sécuritaire.
Il faut dégager d’importants moyens humains et financiers afin de prévenir, sanctionner et éradiquer ces violences !
Au-delà de principes simples d’éducation non sexiste, cette proposition de loi aborde la question de l’aide aux victimes, notamment l’aide juridictionnelle.
La complexité des situations des victimes de violences implique une aide dans tous les domaines : économique, social, juridique et psychologique.
Trop souvent, les femmes ayant franchi le pas du dépôt de plainte sont confrontées à une procédure pénale vécue comme un processus long et abscons, intrusif et traumatisant. Il s’agit donc d’aider et de soutenir les victimes pour faire en sorte qu’elles ne risquent pas de sortir de leur expérience de la justice encore plus détruites qu’elles ne l’étaient auparavant.
Ainsi, les violences au sein du couple sont un fléau qui nous concerne tous, aux conséquences humaines, économiques et sociales incalculables. La proposition de loi que nous examinons comme la proposition de loi-cadre déposée antérieurement par mon groupe affirment que ces violences ne relèvent pas seulement du domaine privé, mais concernent bien l’ensemble de notre société.
C’est pourquoi, avec mon groupe, nous reconnaissons la nécessité d’une loi qui tienne compte de tous les aspects de cette question.
Même si tout ne se règle pas par la loi, la proposition du groupe socialiste défendue par notre collègue Roland Courteau, avec ses volets « sanction », « prévention » et « aide aux victimes », complète à propos les mesures déjà existantes. Elle constitue un point d’appui essentiel pour l’ensemble des victimes et un signe fort envoyé à ceux qui perpétuent cette violence intrafamiliale.
C’est pourquoi, devant l’urgence qu’il y a à se mobiliser pour que les violences au sein du couple soient prises en considération dans leur globalité, nous voterons cette proposition de loi. §
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, très longtemps, trop longtemps ignorées par notre société, les violences conjugales sont aujourd’hui reconnues au prix d’un long combat, combat mené d’abord par les femmes elles-mêmes.
Les violences au sein des couples sont réprimées pénalement depuis 1994, plus largement et plus sévèrement depuis la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises sur mineurs, adoptée sur l’initiative de nos collègues Roland Courteau et Nicole Borvo-Cohen-Seat.
Avec le présent texte, M. Roland Courteau et ses collègues du groupe socialiste nous proposent de légiférer de nouveau sur ces questions graves.
Je vous rejoins, monsieur Courteau, sur la nécessité d’améliorer le droit existant. J’ai été confortée dans cette certitude en prenant connaissance d’une analyse sociologique et juridique des arrêts de deux cours d’appel de votre région, celles de Montpellier et de Nîmes.
Au cours des années 2005 et 2006 et du premier trimestre 2007, ces juridictions ont statué sur 97 affaires de violences conjugales. L’étude de ces décisions nous donne des éléments d’information concernant les prévenus, les victimes et le contexte des violences intrafamiliales. Elle nous renseigne aussi sur la qualification des faits retenus par les juges d’appel et sur leur sanction. Surtout, elle met en relief certains points sur lesquels notre législation doit absolument évoluer.
Voici, brossées très rapidement, les informations pertinentes qui ressortent de cette jurisprudence pénale.
La grande majorité des prévenus a entre trente ans et cinquante ans.
On trouve des maris ou concubins violents dans toutes les catégories socioprofessionnelles. Ainsi, dans les arrêts étudiés, ces derniers exercent des professions très diverses : militaire, ouvrier, œnologue, chef d’entreprise, agriculteur, sous-brigadier de police, routier, masseur-kinésithérapeute, gynécologue, plombier ou maçon.
Il convient toutefois de noter que 28 % de ces prévenus sont sans emploi et que 11% de ceux qui ont été jugés par la cour d’appel de Nîmes étaient des retraités.
Moins d’une victime sur deux se constitue partie civile. Dans 12, 5% des cas, la victime a refusé de déposer plainte ou a souhaité la retirer au cours de la procédure. La cour d’appel de Montpellier a d’ailleurs eu l’occasion de rappeler que la plainte de la victime n’était pas une condition préalable à la poursuite du chef des violences volontaires. Peut-être faudrait-il que la loi soit plus précise sur ce point.
Il ressort également des arrêts étudiés que, dans 27% des cas à Montpellier et 11% des affaires à Nîmes, le conjoint violent déclare qu’il était sous l’influence de l’alcool au moment des faits.
Dans de très nombreux cas, les violences ont eu lieu dans le cadre de la séparation ou du divorce du couple.
Dans plus de la moitié des affaires, la victime a déclaré que ce n’était pas la première fois qu’elle recevait des coups de son mari ou concubin, certaines subissant cette violence depuis de très nombreuses années. La loi du 4 avril 2006 ne retient pas le caractère habituel des violences comme une circonstance aggravante de l’infraction. Nous devons aussi changer cela !
Concernant la qualification des faits relevant des violences conjugales, c’est d’abord celle des coups et blessures volontaires que retiennent nos cours d’appel. En l’espèce, la peine encourue dépend de la durée de l’incapacité totale de travail, ou ITT, qui a pu, ou non, en résulter.
On constate que les violences physiques infligées dans le cadre conjugal entraînent dans la majorité des cas une incapacité totale de travail. La durée de cette ITT ne pose alors aucune difficulté du point de vue de la qualification puisque cette dernière est établie médicalement. Les services de police ou de gendarmerie ne manquent jamais de demander un certificat médical à la victime qui se présente pour déposer plainte. Toutefois, si l’ITT est de quelques jours, ce document n’est pas un élément de preuve suffisant. En effet, le prévenu peut être relaxé en dépit de l’existence d’un certificat médical. Notre droit devrait aussi évoluer sur ce point.
L’autre qualification retenue par les cours d’appel étudiées est celle des agressions sexuelles. Il s’agit d’une avancée indéniable de notre législation, amorcée par la jurisprudence, qui avait déjà admis avant 2006 le viol entre époux. Il reste que la victime sera confrontée au problème de la preuve, qui ne se posera pas dans des termes fondamentalement différents selon que l’agression sexuelle a été commise dans un cadre conjugal ou hors de celui-ci.
Dans l’échantillon d’arrêts étudiés, trois prévenus ont été poursuivis pour coups et blessures volontaires et pour agression sexuelle, dont un seul après l’adoption de la loi du 4 avril 2006. Cependant, pour cette seconde infraction, a été retenu comme circonstance aggravante uniquement le fait que la violence avait entraîné une blessure ou une lésion. La loi n’a en effet pas prévu, pour cette infraction, d’aggravation supplémentaire de la peine en cas de cumul de circonstances aggravantes. La cour a jugé que l’acte de violence sexuelle subi par la victime et reconnu par le prévenu a été fait en vue de blesser celle-ci et constitue donc non pas une agression sexuelle, mais un acte de violence. Là encore, nous devons revenir sur cette lacune !
Il arrive que les violences soient commises avec usage ou sous la menace d’une arme par nature ou par destination. Les juges retiennent dans ces cas, la circonstance aggravante.
Enfin, les conjointes ne sont pas les seules à subir des violences. Les violences contre les femmes constituent une violence indirecte pour les enfants, qui sont alors en situation de danger psychique. Ces violences devraient être signalées aux autorités administratives ou judiciaires, comme le prescrit l’article 434-3 du code pénal.
Des prévenus s’en prennent également verbalement ou physiquement à leurs enfants. Deux prévenus à Montpellier et trois à Nîmes ont en effet été condamnés pour violences sur mineur de quinze ans par ascendant.
Je conclurai cet exposé en évoquant les peines prononcées.
Sur 89 condamnations, les deux cours d’appel ont prononcé 80 peines d’emprisonnement. Les juges montrent une préférence indéniable pour la peine d’emprisonnement avec sursis simple, puisque celle-ci sanctionne 35 % des prévenus. La peine d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve est également souvent prononcée.
Quant à l’obligation de soins, elle s’impose largement puisqu’elle concerne 83 % des prévenus condamnés à la mise à l’épreuve. En revanche, l’obligation d’indemniser la victime et celle de ne pas entrer en contact avec la victime sont plus rarement prononcées.
Ces arrêts nous montrent que la répression pénale de ces violences est bien réelle. Toutefois, il paraît important que, en amont de la sanction pénale, les victimes puissent vivre en sécurité, ce qui implique un éloignement du mari ou du concubin violent. Nous en avons pris conscience puisque, depuis la loi du 26 mai 2004 relative au divorce, l’article 220-1, alinéa 3, du code civil permet au juge aux affaires familiales, avant toute procédure de divorce, d’attribuer la jouissance du logement familial au conjoint victime de violences, ce qui revient à prononcer une véritable expulsion à l’encontre de l’époux violent.
Il convient toutefois d’aller plus loin, car cette disposition n’est pas applicable en cas de concubinage. Il faudrait permettre à la victime, parallèlement au dépôt de sa plainte, d’obtenir une mesure d’éloignement de son agresseur, exécutée par les services de police, au besoin sous le contrôle du procureur de la République.
Mes chers collègues, notre dispositif législatif doit donc encore évoluer pour mieux protéger les victimes de violences conjugales. Des améliorations sont proposées dans le présent texte ; d’autres le seront dans la proposition de loi qu’examineront les députés à partir du 25 février prochain.
Les sénateurs du groupe Union centriste approuvent la démarche du rapporteur tendant au renvoi à la commission de cette proposition de loi, afin de joindre ultérieurement son examen à celui du texte des députés. §
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le domicile est un espace plus dangereux pour les femmes que l’espace public, et les hommes qu’elles connaissent sont plus dangereux pour elles que les inconnus.
Ces phrases ne sont pas tirées des gros titres de la presse à sensation. Il s’agit malheureusement de la réalité : une réalité triste, insoutenable et intolérable ! Telle est la routine quotidienne, révélée par de nombreuses enquêtes, notamment celle de 2000, et vécue par 10 % des femmes environ dans notre République.
En France, l’insécurité, le danger et la souffrance sont en effet le lot quotidien d’au moins une femme sur dix. Il ne s’agit pas uniquement de violences physiques, celles auxquelles on pense tout d’abord parce qu’elles sont les plus marquantes, les plus visibles, et parce qu’elles provoquent la mort d’une femme tous les deux jours et demi. Il existe bien d’autres formes de violences, beaucoup plus insidieuses, mais tout aussi destructrices, inacceptables et intolérables : ce sont les violences psychologiques, c’est-à-dire le harcèlement, la domination, la culpabilisation, la possession et l’humiliation, qui peuvent aussi mener à la mort – même s’il est parfois difficile d’en établir la preuve – puisqu’elles conduisent à la dépression et au suicide.
Une femme sur dix : cela signifie que je connais certaines de ces femmes, que j’en côtoie régulièrement dans l’exercice de mes fonctions d’élue locale ; cela signifie aussi que chacun et chacune d’entre nous en connaît, même si nous ne les avons pas forcément reconnues. Il n’est pas aisé, en effet, de recueillir leurs confidences. Il faut avoir les oreilles et les yeux grands ouverts pour reconnaître ces femmes, parce qu’elles se cachent, qu’elles ont honte, que la culpabilité est inversée, et sans doute aussi parce que nous sommes quelque peu démunis.
Que dire, que faire face à ces drames cachés, « culpabilisés », qui se déroulent au sein d’un domicile devenu prison, huis clos ? N’avons-nous pas un devoir d’ingérence ? C’est une question que je me suis souvent posée. Un devoir d’ingérence, certes, mais pour quoi faire, et comment ?
Les femmes victimes de ces violences sont de tous âges et appartiennent à toutes les catégories sociales ou professionnelles. L’auteur des faits est souvent leur mari ou compagnon, leur ex-mari ou ex-compagnon, mais ce n’est pas toujours le cas. Ce peut être aussi un fils, un gendre, un père, un beau-père, voire un cousin ou un neveu.
Et puis, les femmes ne sont pas les seules victimes de ces violences. Les hommes aussi peuvent être touchés. Une compagne – parce qu’elle a été victime, mais pas uniquement dans ce cas –, un compagnon ou un fils peut se retourner contre un homme. Il convient de poser le regard sur ces hommes qui souffrent et de les écouter. Mais pour dire quoi, et pour faire quoi ? Comment les aider à sortir de leur silence, alors que leur sentiment de honte est sans doute plus important encore que celui des femmes ?
La question du devoir d’ingérence se pose avec encore plus d’acuité pour les enfants, car ils grandissent dans deux univers totalement différents, où les valeurs sont inversées : ce qui est autorisé dans l’un est interdit dans l’autre. Leur père et leur mère, qui sont leurs modèles et qu’ils aiment tous les deux, leur donnent le spectacle de la violence, de l’humiliation, de l’acceptation de l’inacceptable. Or ce modèle, le premier qu’ils connaissent, est totalement battu en brèche par ce qu’ils apprennent à l’école, par les valeurs de la République, par la loi sociale, par le milieu scolaire et, plus tard, par la vie professionnelle. Comment ces enfants peuvent-ils se construire correctement ? N’avons-nous pas, en l’occurrence, un réel devoir d’ingérence ?
Nous devons prendre en charge ces hommes et ces femmes. C’est un constat ! Et nous devons le faire sans démagogie ni populisme, sans complaisance ni esprit de polémique. Aucun partenaire – élus, professionnels, bénévoles, associatifs – ne doit être écarté du combat commun contre ce fléau totalement inadmissible. Nous devons tous avancer ensemble !
La dernière enquête sur ce sujet a été réalisée en 2000. Nous avons besoin aujourd’hui d’une nouvelle enquête pour apprécier, dix ans après, l’évolution de la situation. Un rapport devrait être remis au Parlement au moins tous les deux ans, afin de permettre aux parlementaires d’évaluer les progrès, les dysfonctionnements, les faiblesses et les points positifs, pour mettre en commun les expériences, pour avancer. Ainsi pourrons-nous, dans l’urgence et à court, moyen et long termes, tout faire pour garantir la sécurité des victimes et les mettre à l’abri, mais aussi pour prendre en charge les auteurs de violences et les mettre hors d’état de nuire. Il faut en effet permettre à des personnalités de se reconstruire, éviter la réitération des faits et redonner des repères solides aux enfants pour qu’ils puissent se construire correctement.
Nous n’avons pas le droit, en France, pays de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, d’en rester au mode déclamatoire : nous devons prendre des mesures concrètes.
En conclusion, je forme le vœu solennel que le renvoi du texte à la commission, vers lequel nous nous dirigeons, ne soit pas un renvoi ad vitam aeternam vers un futur lointain et vague, qui sonnerait comme un glas, un adieu, un abandon. Je souhaite qu’il soit l’occasion d’un rassemblement véritable de l’Assemblée nationale et du Sénat, de la majorité et de l’opposition, des hommes et des femmes, l’occasion d’une concertation entre tous les acteurs impliqués dans la lutte contre ce fléau. La lutte contre les violences faites aux femmes a été déclarée « Grande cause nationale 2010 » par le Premier ministre. Ce combat, qui fait l’unanimité au sein de cet hémicycle, doit se traduire dans les faits : ne passons pas à côté, car il y va de notre responsabilité !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’Union centriste.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce n’est pas la première fois que nous abordons le sujet dramatique des violences au sein des couples, en particulier celles qui sont faites aux femmes. De nombreux textes ayant pour objet la prévention et la lutte contre ce fléau social existent déjà dans le droit français.
Pourtant, force est de constater que de grands progrès restent à faire dans notre pays en matière de prévention. Les études menées ne laissent pas franchement place à l’optimisme. Voilà dix ans, déjà, selon l’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, 10 % des femmes étaient victimes de violences physiques, sexuelles ou psychologiques au sein de leur couple, soit près de 1, 3 million de femmes de tous âges et de toutes situations matrimoniales.
En 2008, 157 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint dans notre pays, ce qui représente un décès tous les deux ou trois jours. Ces chiffres, qui sont insoutenables, ne dévoilent malheureusement que la partie visible de l’iceberg des violences subies par les femmes du fait de leur sexe.
L’acquisition de données précises relève d’un exercice très complexe. Ces violences ont en effet lieu à huis clos, au cœur du foyer familial. Le plus souvent, elles ne font malheureusement pas l’objet de plaintes auprès des services de police ou de gendarmerie. Elles sont protéiformes et touchent les femmes dans leur intégrité physique et dans leur liberté, y compris financière.
Moins de 9 % des femmes victimes de violences conjugales porteraient plainte, ce qui représente un quart de l’ensemble des faits de violences volontaires. Ces actes restent donc un sujet tabou et indigne, d’une ampleur considérable.
L’Observatoire national de la délinquance a mené, en 2007 et en 2008, deux enquêtes sur les victimes, qui nous donnent davantage de précisions : 4, 9 % des femmes et 4, 7 % des hommes de dix-huit à soixante ans déclarent avoir subi au moins un acte de violence physique sur cette période de deux ans. Mais la nature et la répercussion de ces actes sont différentes. Parmi les 870 000 femmes victimes de violences physiques, 60 % les subissent dans le cadre de leur foyer, tandis que 66 % des hommes victimes de telles violences les ont subies en dehors de leur foyer. Il y a donc bien une spécificité de la violence au sein des couples ; elle est transversale, repose sur les rapports de pouvoir et sur les rapports sociaux relatifs au genre.
Pour autant, nous ne devons pas passer sous silence d’autres formes de violences à l’égard des femmes : les violences dans l’espace public, les violences au travail et les violences coutumières. Je pense notamment au mariage forcé et aux mutilations sexuelles.
Notre devoir d’élus de la République est d’aider et de protéger ces femmes, ainsi que leurs enfants, qui sont à la fois les premiers témoins et les victimes, directes ou indirectes, de ces violences.
Nous avons la responsabilité d’améliorer, encore et toujours, l’arsenal juridique existant afin d’accroître la réactivité et de renforcer l’efficacité non seulement des dispositifs d’accueil, de soin, d’hébergement et de réinsertion sociale destinés aux victimes, mais aussi des systèmes de prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique des auteurs de violences. L’un ne va pas sans l’autre : il faut garantir à la fois l’éviction du conjoint violent et la protection de la victime, l’accès de cette dernière à la justice, son droit à une aide financière immédiate ou encore à un logement. Il y va du respect de notre pacte républicain, qui repose notamment sur le principe de l’égalité des droits entre tous les citoyens, quel que soit leur sexe. La société tout entière en ressortira grandie.
La proposition de loi soumise à notre examen va dans ce sens. Son auteur, notre collègue Roland Courteau, est à l’origine de l’adoption, en 2006, de la loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs. Je tiens à saluer ici son engagement, efficace et persévérant, au service de la défense du droit des femmes.
Le travail accompli ces dernières années a permis de révéler l’ampleur de ce fléau social. Un rapport du Gouvernement relatif à la politique nationale de lutte contre les violences au sein du couple doit désormais être remis au Parlement tous les deux ans. Le premier rapport a été rendu en mars 2009, avec un an de retard. Mes collègues du groupe RDSE seront attentifs à ce que ce retard ne se répète pas.
Ce rapport révèle notamment que la mise en place, depuis 2007, d’un numéro d’appel unique – le 39 19 – et la création de référents de proximité ont porté leurs fruits. Ce satisfecit vaut aussi pour le travail de fourmi réalisé par les associations d’aide aux victimes ou par les réseaux, tels que les centres d’information sur les droits des femmes ou la Fédération nationale solidarité femmes. Je pourrais également citer les efforts entrepris au sein des hôpitaux, des tribunaux, des commissariats et des gendarmeries, efforts qui contribuent à identifier des violences qui ne l’étaient pas auparavant.
Ce rapport insiste, par exemple, sur la nécessaire implication des préfets dans les commissions contre les violences faites aux femmes et sur la non moins nécessaire clarification du rôle des différents acteurs locaux, que ce soient les collectivités locales, les travailleurs sociaux, les services publics ou les associations.
Pour ce qui concerne les conditions du premier accueil, le rapport pointe du doigt l’insuffisance ou l’inadéquation de l’offre de structures d’accueil sur certains territoires et soulève le problème du financement insuffisant de ces lieux, problème d’autant plus sensible dans le contexte actuel de tension du marché du logement.
Pour sauver les victimes de ces violences, le législateur doit augmenter les moyens pour lutter contre cette plaie, que ce soit par la prévention ou par le durcissement de l’arsenal répressif.
La présente proposition de loi prévoit notamment d’aggraver les peines encourues lorsque les violences conjugales, physiques ou psychologiques sont commises de façon habituelle, d’accroître la sensibilisation du public et la formation des professionnels appelés à prendre en charge les victimes de violences conjugales. Ces éléments sont absolument fondamentaux pour améliorer le dispositif actuel.
Le premier point que je souhaite aborder concerne le volet prévention, qui doit nécessairement passer par une sensibilisation accrue et par une meilleure information, afin de toucher un plus grand nombre de nos concitoyens. Nous avons déjà pu voir, sur nos écrans de télévision ou sur des panneaux d’affichage, de poignantes campagnes de sensibilisation. Continuer dans cette voie est indispensable !
Cette proposition de loi vise à imposer une information sur le respect mutuel et sur l’égalité des sexes dans les écoles, les collèges et les lycées. Je me réjouis de cette initiative et je la soutiendrai avec d’autant plus d’ardeur que le monde de l’éducation m’est tout à fait familier.
La violence sous toutes ses formes étant déjà trop présente à l’école, il est fondamental de développer une pédagogie adaptée aux plus jeunes. Le respect d’autrui, des personnes de l’autre sexe, doit s’enseigner dès le plus jeune âge.
La campagne citoyenne de sensibilisation du plus grand nombre constitue une avancée. Elle doit être complétée de toute urgence par une formation spécifique des acteurs de terrain concernés : travailleurs sociaux, personnels médical et judiciaire chargés d’accueillir et d’accompagner les victimes pour mieux les protéger.
Le second point, essentiel, que je veux évoquer vise les violences psychologiques habituelles dans le couple, auxquelles la loi ne reconnaît pas encore un caractère pénal. Ces violences, insidieuses, sont infligées en toute impunité : insultes, humiliations, menaces, intimidations, mépris constituent autant de blessures invisibles, certes, mais toujours indélébiles, …
… dont la preuve est difficile à produire. Toutefois, en partant du constat qu’il n’existe pas de violence physique sans violence psychologique préalable, puis concomitante, comment peut-on supporter de laisser un tel crime partiellement impuni ? Dans ce domaine particulier, une condamnation, en amont, serait susceptible de sauver des vies.
Mes chers collègues, permettez-moi d’établir un parallèle avec la reconnaissance, en 2002, du délit de harcèlement moral dans la sphère professionnelle. Il est grand temps que la violence psychologique soit aussi reconnue comme un délit dans la sphère privée, là où elle prend une ampleur dramatique.
Cette avancée, attendue depuis bien longtemps, participera incontestablement de la prise de conscience collective.
L’Assemblée nationale vient d’inscrire à son ordre du jour une proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes, issue des travaux de la mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, présidée par Mme Danielle Bousquet. Je ne peux que regretter la priorité donnée à l'Assemblée nationale, car cela revient à laisser en retrait le texte qui nous est soumis aujourd’hui, dont la légitimité est pourtant assurée par la constance avec laquelle notre collègue s’investit sur ce sujet depuis de nombreuses années, et sa persévérance a déjà permis de nombreuses avancées.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
À ce stade, il serait particulièrement opportun que ces deux textes soient discutés conjointement, afin de s’enrichir mutuellement et de permettre l’adoption d’un texte unique. C’est à cette seule condition que les membres du groupe RDSE, s’en remettant à la sagesse de la commission, voteront la motion n° 1.
Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste, du groupe CRC-SPG et de l’Union centriste.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la question qui nous intéresse aujourd’hui demeure – malheureusement ! – un phénomène planétaire récurrent.
En dépit des lois que nous avons adoptées au cours des dernières années, qui visaient à étendre la protection offerte aux victimes et à renforcer la répression, il reste encore beaucoup à faire, notamment dans les domaines de la prévention et de la protection des enfants.
Ainsi que l’ont souligné de précédents intervenants, la sécurité est la première préoccupation des Français. C’est l’un des droits fondamentaux de l’homme et il conditionne tous les autres.
Comme l’a rappelé M. le rapporteur, nous avons déjà franchi quatre grandes étapes législatives avec les lois de 1994, de 2004, de 2006 et de 2007. La loi de 2006 a, je le rappelle, été adoptée à l’unanimité par le Sénat. Cela me donne l’occasion de vous rendre hommage, monsieur Courteau, puisqu’elle résultait d’une proposition de loi dont vous étiez à l’origine. Tous ces textes ont permis des avancées certes significatives, mais, malheureusement, je le répète, insuffisantes, comme le montrent les statistiques.
C’est la raison pour laquelle, après le plan global lancé en 2005, Mme Valérie Létard, alors secrétaire d’État chargée de la solidarité, a engagé un second plan triennal, pour la période de 2008 à 2010. Ce plan prévoyait la mobilisation des conseils départementaux de prévention de la délinquance, d’aide aux victimes et de lutte contre la drogue, l’agrément de cent nouvelles familles d’accueil et l’intensification de la formation à l’accueil et à l’écoute des victimes de tous les acteurs concernés, professionnels de santé et forces de police en particulier.
Lors d’un déplacement dans un commissariat de Tours, la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, alors placée sous ma présidence, avait constaté l’amélioration et l’efficacité des moyens humains et logistiques mis en place pour accueillir les victimes.
Comme l’ont rappelé certains de mes collègues, lors de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, le 25 novembre dernier, la lutte contre les violences conjugales a été déclarée « Grande cause nationale 2010 » par M. le Premier ministre. Ce label permettra chaque année à de nombreux organismes à but non lucratif, auxquels nous devons rendre hommage, de s’impliquer davantage dans ce domaine. En outre, sa diffusion par les médias facilitera la sensibilisation de tous les publics, et nous ne pouvons que nous en réjouir !
Il ne faut pas relâcher nos efforts. Selon l’Observatoire national de la délinquance, en 2008, 51 000 femmes, soit 3 % de la population, étaient victimes de violences physiques. Mais nous savons, et vous l’avez rappelé à juste titre, monsieur le secrétaire d'État, que ces chiffres, au demeurant fluctuants, ne prennent en compte que les violences déclarées.
Les violences physiques, souvent précédées de violences verbales, provoquent, chez 80 % des victimes, des syndromes post-traumatiques, notamment des troubles de nature psychique.
Ces actes gravissimes ont bien évidemment des conséquences sur le travail – absentéisme –, sur le logement, ainsi que sur la vie personnelle et familiale.
Ces conséquences, directes ou indirectes, ont un coût socio-économique et financier. En 2006, lors de la discussion de la proposition de loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, on évaluait ce coût à un milliard d’euros. Aujourd’hui, on évoque deux milliards d’euros. J’ignore si ce chiffre est exact, mais la situation est de toute façon très préoccupante.
Je suis convaincue qu’une politique volontariste conduite en amont – la prévention – et en aval – la répression –, permettrait de diminuer ce coût et d’alléger la souffrance.
Mais les femmes ne sont pas les seules victimes des violences au sein du couple. Il ne faut pas oublier le douloureux problème des enfants, témoins malgré eux.
On constate fréquemment que ces enfants, devenus adultes, reproduisent les schémas qu’ils ont connus.
Ils deviennent anxieux, agressifs ; ils ne savent répondre et s’exprimer qu’en fonction de ce qu’ils ont vu et vécu. Je considère qu’il faut développer les programmes d’éducation et de sensibilisation au respect de l’autre, car ils peuvent contribuer à casser le cycle de la violence intergénérationnelle.
Sensibiliser et informer les enfants sont des priorités si nous voulons mieux former la génération de demain. Faute d’agir aujourd’hui, la situation actuelle perdurera. L’éducation des enfants constitue donc la priorité des priorités.
Bien que je soutienne sans réserve la présente proposition de loi visant à mieux réprimer et prévenir les violences familiales, je partage le souhait du rapporteur de renvoyer ce texte à la commission.
En effet, comme l’a indiqué M. le secrétaire d’État, une proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes sera discutée à l'Assemblée nationale, en séance publique, le 25 février prochain, avant d’être transmise à la Haute-Assemblée. Cette précision devrait rassurer Mme Klès.
Cette proposition de loi, présentée par Mme Danielle Bousquet et M. Guy Geoffroy et plusieurs de leurs collègues, membres notamment du groupe UMP ou du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, est le fruit des travaux d’une mission d’information spécialement créée à cet effet. Je me réjouis, comme nombre d’entre vous sans doute, mes chers collègues, que, au-delà des clivages partisans, ce véritable fléau fasse partie de nos préoccupations communes.
Il me semble opportun de renvoyer la présente proposition de loi à la commission, afin que les apports respectifs de ces deux textes puissent être examinés en même temps, dans un souci d’efficacité.
Les objectifs de ces deux propositions de loi sont identiques, mais le dispositif juridique proposé pour les atteindre est différent. Ainsi en est-il de la création du délit de violences psychologiques, de l’extension des compétences du juge aux affaires familiales en matière de résidence séparée des personnes pacsées ou encore de la formation de tous les professionnels appelés à connaître de ces faits.
La proposition de loi des députés semble surtout aller plus loin sur certains points. Elle prévoit notamment l’instauration d’une ordonnance de protection des victimes, une protection renforcée des personnes étrangères et une lutte accrue contre les mariages forcés. Je souhaite, au nom du groupe UMP, mais aussi en ma qualité de parlementaire référent au sein du Conseil de l’Europe, que de telles dispositions soient adoptées dans la lutte contre les violences faites aux femmes.
L’urgence impose que cette proposition de loi soit examinée très rapidement par la Haute Assemblée, et nous y veillerons.
Monsieur Courteau, sauf erreur de ma part, votre proposition de loi, malgré son intitulé, ne comporte pas de mesures concrètes permettant de prendre en compte les conséquences désastreuses que les violences au sein du couple engendrent sur l’équilibre affectif, psychologique et physique des enfants. Vous les avez évoquées…
Ces incidences figuraient dans la proposition de loi que j’ai déposée en 2007 !
Je vous remercie de cette précision.
Les membres du groupe UMP seront particulièrement attentifs à ce que soient intégrées dans la future loi des dispositions d’ordre éducatif, relatives notamment à la non-violence à l’école.
Au regard des observations que je viens de formuler, vous comprendrez, mes chers collègues, que les membres du groupe UMP votent la motion tendant au renvoi à la commission de la présente proposition de loi.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, si j’ai souhaité intervenir dans la discussion générale de cette proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, c’est que, comme Mme Gisèle Gautier et d’autres sénateurs présents aujourd'hui en séance, je suis membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Cette instance a maintes fois abordé la question des violences conjugales, en lien avec le Comité des ministres. Ce sujet, grave s’il en est, relève incontestablement des compétences du Conseil de l’Europe, qui a notamment pour mission de défendre les droits de l’homme, sous toutes leurs formes, dans les quarante-sept pays membres et plus généralement sur l’ensemble du continent.
Cette question n’est pas nouvelle. Les violences ont toujours existé. Elles s’exercent depuis la nuit des temps, si je puis m’exprimer ainsi. Et comme l’ont souligné à juste titre de précédents intervenants, elles ont longtemps été taboues.
Leurs victimes les cachaient, par honte, par crainte, ou sans doute pour les deux raisons à la fois. Longtemps minimisé, ce problème n’a été véritablement pris en compte que récemment.
Aujourd’hui encore, il est difficile de mesurer l’étendue du phénomène. Bien souvent, les victimes ne portent pas plainte. Et lorsqu’elles le font, la justice se heurte au manque de preuves, car ces faits se produisent dans le milieu familial, où il est difficile d’obtenir des témoignages. Il n’est donc pas rare que la procédure n’aboutisse pas, car notre droit exige une preuve qu’il est parfois matériellement impossible d’apporter. Nous sommes en quelque sorte face à un dilemme : d’une part, nous ne pouvons nous satisfaire de cette situation et, d’autre part, nous ne pouvons pas demander à notre justice de condamner sans preuve !
Je suis donc heureux que nous puissions débattre régulièrement de ce problème grave, ô combien digne d’intérêt ! Cela nous permet de nous poser les bonnes questions, de réfléchir sur les moyens d’agir dans un domaine aussi délicat, et même choquant.
Je ne reviendrai pas sur le caractère abominable de ces violences, commises dans un milieu qui devrait, par définition, être protecteur. Je ne reviendrai pas davantage sur la souffrance des enfants. Même s’ils n’en sont pas directement l’objet, les violences auxquelles ils assistent provoquent un traumatisme dont ils souffriront leur vie entière.
Devenus adultes, il arrive que, d’une manière presque diabolique, ils reproduisent ce qu’ils ont vu et adoptent à leur tour des comportements violents. Nous devons donc chercher des solutions.
Enfin, ce phénomène, même s’il est difficile à évaluer, est à l’évidence d’une ampleur considérable. Selon un chiffre avancé à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, quelque 80 millions de femmes seraient concernées dans les quarante-sept États membres du Conseil.
Grâce à la sensibilisation de l’opinion et à différents travaux – résolutions, recommandations adressées aux États, conventions – des progrès ont été accomplis. Sur les quarante-sept parlements nationaux qui sont représentés au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, quarante ont adapté leur législation afin de mieux lutter contre ce phénomène.
En Suède, la présence d’enfants en cas de violence au sein du couple est une circonstance aggravante.
Cela me semble en effet tout à fait judicieux, monsieur Courteau.
Ce texte est utile et bienvenu, car il aiguillonne notre réflexion, toujours nécessaire, et contribue à la sensibilisation régulière de l’opinion. Toutefois, le Parlement ne peut examiner à quelques mois d’intervalle deux propositions de lois portant sur le même sujet. Il est donc cohérent de les fondre en un seul texte.
Cette matière est particulièrement difficile pour les magistrats, qui veulent être efficaces et éviter le risque d’erreurs. Le débat qui sera mené au sein de la commission des lois, sous l’égide de notre excellent rapporteur, sera profitable et fera honneur à notre pays !
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis de nombreuses années, nous assistons à une véritable prise de conscience des pouvoirs publics nationaux, européens et internationaux, de la nécessité d’élaborer une législation réprimant les violences conjugales et encadrant la protection de l’enfance.
Des avancées non négligeables ont eu lieu en France, telle la loi du 4 avril 2006, qui résulte de l’adoption de la proposition de loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, due entre autres à l’initiative de M. Roland Courteau, à qui je tiens à rendre hommage. Une autre avancée réside dans la création, en 2008, d’une mission d’évaluation de la politique de prévention contre les violences faites aux femmes, placée sous la présidence de Mme Danielle Bousquet.
Malgré ces progrès, de réelles difficultés demeurent, et il paraît donc nécessaire de poursuivre les efforts engagés dans ce domaine.
De nombreux chiffres alarmants ont déjà été cités. Je n’en ajouterai qu’un : à l'occasion de l’étude Cadre de vie et sécurité menée par l’INSEE, sur la période de 2007 à 2008, plus de 800 000 personnes âgées de 18 à 75 ans ont déclaré avoir subi des violences physiques ou sexuelles dans le cadre de leur vie familiale, dont plus de 50 % ont été commises par leurs conjoints actuels.
Comme nous le savons tous, les chiffres officiels sont bien souvent, hélas ! l’arbre qui cache la forêt. Les violences au sein du couple et de la famille sont fréquentes, complexes et, par là même, très difficiles à appréhender.
De nombreuses femmes victimes d’agressions n’osent pas porter plainte, soit par peur, soit à cause de ce que les psychiatres appellent un « processus de conditionnement » auquel elles sont soumises et qui les conduit à accepter l’intolérable.
Comme le montrent les estimations réalisées par l’Observatoire national de la délinquance, les plaintes déposées par les victimes représenteraient moins de 9 % des violences conjugales réellement subies.
À ce phénomène s’ajoute l’insuffisance des dispositifs de détection et d’accompagnement psychologiques et juridiques des victimes de violences conjugales. L’article 5 de la présente proposition de loi, qui prévoit que les victimes de violences conjugales bénéficieront de l’aide juridictionnelle sans conditions de ressources, a pour objet de remédier à cette situation.
Mes chers collègues, nous sommes confrontés à un fait social majeur, et il est indispensable d’améliorer le dispositif de lutte contre les violences au sein du couple, en poursuivant l’effort engagé en matière de prévention et de répression.
L’article 1er de cette proposition de loi vise à insérer dans le code pénal la notion de « violence psychologique ». Cette dernière est oubliée par notre législation, bien qu’elle représente les trois quarts des violences recensées en France. Elle est bien souvent le préalable aux agressions physiques, et s’accompagne d’incidences lourdes et parfois irrémédiables sur la santé physique et psychique des individus. D'ailleurs, elle frappe aussi l’entourage et affecte fortement la vie familiale, sociale, relationnelle et professionnelle.
Cette violence psychologique peut se manifester de manières très diverses : harcèlement moral, mépris, isolement, insultes, humiliations en public ou en privé. Les mots et la persécution morale sont parfois aussi meurtriers que la violence physique pure.
Même si des professionnels du droit ont émis des doutes quant à l’effectivité d’un tel délit, tant il est difficile à prouver, des psychiatres ont précisé que, à partir d’une certaine intensité, la violence psychologique était détectable et mesurable. Il est donc nécessaire de légiférer afin d’intégrer cette dimension dans notre législation.
Le présent texte permet aussi des avancées en ce qui concerne les conséquences de cette forme de violence, directe ou indirecte, sur les enfants au sein de ces couples.
Nombre de professionnels de santé, en contact avec ces enfants, sont témoins des dangers que la violence au sein du couple fait peser sur leur bien-être.
Cette violence, au-delà de ses conséquences physiques et psychiques directes, a des répercussions sur le développement de l’enfant, car elle perturbe son fonctionnement cognitif et émotionnel, ce qui se traduit par des difficultés d’intégration, par un repli sur soi ou encore par divers troubles des apprentissages.
Cette violence affecte aussi la conduite de l’enfant, qui est alors marquée par des « problèmes extériorisés », comme la banalisation des violences physiques et morales, l’adoption de comportements agressifs ou encore l’usage de la violence, mais aussi par des « problèmes intériorisés », comme la dépression ou la propension à se poser en victime.
Ces impacts sont dramatiques pour l’épanouissement et le développement de l’enfant. En outre, de telles situations ne sont pas sans répercussions dans le temps. Parvenus à l’âge adulte, ces enfants seront exposés à des difficultés accrues en termes d’intégration sociale et de stabilité psychologique, et ils reproduiront parfois des comportements violents à l’égard de leurs proches, équivalents à ceux qu’ils ont connus lorsqu’ils étaient jeunes.
L’exposition des enfants à la violence dans le couple, que celle-ci soit physique et manifeste, ou psychologique et impalpable, induit des troubles importants en matière de développement. La protection des enfants est donc une nécessité. Les articles 2 et 3 de notre proposition de loi s’inscrivent dans cette perspective.
L’article 2 vise à élargir aux pacsés et aux concubins le champ des dispositions permettant au juge aux affaires familiales d’éloigner l’auteur des violences du domicile commun. C’est une proposition de bon sens.
L’article 3, quant à lui, tend à mettre en place une séance mensuelle d’information sur le respect mutuel entre les sexes dans les écoles, les collèges et les lycées, mais aussi à instituer une journée nationale de sensibilisation aux violences au sein des couples.
L’école a en effet un rôle clé à jouer dans la prévention des violences, afin d’éviter que certains comportements ne s’ancrent chez les enfants dès leur plus jeune âge. Nous pouvons espérer qu’une meilleure sensibilisation lèvera le tabou qui existe parfois dans de telles situations, et qu’elle encouragera les enfants victimes ou témoins de tels actes à prendre conscience de la nécessité d’en parler.
Il convient de rappeler que, dans le cadre d’une grande consultation nationale menée par la Défenseure des enfants auprès des collégiens et des lycéens, les élèves eux-mêmes ont émis le souhait que des campagnes d’information et de prévention soient menées dans les écoles.
Nous ne connaissons que trop l’importance de l’éducation dans la construction intellectuelle et sociale d’un individu. Intégrer dans les cursus des faits de société, comme les violences conjugales, et le principe de l’égalité des sexes ne peut qu’entraîner des effets positifs.
L’article 4 vise le même objectif. Il tend à mettre en place des programmes de formation initiale ou continue auprès des services de médecine, de police ou de gendarmerie, ainsi que des magistrats et des travailleurs sociaux. Cette formation leur permettra d’établir plus facilement des liens entre certains signes de souffrance physique ou psychologique et les violences conjugales.
En conclusion, la présente proposition de loi est frappée au coin du bon sens, et j’espère qu’elle fera l’objet d’un consensus lors de son examen au Parlement. De nombreuses associations se battent depuis des années pour la création d’un « délit de violences psychologiques au sein du couple », ainsi que pour la mise en place de campagnes de sensibilisation et de formation à destination des enfants, des adultes et des professionnels de santé. Avec cette proposition de loi, nous leur apportons une première réponse.
Je tiens d'ailleurs à rappeler que M. Fillon est favorable à ce que le délit de violence psychologique soit intégré dans la législation française.
Il a par ailleurs déclaré la lutte contre les violences faites aux femmes « Grande cause nationale 2010 ». La proposition de loi que nous avons déposée est l’occasion d’illustrer cette volonté.
Pour toutes ces raisons, j’invite le Sénat à voter la proposition de loi lorsque nous serons amenés à en discuter.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, voilà cinq ans, nous examinions une proposition de loi, due pour partie à l’initiative de notre persévérant collègue Roland Courteau, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs.
C’était la première fois que le Parlement se prononçait sur le sujet. L’importance de ce texte n’avait d’ailleurs pas fait débat, puisqu’il avait été adopté à l’unanimité.
Cette loi a permis de grandes avancées pour les femmes victimes de violences ainsi qu’une prise de conscience de l’opinion publique. Petit à petit, la parole des femmes victimes a été libérée.
Depuis la promulgation de cette loi, le nombre de plaintes déposées pour violences conjugales a explosé, non du fait d’un accroissement considérable du nombre d’actes de violence, mais bien parce que les femmes ont pris conscience du caractère anormal de la situation qu’elles vivaient. Et elles ont osé parler !
Cette augmentation du nombre des plaintes est également due, pour une bonne part, à une meilleure prise de conscience des professionnels qui sont en contact avec ces femmes, en particulier les policiers, les gendarmes et l’ensemble des travailleurs sociaux.
Cette première étape était certes fondamentale, mais elle ne constituait que la première pierre d’un édifice plus vaste. Aujourd'hui, il nous faut passer à l’étape suivante, en reconsidérant les sanctions à l’égard des auteurs de violences, de nature psychologique en particulier, en renforçant la prévention et en améliorant l’aide aux victimes. Tel est l’objet de cette proposition de loi.
Je souhaite pour ma part examiner de façon détaillée le volet prévention de ce texte, en particulier ce qui concerne la sensibilisation et la formation aux violences faites aux femmes. Cette formation doit en priorité s’adresser aux jeunes et aux professionnels qui sont amenés à être en contact avec des femmes victimes de violences, d’origine conjugale notamment.
Nous le savons aujourd'hui, la prévention des violences faites aux femmes passe par la sensibilisation du public et la formation des acteurs. La formation, mot clé dans ce domaine, doit être assurée à tous les niveaux et, surtout, à tous les âges. C’est l’objet des articles 3 et 4 de cette proposition de loi.
Ainsi, l’article 3 prévoit, et c’est fondamental, de dispenser une information sur le respect mutuel et l’égalité entre les sexes une fois par mois aux élèves des écoles primaires, des collèges et des lycées.
M. Roland Courteau fait un signe d’assentiment.
Selon un récent sondage réalisé par Ipsos Santé auprès de 800 adolescents, 29 % des jeunes garçons ne sont pas d’accord pour accepter une répartition équitable des tâches entre les hommes et les femmes ! Or c’est un choix de vie que, de leur côté, les jeunes filles plébiscitent à 92 % ! Voilà qui est symptomatique de la vision de la place de la femme dans la société, vision qui perdure même chez les adolescents.
Les faits divers démontrent malheureusement que la place de la femme dans la société et le respect qui lui est dû sont loin d’être compris dès l’enfance. L’inquiétude grandit devant le comportement de certains adolescents qui, parce qu’ils sont des garçons, sont méprisants et irrespectueux, voire violents à l’égard des filles. Des actes criminels ont même été commis. Hélas ! ce phénomène ne semble pas régresser.
Un machisme affirmé s’exprime chez les jeunes, et pas seulement dans certains quartiers !
C’est pourtant dès cet âge qu’il faut inculquer des valeurs de respect de soi et d’autrui, en particulier de l’autre sexe, pour former des citoyens dignes de ce nom, qui ne traiteront pas leur épouse ou leur compagne comme un objet qu’ils possèdent, sur lequel ils auraient des droits d’autorité, de violence, allant parfois jusqu’à commettre des actes criminels.
Il est donc essentiel de consacrer du temps, dans la classe, et à tous les âges, au respect mutuel entre filles et garçons. Cela fait partie de l’enseignement des devoirs civiques, du respect de l’autre. Toute l’équipe éducative doit être concernée et donc sensibilisée au problème de l’égalité des sexes : les chefs d’établissement, les conseillers pédagogiques d’éducation, les infirmières, les psychologues et les professeurs. Tous sont conscients de leur mission.
On connaît l’histoire de ce petit garçon, en classe de maternelle, à qui sa maîtresse reprochait d’avoir tiré les cheveux d’une camarade. Quand elle lui a demandé pourquoi il avait agi ainsi, il a simplement répondu, du haut de ses quatre ans : « Parce que c’est une fille ! » Eh oui, tout commence à l’école maternelle !
Nous considérons qu’une sensibilisation, voire une formation sur ces questions spécifiques ne peut être transmise sans une bonne formation des maîtres.
Face à cette impérieuse nécessité, monsieur le secrétaire d'État, je suis inquiet. La réforme de la formation des maîtres, telle qu’elle semble être envisagée, permettra-t-elle d’aborder avec des formateurs spécialisés ces notions indispensables, alors que la professionnalisation des futurs enseignants est fondée uniquement sur les savoirs académiques ? Qui fera le travail ?
Pour assurer la formation mensuelle prévue à l’article 3, les enseignants doivent être accompagnés par les associations qui luttent depuis longtemps pour le respect des femmes. Ces associations sont très présentes et leur rôle est essentiel. Leur intervention devrait devenir systématique dans les établissements scolaires et les centres d’apprentis. À cette fin, les rectorats devraient, sur recommandation du ministère de l’éducation nationale, encourager plus efficacement la prise de contact entre ces associations et les établissements.
Cette mission pourrait aussi être confiée à des jeunes dans le cadre du service civique, dont la création vient d’être consacrée par le vote, à l’Assemblée nationale, de la proposition de loi relative au service civique, déjà adoptée par le Sénat à la quasi-unanimité le 27 octobre dernier.
L’article 4 de la proposition de loi pose, quant à lui, le principe de la formation de tous les acteurs sociaux, médicaux et judiciaires afin d’améliorer l’accueil, la protection et le suivi des victimes de violences conjugales. Cet article est absolument essentiel. C’est de cette manière que la lutte contre les violences conjugales a pu se développer et c’est aussi de cette façon que nous pourrons encore l’améliorer.
Des progrès ont été réalisés dans ce domaine. La sensibilisation des professions concernées s’est considérablement développée. Ainsi, dans les commissariats et les gendarmeries, on sait maintenant mieux prendre en compte la spécificité des violences conjugales.
C’est un progrès qu’il faut saluer !
Toutefois, ces évolutions positives ne doivent pas nous faire oublier que la bataille est loin d’être gagnée. L’accueil et la prise en charge par les services de police et de gendarmerie sont inégaux et peuvent encore être améliorés.
Surtout, les acteurs sociaux et médicaux doivent être mieux sensibilisés pour accompagner les femmes victimes de violences.
J’ai la chance, dans mon département, que des associations de terrain très performantes et efficaces soient présentes, même si leur nombre reste malheureusement insuffisant. Elles nous rapportent en particulier l’inégalité des réponses de la justice aux violences faites aux femmes. D’une part, l’effort d’harmonisation et de compréhension doit être poursuivi entre ces associations et les magistrats dont l’appréhension de ces questions n’est pas toujours de même niveau. D’autre part, l’inscription de la sensibilisation aux violences faites aux femmes doit encore être renforcée dans la formation des futurs magistrats.
Je tiens ici à rendre hommage à ces associations, qui n’ont pas attendu le vote de la loi du 4 avril 2006 pour agir et qui réalisent un travail remarquable.
En conclusion, la lutte contre les violences faites aux femmes a été déclarée « Grande cause nationale 2010 » par le Premier ministre. Voilà une bonne initiative. Cela suffira-t-il ? Les grandes déclarations n’ont jamais permis de résoudre les problèmes.
La prévention contre les violences faites aux femmes, qui doit commencer dès l’école maternelle et primaire, ne peut se faire sans moyens. Dès lors, les mesures présentées dans cette proposition de loi doivent être accompagnées d’une augmentation suffisante des personnels – de l’éducation nationale notamment – en charge de ces questions.
Si nous voulons continuer la lutte, tous les personnels concernés doivent suivre une formation adaptée et voir leurs effectifs renforcés. Ainsi, nous ferons avancer le combat en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes ; nous saurons rendre le principe du respect mutuel intangible et faire reculer les violences faites aux femmes.
M. Yannick Bodin. Ce sera une belle avancée pour la cause des femmes et un nouveau pas de notre civilisation vers le progrès.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Je suis saisi, par M. Pillet, au nom de la commission, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, la proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants (n° 118, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. le rapporteur.
Après ce débat très intéressant et consensuel, je n’insisterai pas sur les raisons qui motivent cette demande de renvoi à la commission.
Tout le monde aura compris que cette motion vise un double objectif.
En premier lieu, le renvoi à la commission me semble de nature à accélérer l’entrée en application du texte qui sera adopté.
Une proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes sera examinée par les députés le 25 février prochain et sera ensuite inscrite à l’ordre du jour du Sénat. Si nous votons aujourd’hui la proposition de loi de M. Courteau, cette proposition devra à son tour être examinée par l’Assemblée nationale. Ce faisant, nous perdrons du temps. Je ne suis par ailleurs pas persuadé que le règlement de notre assemblée prévoie ce genre de situation.
En second lieu, le renvoi à la commission me semble opportun, car il serait dommage que les sénateurs se privent de la réflexion des députés, et vice versa.
La proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale résulte des travaux d’une mission d’information ad hoc. Elle a été adoptée par la commission compétente hier et elle sera discutée en séance publique le 25 février prochain. Aussi, dans un souci de célérité et de qualité du travail législatif, nous avons tout intérêt à fusionner le plus rapidement possible les deux propositions de loi.
Je tiens à souligner la pertinence des initiatives prises par notre collègue Roland Courteau sur cette question, mais cela n’avait sans doute échappé à personne.
Nous aurions bien sûr préféré mener l’examen de ce texte à son terme, comme ce fut le cas en 2005 et en 2006, lorsque le Sénat a, le premier, montré la voie en se saisissant de la question des violences au sein du couple, par le biais de la proposition de loi du groupe socialiste et de celle du groupe CRC-SPG. Nous aurions souhaité qu’il en fût de même aujourd’hui, d’autant que nous avons déposé, en juin 2007, une proposition de loi qui n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée.
J’ai appris récemment qu’une proposition de loi ayant le même objet que la nôtre a été présentée à l’Assemblée nationale. Tant mieux ! Je me réjouis que nous ne soyons pas les seuls à vouloir franchir une étape supplémentaire dans la lutte contre les violences au sein des couples, qui constituent un véritable fléau.
Même s’il n’y a aucune raison de laisser la priorité à l'Assemblée nationale, l’essentiel est d’avancer. C’est pourquoi je me rallie à la position de la commission. Mais je le fais la mort dans l’âme ! J’attends désormais que le Sénat soit saisi de la proposition de loi qui aura été adoptée par l’Assemblée nationale, afin que nous puissions, comme le souhaite M. le rapporteur, travailler concomitamment sur les deux textes.
Peut-être y gagnerons-nous en efficacité et en rapidité, tout en évitant de froisser la susceptibilité de certains députés !
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Faute d’une procédure adaptée, si le Sénat examine aujourd’hui la proposition de loi de M. Courteau et que l’Assemblée nationale discute le 25 février une autre proposition de loi, les deux textes pourraient ne jamais se rencontrer. Nous sommes donc dans l’obligation de choisir.
La première initiative revient au Sénat, avec la loi de 2006. M. Courteau a déposé une nouvelle proposition de loi en 2007. Elle n’a pas été inscrite à l’ordre du jour de la Haute Assemblée, mais aucune demande en ce sens n’a été formulée. J’ajoute que la révision constitutionnelle n’avait pas eu lieu et que la procédure d’initiative parlementaire n’existait pas encore.
Monsieur Courteau, je vous garantis que le renvoi à la commission signifie que nous examinerons en même temps la proposition de loi votée par l’Assemblée nationale et la vôtre. Ce cas de figure s’est déjà produit : différentes propositions de loi présentées sur un même sujet ont été examinées concomitamment. Ainsi, tous les éléments de votre texte qui ne seraient pas contenus dans la proposition de loi de l’Assemblée nationale feront bien entendu l’objet d’un examen sur le fond par la commission des lois.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à ce moment du débat, tout a été dit.
Je tiens à saluer à nouveau le travail effectué par M. Courteau sur ce texte, son implication constante depuis des années sur ce sujet. Il montre ainsi – et la qualité des interventions des différents orateurs le confirmerait s’il en était besoin – l’importance que la représentation nationale, Sénat et Assemblée nationale, accorde à ce sujet et l’engagement unanime de notre société.
Mes remerciements vont également au président de la commission des lois, M. Jean-Jacques-Hyest, et au rapporteur, M. François Pillet, qui ont contribué à ce travail de synthèse.
Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez persuadés que, fidèle à l’esprit qui a inspiré vos travaux, le Gouvernement se montrera exigeant afin que nous allions ensemble au bout de la démarche que vous avez engagée.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
La motion est adoptée.
En conséquence, le renvoi à la commission est ordonné.
Je constate que cette motion a été adoptée à l’unanimité des présents.
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution européenne portant sur la protection temporaire, présentée, en application de l’article 73 quinquies du règlement, par M. Louis Mermaz et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (proposition n° 159, rapports n° 197 et 229).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Louis Mermaz, auteur de la proposition de résolution.
Mme Catherine Tasca applaudit.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’expulsion d’Afghans par charters franco-britanniques, le 21 octobre et le 15 décembre 2009, nous a conduits à déposer la présente proposition de résolution.
Nous souhaitons voir déclencher, dans l’Union européenne, le recours à la protection temporaire en faveur de personnes qu’on ne peut ni ne doit reconduire dans leur pays d’origine, théâtre d’une guerre qui mettrait leur vie en danger.
La même initiative a été prise par notre groupe à la fois à l’Assemblée nationale et au Sénat.
Par ailleurs, des élus des groupes de gauche ont signé au Parlement européen, sur l’initiative des Verts, une pétition allant dans le même sens.
Comme on le verra, si notre proposition concerne les Afghans entrés dans l’Union européenne et ceux qui sont parvenus jusqu’en France, ses objectifs sont plus larges.
La situation faite aux Afghans, comme à d’autres réfugiés, devrait trouver une solution dans le cadre européen, même dans cette Europe entrée aujourd’hui en crise.
En tout état de cause, le gouvernement français pourrait, sans plus attendre, se donner les moyens de répondre sur son sol à l’état de fait actuel. Nous sommes nombreux à déplorer son refus de rechercher une solution digne de nos valeurs tant à l’échelon de l’Europe que sur le plan national.
En quoi consiste le recours à la protection temporaire ?
Nous souhaitons, comme le prévoit une directive européenne de 2001, que le Gouvernement demande à la Commission de proposer au Conseil de décider, à la majorité qualifiée, qu’il est nécessaire d’octroyer la protection temporaire, c’est-à-dire une protection immédiate et collective – j’insiste sur ce dernier terme – aux Afghans en provenance d’Afghanistan et du Pakistan. L’Union européenne tendrait alors la main à des hommes, à des femmes, à des enfants réduits à l’exil dans des circonstances dramatiques. En effet, le traitement individuel des dossiers ne répond pas à l’urgence. Le recours à la protection temporaire permettrait de pallier les carences de certains États en matière d’asile, de faire prévaloir la solidarité d’un bout à l’autre de l’Union par le partage des charges.
La directive de 2001 sur la protection temporaire a été adoptée à la suite de la procédure instituée pour répondre à l’afflux des Kosovars en 1999, mais elle n’a jamais été appliquée. Grâce à sa mise en œuvre, nous pourrions répondre à l’arrivée des Afghans et à celle d’autres réfugiés sur le territoire européen. Elle ouvrirait à ces réfugiés une période de protection qui pourrait, en cas de nécessité, atteindre trois ans. Elle leur permettrait de recevoir un titre de séjour, d’exercer une activité professionnelle, d’être hébergés, de disposer d’une aide sociale, de se faire soigner, d’accéder à l’éducation et à la formation, enfin, de bénéficier du regroupement familial, autrement dit d’être traités comme des êtres humains.
Or, à quoi assistons-nous, chez nous, en France ? Les Afghans, nous le savons, ont pour la plupart la volonté de se rendre coûte que coûte en Grande-Bretagne. Ils sont attirés dans ce pays dans une certaine mesure par la langue, parfois par des liens familiaux, mais aussi par la perspective, s’ils réussissent à traverser le, d’échapper aux contrôles d’identité pratiqués sur le continent et de parvenir à trouver un travail.
Ainsi ces personnes tentent-elles l’aventure depuis les côtes françaises, en particulier depuis le Pas-de-Calais. Longtemps les migrants ont trouvé un hébergement dans le centre d’accueil de Sangatte. Ce centre avait été ouvert en septembre 1999 pour faire face à l’afflux de réfugiés, kosovars pour la plupart, qui souhaitaient rallier la Grande-Bretagne.
Géré par la Croix-Rouge, le centre de Sangatte, que j’ai visité en octobre 2000 et en mai 2001, a hébergé jusqu’à 1 500 personnes.
J’ai constaté que l’on s’efforçait d’y fournir le minimum indispensable aux réfugiés – repas, hygiène, sécurité et information. Sa fermeture, en décembre 2002, et son démontage, sous le prétexte fallacieux, si souvent entendu en d’autres occasions, de ne pas créer d’appel d’air, ont plongé des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants dans des conditions de vie effroyables.
On a parlé de « jungle » ! mais qui en porte la responsabilité, sinon le Gouvernement ?
La « jungle », qui a été fermée en septembre 2009, s’est en partie reconstituée. Désormais, les réfugiés errent dans une zone encore plus vaste.
Quelle réponse le Gouvernement propose-t-il pour remédier à cette situation ? Eh bien, il demande aux forces de police de détruire des abris de fortune, d’incendier des couvertures !
Avec l’entrée en vigueur du plan grand froid, le 15 décembre 2009, certains réfugiés avaient trouvé un abri, de dix-neuf heures à dix heures du matin – c’est-à-dire seulement pour la nuit ! – dans une salle réquisitionnée à cet effet. Ils couchaient à même le sol, sur des cartons ! Ce n’était vraiment pas le grand luxe !
Ce local a été fermé le 19 janvier, monsieur Haenel, du fait de la levée du plan. Le soir même, une association distribuait cent cinquante tentes aux migrants. Mais le lendemain, ordre était donné à la police d’encercler le campement et de démonter les tentes. Depuis, comme je viens de le dire, les pouvoirs publics font détruire systématiquement abris et campements.
Monsieur le ministre, que va-t-il se passer alors qu’une nouvelle vague de froid s’abat sur la région ? La responsabilité du Gouvernement est engagée.
Pour compléter ce tableau, je rappelle les menaces que le Gouvernement fait constamment peser, pour aide à l’immigration clandestine, sur les hommes et les femmes qui portent secours à ces malheureux. Que fait-il de l’obligation d’assistance à personne en danger ?
La commission des affaires européennes du Sénat, mieux inspirée que celle de l’Assemblée nationale, a transmis notre proposition de résolution à la commission des lois. La majorité sénatoriale a décidé, lors de l’examen du texte en commission, de proposer le rejet de notre proposition lors de la séance publique. Pour défendre cette conclusion, le rapporteur s’appuie sur l’article 88-4 de la Constitution…
Écoutez la suite, monsieur le président de la commission !
Selon cet article, des résolutions peuvent être adoptées sur les projets ou propositions d’actes des communautés européennes et de l’Union européenne, mais pas sur des directives déjà en vigueur.
L’argument serait imparable si la Haute Assemblée n’avait adopté, le 7 décembre 2009, juste avant la conférence de Copenhague sur le changement climatique, une proposition de résolution de notre collègue Mme Fabienne Keller portant sur une directive du 23 avril 2009, relative au stockage géologique du dioxyde de carbone.
Je tiens cette proposition à votre disposition, monsieur le président de la commission.
M. Louis Mermaz brandit un document.
Vous constaterez que, sur ce point, les deux propositions se ressemblent comme des jumelles !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Je n’ose imaginer qu’il y ait deux poids et deux mesures, selon les souhaits et les humeurs du Gouvernement, par ailleurs si soucieux de renforcer les pouvoirs du Parlement !
À la page 10 de son rapport, M. Pierre Fauchon s’interroge sur l’opportunité d’une intervention du Parlement dans une procédure sollicitant la Commission européenne. Je le renvoie à nouveau au texte de la proposition de résolution de Mme Keller qui fait appel à la même procédure.
J’en viens maintenant à l’examen de la directive de 2001, qui est jusqu’à présent restée lettre morte. J’évoquerai d’abord les critères nécessaires à sa mise en œuvre : essentiellement, un afflux massif ou important de personnes déplacées et un dysfonctionnement de l’exercice du droit d’asile qui en découle.
En ce qui concerne le premier critère, il existe aujourd’hui, personne ne le contestera, un nombre considérable de réfugiés afghans, évalué dans le monde – essentiellement au Moyen-Orient – à 2, 7 millions. Les chiffres publiés quant à l’arrivée de ces réfugiés en Europe sont très certainement inférieurs à la réalité, et par ailleurs très aléatoires.
Quoi qu’il en soit, selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le HCR, les demandes d’accueil émanant d’Afghans ont augmenté officiellement de 57 % dans l’Union européenne au cours du seul premier semestre de 2009. On en compte aujourd’hui près de 9 000.
Mais il aura fallu que 123 Kurdes fussent abandonnés sur une plage en Corse, à Bonifacio, pour que le ministre se dise obligé de prévoir une législation spéciale pour faire face à ce qu’il appelle « une arrivée massive et inopinée de clandestins » ?
En ce qui concerne le second critère, c’est-à-dire l’importance de l’afflux de personnes déplacées, on ne connaît pas le nombre de réfugiés, fixés ou en simple transit, au sein de l’Union européenne. Dans ces circonstances, le règlement de Dublin II, adopté le 18 février 2003, est inopérant.
La Commission européenne a proposé de réformer ce règlement en décembre 2008, sans obtenir encore de décision du Conseil européen.
Les conditions imposées par la directive pour satisfaire le second critère, relatif à l’exercice du droit d’asile, sont également remplies.
L’accès au droit d’asile est aujourd’hui très largement perturbé. Le renvoi dans les pays situés aux frontières de l’Union européenne, essentiellement en Grèce – elle a reçu 20 000 demandes d’asile en 2008 – où les conditions d’accueil sont affreuses, mais aussi en Hongrie ou en Autriche, dispense la France d’instruire elle-même les demandes.
Finalement, ces demandes ne seront pas acceptées en Grèce, où moins de 1 % des personnes enregistrées à l’entrée par le système d’empreintes digitales EURODAC obtient l’asile, contre 36 % en France, mais pour des chiffres très faibles.
Notre groupe parlementaire a consacré plusieurs heures à l’audition de MM. Jacques Ribs et Pierre Henry, respectivement président et secrétaire général de l’association « France Terre d’Asile », de Mme Catherine Wihtol de Wenden, chercheur au CNRS, de M. Francisco Galindo Velez, représentant en France du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, et à celle de M. Gérard Sadik, membre de la commission « Asile » de la CIMADE. Tous nous ont confirmé et démontré le dysfonctionnement du droit d’asile en ce qui concerne les Afghans, mais pas seulement.
Je consacrerai une place à part à l’audition du représentant du HCR en France, puisque la commission des lois s’est contentée d’une note de la délégation, qui ne traite d’ailleurs pas vraiment du sujet qui nous occupe.
Les Afghans sont aujourd’hui pris dans une nasse. Ils ne réussissent pas à obtenir l’asile au titre de la convention de Genève du 28 juillet 1951. Dès lors, l’alternative est la suivante.
Ou bien la France applique le règlement Dublin II, adopté en 2003, et les réfugiés afghans seront alors transférés en Grèce avec les conséquences que l’on connaît. Dans cette hypothèse, le gouvernement français pourrait-il rendre public le nombre de personnes transférées, le représentant du HCR, que nous avons interrogé, ne nous ayant pas donné de chiffres ?
Ou bien la France n’applique pas ce règlement, et les Afghans seront réduits à la clandestinité, condamnés à vivre dans l’errance et le dénuement le plus total.
Les chasser de leurs abris de fortune, les disperser jusqu’à Paris, Angers ou Nîmes en les privant du soutien des ONG ne résout rien. C’est pourquoi nous défendons cette proposition de résolution. Nous demandons au Gouvernement de saisir la Commission européenne qui, seule, a le pouvoir d’enclencher le processus de mise en œuvre de la directive de 2001.
Nous considérons en effet que le problème des réfugiés afghans, naguère concentrés dans le Calaisis, désormais présents à Paris et ailleurs, est de nature éminemment européenne, comme nous l’a fait observer à juste titre le représentant du HCR à Paris.
Rien n’empêche le Gouvernement, au nom du principe de souveraineté inscrit dans la Constitution, d’introduire une protection complémentaire pour les personnes qui sont dans une situation de transit, tant que le Conseil européen n’a pas révisé sa position, ce en quoi il serait bien inspiré !
Si nous nous projetons dans un avenir immédiat, nous demanderons aussi au gouvernement français et aux États de l’Union européenne d’agir de concert afin que le nouveau programme pluriannuel pour un espace de liberté, de sécurité et de justice, dit nouveau programme de Stockholm, adopté le 11 décembre 2009 par le Conseil européen, aboutisse à de nouvelles directives.
La Commission européenne y est favorable. Reste à convaincre les États, à commencer par le nôtre.
En conclusion, j’évoquerai l’amendement que nous avons déposé. La commission des lois s’est opposée à son examen…
… en arguant de son irrecevabilité, puisqu’il était rattaché à la présente proposition de résolution, elle-même jugée irrecevable.
Nous demandons que, le moment venu – le plus tôt sera le mieux –, on substitue au dispositif de protection temporaire un régime d’asile européen commun.
Ce serait l’occasion de remplacer la notion vague et difficilement contrôlable d’ « afflux massif » ou « important » de réfugiés par celle d’ « afflux durable ».
Ce serait aussi l’occasion de revoir les procédures actuelles, lourdes et inopérantes. Cela permettrait en outre d’élargir le champ des personnes susceptibles de bénéficier d’une protection réelle. Je pense aux personnes qui fuient des zones dévastées par une catastrophe naturelle, comme c’est aujourd’hui le cas des Haïtiens, mais aussi aux victimes climatiques, souvent en proie au pillage de leurs richesses naturelles et frappées par le sous-équipement.
La France, aux meilleures heures de son histoire, a toujours affirmé pleinement sa vocation humaniste. Elle a revendiqué avec fierté son statut de terre d’asile. Ne rompons pas avec cette tradition !
M. Pillet conclut son rapport par un étalage de bons sentiments. Mais pourquoi ne saisit-il pas l’occasion que nous lui offrons de faire les pas qu’il convient dans la bonne direction ?
Nous demandons au Gouvernement de renoncer à la politique du chiffre et du refoulement, d’organiser enfin – s’il le peut et s’il le veut – un accueil conforme à l’idéal républicain. Il s’honorerait en prenant des initiatives à l’échelle de l’Union européenne, en palliant sans plus attendre les insuffisances de la législation européenne par une démarche souveraine.
À la façon dont un pays traite ses immigrés, on devine comment il traite ses propres citoyens. Il serait temps, pour les immigrés et pour l’ensemble des Français, de mettre fin à une politique aux tendances liberticides, hélas ! de plus en plus affirmées !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. Louis Mermaz, en des termes qui n’étaient pas toujours empreints d’une grande gentillesse, …
M. Pierre Fauchon, rapporteur. … nous a décrit les préoccupations humanitaires qui sont les siennes et celles de son groupe, mais dont – dois-je le rappeler ? – il n’a pas le monopole.
Protestations sur les travées du groupe socialiste.
Ces préoccupations ont conduit à l’inscription à l’ordre du jour de notre assemblée de la présente proposition de résolution européenne.
M. Mermaz souhaite que l’Union européenne attribue le bénéfice de la protection temporaire, instituée par une directive européenne, aux réfugiés afghans. Ces derniers bénéficieraient alors de certains droits, en premier lieu de la possibilité d’obtenir un titre de séjour, pour une durée maximale de trois ans.
Les Afghans connaissent dans leur pays une situation douloureuse, et nous souhaitons tous, monsieur Mermaz – vous n’avez pas le monopole de ce souhait –, que les millions de réfugiés vivant au Pakistan et en Iran puissent retourner le plus tôt possible dans leur pays, après que ce dernier aura retrouvé la paix que la France contribue de son mieux à rétablir.
Dans cette attente, il faut trouver des solutions afin que les malheureux trouvent, dans les pays dans lesquels l’errance les a jetés, un accueil convenable et, dans la mesure du possible, fraternel.
Cependant, ces préoccupations humanitaires, si émouvantes soient-elles, ne sont pas toujours compatibles avec les mécanismes juridiques invoqués pour les justifier, comme le montre l’examen de cette proposition de résolution.
Je n’évoquerai que la résolution, car l’amendement qui a été déposé n’a pas été adopté par la commission des lois. Dans la mesure où il n’a pas été présenté en séance publique, nous n’avons pas à en débattre.
Au nom de la commission des lois, j’ai pour mission de soulever devant vous deux objections majeures, même si une seule suffit à montrer l’irrecevabilité de cette proposition de résolution.
En premier lieu, la proposition ne se fonde en réalité aucunement sur l’article 88-4 de la Constitution.
En second lieu, les critères définis par la directive et permettant d’attribuer la protection temporaire ne sont pas réunis en ce qui concerne les ressortissants afghans se trouvant sur le sol européen.
Ainsi, même si l’on admettait l’applicabilité de l’article 88-4, les conditions requises pour sa mise en œuvre ne seraient pas réunies.
Vous me permettrez de faire un peu de droit, mais le lieu s’y prête et c’est ma mission. L’article 88-4 de la Constitution prévoit que peuvent être présentées des propositions de résolution européenne sur des projets d’actes européens ou sur tout document émanant d’une institution de l’Union européenne, un livre vert ou un livre blanc par exemple.
La proposition de résolution doit donc porter sur des textes. Or, en l’occurrence, il s’agit non pas d’un projet d’acte européen ou d’un document émanant d’une institution européenne, mais d’une action, d’une initiative qui vous paraît souhaitable.
Quant au précédent que vous avez mentionné dans votre intervention, monsieur Mermaz, il n’a pas été évoqué devant la commission.
Si bien intentionnée que puisse être cette initiative, mais je ne suis pas là pour en juger et mon propos n’est pas d’en apprécier la pertinence, elle ne peut pas se fonder sur l’article 88-4 de la Constitution.
En effet, la présente proposition de résolution a non pas pour objet de prendre position sur un projet de texte européen, mais de demander que la France sollicite la mise en œuvre d’une procédure particulière, à savoir l’octroi de la protection temporaire, telle qu’elle est prévue par une directive du 20 juillet 2001.
Selon cette procédure, un État membre peut effectivement solliciter la Commission européenne en vue de proposer au Conseil de décider d’attribuer la protection temporaire à un groupe de personnes.
Votre proposition de résolution tend à ce que notre gouvernement invite la Commission à prendre une telle initiative en faveur des réfugiés afghans. Cette démarche est donc totalement étrangère à celle de l’article 88-4, qui, je le répète, impose de viser des textes.
Il apparaît donc clairement que cette proposition de résolution ne saurait se fonder sur cet article de la Constitution. Il est d’autant moins justifié de détourner l’article 88-4 de sa finalité propre qu’il existe, depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, une autre voie, à la fois plus large et plus souple, puisque vous avez désormais la possibilité de nous faire adopter des résolutions. Je sais que ce rappel de la révision constitutionnelle vous est désagréable, car vous ne l’avez pas votée et, s’il ne s’en était tenu qu’à vous, cette procédure n’existerait pas ! Il s’agit bien entendu de l’article 34-1 de la Constitution, qui, au vu de l’argumentation que vous venez d’exposer, monsieur Mermaz, constituerait un cadre bien plus adapté que l’article 88-4, ce dernier ne correspondant en rien à la démarche entreprise.
Je trouve cela d’autant plus extraordinaire que, lorsque nous avons débattu des conditions d’application de cette réforme, nous avons, sur la proposition de M. Bel et des membres de son groupe, fait en sorte que ce droit de résolution soit le plus largement ouvert. Je précise d’ailleurs que je m’étais personnellement associé à cette initiative.
Je pensais donc que vous alliez retirer cette proposition de résolution fondée sur l’article 88-4 pour la reprendre sur la base de l’article 34-1, ce qui l’aurait rendue juridiquement plus acceptable et lui aurait permis d’être débattue. Vous n’avez pas voulu le faire, pour des raisons qui m’échappent. Cela relève de votre responsabilité, et non de la mienne.
Il y a donc, pour la commission des lois, un problème de recevabilité, et je suis d’autant plus fondé à le relever que, cher collègue, vous aviez à votre disposition une autre voie.
J’aurais pu achever ici mon intervention en vous invitant, mes chers collègues, à rejeter le texte ; mais la commission a voulu faire son devoir jusqu’au bout et s’est posé la question de savoir si, dans l’hypothèse où nous serions saisis sur un autre fondement, les conditions posées par la directive étaient remplies. En d’autres termes, les ressortissants afghans peuvent-ils prétendre au bénéfice de cette fameuse protection temporaire, et je souligne à dessein l’adjectif « temporaire » ? La réponse à cette question me conduit à ma seconde objection.
La directive du 20 juillet 2001 relative à la protection temporaire pose trois critères clairs.
Premièrement, les États membres doivent être confrontés à un afflux massif de populations. Or ce n’est pas le cas aujourd’hui. Vous avez vous-même parlé de quelques centaines de réfugiés, monsieur Mermaz. Les chiffres de 2007, les derniers fournis par Eurostat, font état de 7 665 demandes d’asile pour l’ensemble de l’Union européenne et, s’il semble que le nombre de demandes augmente depuis 2008, avec un dernier chiffre estimé de 9 135 demandes d’asile au premier semestre 2009, nous restons très loin du pic du début des années 2000, avec 45 000 demandes en 2001.
Il n’y a donc pas d’afflux massif.
Deuxièmement, les systèmes d’asile des États membres doivent se trouver dans l’incapacité de traiter dans des conditions normales, c’est-à-dire de la même manière que les demandes d’asile émanant de ressortissants d’autres pays, les demandes d’asile résultant de cet afflux.
En réalité, en France comme dans les autres États européens, rien ne démontre une incapacité des services à traiter ces demandes. Ils les traitent peut-être d’une manière que vous jugez trop restrictive, mais ils les traitent. Nous avons les résultats chiffrés et vous en avez vous-même fait état, démontrant du même coup que nous n’étions pas dans l’incapacité de traiter ces demandes.
Troisièmement, le retour dans le pays d’origine doit être impossible. Sans rouvrir le difficile débat de l’automne dernier sur les rapatriements d’Afghans, je constate simplement que la Cour européenne des droits de l’homme considère que le retour est possible. Ce retour est-il pour autant opportun ? Vous avez jugé, de manière sévère, qu’il ne l’était pas. J’estime pour ma part qu’il s’agit d’une décision politique sur laquelle le rapporteur de la commission des lois n’a pas à se prononcer.
Je m’en tiendrai donc à rapporter les réflexions de la commission, non sans avoir précisé que le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, qui, plus que quiconque, est autorisé à donner un avis sur la question, m’a lui-même indiqué que les critères de la protection temporaire n’étaient pas réunis. Vous critiquez le fait que, dans mon rapport, je me sois référé à une note écrite. En réalité, j’ai invité des représentants du Haut Commissariat à venir s’exprimer devant la commission, mais ils ont décliné mon offre. Je ne pouvais quand même pas les faire venir de force !
En revanche, j’ai entendu M. Henry, directeur général de l’association France Terre d’Asile, qui m’a communiqué des informations extrêmement intéressantes.
Enfin, à tous ceux qui, au hasard du débat – on dit tant de choses dans un débat, surtout quand il prend un caractère plutôt politique –, ont prétendu, ou prétendront, que ces trois critères ne sont pas cumulatifs, je répondrai que, à mon avis, ils le sont mais que, en tout état de cause, aucun des trois n’est rempli.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission ne peut que vous inviter à rejeter cette proposition de résolution européenne, mes chers collègues.
Permettez-moi, cela dit, une réflexion supplémentaire. Au fond, pourquoi avoir créé cette protection temporaire si elle ne permet pas de répondre à une situation grave comme celle que vivent les Afghans aujourd’hui ? Il faut se rappeler, pour éclairer le débat, que cette directive de 2001 est directement née des suites de la crise de l’ex-Yougoslavie, puis de celle du Kosovo, au moment où les États membres de l’Union européenne venaient d’accueillir, de façon concertée, non pas quelques milliers, mais plus de 100 000 réfugiés notamment kosovars.
C’est véritablement pour répondre à ce type de situations sur le continent européen qu’a été conçue la protection temporaire, et qu’elle a pris la forme d’une directive. Vouloir aujourd’hui la détourner de sa raison d’être et de ses critères d’application ne servirait en rien la cause que l’on veut défendre, s’agissant d’une protection précaire et provisoire.
Ce serait en outre interpréter un texte européen d’une manière excessivement personnelle et nationale, ce qui serait inévitablement mal perçu par nos partenaires européens, …
… cosignataires de cette directive, qui n’apprécieraient guère que l’on prétende la détourner de son objectif et de ses conditions d’application, et que l’on méconnaisse les raisons pour lesquelles elle a été instituée.
Nous donnerions un mauvais signal, et il ne faudrait pas s’étonner ensuite que certains de nos partenaires, en particulier les Anglais, soient encore plus réticents à s’engager sur la voie de l’harmonisation des règles européennes, dès lors qu’ils constateraient que les Français prennent des libertés avec l’interprétation de ces règles.
Du point de vue de la politique européenne, adopter une telle proposition de résolution constituerait, à mes yeux, une erreur et une contre-performance.
Il ne faut pas négliger cette dimension du problème, sur laquelle M. Cointat reviendra tout à l’heure.
En réalité, l’intérêt des Afghans qui se présentent en Europe est de pouvoir bénéficier, comme ils en ont le droit actuellement, d’un examen personnalisé, et non pas collectif, de leur situation, au travers d’une demande d’asile susceptible de leur assurer une protection pérenne, ce qui, par définition, n’est pas le cas de la protection temporaire.
J’ajoute que jamais la protection temporaire n’a joué à ce jour, ni pour les réfugiés irakiens ni pour les réfugiés somaliens, qui sont aujourd’hui beaucoup plus nombreux que les réfugiés afghans à demander l’asile en Europe.
Le véritable problème, sur lequel nous pouvons nous rejoindre, monsieur Mermaz, c’est que les dispositifs européens d’accueil des demandeurs d’asile ne sont pas adaptés, puisqu’ils ne permettent pas de répondre à toutes les situations. En particulier, ils ne traitent pas correctement de la situation des personnes qui fuient leur pays, non pas en raison de persécutions personnelles, mais du fait d’un état d’insécurité lié à un conflit armé, à une guerre.
Je suppose que nous sommes tous d’accord sur ce point, mes chers collègues, et c’est pourquoi, en conclusion, je me permettrai de relayer les efforts faits par notre pays durant sa présidence de l’Union européenne, au second semestre 2008, l’une des avancées souhaitées par le Président Sarkozy ayant été précisément d’améliorer la protection du droit d’asile.
La Commission européenne a présenté en deux temps, fin 2008 et fin 2009, ce que l’on a appelé le « paquet asile », qui consiste à refondre les directives et règlements, en vue d’un régime d’asile européen qui soit commun et plus accessible. Ce « paquet » comporte également la création d’un bureau européen d’appui en matière d’asile, qui contribuerait à une meilleure application de ces règles.
Je me réjouis d’apprendre, et de vous apprendre, car la nouvelle est toute fraîche, que ce bureau sera créé prochainement, et qu’il sera établi à Malte. Il devrait constituer une sorte de « conscience européenne » sur ces problèmes, et nous en avons besoin, c’est-à-dire une base d’informations, de réflexions, de propositions et d’initiatives.
Je crois que, dans ce domaine, on peut attendre les progrès que nous appelons tous de nos vœux.
Sur le fond, force est de constater cependant que les négociations sont difficiles, tant les positions des États membres sont éloignées les unes des autres. M. le ministre le confirmera sans doute dans son intervention, mais les avancées sont très lentes, et nous savons par expérience que les processus de concertation au niveau européen ne se soucient pas suffisamment du résultat, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, d’ailleurs.
Rejoignant des conclusions qui, monsieur le président de la commission des affaires européennes, nous sont familières, je forme ici le vœu que la France prenne l’initiative d’une coopération, non pas « renforcée » au sens des traités, mais spécialisée, avec ceux de ses partenaires qui le souhaitent, pour avancer sur ce sujet en dehors des procédures communautaires.
S’il est impossible de le faire à vingt-sept, faisons au moins preuve de créativité et de volontariat avec ceux qui se sentent concernés. Ne nous mettons pas dans la situation de M. Barroso, à qui l’on a reproché, lors de son investiture par le Parlement européen, de ne pas prendre suffisamment d’initiatives. Affirmons par des actes la volonté des Européens les plus responsables de faire en sorte que le droit sacré de l’hospitalité, héritage des plus nobles traditions des sociétés anciennes – ma culture historique rejoint ici celle de M. Mermaz – reste une exigence prioritaire pour nos sociétés modernes.
Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l ’ UMP. – M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai mon propos par une citation qui, je crois, devrait rassembler tous les républicains : « Le vieux peuple que nous sommes a assez vécu pour savoir qu’il est un champion dont les hommes libres ne se passent pas. Il n’ignore pas davantage que sa propre indépendance implique l’appui de ceux qui s’opposent à la tyrannie. Il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde. » Ces mots, vous les avez reconnus, sont ceux que le général de Gaulle prononça à Londres, le 1er mars 1941.
Ce « pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde », nous continuons à l’honorer chaque jour.
La France a inscrit dans sa Constitution, dès 1946, qu’elle accorderait le statut de réfugié à « toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté ». Elle fut le principal promoteur de la convention de Genève du 28 juillet 1951, qui prévoit que le statut de réfugié est délivré à « toute personne qui craint avec raison d’être persécutée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ».
La France a été, plus récemment – on le doit à mon prédécesseur, Brice Hortefeux – l’artisan du Pacte européen sur l’immigration et l’asile, adopté à l’unanimité des vingt-sept États membres de l’Union européenne, sous présidence française, le 16 octobre 2008.
La France est fidèle à sa tradition d’asile. Monsieur Mermaz, nous sommes toujours en pointe sur le sujet. C’est la France qui pousse à la création d’un régime d’asile européen commun et c’est moi qui essaie de convaincre mes partenaires européens d’agir plus vite dans ce domaine. C’est à l’instigation de la France que nous avons avancé pour que, prochainement, un bureau européen d’appui soit installé à Malte.
La France a été pionnière et est même la seule à ce jour à mener un programme de réinstallation, sur une base volontaire, des réfugiés érythréens et somaliens en provenance de Malte. La France en a accueilli cent, et est le seul pays européen à l’avoir fait.
Par conséquent, la France n’a pas, me semble-t-il, de leçons à recevoir de ses partenaires et nous honorons notre tradition d’asile.
Notre pays reste depuis plus de vingt ans, avec les États-Unis, l’un des deux premiers pays du monde pour la demande d’asile.
La demande d’asile globale adressée à la France au cours de l’année 2009 a de nouveau progressé, de plus de 10 %, par rapport à celle de l’année 2008 : 10 900 titres de séjour de réfugiés ont été délivrés au cours de l’année 2009, contre 9 700 en 2008, soit une progression de 12, 5 %. Sur deux ans, la progression est de 32 %.
Le Gouvernement poursuit le renforcement du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile.
Les centres d’accueil des demandeurs d’asile, les CADA, sont passés de 5 000 places en 2000 à 17 000 places en 2006 et ils en offrent aujourd’hui 21 000. J’ai décidé l’ouverture de 1 000 places supplémentaires en 2010, financées sur le budget du ministère de l’immigration, qui vous a été soumis.
L’asile représentait 289 millions d’euros en 2009. Il devrait dépasser 318 millions d’euros en 2010 – donc plus de la moitié des 600 millions d’euros environ dont j’ai la charge au titre du budget de mon ministère -, soit une croissance de 10 % par an.
Dans ce contexte, les membres du groupe socialiste du Sénat ont présenté le 14 décembre 2009 une proposition de résolution européenne demandant à la Commission européenne de proposer au Conseil d’appliquer aux ressortissants afghans le dispositif de protection temporaire prévu par la directive du 20 juillet 2001.
Tout d’abord, sur le plan formel, comme l’a très justement montré le rapporteur de la commission des lois, M. Pierre Fauchon, cette proposition de résolution se fonde sur une directive européenne déjà adoptée. Or, aux termes de l’article 88-4 de la Constitution, les résolutions européennes qui peuvent désormais être adoptées par le Parlement doivent s’appuyer sur des projets ou propositions d’actes de l’Union européenne ou sur tout document émanant d’une institution de l’Union, et non pas sur une directive déjà adoptée.
Surtout, en dépit de son apparente générosité, cette proposition nous semble à la fois inopportune et contre-productive. M. Mermaz ne m’en voudra pas, je l’espère, mais autant j’ai trouvé de la sincérité et de l’émotion lorsqu’il décrivait la situation des Afghans, autant je ne l’ai trouvé ni convaincant ni convaincu dans la défense de cette proposition. Je pense qu’il sait lui-même qu’elle est inopportune, car la directive du 20 juillet 2001 fixe trois conditions pour le recours à cette procédure, dont aucune n’est ici remplie.
Ces trois conditions, M. le rapporteur les a rappelées : un afflux massif, la saturation des procédures d’examen des demandes d’asile et l’impossibilité d’un retour dans le pays d’origine. J’examinerai la situation au regard de ces trois conditions.
Première condition, l’existence d’un afflux massif doit être constatée à l’échelon européen, par une décision du Conseil prise à la majorité qualifiée et sur proposition de la Commission. Or aucun des pays de l’Union européenne n’a constaté un afflux massif de demandeurs d’asile en provenance d’Afghanistan. J’ajoute que, sur le plan politique, aucun pays de l’Union européenne ne souhaite mettre en œuvre une telle procédure.
La demande d’asile afghane en Europe est aujourd’hui contenue. Le nombre de demandes d’asile reçues par les pays de l’Union européenne a progressivement diminué, passant de 45 000 en 2001 à moins de 15 000 en 2009. Le nombre de demandeurs d’asile afghans est, par exemple, inférieur au nombre de demandeurs d’asile irakiens et égal au nombre de demandeurs d’asile somaliens.
En France, l’Afghanistan ne figure pas parmi les cinq premières nationalités pour la demande d’asile en 2009, qui sont la Serbie, le Sri Lanka, l’Arménie, la République démocratique du Congo et la Russie. On a dénombré 702 demandes d’asile de ressortissants afghans en 2009 sur un total de 33 200 demandes adressées à la France, soit 2 % de la demande globale.
Ce faible niveau de la demande d’asile afghane en France a une raison simple, vous l’avez vous-même souligné, monsieur Mermaz : la France est un pays de transit des filières d’immigration afghane vers la Grande-Bretagne et l’Europe du Nord. Les ressortissants afghans entrant sur le territoire national, quelle que soit leur situation administrative, se dirigent ou veulent se diriger très majoritairement vers la Grande-Bretagne, la Suède, la Norvège ou le Danemark. Leur présence, dans des conditions souvent très précaires, à Paris, entre la gare de l’Est et la gare du Nord, ainsi qu’autour du port de Calais, n’a pas de lien avec une quelconque insuffisance de notre dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile, je veux le redire avec force.
Ce n’est pas parce que nous ne sommes pas en situation de leur accorder un hébergement que nous connaissons les situations difficiles que vous avez, à juste titre, décrites. La plupart de ces ressortissants afghans ne demandent pas l’asile à la France, ils cherchent au contraire à quitter notre territoire.
À cet égard, monsieur Mermaz, je reviendrai sur certains points de votre intervention.
En ce qui concerne le hangar de Sangatte, vous êtes probablement aujourd'hui l’un des seuls à le décrire comme un lieu où l’hygiène, la sécurité et la tranquillité étaient assurées.
Quant à la « jungle », ce terme n’a pas été inventé par le Gouvernement ; c’est le nom que les migrants eux-mêmes donnaient à ce qu’il fallait bien appeler une « zone de rackets ». Loin d’être un gentil camp humanitaire, c’était une zone tenue par les passeurs où certaines personnes, qui avaient déjà payé 15 000 euros pour venir jusqu’à Calais, étaient maltraitées, exploitées et devaient encore payer entre 500 et 1 000 euros pour chaque tentative de passage vers le Royaume-Uni... Il est donc surprenant de le présenter comme un lieu où les personnes vivaient dans de bonnes conditions.
Monsieur Mermaz, l’État ne peut pas être schizophrène. Nous ne pouvons pas lutter avec détermination contre les filières mafieuses de l’immigration clandestine et laisser à proximité des gares, des points de rupture de charge ou du port de Calais, des passeurs exercer tranquillement leur trafic dans des zones d’hébergement qui ne sont absolument pas préparées à cela et qui sont, je le répète, des zones de racket. Ce n’est pas possible.
Contrairement à ce que vous avez suggéré, le 22 septembre dernier, lorsque nous avons démantelé la « jungle », nous avons le soir même offert aux adultes comme aux mineurs isolés des possibilités d’hébergement. Cent vingt-cinq jeunes mineurs isolés ont, le soir même, dormi dans des centres d’hébergement spécialisés prévus à cet effet, mais ce n’est pas de notre fait si les deux cents places prévues pour les adultes n’ont pas été utilisées : aucun adulte ne s’est présenté…
La description que vous avez faite de la situation « post-jungle », si je puis dire, est objectivement fausse.
Pour ce qui est du grand froid et de la situation qui en résulte, permettez-moi d’affirmer que l’État joue son rôle, contrairement à ce que vous avez laissé entendre, car il aide les associations, matériellement et financièrement. On ne peut donc pas prétendre qu’il ne joue pas son rôle : il le joue au même titre que les collectivités locales, les régions et les départements.
S’agissant des enfants et des adolescents, vous savez parfaitement, monsieur Mermaz, que la France se singularise par le fait qu’aucun mineur étranger isolé présent sur son sol n’est jamais raccompagné à la frontière. Nous allons au-delà de ce que préconise le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, qui demande simplement un abri convenable pour rendre possible la reconduite de ces enfants ou de ces adolescents dans leur pays d’origine. Ce faisant, la France non seulement respecte sa tradition d’asile, mais, parlons franchement, clairement - on ne saurait être trop concret en la matière -, le citoyen français, et donc le contribuable, paie suffisamment cher cette obligation morale pour ne pas avoir à s’offrir, en plus, le luxe de l’auto-flagellation !
Sachons au moins reconnaître les mérites de nos initiatives. Je regrette, à ce titre, la description caricaturale et négative que vous avez faite de notre action en la matière.
Très bien ! sur les travées de l ’ UMP.
Mais je reprends l’examen de notre situation au regard des trois conditions posées par la directive.
Deuxième condition, donc, notre dispositif d’accueil des demandeurs d’asile afghans et d’examen de leurs demandes n’est pas saturé. Les demandeurs d’asile afghans, qui auraient vocation à bénéficier d’une protection temporaire en application de la directive du 20 juillet 2001, bénéficient aujourd’hui du droit d’asile en France, sans qu’aucune saturation ne vienne ralentir l’examen de ces demandes et la délivrance éventuelle du statut de réfugié.
En 2009, 352 décisions ont été prises par l’Office français des réfugiés et apatrides, l’OFPRA – organisme indépendant dont je respecte scrupuleusement toutes les décisions, je n’en infirme jamais aucune – conduisant à l’octroi de 127 statuts de réfugiés à des ressortissants afghans. Le taux de reconnaissance d’une protection a progressé, passant de 30 % en 2008 à 36 % en 2009.
Enfin, troisième et dernière condition, le retour dans le pays d’origine n’est pas impossible, que ce soit sur une base volontaire – j’y reviendrai – ou sur une base forcée, puisque c’est surtout le point que vous avez évoqué.
Monsieur Mermaz, la France a mis en œuvre des mesures d’éloignement, volontaire ou forcé, vers l’Afghanistan chaque année depuis vingt ans, y compris lorsque les talibans étaient au pouvoir, entre 1997 et 2001 ; j’étais alors moi-même dans la majorité et vous avez bien compris à quelle époque je faisais allusion. Ce n’est donc pas, contrairement à ce que vous avez suggéré, une nouveauté liée à ce gouvernement : la France, comme tous les pays européens, a réalisé des retours forcés vers l’Afghanistan sans discontinuer depuis vingt ans.
La totalité des pays visés par les filières d’immigration clandestine en provenance d’Afghanistan mettent en place de telles mesures de retour contraint, qu’il s’agisse du Royaume-Uni, travailliste
M. Marcel-Pierre Cléach s’exclame
Autrement dit, tous les pays cibles des filières mafieuses de l’immigration clandestine en provenance de l’Afghanistan reconduisent les Afghans vers leur pays d’origine, tous, mesdames, messieurs les sénateurs.
Concernant les mesures d’éloignement mises en œuvre par la France, le Gouvernement a veillé à ce que toutes les solutions alternatives soient préalablement proposées à ces personnes. Chacune d’entre elles s’est vu proposer le dépôt d’une demande d’asile. J’ai même ouvert, à titre exceptionnel, monsieur Mermaz, un bureau à la sous-préfecture de Calais pour que les Afghans, notamment, puissent déposer leur demande d’asile sans se rendre à Lille, puisque de nombreuses associations humanitaires prétendaient que la distance était un frein à l’exercice de ce droit.
Certaines de ces personnes avaient déjà demandé l’asile dans un autre pays européen et y ont été réadmises en application de la convention de Dublin. D’autres se sont vu refuser l’asile par l’OFPRA. D’autres, enfin, n’ont même pas souhaité déposer une telle demande.
Une aide au retour volontaire, comportant à la fois la prise en charge des frais de réacheminement et une aide à la réinsertion, leur a été systématiquement proposée.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ose à peine le révéler, mais plus de 200 ressortissants afghans interpellés en situation irrégulière ont demandé cette aide délivrée en partenariat avec l’Organisation internationale pour les migrations. J’assume donc les douze reconduites forcées, mais il faut savoir qu’il y a eu deux cents retours volontaires vers l’Afghanistan l’année dernière.
Chacune des personnes dont nous parlons a bénéficié d’une assistance juridique et administrative dans l’exercice de ses droits, mise en œuvre par des associations indépendantes et financée par l’État. Que l’on m’entende bien : c’est l’État français qui indemnise les associations aidant les étrangers en situation irrégulière à exercer leurs droits.
Chacune de ces personnes a été présentée devant les juridictions de l’ordre judiciaire - juge des libertés et de la détention –, qui ont validé l’ensemble de la procédure d’interpellation, de placement et de maintien en rétention, et ont notamment vérifié le respect des droits à chaque étape de la procédure.
Lorsqu’un recours a été déposé devant la juridiction administrative contre la mesure d’éloignement, ce recours a été rejeté, le juge administratif ne considérant pas que l’éloignement expose la personne à des risques de traitements inhumains.
Lorsqu’un recours a été présenté devant la Cour européenne des droits de l’homme, et vous savez, monsieur Mermaz, combien la juridiction de Strasbourg est exigeante, ce recours a été, lui aussi, rejeté.
Chacune de ces personnes a été présentée et identifiée formellement par l’ambassade d’Afghanistan à Paris comme ressortissant afghan engagé dans une procédure de retour contraint.
Ces mesures font application de l’accord entre le gouvernement afghan, le gouvernement français, et le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, signé le 28 septembre 2002.
Ces mesures font application des lois de la République, qui prévoient que les étrangers en situation irrégulière ne disposant d’aucun droit à séjourner sur notre territoire et ne demandant pas ou se voyant refuser l’asile ont vocation à être reconduits dans leur pays d’origine.
Je voudrais conclure en invitant le Sénat à réfléchir au fait que la France ne peut être à la fois l’un des pays les plus généreux au monde pour la demande d’asile – le deuxième après les États-Unis – en provenance de différents pays dont l’Afghanistan et l’un des seuls qui refuseraient toute mesure de reconduite contrainte de ressortissants afghans en situation irrégulière. On ne peut à la fois être attaché à l’asile, comme nous le sommes tous dans cet hémicycle, et ne pas admettre que ceux qui n’ont pu faire la preuve qu’ils en relevaient bien ou qui n’ont pas souhaité le demander ont vocation à rejoindre leur pays d’origine.
Dans aucun pays au monde le seul fait d’être originaire d’un pays où sévissent un conflit interne ou des troubles armés ne vaut en lui-même titre de séjour. La France ne peut accueillir l’ensemble des ressortissants de tous les pays qui connaîtraient une telle situation, car on en dénombre actuellement une vingtaine. Les 31 millions d’Afghans, en particulier, ne disposent pas d’un titre de séjour en France au seul motif de leur nationalité : ils doivent, s’ils s’estiment persécutés, déposer une demande d’asile.
Cette proposition de résolution est donc, je l’ai dit, à la fois inopportune et contre-productive. Elle porte atteinte à cette grande tradition républicaine qu’est l’asile, car celui-ci est fondamentalement incompatible avec une protection générale et sans condition : accorder une telle protection reviendrait à encourager l’activité, en Europe et en France, des réseaux mafieux de l’immigration clandestine, qui sont aussi ceux du trafic et de la traite des êtres humains.
Au moment même où l’ensemble des États de l’Union européenne travaillent, sur l’initiative de la France, au renforcement des frontières extérieures et à l’harmonisation des politiques de l’asile, ce projet de résolution résonne, je suis navré de devoir le formuler ainsi, monsieur Mermaz, comme un contresens.
Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Nicolas About applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous entamons la discussion de la proposition de résolution européenne portant sur la protection temporaire que présente le groupe socialiste. Ce débat nous confronte à deux types de problèmes, tant de forme que de fond, qu’a tout à fait judicieusement soulignés le rapporteur de la commission des lois, Pierre Fauchon – et je m’excuse par avance auprès de l’ensemble des collègues si mon discours comporte un certain nombre de redites par rapport à ce qu’il a exposé et qu’a repris à l’instant M. le ministre.
En premier lieu, cette proposition de résolution européenne est totalement irrecevable sur le plan juridique, car elle ne correspond pas au cadre posé à l’article 88-4 de notre Constitution. En effet, cet article permet l’adoption d’une résolution européenne dans deux cas : soit sur des « propositions d’actes », soit « sur tout document émanant d’une institution de l’Union européenne ». Or, la proposition de résolution qui nous est soumise aujourd’hui a un objet très différent, puisqu’elle tend à la mise en œuvre d’une procédure déjà existante, qui résulte d’une directive adoptée par le Conseil en 2001 et transposée dans notre droit en 2005.
On peut se demander pourquoi les auteurs de la proposition de résolution ne se sont pas fondés sur le nouveau droit général de résolution accordé par la réforme constitutionnelle ; là encore, je partage complètement l’analyse du rapporteur. La réforme de la Constitution, il faut le rappeler, offre de nouveaux droits aux groupes, en particulier à ceux de l’opposition. Plutôt que de soumettre à notre examen une proposition qui ne respecte pas la lettre de la Constitution, il aurait été préférable de suivre cette nouvelle procédure !
En second lieu, nous soutenons la position du rapporteur, qui a mis en exergue les nombreuses lacunes juridiques de fond de cette proposition de résolution.
Qu’il me soit permis à cet égard de citer le texte de la directive, qui définit la procédure temporaire comme « une procédure de caractère exceptionnel assurant, en cas d’afflux massif ou d’afflux massif imminent de personnes déplacées en provenance de pays tiers qui ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine, une protection immédiate et temporaire à ces personnes, notamment si le système d’asile risque également de ne pouvoir traiter cet afflux sans provoquer d’effets contraires à son bon fonctionnement, dans l’intérêt des personnes concernées et celui des autres personnes demandant une protection ».
Les personnes déplacées sont quant à elles définies comme « les ressortissants de pays tiers ou apatrides qui ont dû quitter leur pays ou région d’origine ou ont été évacués, notamment à la suite d’un appel lancé par des organisations internationales, dont le retour dans des conditions sûres et durables est impossible en raison de la situation régnant dans ce pays ».
Trois conditions sont ainsi posées à la mise en œuvre de cette procédure. Or, comme cela a déjà été indiqué, la proposition de résolution qui nous est soumise ne correspond à aucun des critères cumulatifs de la protection temporaire.
Le premier critère consiste dans l’existence d’un « afflux massif » de personnes déplacées.
M. le rapporteur a consulté le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés afin de connaître des chiffres récents en matière de demandes d’asile des réfugiés afghans. Les données statistiques qui nous ont été communiquées sont très claires sur ce point. Elles ne permettent certainement pas de considérer que nous faisons face à un « afflux massif ». Le nombre de demandes d’asile était assez important, il est vrai, au début des années 2000 – il a notamment connu un pic en 2001, avec plus de 45 000 demandes –, mais nous observons aujourd’hui une décrue très nette, avec environ 1 000 demandes par mois.
La directive qui a mis en œuvre le système de protection temporaire a été adoptée pour répondre à la situation que connaissaient les Balkans, notamment le Kosovo. Si mes collègues du groupe UMP et moi-même sommes extrêmement sensibles aux difficultés rencontrées par les réfugiés afghans, leur situation d’aujourd’hui n’est comparable ni avec celle du début des années 2000 ni avec celle des réfugiés des Balkans dans les années 1990.
Je tiens à saluer de nouveau, au nom du groupe UMP, la démarche de Pierre Fauchon. Sa volonté de consulter le Haut Commissariat des Nations unies, dont l’implication dans la sauvegarde des droits et le bien-être des réfugiés ne saurait être contestée, nous met en mesure d’analyser une situation particulièrement sensible à partir de données objectives. L’émotion, en la matière, ne saurait garantir les meilleures actions, bien au contraire.
Le deuxième critère du déclenchement du mécanisme de protection temporaire consiste dans l’incapacité du pays d’accueil de faire face aux demandes d’asile.
Or, comme l’a notamment démontré M. le ministre, la France est tout à fait capable de gérer ces demandes. Les chiffres sont d’ailleurs éloquents : 702 demandes ont été déposées auprès de la France en 2009, et l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, a déjà rendu 352 décisions, dont 127, soit plus du tiers, ont été positives. Cela prouve très clairement que, pour les réfugiés afghans, le système d’asile fonctionne parfaitement.
Enfin, le troisième critère consiste dans l’impossibilité pour les personnes déplacées de retourner dans leur pays d’origine dans des conditions sûres. Or, comme cela a été souligné dans le rapport de M. Haenel, le retour en Afghanistan ne se heurte pas à l’impossibilité absolue que mentionne la directive.
J’ajoute que, par définition, – ceux qui m’ont précédé à cette tribune l’ont également souligné – la protection temporaire n’offre aucune perspective de long terme, aucune possibilité d’amélioration véritable et durable de la situation des réfugiés. Elle permet seulement d’octroyer aux personnes qui en bénéficient un permis de séjour valable pour la durée de la protection, durée qui, en France, a été fixée à six mois. Il est donc clairement dans l’intérêt des Afghans qui en font la demande de pouvoir bénéficier, s’ils remplissent les conditions requises, d’une protection individuelle grâce aux autres procédures existantes ; ainsi, la protection subsidiaire offre une sécurité juridique bien plus importante.
Au regard de l’ensemble de ces remarques, le groupe UMP ne votera pas cette proposition de résolution.
Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Nicolas About applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à la fin de l’année dernière, la brutale évacuation par les forces de police d’un lieu de regroupement de jeunes clandestins afghans près de Calais et l’expulsion de quelques-uns d’entre eux vers leur pays d’origine avaient de nouveau attiré l’attention de l’opinion publique sur la situation humainement dramatique que connaissent ces hommes. Tous, sans exception, avaient d’abord été placés dans des centres de rétention administrative, puis remis en liberté sur décision judiciaire. Cet enchaînement d’événements avait légitimement suscité une grande émotion et indigné nombre de nos concitoyens.
Ces événements, qui venaient s’ajouter à d’autres, ont clairement démontré que le dispositif mis en place par le Gouvernement pour lutter contre l’immigration irrégulière est inadapté et inefficace. J’ai déjà eu l’occasion de le souligner : il manque de cohérence et ne peut donc résoudre de façon juste et humaine le problème posé par cet afflux de réfugiés. La tentative de plusieurs associations, ces derniers jours, pour ouvrir un nouveau centre d’hébergement à Calais en a encore fait la démonstration.
C’est dans ce contexte qu’intervient la proposition de résolution européenne soumise au vote du Sénat par nos collègues du groupe socialiste.
Par cette résolution, ils demandent au Gouvernement de transmettre à la Commission, conformément à la directive européenne du 20 juillet 2001, une demande de déclenchement du mécanisme dit de « protection temporaire ».
Ils souhaitent également que la France incite ses partenaires européens, qui par ailleurs sont, comme elle, engagés dans des opérations militaires en Afghanistan, à négocier entre eux afin que ces populations soient accueillies temporairement et dans des conditions décentes.
Face à la gravité, à l’urgence et à la dégradation de la situation, nous pensons qu’il faut absolument activer ce mécanisme prévu dans les textes européens afin de régler au plus vite un problème auquel la politique du Gouvernement est incapable de répondre.
La fermeture de la « jungle » de Calais n’a abouti, vous le savez bien, mes chers collègues, qu’à masquer ce problème et à le déplacer désormais à Paris, autour des gares du Nord et de l’Est.
Sur le fond, nous nous opposons avec vigueur à ces « retours forcés », qui, bien que leur nombre soit très limité, se font au mépris de toute considération humanitaire et ne tiennent aucun compte de la situation en Afghanistan, qui se dégrade. Je vous l’ai dit en son temps, monsieur le ministre, et je le répète encore : on n’expulse pas des gens vers un pays en guerre !
Comme le propose la résolution, la solution pourrait résider dans la protection temporaire, ou bien être trouvée grâce à une discussion au niveau européen qui se fixerait pour objectif l’harmonisation par le haut des systèmes d’asile communautaires.
Or le rapporteur de la commission des lois et celui de la commission des affaires européennes se réfugient derrière une argumentation spécieuse pour justifier l’opposition de la majorité de notre assemblée à cette résolution. Ils considèrent principalement que les trois conditions nécessaires au déclenchement du mécanisme de la protection temporaire ne sont pas réunies.
Comment, pourtant, peut-on prétendre qu’il n’y a pas d’afflux de ressortissants afghans alors que plus de 9 000 sont entrés dans l’Union européenne au premier semestre de 2009, ce qui les place au troisième rang derrière les Irakiens et les Somaliens ?
Certes, cet afflux ne désorganise pas, au sens de la directive, le système d’asile des États membres. Mais cela ne devrait pas nous empêcher de créer un système d’asile subsidiaire, comme nous y autorise une autre directive de 2004.
Mes chers collègues, si vous craignez que cela ne crée un « appel d’air » pour l’immigration clandestine, comme nous l’entendons souvent, …
Pas vous, monsieur le rapporteur, mais M. le ministre !
Si donc vous craignez que nous ne puissions régler seuls cette question, raison de plus pour en discuter au niveau européen, comme nous y invite la proposition de résolution du groupe socialiste.
Enfin, comment pouvez-vous considérer que la situation actuelle en Afghanistan est suffisamment sûre pour permettre aux personnes qui ont quitté ce pays d’y retourner ?
Mais ces arguties juridiques ne m’étonnent guère de votre part, vous qui soutenez la politique très restrictive en matière de droit d’asile menée par le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire.
Contrairement à ce que vous affirmez, monsieur le ministre, notre politique d’asile ne fonctionne plus correctement. Bien que la France soit encore le premier pays européen et le deuxième dans le monde en termes de nombre de demandeurs d’asile, le pourcentage de réponses favorables accordées par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, ne cesse de diminuer.
Observant l’activité de l’OFPRA, le dernier rapport de la CIMADE publié avant-hier fait craindre « un rabaissement du droit d’asile ». Il dénonce notamment l’accélération des procédures, qui a pour effet d’augmenter le nombre de rejets.
Cette politique ne fonctionne pas non plus au niveau européen, et elle sera même durcie avec la directive « retour », qui allongera considérablement la durée d’enfermement dans les centres de rétention.
Par ailleurs, la création d’un bureau européen d’appui en matière d’asile à Malte ira incontestablement, je le crains, dans le sens d’un alignement par le bas des procédures d’asile européennes.
Lorsque cette directive sera transposée dans notre droit interne, nous combattrons fermement cette tendance à faire qu’un enfermement « exceptionnel » des personnes en situation irrégulière devienne peu à peu un banal outil de politique migratoire.
Pour ma part, j’estime, au contraire, que toutes les conditions sont réunies pour adopter cette proposition de résolution européenne, dont les termes sont très acceptables, monsieur le rapporteur. Nous la voterons, car elle a le grand mérite de poser clairement les données de l’enjeu que représente l’immigration clandestine et de proposer des solutions alternatives, et crédibles, à la politique gouvernementale. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de dire un mot sur l’argumentation juridique qui nous a été opposée.
Nous avons visé l’article 88-4 de la Constitution et la directive du 20 juillet 2001 car nous avons adopté la démarche de Mme Keller lors de la discussion de sa proposition de résolution sur le marché des quotas de CO2, démarche d’ailleurs suivie par le Sénat !
Cette proposition de résolution visait en effet notamment l’article 88-4 de la Constitution et la directive 2009/29/CE.
Il s’agit donc bien du même cas de figure ! C’est donc en toute bonne foi que nous avons suivi la même démarche !
Cela étant, on aurait pu nous signaler ce problème en commission, d’autant que quinze jours se sont écoulés entre l’examen de cette proposition par la commission des lois et celui qui a été réalisé par la commission des affaires européennes.
Nous avons l’impression qu’il y a non pas de la mauvaise foi, mais deux poids deux mesures !
Vous nous avez suffisamment accusés de mauvais desseins pour que je ne me montre pas particulièrement gentil !
J’en viens aux raisons de fond qui nous ont été opposées.
Nos collègues rapporteurs affirment que l’on ne note pas actuellement en Europe un afflux massif en provenance de l’Afghanistan. Mais comment peut-on affirmer de tels propos, alors même que l’afflux massif est un phénomène qui n’a pas été défini ? Qu’entend-on par « afflux massif » : 500, 5 000, 50 000 réfugiés ? Personne ne le sait.
L’article 2 de la directive de 2001 explicite cette notion par un « nombre important de personnes déplacées ». Mais nous ne sommes guère plus avancés.
Au fond, à regarder l’histoire de plus près, ce sont 200 000 réfugiés afghans qui sont arrivés en Europe au cours des dix dernières années. Si 200 000 ce n’est pas, à vos yeux, un afflux massif, alors qu’est-ce que c’est ?
En outre, l’afflux massif est une notion à géométrie variable dans la mesure où vous avez récemment annoncé, monsieur le ministre, après que 124 Kurdes eurent échoué sur une plage corse, le dépôt d’un projet de loi visant à faire face à des « afflux massifs » d’étrangers en situation irrégulière. Là encore, nous avons l’impression qu’il y a deux poids deux mesures, selon que vous êtes afghan ou kurde !
Par ailleurs, nos deux collègues rapporteurs estiment qu’aucun État membre « ne se trouve dans une situation telle que son système d’asile serait submergé et dans l’incapacité de traiter les demandes afghanes ».
Certes, on peut avoir des appréciations différentes sur cette question, mais, à considérer la situation d’un peu plus près, on est obligé de relativiser cette affirmation.
En France, le nombre de demandeurs d’asile afghans a effectivement été faible en 2009 : 702, si mon chiffre est exact. Mais, vous l’avez dit vous-même, monsieur le rapporteur, c’est précisément dû au fait que les Afghans ne demandent pas l’asile à notre pays, soit parce qu’ils ne sont pas en capacité de le faire, soit parce qu’ils craignent d’être expulsés, en vertu du fameux règlement dit « Dublin II » de 2003, vers des pays qui accordent plus difficilement le statut de réfugié et ont, en outre, des conditions d’hébergement tout à fait désastreuses.
Il existe en Europe de très fortes inégalités de traitement des demandes d’asile, le taux de reconnaissance du statut de réfugié variant de moins de 1 % en Grèce à 75 % dans les pays d’Europe du Nord. On peut donc parfaitement comprendre que les Afghans cherchent à aller dans les pays qui leur offrent le plus de chances d’obtenir satisfaction.
En France, les centres d’accueil pour les demandeurs d’asile, les CADA, sont engorgés, et le dispositif de premier accueil a été démantelé. Cette situation ne devrait malheureusement pas s’améliorer en 2010. Voilà pourquoi quelques centaines d’Afghans au moins errent dans les conditions qui ont été décrites, des conditions indignes d’une République, allais-je dire, ou, en tout cas, de l’humanité ! Même si ces personnes sont dans l’illégalité, ce sont tout de même des êtres humains qui ont droit, à ce titre, à un minimum de considération ! Heureusement que les pouvoirs locaux et les associations sont là pour les aider, quoique vous pourchassiez, monsieur le ministre, les militants associatifs qui ont le malheur de vouloir s’occuper d’eux.
Mais la situation est encore pire dans certains autres pays européens ! On comprend, par exemple, que les demandeurs d’asile ne veuillent pas être renvoyés en Grèce !
M. Jacques Barrot, l’un de vos amis, monsieur le rapporteur, …
… alors commissaire européen, est revenu effaré de l’état des centres d’hébergement et des centres d’accueil qu’il a visités en Grèce ou ailleurs.
Pour ce qui est du retour dans le pays d’origine, je vous trouve très optimiste de dire que l’Afghanistan est une terre promise merveilleuse.
C’est tout de même ce que vous sous-entendez ! Moi, si j’étais à la place des réfugiés afghans, je ne sais pas si je retournerais en Afghanistan !
Si nous avons 250 000 ou 300 000 soldats là-bas, c’est que ce pays n’est pas très sûr !
Le gouvernement afghan lui-même a demandé que l’on ne lui renvoie plus de réfugiés ! Vous le voyez bien, votre argumentation est un peu limite.
Pour toutes ces raisons, vous comprendrez que je soutienne cette proposition de résolution européenne. D’ailleurs, je n’arrive pas à comprendre votre résistance obstinée, monsieur le rapporteur, à toute recherche de solutions en la matière.
Pourtant vous affirmez vous-même comprendre nos raisons, de bonnes raisons, reconnaissez-vous, et vous vous dites humaniste ! Pour notre part, nous cherchons à ouvrir un débat sur un problème humain douloureux, et nous n’avons fait que proposer un certain nombre de solutions. Peut-être ne les partagez-vous pas toutes – encore qu’elles soient tout à fait recevables ! –, mais nous nous demandons vraiment, en fait, si vous voulez vraiment trouver des solutions ! Telle est la vraie question que je me pose !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. François Fortassin applaudit également.
Je veux revenir sur un point factuel.
Je ne puis accepter que mon collègue et excellent ami Richard Yung m’accuse de ne pas avoir évoqué en commission la non-applicabilité de l’article 88-4 de la Constitution. Cette erreur me surprend d’autant plus qu’il a assisté à la réunion ; évoquant, à propos de cet article, les babouches de la Constitution, il a lui-même ajouté en plaisantant une phrase assez jolie : « Je baise les babouches de la Constitution ».
Sourires.
Référez-vous donc au compte rendu de la commission des lois, inséré dans le rapport, et vous pourrez y lire : « M. Pierre Fauchon, rapporteur, a fait état de deux objections à l’encontre de la proposition de résolution.
« D’une part, ayant donné lecture de l’article 88-4 de la Constitution, il a constaté que la proposition de résolution ne se situait pas dans ce cadre […].
« Il a estimé que cette initiative aurait dû se fonder sur le droit général de résolution de l’article 34-1 de la Constitution, tel qu’il résulte de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. »
Au demeurant, Mme Alima Boumediene-Thiery s’en souvient certainement, puisqu’elle a formulé, « après avoir reconnu la réalité du problème de recevabilité soulevé par le rapporteur », quelques observations qui lui étaient personnelles.
Cette question a donc été parfaitement soulevée, mon cher collègue ! Si vous ne comprenez pas les raisons pour lesquelles je maintiens mon argumentation, moi, je ne comprends pas comment vous avez pu oublier un épisode, d’ailleurs assez pittoresque, de notre discussion qui a eu lieu voilà quelques jours.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Sourires.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution européenne présentée par nos collègues du groupe socialiste vise principalement à permettre le déclenchement du mécanisme de protection temporaire, prévu par une directive de 2001, au profit des réfugiés afghans.
Au-delà du problème de recevabilité qu’il soulève, et qu’il vient encore d’évoquer, M. le rapporteur considère que cette proposition de résolution européenne revêt un caractère circonstanciel, inopérant d’un point de vue juridique, puisque les critères autorisant la mise en œuvre de la protection temporaire ne sont manifestement pas réunis, et inadapté au regard de la situation des réfugiés afghans.
Cette analyse, quelque peu péremptoire et essentiellement juridique, me laisse sceptique.
Quand bien même ce texte a été déposé à la suite de l’éloignement de ressortissants afghans au cours de l’automne 2009, comment le qualifier de « circonstanciel », alors même que l’on compte plus de 2, 8 millions de réfugiés afghans dans le monde et que, dans le nord de la France et à Paris même, plusieurs centaines d’entre eux vivent dans la rue et dorment sous les ponts ?
Le démantèlement spectaculaire, le 22 septembre dernier, de la « jungle » de Calais a suscité l’émotion d’une partie de l’opinion publique. Certes, le Calaisis était devenu une zone de non-droit où les conditions de vie étaient déplorables. Mais, vous le savez bien, depuis cette opération, la plupart des réfugiés afghans interpellés et placés dans des centres de rétention ont été libérés pour défaut de procédure.
Malgré les annonces et la communication gouvernementales, le problème reste entier, et le Nord continue de subir un afflux important de réfugiés. Pendant ce temps, le Royaume-Uni et la France continuent de se renvoyer la balle !
Quant aux retours forcés, vous connaissez notre opposition à une procédure dont les conditions de sécurité ne sont pas satisfaisantes, même si elle reste très limitée quant au nombre des personnes concernées.
S’agissant des critères posés par la directive relative à l’octroi de la protection temporaire, je serai, là aussi, plus mesuré.
Vous apportez des données chiffrées pour étayer votre affirmation selon laquelle les États membres de l’Union européenne ne sont pas confrontés à un afflux massif de réfugiés afghans empêchant le bon fonctionnement des systèmes d’asile.
Je n’ergoterai pas sur les chiffres, mais 9 135 demandes d’asile de réfugiés afghans dans l’Union européenne au premier semestre 2009, dont plus de 700 en France, ce n’est tout de même pas négligeable ! D’autant que le règlement de Dublin, comme le soulignent les auteurs de la proposition de résolution, masque sans doute une réalité plus grave.
Quant au critère d’impossibilité de retour dans le pays d’origine, quand on voit que le programme de rapatriement des réfugiés installés au Pakistan a été interrompu cet été, on est en droit de s’interroger sur les conditions de sécurité en Afghanistan. L’État pakistanais a jugé lui-même le pays suffisamment instable pour décider de prolonger l’hospitalité au 1, 7 million de réfugiés afghans enregistrés sur son territoire.
En réalité, cette proposition de résolution invite à une réflexion politique et humanitaire. La situation actuelle des populations afghanes, victimes depuis de longues années d’une crise qui a conduit à l’intervention de la France au sein d’une coalition internationale, invite à l’évidence à un traitement particulier des Afghans présents dans notre pays.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, on ne peut laisser ces derniers dans la situation de détresse qui est la leur. D’autant que le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, ou HCR, est particulièrement inquiet du nombre croissant d’enfants sans abri à Calais. Des employés de cette agence des Nations unies ont rencontré des enfants de neuf ans, voyageant avec un frère, une sœur.
Voilà quelques années, l’écrivain Atiq Rahimi, prix Goncourt 2008, a, lui aussi, été un réfugié afghan débarquant sans rien à Paris... À l’époque, il fut très bien accueilli. Aujourd’hui, dans une lettre ouverte de protestation, que n’aurait pas reniée l’abbé Pierre, il s’indigne que la France « poursuive les réfugiés afghans comme des criminels ». Il ajoute : « Il y a certainement eu une époque où on appelait un immigré un homme. Même s’il était sans papiers. […] Ne jetons pas dans les eaux du canal le manteau que saint Martin a partagé avec un pauvre ».
Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.
La proposition de résolution de nos collègues du groupe socialiste répond à cet appel, puisqu’il s’agit d’offrir une protection aux réfugiés afghans, au moins de manière temporaire, dans les pays européens, engagés par ailleurs dans le conflit militaire de leur pays.
Même si elle mérite d’être améliorée sur le plan juridique, la grande majorité du groupe RDSE votera cette proposition de résolution européenne, car elle en partage la philosophie ainsi que l’intention plus large manifestée par les auteurs d’une politique européenne plus efficace et plus ambitieuse en matière d’asile.
« Mieux partager la charge du fardeau des réfugiés » et « présenter un visage plus humain », tels étaient les deux objectifs du Pacte européen sur l’immigration et l’asile.
Pourtant, on sent bien que l’asile est de plus en plus sacrifié au nom de la nécessité proclamée d’une « maîtrise » sélective de l’immigration.
Les changements de procédures et de pratiques de la demande d’asile aux frontières, notamment aéroportuaires, intervenus au cours de la dernière décennie, le caractère souvent expéditif de l’examen des demandes, le raccourcissement des délais de recevabilité, l’absence ou la carence de traducteurs et d’avocats mettent en péril l’accès même au droit d’asile.
La Commission a présenté deux paquets de mesures en 2008 et en 2009 ayant pour objet d’harmoniser davantage et d’améliorer les normes minimales d’accueil des demandeurs d’asile. Où en sont les discussions sur ces propositions ? Il semble qu’elles peinent à aboutir.
L’agence des Nations unies pour les réfugiés demande la mise en œuvre d’une approche européenne commune pour les enfants, à travers une action législative et une coopération pratique entre les membres de l’Union européenne. Cette approche devrait inclure l’accès à des tuteurs qualifiés, à des procédures justes pour la détermination de l’âge des enfants et à des structures d’accueil appropriées.
Monsieur le ministre, quelles actions entend prendre la France dans ce sens pour faire avancer l’idée d’un régime d’asile européen commun ? Mais, d’abord, monsieur le ministre, avez-vous cette volonté politique ? Et, si oui, quelles mesures, autres que répressives et policières, entendez-vous mettre en œuvre au plus vite en faveur de ces réfugiés afghans, victimes d’enjeux politiques, religieux et stratégiques qui les dépassent totalement ?
Aussi, fort de notre humanisme et de notre tradition de tolérance, et dans la droite ligne des principes du radicalisme politique, la grande majorité des membres de mon groupe et la totalité des sénateurs radicaux de gauche approuveront cette proposition de résolution européenne.
Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
À l’occasion d’une séance de questions cribles, je vous avais interpellé, monsieur le ministre, sur la reconduite de plusieurs Afghans dans leur pays. Était-il vraiment besoin de souligner à quel point cette expulsion était incohérente au regard de l’engagement militaire de la France en Afghanistan ?
Alors que nous vous alertions sur la situation de ces migrants, sur l’indignité des charters eu égard à la situation en Afghanistan, vous nous répondiez que cette méthode était nécessaire au nom de la lutte contre « les filières criminelles et mafieuses de l’immigration clandestine », et, par ailleurs, tout à fait conforme aux normes juridiques.
Chaque fois que nous interpellons le Gouvernement, on nous oppose la sécurité ! Le centre d’accueil des réfugiés de Sangatte a été fermé. Le flux d’Afghans a-t-il cessé ? Non ! Vous avez également démantelé la « jungle » de Calais. Le flux d’Afghans va-t-il cesser ? Non ! Les demandes d’asile vont-elles diminuer ? Sans doute. Les clandestins seront-ils plus nombreux ? Assurément !
Le même individu, selon qu’il est réfugié ou clandestin, n’a pas le même comportement. Dans un cas, il travaille, cotise et s’intègre ; dans l’autre, il se cache, souffre et s’en remet parfois à de mauvaises mains. Où est donc la sécurité ? Du côté de la clandestinité ou bien du côté de l’intégration ?
En outre, monsieur le ministre, faut-il vraiment que des milliers d’hommes et de jeunes mineurs, loin de leur pays, de leurs proches, dans un état de précarité et de dénuement, soient, de manière récurrente, les otages de campagnes électorales ? Vous le savez, plus il y a de réfugiés, moins il y a de clandestins. C’est une question de statut et non de qualité humaine. C’est une question d’itinéraire et non de moralité.
Certes, ces personnes ne sont pas toutes éligibles au droit d’asile. Mais celles qui le sont ne peuvent obtenir ce statut. Au terme du règlement Dublin II, le droit d’asile est devenu une fabrique à clandestins. Le même migrant, porteur de la même histoire, se verra refuser le statut de réfugié en Grèce, alors qu’il l’obtiendrait en France.
Si les demandes d’asile ont diminué, ce n’est pas parce que le flot de migrants s’est tari ; ce n’est pas non plus parce que les filières sont démantelées. C’est parce que les personnes qui fuient les conflits dans leur pays n’ont aucun intérêt à déposer une demande d’asile en France ; elle aboutirait en effet automatiquement à une reconduite vers le pays d’entrée dans l’Union européenne où le droit est moins favorable.
Dans son rapport, notre collègue M. Fauchon nous a expliqué que la directive relative à la protection temporaire ne pouvait s’appliquer aux Afghans. Mais, par la voix de Louis Mermaz, le groupe socialiste tient à ce que soit prise en considération la notion d’afflux durable et à affirmer qu’il existe d’autres solutions pour que puissent réellement exercer leurs droits les personnes qui remplissent les conditions d’obtention du statut de réfugié parmi les Afghans et tous ceux qui fuient un conflit dans leur pays d’origine, et pour que ceux qui n’en bénéficieront pas soient préservés d’un retour forcé et obtiennent un statut administratif temporaire. La clandestinité n’est pas une fatalité !
Suivant en cela les recommandations du HCR, nous souhaitons par conséquent que la France applique la clause de souveraineté prévue par le règlement Dublin II et que les examens des demandes d’asile aient lieu en France et non dans le pays d’entrée, en l’occurrence la Grèce. Cela relève d’une décision politique. Envisagez-vous une telle option ?
Pour les Afghans en transit en France et astreints à la clandestinité en attendant d’entrer en Grande-Bretagne, envisagez-vous d’adopter des mesures nationales, afin que ces migrants non seulement soient assurés de ne pas craindre un retour forcé, mais surtout aient accès à certains droits temporaires ?
À l’échelon européen, nous plaidons pour que la diversité des situations de migrations soit mieux prise en compte. L’Europe a tendance à considérer la migration comme une installation définitive. Or nombreux sont ceux qui souhaitent retourner chez eux aux jours meilleurs.
Surtout, il nous semble qu’il convient de revoir le règlement Dublin II, afin de mettre en place une plus grande solidarité européenne. Les dispositifs d’asile sont surchargés, donc inefficaces dans les pays frontaliers. Il faudrait au minimum que le constat d’une situation de saturation entraîne une clause de suspension des délais légaux d’examen des dossiers.
Par ailleurs, le 4. de l’article 4 du règlement Dublin II permet, en théorie, à un demandeur d’asile séjournant à Malte d’adresser sa demande à la France. Mais cette possibilité n’est que théorique et, de plus, elle n’est pas optimale au regard des droits. Pourquoi ne pas envisager que le demandeur d’asile choisisse le pays où il souhaite faire sa demande et qu’il y soit conduit le temps de l’examen de son dossier ?
En la matière, vous l’avez compris, nous souhaitons que ces migrants aient pleinement accès à leurs droits. Dans la mesure où, pour l’essentiel, ils sont en transit en France, nous aurions tort de nous en remettre à court terme à une improbable décision européenne, d’autant que des issues nationales existent et que le règlement Dublin II prévoit la clause de souveraineté.
Monsieur le ministre, nous vous avons suggéré des pistes de réflexion et fait des propositions concrètes ; nous espérons que vous saurez les entendre.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Vous avez raison, monsieur Fauchon : en commission, j’étais d’accord avec vous sur l’article 88-4 de la Constitution, et je ne reviendrai pas sur la question de procédure.
Je souhaite m’attaquer plutôt au fond, car, derrière cette question simple se pose une question fondamentale : pouvons-nous imaginer aujourd’hui un instrument juridique ad hoc pour répondre à l’arrivée importante de réfugiés afghans sur le territoire européen et leur apporter un soutien moral et matériel ? Il s’agit d’une question d’ordre humanitaire, tout simplement !
Il faut savoir que cette proposition de résolution s’inscrit dans un contexte très précis. L’Union européenne a entamé un processus d’harmonisation des règles régissant l’octroi et l’accueil des réfugiés et des demandeurs d’asile, et je vous rappelle que ce n’est pas sous l’impulsion de notre pays. En effet, si la France a lancé le Pacte européen sur l’immigration et l’asile en 2008, alors qu’elle présidait l’Union européenne, cette politique européenne de l’immigration et de l’asile a été décidée à Tampere en 1999. J’y étais et je me souviens encore du débat ! Mais nous sommes en attente depuis plus de dix ans... Les « paquets asile » se succèdent, mais n’aboutissent pas. Nous en sommes au deuxième, lequel n’a malheureusement toujours rien apporté !
La double exigence qui est la nôtre est à la fois de prendre en compte la situation des Afghans et de favoriser une réforme ambitieuse du droit d’asile européen. En fait, ce sont les deux faces d’une même médaille ! On ne saurait, en effet, séparer les deux questions.
Je ferai, si vous le permettez, quelques commentaires sur le « paquet asile » européen, question dont je m’occupais déjà au Parlement européen et pour laquelle, au sein de la commission des affaires européennes du Sénat, je suis co-rapporteur, avec M. Robert del Picchia.
J’ose vous dire que j’étais optimiste au départ. La Commission européenne avait proposé un texte ambitieux. Malheureusement, il ne faut pas se leurrer. Ce texte fera certainement les frais d’un compromis bien en deçà de nos attentes, notamment sur la question des conditions d’accueil des demandeurs d’asile. Il est aussi à craindre qu’il n’entre pas en vigueur avant 2012 au moins !
Que faire en attendant ? Dans ces circonstances, cette proposition de résolution européenne doit aujourd’hui être examinée en urgence. Si l’Union européenne souhaite se doter d’instruments juridiques plus adaptés à la réalité du phénomène de l’asile, elle reste, à ce jour, incapable de « gérer » des situations exceptionnelles nécessitant des solutions elles-mêmes exceptionnelles à un moment donné.
Ne perdons pas de vue que de nombreuses situations n’existaient ni en 2001, ni en 1999 lorsque ces paquets asile avaient été demandés. Ces questions, que l’on ne considérait pas comme pertinentes, sont aujourd’hui un enjeu majeur de la réforme ambitieuse et volontaire du droit d’asile européen.
L’échelle européenne est certainement la plus adaptée. Le droit d’asile ne peut pas être un droit à géométrie variable, chaque État adoptant une démarche isolée. Il s’agit d’une question à 100 % européenne !
Nous devrons intégrer plusieurs exigences qui sont totalement absentes des projets proposés jusqu’à présent, en particulier la question des États de transit, dans lesquels les demandeurs d’asile ne font que passer et où ils ne souhaitent nullement s’installer.
Monsieur le ministre, pour ces populations en transit, il est impératif de trouver un outil juridique simple, en lieu et place de la solution radicale que vous proposez, à savoir le retour forcé !
Il faut aujourd’hui se pencher sur cette question, comme il faudra examiner celle qui concerne les réfugiés climatiques. Il convient en effet d’adapter le cadre général de la politique d’asile aux situations urgentes de nature nouvelle. Je pense en particulier à ce flux important de réfugiés. Dans de telles circonstances, seule une refonte complète et inclusive du droit d’asile est susceptible de répondre aux situations spécifiques, comme celle que connaissent les réfugiés afghans.
Cela étant dit, est-il raisonnable aujourd’hui de renoncer à appliquer, en faveur des Afghans, la directive relative à la protection temporaire ? Au cours d’un débat qui s’était tenu ici même sur la politique d’immigration, quelques jours après la première vague de reconduites d’Afghans vers leur pays, reconduites que je continue de qualifier de scandaleuses, j’avais évoqué la possibilité de recourir à cette directive, adoptée en 2001 pour protéger les personnes fuyant les conflits des Balkans. Une telle directive est, à nos yeux, un exemple de la solidarité européenne, dont nous devons nous féliciter.
Pourquoi, dans l’attente d’un second « paquet asile », ne pas appliquer cette directive ou rédiger un nouveau texte permettant d’apporter une réponse en la matière ? Nous serions tout à fait honorés de l’« impulser » en Europe !
Je ne souscris pas entièrement aux arguments développés par M. Fauchon ni, d’ailleurs, à ceux du HCR, concernant l’applicabilité aux Afghans des critères prévus par cette directive. J’estime en effet que l’attribution de la protection temporaire aux ressortissants afghans est possible, car les critères fixés par la directive de 2001 ne paraissent pas cumulatifs. Je me souviens encore du débat qui s’était tenu à l’époque au Parlement européen, puisque j’en ai été l’une des actrices. Je vous demande d’ailleurs, mes chers collègues, d’en relire le compte rendu, ce qui vous permettra de constater la véracité de mes propos.
Personne ne peut le nier, l’Afghanistan connaît une situation de guerre, ce qui entraîne un afflux important, certes moindre que celui que nous avons connu en 2000, de réfugiés afghans. Nous devons oublier un instant la question du droit, ou plutôt la dépasser, pour évoquer le fond du problème, à savoir le courage politique nécessaire pour répondre à la situation posée.
Monsieur le ministre, vous n’avez pas jugé bon de protéger ces personnes, alors que, au même moment, le site internet de l’ambassade de France en Afghanistan recommandait aux Français de ne pas se rendre dans ce pays. Ce cynisme, nous sommes nombreux à ne pas le partager !
Le décret du 10 août 2005, qui a transposé en droit français la directive du 20 juillet 2001, peut être modifié dans les plus brefs délais. Rien ne vous interdit d’assouplir les conditions requises. Rien ne vous interdit de créer un régime sui generis pour la protection effective des populations afghanes. Rien n’interdit de mettre un terme au scandale qui consiste à renvoyer des personnes vers un pays en guerre. Rien, si ce n’est le manque de courage politique !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Je suis saisi, par M. Cointat, d'une motion n°1, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de résolution européenne portant sur la protection temporaire (n° 159, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Christian Cointat, auteur de la motion.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mes propos liminaires ont pour objet de clarifier la situation.
Cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité n’a aucun lien direct ou indirect avec le contenu de la proposition de résolution présentée aujourd’hui, elle ne se fonde que sur le droit. Une telle caractéristique est d’ailleurs conforme au règlement de notre assemblée, et il serait bon que toutes les motions tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité s’en inspirent, certaines s’écartant largement, selon moi, de ce principe.
Messieurs Mermaz et Yung, vous avez fait référence à une proposition de résolution de Mme Keller, présentée par la commission des affaires européenne et adoptée par le Sénat. Or celle-ci ne s’inscrivait pas dans le même cadre. Elle faisait à juste titre référence à l’article 88-4 de la Constitution. En effet, la proposition de directive évoquée mentionnait que, avant le 30 juin de cette année, la Commission européenne devait présenter un règlement. La proposition de résolution de Mme Keller invitait par conséquent le Gouvernement à prendre en considération un certain nombre de propositions de la Haute Assemblée, afin que le futur règlement puisse tenir compte des observations formulées.
Dans un souci de cohérence, vous le savez très bien, il appartient à la commission des lois de veiller à établir une jurisprudence en la matière. Elle est dans son rôle. Il est normal qu’elle rappelle les règles, ce qui nous permettra, justement, d’être encore mieux entendus.
Je tiens aussi à le préciser, la procédure choisie, à savoir la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, avait pour but, mes chers collègues, de permettre le débat, pour bien montrer que nous sommes tous attachés au sort des réfugiés. Un débat de qualité, qui arrive maintenant à son terme, s’est tenu. Au lieu de voter contre cette proposition de résolution, j’espère que le Sénat votera pour la motion que je m’apprête à défendre.
Je serai bref, M. le rapporteur de la commission des lois ayant déjà largement exposé les arguments qui en justifient le dépôt.
Vous me permettrez néanmoins, mes chers collègues, d’insister sur deux points.
En premier lieu, je veux rappeler, afin d’éviter à l’avenir toute dérive, les termes exacts des deux premiers alinéas de l’article 88-4 de notre Constitution : « Le Gouvernement soumet à l’Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil de l’Union européenne, les projets d’actes législatifs européens et les autres projets ou propositions d’actes de l’Union européenne.
« Selon des modalités fixées par le règlement de chaque assemblée – et cela est prévu dans notre règlement –, des résolutions européennes peuvent être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions, sur les projets ou propositions mentionnés au premier alinéa, ainsi que sur tout document émanant d’une institution de l’Union européenne. »
Je salue à cet égard le travail de Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois lors de la révision constitutionnelle de 1999 préalable à la ratification du traité d’Amsterdam : c’est à cette occasion que l’article 88-4 a pris une forme proche de celle que nous connaissons aujourd’hui en matière de résolutions européennes. Ses travaux permettent de comprendre le sens précis de cet article.
Pour en revenir à la proposition de résolution déposée par nos collègues du groupe socialiste, elle ne repose, comme l’a indiqué notre rapporteur, ni sur un projet d’acte européen ni sur un document émanant d’une institution européenne, livre vert, livre blanc ou autre. Elle invoque deux directives en vigueur, et principalement celle du 20 juillet 2001 relative à la protection temporaire.
En second lieu, la proposition de résolution invite certes, de manière générale, à la réforme des instruments européens en matière d’asile et de protection internationale, mais elle demande surtout que la France sollicite de la Commission européenne qu’elle propose au Conseil d’attribuer aux ressortissants afghans le bénéfice de la protection temporaire. Nous sommes encore plus loin tant du texte que de l’esprit de l’article 88-4.
On peut d’ailleurs s’interroger sur l’intervention du Parlement dans une procédure de cette nature visant à solliciter la Commission.
Mes chers collègues, je l’ai rappelé d’entrée de jeu afin d’éviter tout malentendu, cette motion n’a pas pour objet d’escamoter le débat sur le fond, c’est-à-dire sur les conditions d’accueil des réfugiés afghans en France et en Europe. Ce débat vient d’ailleurs d’avoir lieu, et M. le ministre y a pleinement participé, de même que nos collègues de tous les groupes, et nous nous en félicitons.
Il s’agit simplement de faire respecter les procédures prévues par notre Constitution. Comme le disait Lacordaire, entre le fort et le faible […], c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Si nous voulons être entendus, nous devons respecter le droit.
L’article 88-4 de la Constitution permet d’adopter des résolutions dans des cas précis. À l’article 34–1 de la Constitution figure désormais un droit général de résolution, instauré – je devrais dire restauré – par la révision constitutionnelle de juillet 2008. C’est sur cette base juridique qu’il convient de s’appuyer quand on veut présenter des résolutions qui ne peuvent se fonder sur l’article 88-4 de la Constitution.
Il existe donc deux régimes distincts. Celui qui est prévu à l’article 88-4 doit être utilisé conformément à son objet, qui est de prendre position sur un projet, au sens large, d’acte ou de réforme envisagé au niveau européen. L’existence de l’article 34–1 renforce d’ailleurs mon argumentation : puisque nous disposons d’un droit général permettant de déposer des propositions de résolution, lesquelles, je le rappelle, ne sont pas assujetties à un examen en commission, n’utilisons l’article 88-4 qu’à bon escient !
C’est important, parce que nous ne sommes pas seuls. N’oubliez pas qu’il s’agit non pas d’une interprétation du droit purement franco-française, mais d’une question touchant l’Europe et son fonctionnement. Nous devons donc être prudents et ne pas inciter nos partenaires à des interprétations dont les dérives pourraient être lourdes de conséquences pour l’avenir.
Vous le savez, certains de nos partenaires, particulièrement exigeants, sont réticents à aller de l’avant dans la construction européenne. Aussi, ne leur donnons pas des armes pour bloquer davantage l’avancée européenne, parce que nous ne nous montrerions pas dignes de confiance en interprétant d’une manière par trop audacieuse les textes adoptés avec peine.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous demande de voter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Je le répète, celle-ci porte non pas sur le fond, mais sur la forme, c'est-à-dire sur le respect du droit, qui nous permet de renforcer nos positions.
Grâce à l’article 34-1 de la Constitution, nous disposons des outils nécessaires pour déposer des résolutions sur les sujets politiques qui nous paraissent de nature à être traités dans cette assemblée.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – M. le rapporteur applaudit également.
Cher collègue Christian Cointat, nous sommes pleinement dans notre rôle de Parlement national en demandant au Gouvernement de transmettre à la Commission européenne notre position concernant la législation européenne ou ses éventuelles modifications.
Vous dites qu’il faut veiller à ne pas modifier un texte adopté avec peine, en l’occurrence la directive de 2001. Mais force est de constater qu’elle n’est pas opérationnelle et ne sert à rien et, dès lors, il faut tirer les conclusions qui s’imposent.
Sur le recours à l’article 88-4 de la Constitution, je reviens brièvement au précédent que j’ai évoqué tout à l’heure, puisque aucune réponse ne m’a été donnée.
La proposition de résolution relative aux quotas de CO2, qui visait une directive existante, a été déposée sur le fondement de l’article 88-4 de la Constitution. Le texte que nous proposons aujourd’hui s’inscrit dans le même cadre, personne n’a réussi à démontrer le contraire.
Même si celui-ci n’est pas approprié, il existe une jurisprudence en la matière.
Mes chers collègues, nous avons voulu soulever un problème lourd, clairement identifié, un vrai problème de conscience.
Nous avons proposé au moins deux solutions : l’adoption d’une clause de non-renvoi et, si on est ambitieux, l’ouverture d’un débat avec nos partenaires sur la façon de mieux partager la charge des réfugiés, en particulier afghans.
C’est notre rôle d’ouvrir un débat sur ces questions. Monsieur le rapporteur, vous avez abordé cette question à la fin de votre intervention, par le biais d’un concept qui vous est cher, que je partage d’ailleurs, celui de coopération renforcée, laquelle a pour objet de réunir ceux qui ont la volonté d’avancer.
Pour notre part, nous avons souhaité, dans un premier temps, instaurer un dialogue dans le cadre de l’Union européenne, c'est-à-dire en réunissant les Vingt-Sept. En cas d’échec, nous sommes tout à fait prêts à vous emboîter le pas, en prônant un dialogue entre les douze, treize, quatorze ou quinze pays intéressés.
Je ne comprends donc pas pourquoi vous repoussez notre proposition avec une certaine superbe !
Je ne reviendrai pas sur les termes de ce débat, qui fut assez complet. Pour ma part, je suis favorable à l’adoption de la motion. Le vote de cette proposition de résolution européenne serait un mauvais signal quant au fonctionnement des institutions européennes. Nous souhaitons que l’Europe progresse. Aussi, il faut se garder de se livrer à une interprétation fantaisiste des textes, sinon nous barrerions la route à de nouveaux progrès.
La position du Gouvernement est identique à celle qui a été adoptée par M. le rapporteur, au terme d’une démonstration extrêmement claire.
Nous voterons évidemment contre cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Monsieur le ministre, vous avez choisi de faire surtout l’éloge de la politique menée par la France en matière d’asile – éloge que nous ne faisons pas nôtre – pour ne pas nous répondre directement sur le cœur de notre proposition de résolution, à savoir les réfugiés afghans.
La situation de ces derniers, souvent de très jeunes hommes, revient malheureusement très souvent dans l’actualité. Il y a quelques jours encore, Calais était le théâtre d’une évacuation musclée.
Une évidence devrait pourtant s’imposer à tous : la conception classique de l’asile ne permet pas de répondre à ce type de situation. Il nous faut convaincre l’Europe d’avoir une vision plus ambitieuse de l’asile et de mettre enfin en œuvre la mécanique de protection temporaire.
Celle-ci a été créée par la directive de juillet 2001 relative à la protection temporaire et n’a trouvé à ce jour aucune application. Nous pensons qu’elle devrait s’appliquer aux réfugiés afghans en provenance d’Afghanistan et du Pakistan.
L’application à la lettre des termes de cette directive semble, aux yeux de certains, interdire le recours à l’octroi d’une protection temporaire pour les Afghans. Mais il est des moments où le droit doit pouvoir être adapté aux situations de crise extrême, et non l’inverse.
En effet, les deux conditions motivant le refus d’application de cette protection temporaire ne me semblent pas pouvoir être opposées de bonne foi.
La première, c’est l’exigence d’un afflux massif de refugiés qui puisse mettre en cause le bon fonctionnement des systèmes d’asile. Comment ne pas considérer l’ampleur de l’exil des Afghans ? Depuis des années, ceux-ci fuient leur pays en masse. Un réfugié sur quatre dans le monde est originaire d’Afghanistan et 96 % d’entre eux arrivent dans les pays voisins, au Pakistan et en Iran.
S’ils sont moins nombreux à accomplir le voyage jusqu’en Europe, c’est que la route est longue et semée d’embûches. En dépit de ces difficultés, ils sont plus de 9 000 à avoir fait le chemin jusqu’en Europe au premier semestre 2009, dont 700 vers la France. Ils se classent ainsi au troisième rang, après les Irakiens et les Somaliens. Cela me semble tout de même constituer un flux de réfugiés particulièrement significatif, qui devrait interpeller chacun d’entre nous sur la nécessité d’agir en urgence.
La seconde condition, c’est une dangerosité et une insécurité telles dans le pays d’origine qu’elles ne permettent pas aux personnes déplacées d’y retourner.
Qui peut aujourd’hui contester la situation de guerre sur le territoire afghan ? Nos pensées vont d’ailleurs au soldat français qui est tombé hier. Qui peut aujourd’hui contester que ce sont les populations civiles qui paient le plus lourd tribut à ce conflit ? L’Afghanistan n’est pas un pays sûr, monsieur le ministre, à tel point que le programme de rapatriement dans ce pays des réfugiés installés au Pakistan a été interrompu cet été.
En tout état de cause, cela ne devrait pas dispenser l’Europe de prendre sa part à une solution rapide et temporaire. De nombreux États européens viennent de décider l’envoi de renforts supplémentaires – 1 000 hommes pour l’Italie et 500 pour le Royaume-Uni, notamment. Ils ont donc le devoir d’apporter leur contribution à l’accueil temporaire des réfugiés. Et si le dispositif de la protection temporaire est si contraignant qu’il ne peut jamais être mis en œuvre, il faut en changer. Il n’est pas possible de s’en tenir au statu quo.
Avec cette proposition de résolution européenne de mon collègue Louis Mermaz et du groupe socialiste, apparentés et rattachés, nous souhaitons faire bouger le cadre juridique européen pour promouvoir une plus grande protection temporaire de ces populations.
Nous voudrions pouvoir compter sur notre assemblée pour adopter cette proposition de résolution, plutôt qu’elle ne vote cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Nous voudrions pouvoir compter sur la France pour agir auprès des instances européennes afin que soit enfin déclenché l’octroi de la protection temporaire aux réfugiés afghans.
Allez-vous, mesdames, messieurs les membres de la majorité, décevoir cette attente en vous réfugiant dans un juridisme stérile, sur la base d’un texte communautaire, la directive de 2001, dont force est de constater qu’elle est mort-née ? L’adoption de notre proposition de résolution européenne ouvrirait la voie à une révision sérieuse de cet état de droit inopérant.
C’est pourquoi, comme je l’ai dit en introduction de mon propos, nous voterons contre cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Je mets aux voix la motion n° 1 de M. Cointat, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de résolution.
J’ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, de même que l’avis du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici le résultat du scrutin n° 149 :
Le Sénat a adopté.
En conséquence, la proposition de résolution européenne est rejetée.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 11 février 2010 :
À neuf heures :
1. Proposition de loi visant à supprimer la fiscalisation des indemnités journalières versées aux victimes d’accident du travail, à instaurer la réparation intégrale des préjudices subis par les accidentés du travail et à intégrer le montant des cotisations accidents du travail et maladies professionnelles versé par les entreprises dans leur chiffre d’affaires soumis à l’impôt sur les sociétés, présentée par Mme Annie David et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche (n° 194, 2009-2010).
Rapport de Mme Annie David, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 256, 2009-2010).
À quinze heures :
2. Proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public (n° 236, 2009-2010).
Rapport de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale (n° 259, 2009-2010).
Texte de la commission (n° 260, 2009-2010).
3. Proposition de loi relative à la solidarité des communes dans le domaine de l’alimentation en eau et de l’assainissement des particuliers, présentée par M. Christian Cambon et plusieurs de ses collègues du groupe UMP (n° 228 rectifié, 2008-2009).
Rapport de M. Michel Houel, fait au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (n° 242, 2009-2010).
Texte de la commission (n° 243, 2009-2010).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à dix-huit heures quarante.