Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’abord de remercier M. Courteau, auteur de la présente proposition de loi, et M. Pillet, rapporteur, du travail remarquable qu’ils ont accompli sur un sujet qui me tient très à cœur.
Adapter notre arsenal juridique à une délinquance pendant trop longtemps renvoyée à la sphère privée, voire niée, relève en effet de notre responsabilité partagée.
Les violences commises au sein du couple – qui ne sont pas une fatalité, comme en témoignent les résultats obtenus grâce aux efforts déjà accomplis pour lutter contre ces actes dramatiques – doivent être mieux connues pour être encore mieux combattues.
La proposition de loi soumise à votre examen, dont je salue la qualité, procède ainsi à la fois d’une approche informative en direction du public, répressive à l’encontre des auteurs et protectrice au bénéfice des victimes.
Cependant, comme l’a à juste titre souligné M. le rapporteur, un autre texte portant sur le même sujet, la proposition de loi de Mme Bousquet et de M. Geoffroy renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes, est actuellement en cours d’examen à l’Assemblée nationale.
Comme vous le savez, à la suite du long débat qui s’est tenu hier après-midi au sein de la commission chargée de l’étudier – débat au début duquel Mme le garde des sceaux s’est exprimée –, ce texte a été approuvé par tous les groupes, des amendements émanant tant de la majorité que de l’opposition ayant d’ailleurs été adoptés.
Ainsi élaboré conjointement par tous les groupes parlementaires, mais aussi enrichi par des propositions du Gouvernement, il sera examiné en séance à l’Assemblée nationale le 25 février et donc transmis dès la fin du mois de février au Sénat, qui pourra donc débattre à brève échéance des améliorations encore nécessaires en matière de lutte contre les violences au sein des couples.
Eu égard à la gravité du sujet et à la nécessité d’assurer la cohérence du travail parlementaire mené par le Sénat et l’Assemblée nationale, le Gouvernement soutient la position que vient de défendre de façon convaincante M. le rapporteur, à savoir l’adoption d’une motion tendant au renvoi en commission de la présente proposition de loi, étant entendu qu’il ne s’agit ni d’une mesure dilatoire ni d’un refus d’aborder le débat.
Ce renvoi permettra de traiter ce sujet important dans le cadre d’un débat unique, afin non seulement d’éviter les incohérences entre les deux textes, mais aussi de fédérer les idées et les mesures qui vont dans le sens de la protection des victimes de violences. Il s’agit donc évidemment non pas de s’opposer à un texte dont tout le monde souligne d’ailleurs la qualité, mais de coordonner le travail parlementaire en vue de parvenir à texte unique sur un même thème.
Il n’en reste pas moins que débattre comme nous le faisons en ce moment des violences commises au sein de la sphère familiale est fort utile tant l’ampleur de cette forme de délinquance reste difficile à apprécier, ce qui rend d’autant plus fondés les efforts réalisés par l’ensemble des institutions et pouvoirs publics depuis plusieurs années. Il faut en effet mieux connaître et identifier ce fléau, les chiffres officiels ne permettant pas d’avoir une connaissance précise et affinée des violences commises au sein du couple.
La délégation aux victimes du ministère de l’intérieur a ainsi recensé pour l’année 2008 un total de 184 personnes décédées, dont 156 femmes, tombées sous les coups d’un conjoint ou d’un concubin. Mais combien de victimes de ces violences ont-elles mis fin à leur calvaire physique et psychique en se donnant la mort ? Ce chiffre reste inconnu alors même que les enquêtes de victimisation ont été multipliées depuis l’an 2000.
De même, les parquets français ont, en 2008, enregistré 59 427 nouvelles affaires de violences conjugales, contre 42 574 en 2005. Cette augmentation résulte-t-elle de la hausse – souhaitable – du nombre des plaintes liée à une plus forte sensibilisation à la question ou d’une dégradation des comportements au sein de notre société ? On ne le sait, mais force est de constater le phénomène.
Sur la même période, le nombre des condamnations prononcées de ce chef est passé de10 684 à 16 773. Mais personne, là encore, ne peut aujourd’hui affirmer connaître l’exacte ampleur du fléau tant la loi du silence reste trop souvent la norme chez les victimes, par peur des représailles, par « honte » – terme souvent employé par les victimes – ou par ignorance de leurs droits.
L’Observatoire national de la délinquance, je le rappelle, estime que les plaintes déposées par les victimes ne représenteraient que 9 % des violences conjugales réellement subies dès lors que la victime vit avec l’auteur au moment des faits.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous comprendrez que le chemin qui nous reste à parcourir est encore long. Il faut que nous allions vers une meilleure connaissance du phénomène, un renforcement dans l’accompagnement de la victime et une répression accrue des auteurs de ces violences, qui touchent tous les milieux sociaux, sans exception.
Il importe donc que les pouvoirs publics poursuivent leur lutte contre ce fléau. La répression plus sévère des violences dès lors qu’elles sont commises par un conjoint ou un concubin, inscrite dans le nouveau code pénal en 1994, avait montré leur attachement à combattre plus fermement les violences commises au sein du couple.
La loi du 26 mai 2004 relative au divorce, la loi du 12 novembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, à l’origine de laquelle se trouvait déjà le sénateur Roland Courteau, la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance et, enfin, la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs ont, depuis, créé une dynamique salutaire.
D’abord, ce sujet douloureux n’est plus tabou : on en parle de plus en plus librement. Il fait aujourd’hui l’objet de débats, de campagnes de sensibilisation – et je puis témoigner que les collectivités territoriales s’y impliquent –, notamment au travers d’affiches, mais aussi dans les médias, lesquels ont d’ailleurs pris conscience du problème et se sont eux-mêmes engagés dans des démarches de sensibilisation, en particulier par le biais de films de courte durée diffusés à la télévision et qui ont eu un impact indiscutable.
Ensuite, le dispositif législatif existant est d’ores et déjà parvenu à atteindre un double objectif : la protection de la victime, souvent par l’éviction de l’auteur des violences du domicile familial, mais également une répression pénale accrue tant dans la sanction que dans le traitement thérapeutique imposé à l’auteur de violences.
Le ministère de la justice participe évidemment à cet effort en sensibilisant les parquets à cette question érigée pour cette année 2010 en « Grande cause nationale ». J’en veux pour preuve – et ce ne sont que des exemples parmi d’autres – la diffusion d’un guide de l’action publique consacré à la lutte contre les violences au sein du couple ou le lancement d’une expérimentation en Seine-Saint-Denis reposant sur l’attribution d’un téléphone portable d’alerte aux victimes de violences.
Vous le savez, beaucoup d’autres initiatives ont été prises, à tous les niveaux, et les magistrats comme les enquêteurs peuvent s’appuyer sur un corps législatif très sensibilisé et qui est à la pointe de la lutte contre les violences au sein de la sphère familiale.
Néanmoins, cette lutte ne peut souffrir aucun répit et, nous en convenons tous, beaucoup reste à faire.
Mme le garde des sceaux et moi-même avons la conviction qu’au cours des prochains débats parlementaires il nous faudra nous montrer attentifs sur plusieurs aspects afin de renforcer le dispositif existant. Je pense notamment à l’amélioration du délai de réponse de la justice en matière d’éviction de l’auteur du domicile familial ou d’attribution de l’aide juridictionnelle à la victime, sujet évoqué par l’auteur de la proposition de loi, ainsi qu’au renforcement des mesures d’accompagnement pour les enfants, témoins douloureux et impuissants des violences subies par l’un de leurs parents.
Mesdames, messieurs les sénateurs, beaucoup a déjà été fait, mais beaucoup reste à faire pour lutter efficacement contre les violences au sein du couple, notamment au préjudice des femmes. La présente proposition de loi comme celle qui sera défendue devant l’Assemblée nationale, puis devant le Sénat, réaffirment l’une et l’autre un objectif que nous partageons tous : garantir la protection de chacun, mais surtout des plus faibles, en toutes circonstances, y compris au sein de la sphère familiale. C’est notre devoir, c’est notre responsabilité vis-à-vis de nos concitoyens.