Intervention de Virginie Klès

Réunion du 10 février 2010 à 14h30
Violences au sein des couples — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Photo de Virginie KlèsVirginie Klès :

Une femme sur dix : cela signifie que je connais certaines de ces femmes, que j’en côtoie régulièrement dans l’exercice de mes fonctions d’élue locale ; cela signifie aussi que chacun et chacune d’entre nous en connaît, même si nous ne les avons pas forcément reconnues. Il n’est pas aisé, en effet, de recueillir leurs confidences. Il faut avoir les oreilles et les yeux grands ouverts pour reconnaître ces femmes, parce qu’elles se cachent, qu’elles ont honte, que la culpabilité est inversée, et sans doute aussi parce que nous sommes quelque peu démunis.

Que dire, que faire face à ces drames cachés, « culpabilisés », qui se déroulent au sein d’un domicile devenu prison, huis clos ? N’avons-nous pas un devoir d’ingérence ? C’est une question que je me suis souvent posée. Un devoir d’ingérence, certes, mais pour quoi faire, et comment ?

Les femmes victimes de ces violences sont de tous âges et appartiennent à toutes les catégories sociales ou professionnelles. L’auteur des faits est souvent leur mari ou compagnon, leur ex-mari ou ex-compagnon, mais ce n’est pas toujours le cas. Ce peut être aussi un fils, un gendre, un père, un beau-père, voire un cousin ou un neveu.

Et puis, les femmes ne sont pas les seules victimes de ces violences. Les hommes aussi peuvent être touchés. Une compagne – parce qu’elle a été victime, mais pas uniquement dans ce cas –, un compagnon ou un fils peut se retourner contre un homme. Il convient de poser le regard sur ces hommes qui souffrent et de les écouter. Mais pour dire quoi, et pour faire quoi ? Comment les aider à sortir de leur silence, alors que leur sentiment de honte est sans doute plus important encore que celui des femmes ?

La question du devoir d’ingérence se pose avec encore plus d’acuité pour les enfants, car ils grandissent dans deux univers totalement différents, où les valeurs sont inversées : ce qui est autorisé dans l’un est interdit dans l’autre. Leur père et leur mère, qui sont leurs modèles et qu’ils aiment tous les deux, leur donnent le spectacle de la violence, de l’humiliation, de l’acceptation de l’inacceptable. Or ce modèle, le premier qu’ils connaissent, est totalement battu en brèche par ce qu’ils apprennent à l’école, par les valeurs de la République, par la loi sociale, par le milieu scolaire et, plus tard, par la vie professionnelle. Comment ces enfants peuvent-ils se construire correctement ? N’avons-nous pas, en l’occurrence, un réel devoir d’ingérence ?

Nous devons prendre en charge ces hommes et ces femmes. C’est un constat ! Et nous devons le faire sans démagogie ni populisme, sans complaisance ni esprit de polémique. Aucun partenaire – élus, professionnels, bénévoles, associatifs – ne doit être écarté du combat commun contre ce fléau totalement inadmissible. Nous devons tous avancer ensemble !

La dernière enquête sur ce sujet a été réalisée en 2000. Nous avons besoin aujourd’hui d’une nouvelle enquête pour apprécier, dix ans après, l’évolution de la situation. Un rapport devrait être remis au Parlement au moins tous les deux ans, afin de permettre aux parlementaires d’évaluer les progrès, les dysfonctionnements, les faiblesses et les points positifs, pour mettre en commun les expériences, pour avancer. Ainsi pourrons-nous, dans l’urgence et à court, moyen et long termes, tout faire pour garantir la sécurité des victimes et les mettre à l’abri, mais aussi pour prendre en charge les auteurs de violences et les mettre hors d’état de nuire. Il faut en effet permettre à des personnalités de se reconstruire, éviter la réitération des faits et redonner des repères solides aux enfants pour qu’ils puissent se construire correctement.

Nous n’avons pas le droit, en France, pays de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, d’en rester au mode déclamatoire : nous devons prendre des mesures concrètes.

En conclusion, je forme le vœu solennel que le renvoi du texte à la commission, vers lequel nous nous dirigeons, ne soit pas un renvoi ad vitam aeternam vers un futur lointain et vague, qui sonnerait comme un glas, un adieu, un abandon. Je souhaite qu’il soit l’occasion d’un rassemblement véritable de l’Assemblée nationale et du Sénat, de la majorité et de l’opposition, des hommes et des femmes, l’occasion d’une concertation entre tous les acteurs impliqués dans la lutte contre ce fléau. La lutte contre les violences faites aux femmes a été déclarée « Grande cause nationale 2010 » par le Premier ministre. Ce combat, qui fait l’unanimité au sein de cet hémicycle, doit se traduire dans les faits : ne passons pas à côté, car il y va de notre responsabilité !

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