Le Gouvernement a rectifié le tir, et je lui en donne acte. Cependant, il serait quelquefois bien avisé d'écouter les parlementaires, qui parlent en connaissance de cause !
J'interviens aujourd'hui dans ce débat en tant que rapporteur spécial des crédits de la mission « Sécurité sanitaire » parce que j'ai entamé, au début du mois de mars, au nom de la commission des finances, un contrôle budgétaire sur la mise en oeuvre par l'État et les services déconcentrés des mesures de lutte contre la grippe aviaire. Je rendrai compte de ma mission à ladite commission avant l'été.
J'ai donc été amenée, lors de mes nombreuses auditions et de mes quatre déplacements dans les départements de Saône-et-Loire, de Vendée, des Côtes d'Armor et de Seine-et-Marne, mon département, à rencontrer l'ensemble des acteurs de la filière avicole qui ont manifesté à la fois une grande inquiétude mais aussi une réelle combativité.
J'ai pu également constater, je dois le souligner, l'efficacité et l'implication des services de l'État, que ce soient les services vétérinaires ou les services économiques. Les premiers, forts de l'expérience tirée des grandes crises sanitaires précédentes, qu'il s'agisse de celles de l'ESB ou de la fièvre aphteuse, disposent aujourd'hui d'une organisation administrative efficace, à la hauteur des enjeux sanitaires actuels.
S'agissant du volet économique, les aides débloquées par le Gouvernement, considérées comme un premier « acompte » par les représentants des organisations professionnelles, ont pu être distribuées rapidement grâce au recours à une procédure accélérée faisant intervenir les directions de l'agriculture et le trésorier-payeur général de chaque département.
À ce jour, l'inquiétude des acteurs de la filière porte essentiellement sur la durabilité de la crise et sur l'effet économique à long terme des renforcements des mesures sanitaires.
Je voudrais articuler mon propos autour de deux idées majeures.
Tout d'abord, la crise de la grippe aviaire, que traverse aujourd'hui notre pays, s'inscrit dans un contexte plus global de recrudescence des épizooties au niveau mondial au cours des dix dernières années notamment, et doit donc être analysée comme un phénomène potentiellement durable.
Par ailleurs, la durabilité de cette crise impose de réévaluer son impact économique et de réfléchir, à plus long terme, à la « soutenabilité » économique des mesures sanitaires prises par les pouvoirs publics.
La recrudescence des épizooties au niveau mondial, au cours des dix dernières années, est le résultat d'une conjonction des différents facteurs suivants : la densité animale liée à l'intégration de plus en plus poussée des systèmes d'élevage dans certains pays où les mesures de biosécurité ne sont pas toujours respectées, voire mises en oeuvre, le rapprochement de certaines espèces animales, notamment des espèces sauvages et domestiques, l'évolution de la démographie humaine mondiale et la concentration des populations dans certaines régions, enfin - c'est un point très important -, la globalisation des échanges internationaux, qu'ils soient liés au commerce ou à la migration des populations.
Ces différents facteurs associés à l'émergence de conditions environnementales favorables à celle d'un nouveau virus ou d'un nouvel agent pathogène expliquent la recrudescence des épizooties au niveau international. Ces dernières se sont développées non seulement dans les pays en voie de développement, par exemple dans le Sud-Est asiatique, mais aussi en Europe. Ainsi, en 2003, les Pays-Bas avaient dû faire face à une épizootie d'influenza aviaire sans précédent, liée au virus H7N7, qui avait abouti à l'abattage d'un tiers du cheptel avicole hollandais, tandis qu'au Royaume-Uni, en 2001, l'épizootie de fièvre aphteuse avait grandement fragilisé et même pratiquement anéanti la filière bovine.
L'actuelle épizootie d'influenza aviaire hautement pathogène, issue du virus H5N1, est apparue en Asie du Sud-Est dès 1997 et a proliféré sur divers continents, si bien que l'on peut aujourd'hui parler de situation de panzootie, caractérisée par la présence simultanée de l'épizootie sur plusieurs continents. Les États-Unis s'y préparent activement, bien que le continent américain ne soit pas encore touché.
En outre, les facteurs d'émergence des épizooties sont également à l'origine de la multiplication, à l'échelle internationale, des zoonoses, à savoir des maladies transmissibles de l'animal à l'homme. C'est pourquoi - et je voudrais vraiment insister sur ce point -, agir en amont pour préserver la santé animale est une nécessité si l'on veut protéger la santé humaine. Dès lors, la mise en oeuvre de mesures renforcées de sécurité sanitaire, dans le but de préserver la santé animale et dans le respect du bien-être animal, est une priorité, à l'échelle aussi bien nationale qu'internationale.
Ainsi, l'aide internationale en direction des pays en voie de développement touchés par l'épizootie d'influenza aviaire est primordiale. Au mois de janvier dernier, au cours de la conférence de Pékin organisée conjointement par l'Organisation mondiale de la santé animale, ou OIE, et l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, ou FAO, les grands bailleurs de fonds internationaux se sont engagés à débloquer une aide de 1, 9 milliard de dollars, dont la moitié devait être consacrée à l'amélioration de la santé vétérinaire dans les pays les plus touchés, en Asie du Sud-Est et surtout en Afrique. Si certains pays d'Asie du Sud-Est ont mis en place des méthodes de lutte efficaces de nature à rassurer sur leur capacité à maîtriser l'évolution de l'épizootie, d'autres, comme l'Indonésie et surtout la plupart des pays africains touchés, sont dans l'incapacité technique, économique et politique de contenir la maladie.
Or, en dépit des engagements financiers qu'ils ont pris au moment de la conférence de Pékin, les pays industrialisés tardent à financer la lutte contre l'épizootie dans les pays les plus démunis. L'Union européenne, notamment, a été pointée du doigt pour n'avoir pas décidé assez rapidement des critères d'attribution des aides promises, alors qu'elle devrait être en première ligne, compte tenu des échanges commerciaux et humains qu'elle entretient avec le continent africain. Je note toutefois avec satisfaction que la France est, avec le Japon, l'un des premiers pays donateurs à avoir débloqué une aide en faveur de l'Afrique, à hauteur de près de 5 millions d'euros. Le caractère certes modeste de cette contribution doit être relativisé, eu égard à l'aide apportée par les autres pays.
Cette imbrication entre santé humaine et santé animale plaiderait, selon moi, en faveur d'une nouvelle organisation administrative de l'État qui pourrait se doter d'un pôle de santé publique afin d'appréhender simultanément les problématiques de santé animale et de santé humaine en évitant de minimiser la dimension animale, comme l'a fait, monsieur le ministre, votre collègue chargé de la santé, et de « diluer » le pôle vétérinaire au sein du pôle de la santé humaine. La réforme de l'architecture budgétaire en cours, qui consiste à définir des missions interministérielles, en l'occurrence celle de la sécurité sanitaire, devrait logiquement répondre à cet objectif. Mais nous en sommes bien loin. Nous reverrons le problème ultérieurement.
La recrudescence des épizooties, au niveau mondial, impose donc aujourd'hui de s'installer dans la durée. J'en veux pour preuve, même si la crise relative au CPE qui a frappé notre pays a fait quelque peu oublier ce fait, la découverte d'un foyer de grippe aviaire en Saxe qui a entraîné des abattages.
L'interrogation formulée par l'ensemble des acteurs de la filière avicole que j'ai pu rencontrer sur le terrain est la suivante : « comment pourra-t-on vivre durablement avec cette crise ? »
En effet, aujourd'hui, la question se pose de savoir comment la filière avicole française pourra supporter l'impact économique des mesures sanitaires rendues nécessaires par l'apparition du virus hautement pathogène sur notre territoire.
Par un arrêté du 16 février 2006, le Gouvernement a décidé d'imposer la claustration, dite « confinement », des élevages sur l'ensemble du territoire. Toutefois, il a prévu qu'au confinement à l'intérieur de bâtiments fermés « il peut être dérogé [...], lorsque ce maintien n'est pas praticable. Dans ce cas, le détenteur des oiseaux doit faire procéder à une visite par un vétérinaire sanitaire ». Le déconfinement intervenu dans la Bresse s'inscrit dans ce cadre.
Le renforcement des mesures sanitaires et des contrôles vétérinaires a un coût, non seulement pour l'État mais aussi pour la filière, surtout s'il a vocation à durer.
Aujourd'hui - j'ai pu m'en rendre compte en me déplaçant dans les élevages, les abattoirs et les basses-cours -, tous les acteurs économiques de la filière avicole sont touchés : l'amont, la production et l'aval. En effet, cette crise affecte d'abord le premier maillon de la filière que sont les entreprises de sélection génétique - les reproducteurs - et les accouveurs, qui ne peuvent faire face à une évolution brutale du marché en raison de cycles de production longs de plusieurs années. Il en est de même pour les producteurs et les industries d'abattage, dont les cycles de production de plusieurs mois ne permettent pas d'adaptation de la production au niveau de la consommation, ce qui conduit la filière à stocker les viandes de volaille aujourd'hui non commercialisables.
Enfin, il faut souligner que l'élevage de qualité, qui constitue une spécificité française, devrait également souffrir de la crise de manière disproportionnée, car ses structures de production ne sont en rien adaptées aux mesures de confinement. À cet égard, je souhaite vous interroger, monsieur le ministre, sur un point précis : les éleveurs de qualité qui ne peuvent plus respecter certaines obligations de leur cahier des charges en raison d'exigences de sécurité sanitaire seront-ils autorisés par la Commission européenne à continuer à commercialiser leurs produits sous la même dénomination et avec les mêmes mentions valorisantes, labels ou AOC ? Je crois savoir que la Commission européenne devait se prononcer à cet égard aujourd'hui même.
La filière avicole française est d'autant plus fragilisée que son organisation, fortement intégrée dans les départements d'aviculture « industrielle », notamment ceux du grand Ouest, ne lui permet pas forcément la solidarité en son sein. Ainsi, elle ne dispose pas d'une interprofession et ne participe à aucun groupement de défense sanitaire, contrairement à la filière bovine, par exemple. En outre, elle doit faire face à un accroissement de la concurrence internationale, comme l'a rappelé Dominique Mortemousque.
Dès lors, la crise actuelle devrait sans doute redessiner les contours économiques de la filière et modifier son positionnement commercial, européen et, plus largement, international.
Si l'on intègre la dimension de la durée, que se passera-t-il le 31 mai 2006 lorsque les mesures de confinement décidées par le Gouvernement viendront à expiration ? C'est la question que l'on nous pose de manière lancinante quand nous nous déplaçons.
Nous savons que la claustration à long terme n'est pas tenable. Des solutions alternatives existent : soit le confinement sélectif et temporaire réservé aux zones et aux périodes à risque, soit la vaccination préventive. Cependant, il n'y a pas, à l'heure actuelle, de véritable consensus scientifique sur le rapport entre les coûts et les bénéfices de la vaccination préventive. Toutefois, on peut estimer que, dans certaines zones où le confinement étanche aurait un coût économique et social exorbitant, la vaccination préventive constitue une option valable et une solution satisfaisante lorsqu'elle reste ciblée.
Quelle que soit la solution retenue, une réflexion devra être menée quant à l'évolution des aides économiques distribuées à la filière, notamment à la filière de qualité. Des aides structurelles seront nécessaires pour permettre l'adaptation des installations aux mesures de claustration. Ainsi, dans mon département, la Seine-et-Marne, les éleveurs m'ont indiqué que des investissements à hauteur de 200 000 euros, sur l'ensemble d'un département qui n'est pas réputé pour sa filière avicole, seraient nécessaires pour installer des mécanismes spécifiques de ventilation.
Je tiens à attirer l'attention de la Haute Assemblée sur les effets indirects de cette crise sur des activités particulières. Ainsi, en Seine-et-Marne, les directeurs d'école n'acceptent plus d'envoyer les enfants dans les fermes pédagogiques que compte ce département périurbain, ce qui entraîne un manque à gagner de 15 000 euros par mois pour ces fermes. Je vous laisse imaginer ce que cela représente pour une exploitation agricole !