Le résultat, c'est que tous les propos de bon sens tenus par des élus et des responsables de terrain ont été finalement battus en brèche.
Comprenez-moi, monsieur le ministre : je critique non pas le plan gouvernemental de réaction à la grippe aviaire, mais bel et bien son traitement médiatique. « Heureusement », pourrait-on dire de façon cynique, les événements urbains de novembre puis la crise du CPE ont détourné les esprits de cette préoccupation. On ne parle plus beaucoup de la grippe aviaire, mais les dégâts sont faits.
Pour illustrer mon propos, permettez-moi d'évoquer le cas concret d'un abattoir de volailles situé dans mon canton. Les contraintes sanitaires auxquelles cette entreprise est soumise depuis de nombreuses années sont draconiennes. Savez-vous par exemple, monsieur le ministre, qu'il existe en différents endroits de ce bâtiment industriel des dispositifs de piégeage d'insectes et que, chaque soir, les mouches attrapées sont pesées afin de s'assurer que tout est normal ?
Je regrette d'ailleurs que les normes de sécurité sanitaire et les protocoles de désinfection mis en oeuvre dans ce type d'installation n'aient jamais fait l'objet d'une réelle information dans les médias, car elle suffirait à rassurer pleinement le consommateur ! D'ailleurs, j'en profite pour rappeler que la France est l'un des pays où les règles sont les plus draconiennes en matière de sécurité alimentaire et que la volaille a toujours été considérée, jusqu'à récemment, comme le produit le plus sûr, celui dont la traçabilité était la mieux assurée.
Avant la « crise », l'abattoir en question employait entre 210 et 250 personnes selon les saisons et abattait, puis découpait 200 000 volailles par semaine. Celles-ci provenaient d'environ 200 élevages, utilisant la production de quelque 3 600 hectares de céréales. Cet abattoir faisait également travailler 25 entreprises régionales de service, dont 4 sociétés de transport routier. C'est dire l'importance de l'enjeu économique que représente ce secteur !
Les pertes subies par cet abattoir entre le 1er novembre 2005 et le 1er mars 2006 sont estimées par son directeur à plus de 987 000 euros. Outre cette perte sèche, l'entreprise doit également faire face au gonflement de ses stocks et au coût supplémentaire de congélation qui en résulte. Tirant les conséquences d'une baisse de son chiffre d'affaires de 15 %, elle a dû réduire ses effectifs de 14 %, principalement en mettant fin aux emplois d'intérimaires et aux contrats à durée déterminée. Enfin, elle n'a pas embauché de personnel supplémentaire pendant la période des fêtes de fin d'année, contrairement à son habitude.
Aujourd'hui, cette entreprise vend non seulement moins en volume mais également à moindre prix, et ses responsables doivent lutter pour sauvegarder ses parts de marché. Cette bataille se déroule sur le marché intérieur mais aussi à l'export, où le Brésil, principal exportateur de cette filière, tente d'écouler 10 % de surproduction.
L'abattoir dont je vous ai parlé n'est qu'un exemple parmi beaucoup d'autres. Vous me direz, monsieur le ministre, que la solidarité nationale va jouer et que cette entreprise, comme toute la filière, est soutenue économiquement.
Son directeur a effectivement déposé un dossier de demande d'aide à la Direction régionale de l'agriculture et de la forêt, la DRAF, en se fondant, comme je l'indiquais à l'instant, sur un impact de 987 000 euros sur quatre mois. La DRAF lui a répondu que, pour l'ensemble de la région Champagne-Ardenne, 200 000 euros seraient distribués, en direction de tous les acteurs de la commercialisation - rôtisseurs, grossistes, revendeurs, abattoirs, etc -, ce qui représente des centaines de dossiers.
Aussi, quels que soient les critères retenus pour l'attribution des aides et quelle que soit l'issue de la répartition entre tous les acteurs concernés, nous savons d'ores et déjà que cette aide ne sera pas à la hauteur des besoins d'une filière qui représente, dans nos territoires, de nombreux emplois directs et indirects. Il y a là un enjeu important en termes d'aménagement du territoire.
Ce débat, lancé par notre collègue Dominique Mortemousque, me semble donc bienvenu et indispensable pour prendre conscience des effets de cette grave crise qui, n'en doutons pas, laissera des traces, et dont nous devrons tirer les conséquences.