Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis quatre ans que la présente majorité est aux commandes, nous assistons à une mise en pièces de notre système de solidarité nationale. Qu'il s'agisse du monde du travail, que le Gouvernement s'acharne à précariser, ou bien de la prise en charge des plus démunis, tous les moyens semblent bons pour réduire les droits sociaux de nos concitoyens.
Nous le voyons avec la grave crise économique et sociale suscitée par le contrat première embauche, les inquiétudes sont profondes quant à l'avenir de notre modèle social. Et pour cause ! Les inégalités explosent, la pauvreté se développe, toutes les catégories sociales sentent leur situation remise en question. Plus personne aujourd'hui ne s'estime réellement à l'abri de la pauvreté ou de l'exclusion sociale.
Ce sentiment diffus se nourrit d'une réalité économique et sociale incontestable. Le nombre de chômeurs n'a cessé de croître ces dernières années, et les contorsions statistiques du Gouvernement ne trompent à présent plus personne.
En effet, le nombre de créations d'emplois reste faible, avec environ 60 000 emplois créés dans le secteur privé en 2005. Ces chiffres sont insuffisants, surtout au regard des tendances démographiques, qui freinent l'augmentation de la population active avec les premiers départs massifs à la retraite.
De plus, le nombre de chômeurs non indemnisés n'a cessé de croître ces dernières années, ce qui augmente largement la pauvreté. Ainsi, le nombre de demandeurs d'emplois non indemnisés a continué d'augmenter en 2005, avec un taux de croissance de 6 % l'an passé.
Votre politique désastreuse de l'emploi mène à la réduction du taux de couverture de l'assurance chômage, et chaque nouvelle négociation des conventions de l'UNEDIC est, au cours de ces dernières années, allée dans ce sens.
En particulier, la mise en oeuvre, en 2004, de la réforme des filières d'indemnisation du chômage, issue de la convention signée en décembre 2002, a augmenté de façon substantielle le nombre de chômeurs qui ont basculé du régime d'assurance chômage vers celui de l'assistance, avec pour tout revenu le RMI. Ainsi, dans la filière la plus longue, la durée d'indemnisation a été réduite de 30 à 23 mois.
On se retrouve alors avec un taux de couverture des chômeurs par l'assurance chômage qui est passé de 61, 8 % fin septembre 2004 à seulement 59, 5 % fin 2005.
Cette chute de deux points de ce taux de couverture ne s'explique pas autrement que par votre volonté de faire baisser artificiellement les chiffres officiels du chômage pour justifier une politique de l'emploi exclusivement tournée vers la valorisation des profits des entreprises.
Aujourd'hui, un nombre croissant de demandeurs d'emploi se retrouvent sous le régime des minima sociaux, ce qui explique largement l'explosion du nombre de ceux qui en bénéficient.
À tel point qu'au début de l'année 2005, 3, 4 millions de personnes étaient allocataires de l'un des neuf dispositifs nationaux ou de revenu de solidarité. En incluant les ayants droit, un peu plus de 6 millions de personnes étaient couvertes par les minima sociaux, dont 5, 6 millions en métropole.
Mais c'est le RMI qui enregistre malheureusement la hausse la plus spectaculaire.
Pour la seule année 2005, le nombre de bénéficiaires du RMI a augmenté de 6, 2 %. Fin 2005, on comptait 1 240 000 allocataires du RMI.
Plus inquiétant encore : à partir de 2003, l'augmentation du nombre d'allocataires concerne toutes les tranches d'âges, pour atteindre une hausse de 11, 7 % pour les moins de 30 ans, et de 8, 2 % pour les plus de 50 ans.
Comme je le disais en préambule, la pauvreté s'est aujourd'hui répandue dans toute la population, et les jeunes, comme les plus âgés, ne sont plus préservés de la misère.
C'est dans ce contexte que cette majorité a opéré, en décembre 2003, le transfert de compétences en matière de RMI aux départements.
Ce transfert de compétences, prévu par la loi du 18 décembre 2003, dont la discussion avait été disjointe de celle de la loi sur les responsabilités locales, conduit à placer les allocataires dans des conditions évidentes d'inégalité de traitement.
Au cours des discussions de ces textes, nous avions dénoncé avec force ces situations inédites, qui vont à l'encontre des principes démocratiques fondateurs de notre droit social.
Au regard des grandes disparités de moyens financiers entre les départements, non seulement l'égalité des citoyens devant le droit n'est plus garantie, mais le droit même à pouvoir bénéficier d'une aide de l'État se trouve compromis dans un certain nombre de départements « étranglés » par leurs finances locales déficitaires.
Plus précisément, un nombre croissant de départements ruraux se trouvent confrontés à une situation financière intolérable du fait du vieillissement de leur population, de la désertification et du déclin des activités économiques traditionnelles.
L'augmentation des charges liées au financement du RMI, en particulier la non-compensation intégrale, sur laquelle nous reviendrons, pousse les départements ruraux dans une impasse. Certains avouent leur incapacité, à très court terme, à financer les prestations sociales.
Pour les départements urbains, dont la population est en situation de paupérisation et de précarisation, la prise en charge financière du RMI hypothèque les autres types d'investissement.
Cette année encore, l'Assemblée des départements de France a fait part de sa très grande inquiétude sur les conditions de ce transfert de charges et sur celles de sa compensation, en appelant à prendre en compte l'intégralité des charges supportées par les budgets départementaux.
A titre d'exemple, pour l'année 2005, je rappelle que les dépenses d'aide sociale, dans lesquelles le RMI tient une place centrale, ont représenté 64, 1 % des dépenses de fonctionnement des départements.
Parallèlement, le transfert de charges n'est pas compensé intégralement de la part de l'État, en particulier du fait du décalage annuel lié à la dotation budgétaire, puisque, chaque année, la majorité sous-évalue la charge financière à venir.
Au final, il a manqué aux départements 1 milliard d'euros en 2005, et il leur manquera probablement 1, 2 milliard à 1, 3 milliard d'euros en 2006. C'est ce qui explique une hausse moyenne des taux des impôts des départements de 4, 7 % pour 2006.
Mais même cette hausse de la pression fiscale ne répondra pas à l'augmentation des charges pour les départements. L'alourdissement de la pression fiscale sur nos concitoyens ne peut constituer qu'une réponse à court terme, particulièrement inefficace et dangereuse à plus long terme.
En effet, cet étranglement financier alimente largement la polémique autour du traitement de la pauvreté et, en particulier, nourrit quantité d'amalgames douteux sur les populations qui relèvent de l'aide sociale.
Depuis son arrivée au pouvoir, cette majorité orchestre en effet une véritable « chasse aux pauvres » et s'acharne à vouloir à tout prix pénaliser la misère.
Comme on a pu l'observer avec l'augmentation des sanctions et le dispositif de contrôle des demandeurs d'emploi, c'est cette même logique qui est à l'oeuvre pour les titulaires des minima sociaux.
Ce gouvernement s'appuie sur certaines suspicions qui, nous ne le nions pas, peuvent être justifiées, il encourage les amalgames pour alimenter le doute dans l'opinion publique et accroître les sanctions contre les bénéficiaires de l'aide sociale.
Alors que l'on annonce une réforme des minima sociaux, il est à craindre que cette réforme ne soit en fait le moyen de réduire l'aide sociale et d'encadrer davantage encore les personnes qui en bénéficient.
Nous avons déjà relevé un certain nombre d'indices allant dans ce sens.
Ce fut d'abord le rapport de MM. Mercier et de Raincourt, qui appelait à une refonte de deux minima sociaux, le RMI et l'allocation de parent isolé, l'API, niant la spécificité des populations pouvant en bénéficier.
Surtout, ce rapport laissait entendre que certaines économies budgétaires seraient rendues possibles par une fusion plus large des minima sociaux et un accroissement des sanctions pesant sur leurs titulaires. (Signes de dénégation de M. Mercier.) Si, c'est écrit, monsieur Mercier.
Ce fut ensuite la loi intitulée « loi relative au retour à l'emploi et sur les droits et devoirs des bénéficiaires des minima sociaux », qui a constitué une première étape vers cette fusion élargie et surtout vers la mise en place d'un arsenal législatif et pénal sans précédent à l'encontre des bénéficiaires des minima sociaux.
La moitié du contenu de ce texte de loi était consacré à cette mise en place des dispositifs de sanctions. Plus particulièrement, les sanctions pénales ont été alourdies - elles peuvent aller jusqu'à une sanction pécuniaire équivalant à dix fois le montant du RMI - et des sanctions administratives ont été créées.
Mais cela ne semble pas encore suffisant puisque certains présidents de conseils généraux demandent encore un élargissement de leurs prérogatives, afin de pouvoir contrôler de plus près encore les RMIstes de leur département.
L'étranglement financier dans lequel vous plongez les départements ne peut que nourrir, effectivement, cette tendance à l'augmentation des contrôles et des sanctions, car limiter le nombre des ayants droit est malheureusement l'un des moyens les plus efficaces pour limiter les coûts.
Dans mon département, le Rhône, 10 % des 6 000 contrôles effectués en 2005, ont débouché sur une radiation, et encore je ne suis pas sûr d'avoir les derniers chiffres... De nombreux allocataires ont dû se résoudre à accepter n'importe quel emploi par crainte de perdre leurs droits.
Autre exemple : en Saône-et-Loire, tout allocataire du RMI resté sans contrat d'insertion au bout de trois mois est convoqué. Il n'y a là rien à redire ! Mais, si rien ne change dans sa situation, le RMI est suspendu, ...