Intervention de Henri de Raincourt

Réunion du 12 avril 2006 à 21h00
Conditions de transfert du revenu minimum d'insertion aux départements — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Henri de RaincourtHenri de Raincourt :

Pour ce qui concerne 2005, en raison de l'augmentation du nombre des allocataires, la charge supplémentaire pour les départements est estimée à 950 millions d'euros. Le chiffre exact ne sera connu qu'à la fin du mois du juin prochain, lorsque nous disposerons de l'ensemble des données. L'enjeu est d'autant plus important qu'en 2006 les chiffres prévisionnels tournent autour de 1, 2 milliard d'euros.

S'il est vrai que les départements doivent avoir les moyens de mener les politiques de solidarité que l'État leur a transférées, le principe de réalité ne peut être mis de côté. Nous parlons là de près d'un milliard d'euros, et chacun comprendra l'effort exceptionnel que devra fournir l'État, compte tenu de la situation des finances publiques de notre pays, laquelle, par définition, ne peut que limiter l'intervention étatique.

Le 10 février dernier, le Premier ministre a rencontré à l'hôtel de Matignon une délégation de l'Assemblée des départements de France. À cette occasion, il a confirmé la volonté du Gouvernement d'engager un dialogue suivi et sérieux avec les collectivités territoriales, singulièrement les départements, et il a montré que l'État a pris conscience de la place originale du conseil général dans le paysage institutionnel Français, à la fois collectivité territoriale de plein exercice et « service instructeur de la solidarité nationale ».

Le Premier ministre a également annoncé une augmentation annuelle du fonds de mobilisation pour l'insertion de 500 millions d'euros pendant trois ans. La différence entre le montant des dépenses résultant pour les départements de la prise en charge du RMI et celui de la compensation de l'État sera donc partagée entre ce dernier et les départements en 2005. Bien évidemment, le reliquat à acquitter par les collectivités sera difficile à assumer pour un grand nombre d'entre elles sans une augmentation de la fiscalité. Pour autant, l'objectivité impose de reconnaître qu'il s'agit d'un geste fort du Gouvernement, que ni la Constitution ni la loi n'imposaient.

Par ailleurs, l'engagement du Gouvernement s'inscrit dans la durée. Ce n'est donc pas une somme de 500 millions d'euros, mais une somme de 1, 5 milliard d'euros qui sera ainsi dégagée.

Je veux rappeler en cet instant que, voilà peu de temps, certaines voix s'élevaient dans cet hémicycle pour demander la pérennisation de la compensation à hauteur de 450 millions d'euros et souhaitaient que l'année de référence choisie pour le calcul de cette dernière soit 2004 et non plus 2003. Au vu des décisions annoncées par le Premier ministre, force est de constater que le Gouvernement va au-delà des requêtes d'un certain nombre d'entre nous.

Compte tenu des faibles marges de manoeuvre budgétaires de l'État, l'effort est important, d'autant qu'il intervient en complément de la mise en oeuvre d'une politique active de l'emploi en direction des publics fragiles qui se traduit par le plan de cohésion sociale, pour un coût d'environ environ 15 milliards d'euros sur cinq ans.

Cela montre combien les uns et les autres, nous sommes tous préoccupés par le sort des 6 millions de personnes en grande difficulté d'insertion, auxquelles nous entendons accorder la priorité.

Au demeurant, s'il est vrai que les départements doivent avoir les moyens de mener les politiques de solidarité que l'État leur a transférées, le principe de bon sens ne peut être mis de côté.

Bien entendu, les responsables des départements savent que les budgets des conseils généraux resteront difficiles à boucler. Cette situation n'est pas nouvelle mais elle s'accentue dans la mesure où les recettes permettant de financer les prestations que gèrent les collectivités n'évoluent pas au même rythme que les dépenses. Comme il n'est pas possible d'influer sur ces dernières, l'écart se creuse et ne peut être compensé que par une augmentation de la fiscalité, ce qui, eu égard à l'intérêt général du pays, n'est pas la meilleure solution à retenir.

Se pose maintenant le problème de la répartition de la somme dégagée par le Gouvernement entre les différents départements. Le Premier ministre a affirmé qu'elle ferait l'objet d'une concertation entre le Gouvernement et les représentants des collectivités. Dès à présent, nous pouvons nous interroger sur les principes qui doivent guider cette réflexion.

Devons-nous mettre en place une péréquation entre les différents départements en fonction de leurs dépenses d'insertion ou devons-nous répartir les fonds selon les efforts accomplis par les conseils généraux en faveur de l'insertion des plus éloignés de l'emploi, des logements, de la vie sociale, de la mise en oeuvre des outils adaptés à cette insertion, tels les contrats d'avenir ou le CI-RMA, le contrat d'insertion-revenu minimum d'activité ?

En l'espèce, la logique s'impose : nous devons récompenser ceux qui ont oeuvré en faveur d'une politique dynamique de l'insertion. C'est, me semble-t-il, l'un des atouts fondamentaux d'une loi qui décentralise une compétence comme celle dont il est question ce soir. L'immobilisme ne saurait être payé de retour.

Il conviendrait peut-être de panacher la répartition des aides du fonds en fonction du degré de compensation perçue, du potentiel financier des départements, afin de ne pas pénaliser les territoires les moins aisés et de tenir compte du nombre de contrats d'avenir et de CI-RMA signés dans les départements.

Il faut aussi veiller à ne pas alourdir les difficultés des départements les plus modestes. La clé de répartition devra en tenir compte de manière significative.

Le transfert du RMI a exigé, dans la quasi-totalité des départements, des modifications d'organisation interne des services, le recrutement de personnels supplémentaires, la mise en place de nouveaux partenariats nécessaires - notons la signature de conventions avec les caisses d'allocations familiales et les caisses de mutualité sociale agricole pour la gestion du RMI -, ainsi que la signature de nouveaux accords avec l'ANPE et avec l'AFPA.

Il s'agit là d'une petite révolution qui a permis de faire le point sur certaines insuffisances constatées de l'organisation du dispositif.

Au mois de février dernier, le Premier ministre a proposé seize mesures pour assouplir les modalités de gestion du RMI et pour permettre une meilleure efficience globale du dispositif Il s'agit de pistes de réflexion inscrites dans un dialogue qui doit être constructif entre l'État et les conseils généraux.

Certaines des propositions peuvent être abandonnées car elles sont, en pratique, déjà en vigueur et ne nécessitent pas de transcription législative. D'autres seraient très onéreuses à concrétiser : les sommes nécessaires à leur mise en oeuvre seraient probablement plus élevées que les économies réalisées.

En revanche, certaines proposent une sorte de code de bonnes pratiques susceptible d'améliorer grandement la gestion du dispositif : nous ne pouvons que les approuver.

Quant aux propositions relatives à la domiciliation des personnes sans domicile stable et des gens du voyage, elles peuvent être mises en oeuvre par la désignation de référents chargés de rencontrer chaque allocataire à échéances régulières à déterminer. Cette disposition est d'ailleurs déjà mise en oeuvre dans de nombreux départements.

Par ailleurs, je ne peux que me féliciter de l'idée de réduire le délai séparant la mise en paiement de l'allocation et la signature du contrat d'insertion. C'est, parmi d'autres, une proposition issue du rapport publié par mon collègue et ami Michel Mercier et moi-même. Il s'agit d'une de ces mesures de bon sens susceptibles de simplifier considérablement la gestion du dispositif et de le rendre plus efficace.

Quant à l'idée de la transmission aux maires de la liste des personnes bénéficiant du RMI, je la trouve pour ma part utile et pertinente : qui, mieux que le maire, connaît ses ressortissants ?

Je suis particulièrement favorable, en cas de première demande manifestement abusive du RMI, à ce que la suppression ou la suspension de l'allocation puisse être effectuée sans autorisation préalable du bureau de la commission locale d'insertion, bureau qui serait amené, ultérieurement, à ratifier ou non cette décision. Il est particulièrement important que la réaction soit rapide pour éviter l'effet de contagion.

Quant à la récupération des indus, dont a également parlé Michel Mercier, c'est un chantier difficile à lancer, même si - nous le savons bien - la situation est, au fond, assez différente d'un département à l'autre.

Enfin, un dispositif de sanctions graduées en cas de non-respect des obligations d'insertion ou de fraude serait intéressant à mettre en oeuvre à condition de laisser aux conseils généraux de réelles marges de manoeuvre d'appréciation au cas par cas.

Au-delà de la compensation, l'enjeu est bien l'exercice de la compétence d'insertion. Si l'État a confié aux départements la gestion du RMI, c'est parce qu'il était convaincu que les conseils généraux pouvaient faire mieux que lui, une politique active d'insertion étant plus efficace quand elle est conduite localement.

Tant que le RMI était financé par le déficit budgétaire de l'État, la générosité publique ne gênait personne. Aujourd'hui, alors que son financement repose sur les départements, qui, comme l'a dit notre collègue Claude Domeizel, sont obligés de présenter un budget en équilibre, on mesure que cette générosité a un coût et que, finalement, il n'y a pas de miracle : sous une forme ou sous une autre, c'est toujours au contribuable d'assumer la charge du financement du RMI.

Il faut donc avoir le courage de faire la différence entre ceux qui ont réellement besoin de la solidarité publique parce qu'ils sont en difficulté, parce qu'ils sont dans une démarche d'insertion ou parce qu'ils n'ont véritablement pas d'autre solution, et ceux qui profitent du système, même s'ils sont assez peu nombreux et qu'il est difficile de les identifier précisément.

Certains départements ont eu ce courage - je ne les cite pas - et il convient de noter que leurs exécutifs sont, d'ailleurs, de sensibilités politiques différentes.

Monsieur le ministre, la décentralisation consiste à faire mieux que l'État, aider davantage ceux qui en ont besoin, accompagner par une démarche personnalisée l'insertion de ceux qui en ont besoin. C'est ce à quoi s'attellent les conseils généraux.

Pour autant, je ne peux que m'associer à la volonté de l'ensemble des conseils généraux de marquer le pas de la décentralisation et j'approuve la pause annoncée par le Premier ministre il y a quelques semaines : donnons-nous le temps d'un bilan afin de perfectionner notre organisation sur le plan financier comme sur le plan opérationnel !

Les départements - nous le savons, nous qui avons la chance de servir en leur sein - sont des chaînons essentiels du maillage territorial français. Il est aujourd'hui indispensable de leur laisser le temps de développer harmonieusement et efficacement toutes leurs compétences, en particulier celles qui sont relatives au RMI.

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