Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 8 avril 2008 à 16h00
Aide aux malades en fin de vie — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà trois ans, quasiment jour pour jour, nous avions déjà eu un débat très intéressant, mais aussi extrêmement frustrant, sur la fin de vie et l'euthanasie.

Les circonstances de ce nouveau débat sont quasiment identiques à celles qui prévalaient voilà trois ans. J'espère néanmoins que l'issue en sera différente. Dois-je rappeler que, à l'époque, trois groupes - le groupe socialiste, le groupe de l'Union centriste et le groupe CRC - avaient quitté l'hémicycle avant la fin des débats pour protester contre l'impossibilité de faire adopter l'un quelconque des amendements déposés, y compris de ceux qui avaient été votés le matin même en commission ?

Placé sous les feux de l'actualité, le débat d'aujourd'hui doit s'extraire des cas récents pour s'élever au niveau de l'intérêt général. Les parlementaires doivent s'inscrire résolument dans les débats de leur temps et, comme on pouvait le lire dans un éditorial d'un quotidien du matin, « c'est l'honneur du politique, sa plus haute mission, que de légiférer sur l'essentiel d'une société, la vie et la mort », même si cela est toujours extrêmement difficile.

Si le groupe socialiste du Sénat a souhaité lancer le débat avec cette question orale, c'est parce qu'il se rappelle ce qui s'est passé dans ce même hémicycle voilà trois. Les intervenants sont quasiment les mêmes, seul le représentant du Gouvernement a changé. J'espère, madame la ministre, que vous vous montrerez plus réceptive que votre prédécesseur !

La mort est la plus grande angoisse de la condition humaine. Bien qu'elle soit finalement inévitable, elle est source de révolte, et ce d'autant plus qu'elle n'est pas la même pour tout le monde : certains meurent « paisiblement », si je puis dire, dans leur lit, d'autres sont surpris en pleine activité, d'autres encore doivent affronter de grandes souffrances parfois pendant très longtemps.

Une étude montre que, si 70 % des Français déclarent vouloir mourir paisiblement chez eux, dans les faits, 70 % d'entre eux - et même 85 % en milieu urbain - meurent à l'hôpital.

Dans son livre, Je ne suis pas un assassin, le docteur Chaussoy écrit : « Il faut une sage-femme pour mettre l'homme au monde, il faut aussi des passeurs, des hommes et des femmes sages, pour l'accompagner dans ce monde et l'aider à bien le quitter ». Voilà une citation qui illustre bien ce dont il est question dans tout débat sur l'accompagnement de la fin de vie. La question du passage est, à mon sens, essentielle.

Le débat sur la fin de vie est complexe parce qu'il met en cause deux principes fondamentaux qui peuvent sembler contradictoires : le respect de la vie, d'une part, le respect de la dignité et de la liberté de l'homme, d'autre part.

Il est interdit de donner la mort : tel est l'impératif éthique, social et politique. Pour autant, au nom de la liberté, tout homme doit avoir l'assurance qu'il pourra « vivre sa mort » conformément à ses choix.

En préambule, il importe de rappeler que, si la question dont nous débattons aujourd'hui est difficile, délicate à aborder parce qu'elle fait appel à des convictions notamment morales, religieuses, philosophiques ou éthiques, néanmoins, dans un pays laïc, la morale religieuse, fort respectable au demeurant, ne saurait empêcher de légiférer.

Comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner voilà trois ans, je suis pour ma part intimement convaincu qu'au lieu de se demander ce qui est permis ou défendu aux tierces personnes - médecins, soignants, famille, proches, notamment - en matière de lutte contre la douleur, d'acceptation ou de refus de traitement, voire d'euthanasie, il faut faire de la personne concernée le centre de gravité de tout le système. Il faut se demander quels sont les droits des êtres humains sur la fin de leur vie. Selon moi, ces droits devraient être absolus, parce que la vie n'appartient ni aux médecins, ni aux philosophes, ni aux procureurs, ni aux juges, ni aux hommes de religion, ni aux techniciens chargés des machines destinées à maintenir artificiellement en vie des hommes et de femmes : c'est de la volonté du patient et de lui seul qu'il faut tenir compte.

Sur ces questions douloureuses, émotionnelles et controversées, il ne s'agit pas de savoir qui a définitivement raison. Les avis sont divergents et ils le resteront. Il s'agit de trancher la seule question qui compte : celle du respect de la liberté de choix et du droit à l'autodétermination de la personne humaine.

On distingue parfois l'euthanasie active de l'euthanasie passive. Je rappelle d'abord que le terme « euthanasie » vient du grec euthanasia, eu signifiant « bien » et thanatos « mort ». L'euthanasie, c'est donc la bonne mort, douce et sans souffrances.

L'euthanasie passive désigne des cas d'omission ou d'interruption de traitements de survie. C'est l'opposé de l'autre option qui consiste à tenter de maintenir le patient en vie par un traitement acharné, agressif et inutile, pratique condamnée par l'éthique médicale, à plus forte raison lorsque le malade a refusé ce traitement.

Même si les auteurs du texte s'en défendent toujours, la première hypothèse est bien celle que prévoit la loi de 2005. Mais dans quelles conditions ? Le savons-nous ? Que savons-nous de ce temps suspendu, parfois plusieurs jours avant l'échéance ultime ? L'omission ou l'interruption d'un traitement ne suffisent pas toujours. Quant à la sédation, qui endort, elle ne sert qu'à faire perdre au patient la perception de la réalité, celle du temps et, finalement, celle de sa propre fin de vie.

Si l'euthanasie passive est, dans certains cas, reconnue sur le plan idéologique, religieux et légal, il est difficile de voir le fondement moral de la distinction avec l'euthanasie active.

Y a-t-il d'ailleurs vraiment une euthanasie passive ? La distinction doit-elle être faite ? À mon avis, non ! La seule question est de savoir si l'on reconnaît ou pas à chacun le droit à disposer de sa mort. Pour moi, le droit à l'euthanasie n'est pas un choix entre la vie et la mort ; c'est un choix entre deux façons de mourir.

Madame la ministre, mes chers collègues, à cet instant de mon intervention, il me semble important de m'arrêter sur le cas de la Belgique, dont la législation, qui date de 2002, me paraît être, au moins partiellement, un modèle à suivre tant dans son contenu que dans son mode d'élaboration : il a fallu deux ans de débat avant l'adoption du texte final, deux ans pendant lesquels le débat fut mené partout, et même retransmis à la télévision.

Aujourd'hui, cette loi est bien acceptée et, n'en déplaise à ses détracteurs, elle est loin d'être laxiste, comme on tente trop souvent de nous le faire croire. En 2007, 495 personnes ont été euthanasiées en Belgique ; toutes remplissaient les conditions nécessaires, que je rappelle : le patient « capable et conscient » doit connaître une souffrance physique ou psychique « constante », « insupportable », « qui ne peut être apaisée » et qui résulte d'une affection accidentelle ou pathologique « grave et incurable » ; il formule une demande « volontaire, réfléchie et répétée » ; des médecins examinent sa requête, puis envoient une déclaration d'euthanasie à une commission de contrôle dans les quatre jours suivant la mort. Aucun cas, je dis bien aucun cas suspect n'a été signalé au parquet. Le circuit est encadré, et l'euthanasie ne représente en Belgique que 0, 5 % des décès. Si aujourd'hui les Belges, tout comme les Néerlandais, portent leurs efforts sur le développement des soins palliatifs, c'est qu'ils ont pris conscience du retard qu'ils avaient en ce domaine, et cela ne remet nullement en cause la loi votée en 2002.

Telle n'est pas, ni sur la forme ni sur le fond, la voie choisie voilà trois ans par notre pays. À ce titre, je vous conseille, pour information, la lecture du dernier ouvrage de François de Closets, Le Divorce français, dans lequel les conditions du débat et la genèse de la loi du 22 avril 2005 sont, à mon sens, assez justement rapportées et analysées.

Je reconnais que la loi du 22 avril 2005 a permis certaines avancées, et même de très belles avancées. En s'inscrivant dans le prolongement de la loi du 9 juin 1999 garantissant à tous l'accès aux soins palliatifs et de la loi du 4 mars 2002 relative notamment aux droits des malades, elle a confirmé la prohibition de l'acharnement thérapeutique et légalisé ce que l'on appelle le « double effet ». C'est un progrès indiscutable pour les médecins, qui ont vu dépénaliser leurs bonnes pratiques de fin de vie ; c'est aussi un progrès pour les malades, qui voient confirmer leur droit à refuser toute forme de traitement, au risque de précipiter leur fin ; c'est un progrès encore que de voir reconnaître aux directives anticipées une valeur, ne serait-ce qu'indicative.

Pourtant, aujourd'hui, force est de constater les lacunes de notre législation.

À cet égard, je me dois de rappeler qu'en 2005 le groupe socialiste avait proposé que l'application de la loi fasse l'objet d'une évaluation par l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé, l'OPEPS, et que le texte soit de nouveau examiné par le Parlement dans un délai maximum de trois ans après son entrée en vigueur. Je crois que ce qui se passe aujourd'hui nous donne raison sur ce point et que, si notre amendement avait été adopté alors, nous aborderions le débat d'aujourd'hui plus sereinement.

J'ai bien noté que le Gouvernement vient, en urgence, de demander au député Jean Leonetti une évaluation de la mise en oeuvre de la loi de 2005. Je m'en félicite, même si je ne crois pas vraiment qu'il revienne au principal auteur du texte, malgré sa grande compétence, d'en faire lui-même l'évaluation de l'application : sans doute une évaluation collégiale et indépendante aurait-elle beaucoup plus de sens.

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