Certains affirment que nombre de soignants comme de patients ignorent ce que permet la loi du 22 avril 2005. C'est possible, mais, mes chers collègues, cela vaut pour cette loi comme pour bien d'autres : il faut diffuser largement l'information pertinente. Pour autant, je crois qu'il serait hypocrite d'en rester là.
L'autre lacune majeure qui a d'ores et déjà été identifiée, c'est bien sûr l'insuffisance des soins palliatifs. Madame la ministre, dans le rapport qu'elle vous a remis à la fin de l'année dernière, Mme Marie de Hennezel dresse un état de carence généralisée des soins palliatifs dans notre pays. Elle établit l'existence d'inégalités profondes dans l'accès aux soins palliatifs selon les régions, ainsi que des difficultés majeures et récurrentes dans la diffusion en France de la culture des soins palliatifs. Elle conclut que les sources actuelles de financement des activités de soins palliatifs ne sont aucunement à la hauteur des missions et des enjeux auxquels nous devons faire face.
À cet égard, force est de constater que la question du financement se heurte aux effets pervers des nouveaux systèmes de tarification hospitalière, qui n'ont de cesse de privilégier la réduction des durées d'hospitalisation et la réalisation d'actes lourds - tout le contraire des soins palliatifs !
Madame la ministre, nous venons de prendre connaissance de la circulaire que vous avez adressée aux agences régionales de l'hospitalisation. Néanmoins, nous attendons toujours de savoir quelles suites vous comptez donner au rapport qui vous a été remis par Mme Marie de Hennezel et quelles mesures vous envisagez de prendre pour développer les soins palliatifs dans notre pays.
Cela étant, si je partage les constats de Mme de Hennezel sur les soins palliatifs, je ne suis pas d'accord avec elle quand elle affirme que le développement des soins palliatifs suffirait à exclure la question de l'euthanasie. Je récuse cette idée. Le débat qui nous réunit aujourd'hui ne doit pas se résumer à cette alternative, car la question des soins palliatifs et celle de l'euthanasie ne sont pas alternatives et ne doivent surtout pas l'être : elles sont complémentaires.
Mais que sont les soins palliatifs ? Leur objectif est simple autant qu'ambitieux : « dispenser toutes les thérapeutiques permettant de réduire au mieux les souffrances des personnes malades pour lesquelles le corps médical a établi qu'elles ne pouvaient plus bénéficier d'actions salvatrices ». Tout est dans le « au mieux ». En effet, nul ne peut prétendre que les soins palliatifs sont la solution ultime, parfaite, pour soulager toutes les personnes en fin de vie. Les connaissances sur la douleur ont certes fait de grands progrès ces dernières années, mais elles sont encore largement insuffisantes pour garantir un succès absolu dans la lutte contre la douleur physique, et encore moins contre la douleur psychique. La recherche dans ce domaine doit d'ailleurs être encouragée et développée.
C'est pourquoi je crois qu'il est aujourd'hui nécessaire d'aller plus loin en reconnaissant une aide active à mourir ou, si l'on veut, une « exception d'euthanasie ».
Je vous rappelle, mes chers collègues, que le Comité consultatif national d'éthique s'est prononcé en faveur d'une telle exception dès le 27 janvier 2000. Vous me permettrez de citer deux extraits de son avis.
« Face à certaines détresses, lorsque tout espoir thérapeutique est vain et que la souffrance se révèle insupportable, on peut se trouver conduit à prendre en considération le fait que l'être humain surpasse la règle et que la simple sollicitude se révèle parfois comme le dernier moyen de faire face ensemble à l'inéluctable. Cette position peut être alors qualifiée d'engagement solidaire. » Je souscris pleinement à ces propos du Comité d'éthique, ainsi qu'à ceux qui suivent.
« De telles détresses appellent la compassion et la sollicitude. Certes, ces termes peuvent être compris de façon paternaliste, comme sollicitant la pitié ou la commisération. Mais, conjuguées avec le respect et marquées par la recherche d'une relation partenariale authentique, compassion et sollicitude incitent à l'humanité, à la sensibilité et à la solidarité. Dépassant le seul registre du droit moral et de la revendication, elles marquent des ouvertures inédites, autorisées par le partage d'une commune condition. »
Comme nous vous le proposions il y a trois ans, il doit s'agir non pas de « dépénaliser l'euthanasie » mais bien d'encadrer en l'insérant dans le code de la santé publique, pour certaines situations caractérisées - souffrance physique ou psychique constante, insupportable, non maîtrisable - et dans des circonstances précises, une aide active à mourir soumise à des conditions strictes, une aide qui ne peut être prodiguée que par un médecin et dans le respect d'une procédure collégiale, une aide qui ne peut être apportée que lorsque la volonté et le consentement de la personne sont clairs, libres et réitérés.
Je veux notamment insister sur le cas de ces hommes et de ces femmes qui, en état de dépendante totale, doivent faire appel à une tierce personne pour tous les actes de leur vie quotidienne - soins, toilette, nourriture, communication -, sans pour autant aujourd'hui pouvoir faire appel, dès l'instant où leur corps les en empêche, à cette tierce personne pour mettre fin à leurs jours.
M. Jean Leonetti rappelait il y a quelque temps que le suicide est non pas un droit, mais une liberté ; or c'est justement cette liberté qui est refusée aux personnes totalement dépendantes et handicapées qui ne peuvent plus s'exprimer, qui ne peuvent plus agir par elles-mêmes. Il me semble que c'est ajouter une souffrance à la souffrance et que refuser cette liberté à ceux qui la demandent, c'est, j'ose le dire sans provocation, la dernière discrimination qu'on leur fera subir.
Telle est précisément la raison pour laquelle nous vous proposions voilà trois ans un amendement qui visait à ajouter aux quatre cas exonérant les médecins de poursuites pénales prévus dans la loi - refus de l'obstination déraisonnable ; principe du « double effet » ; limitation ou arrêt de traitement pour les personnes conscientes en fin de vie ou non ; limitation ou arrêt de traitement pour les personnes inconscientes en fin de vie ou non - un cinquième cas : l'aide médicalisée pour mourir. Je crois que cette proposition est toujours d'actualité, et il me semble urgent d'étudier sérieusement cette piste, la liberté de conscience du médecin restant bien entendu toujours affirmée.
En aucun cas il ne peut s'agir de changer l'interdit éthique « Tu ne tueras pas », qui vise le cas d'une mort imposée à une personne qui ne la souhaite pas. Nous défendons simplement la possibilité d'assister les personnes qui souhaitent abréger leur existence pour des raisons tout à fait justifiées tenant aux souffrances intolérables qu'elles subissent. Je crois que cela permettrait d'avancer dans cette fameuse « voie française » qu'ont voulu promouvoir les auteurs du texte de 2005.
Le Parlement français s'honorerait à regarder enfin en face la question de l'euthanasie : nous ne pouvons plus nous cacher derrière des faux-semblants quand nous sommes à ce point interpellés par nos concitoyens.
J'ai bien conscience qu'il va falloir convaincre. C'est pourquoi je voudrais conclure par une proposition : que le Sénat crée en son sein une mission d'information chargée d'évaluer les dispositions de la loi du 22 avril 2005 et de proposer les évolutions nécessaires. J'espère, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, que vous accueillerez favorablement cette idée.
Voilà trois ans, le Sénat n'avait pu véritablement faire entendre sa voix. Nous avons aujourd'hui l'occasion de reprendre notre travail tranquillement, posément : saisissons-la !
Mes chers collègues, nous sommes attendus, nous sommes interpellés, et nous le serons de plus en plus. Humanistes que nous sommes, respectueux par-dessus tout de la vie d'autrui, soyons à l'écoute des demandes réitérées de ceux qui ne réclament qu'une chose : leur libre choix, la liberté de décider pour eux-mêmes et par eux-mêmes des conditions de leur fin de vie, le médecin étant bien sûr le compagnon privilégié et indispensable dans la prise de décision.