Intervention de Patricia Schillinger

Réunion du 8 avril 2008 à 16h00
Aide aux malades en fin de vie — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Patricia SchillingerPatricia Schillinger :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier Jean-Pierre Godefroy d'avoir posé cette question orale avec débat sur un sujet si important.

Comme l'ont souligné mes collègues, nous avions déjà souligné les insuffisances et les faiblesses de la proposition de loi de Jean Leonetti relative aux droits des malades et à la fin de vie lors de son examen. Nous avions alors évoqué la nécessité d'aller beaucoup plus loin que le seul « droit de laisser mourir ». En effet, le texte n'envisageait pas l'exception d'euthanasie telle que l'avait envisagée le Comité consultatif national d'éthique.

Malheureusement, lors de l'examen de ce texte au Sénat, il y a trois ans, le Gouvernement tenant absolument à obtenir un vote conforme, a empêché l'adoption de tout amendement. Un texte d'une telle importance sur ce délicat problème justifiait pourtant un vrai débat. Je suis heureuse qu'il ait lieu aujourd'hui dans cet hémicycle.

Si nous sommes réunis aujourd'hui, c'est parce que le dispositif de la loi Leonetti ne permet pas de faire face à toutes les situations. Ce sujet revient donc en discussion à chaque nouveau fait d'actualité.

Même si de réelles avancées ont été constatées ces dernières années, notamment grâce à la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs, à la loi Kouchner du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé et, plus récemment, à la loi Leonetti, aucune réponse n'est proposée au malade conscient qui souhaite interrompre ou refuser ses traitements. Lorsqu'un malade refuse tout traitement, le médecin, en accord avec l'entourage proche du patient, devrait pouvoir respecter son choix, après l'avoir informé précisément des conséquences et sans encourir de poursuites judiciaires.

Dans la loi Leonetti, l'alimentation est clairement considérée comme un traitement et non comme un soin. Le texte précise que le malade conscient est autorisé à refuser tout traitement et vise ainsi implicitement le droit au refus de l'alimentation artificielle. Ce point du texte est très important, car il suscite de nombreuses questions. Quelle est l'intention en cas d'arrêt ou de limitation de traitement ? L'intention est-elle de mettre fin à un acharnement thérapeutique ou s'agit-il d'une intention euthanasique cachée ?

Le texte n'apporte pas de solution pour les personnes qui souhaitent mourir mais ne veulent pas interrompre l'alimentation artificielle. Ce fut le cas du jeune Vincent Humbert et de Chantal Sébire, qui ont souhaité en finir avec une vie qui leur était insupportable, mais sans mourir de faim ou souffrir. Ils souhaitaient partir le jour où ils l'avaient décidé.

En fait, les avancées de la loi Leonetti sont plus pour les médecins que pour le malade. En effet, la loi protège les médecins dans leurs décisions collégiales de limitation ou d'arrêt de traitement. Ainsi le médecin doit-il sauvegarder la dignité du mourant et assurer la qualité de sa fin de vie en dispensant des soins palliatifs. Si ces soins palliatifs visent à soulager ou à atténuer la souffrance, on sait aujourd'hui qu'ils ne visent en aucun cas à prendre en compte la demande d'aide à mourir. En cas de refus de traitement, la loi permet à un patient de se laisser mourir de faim. Il n'est pas tolérable de laisser un patient mourir à la suite de l'arrêt de ses traitements, y compris l'alimentation, de le laisser dans l'incertitude du moment de sa mort et d'offrir à sa famille le spectacle de sa dégradation.

La loi ne pourrait-elle pas autoriser les médecins à adapter la sédation du patient afin de faciliter sa mort et de lui épargner une agonie prolongée et inutile ?

La loi Leonetti n'apporte guère de modification pour les personnes confrontées à une situation médicale sans issue. En effet, elle ne permet pas de répondre aujourd'hui à des demandes telles que celles de Vincent Humbert ou de Chantal Sébire, non plus qu'elle n'évite les poursuites criminelles comme celles dont a fait l'objet le docteur Chaussoy. La proposition de loi Leonetti a pourtant vu le jour à la suite du cas de Vincent Humbert.

Les médecins qui oseront abréger les souffrances d'un malade seront toujours hors-la-loi. Le texte interdit explicitement aux médecins de pratiquer une « aide active à mourir » pour soulager les souffrances d'un patient agonisant. Quand on est en phase terminale, si la douleur physique ou psychologique est insupportable, on peut vouloir ne plus vivre et réclamer une aide active à mourir, non des soins palliatifs.

Madame la ministre, accompagner la mort dans la dignité est un acte d'amour, qu'il s'agisse de personnes âgées atteintes de maladies dégénératives à l'évolution inexorable, de personnes, parfois jeunes, foudroyées par des affections incurables ou encore de victimes d'accidents ayant entraîné des lésions irréversibles, ôtant tout espoir de retour à un minimum d'autonomie de vie.

Quelle que soit la situation particulière à laquelle il est confronté, le praticien doit accompagner son patient par une attitude responsable, dictée par sa conscience et son humanité.

Aujourd'hui, en France, on le sait bien, des euthanasies sont pratiquées dans la clandestinité. Bien que les estimations soient difficiles à réaliser, on évalue à 1 800 par an le nombre des euthanasies clandestines pratiquées en France de manière inégalitaire et anarchique. Pourquoi ne pas agir en toute transparence afin de ne plus être dans l'illégalité et ainsi permettre au malade d'être accompagné par une équipe médicale formée et par son entourage ?

Une société ne doit pas vivre un décalage trop important entre les règles affirmées et la réalité vécue. L'hypocrisie ne peut perdurer.

Par ailleurs, selon un sondage TNS-SOFRES, près de neuf Français sur dix souhaitent que les personnes atteintes d'une maladie incurable puissent demander à bénéficier d'une euthanasie. En d'autres termes, 87 % des Français veulent pouvoir demander l'euthanasie.

Pour finir, j'insisterai sur l'importance qu'il y a à prendre en compte la volonté du patient et de la famille dans une situation médicale grave et sans issue. Lorsqu'un individu est parvenu aux limites du supportable, la volonté de mourir peut l'emporter sur l'intérêt de vivre.

Madame la ministre, mon expérience dans les hôpitaux me conduit à penser que, face à certaines détresses, quand tout espoir thérapeutique est vain et que la souffrance se révèle insupportable, la demande de délivrance devient un droit. Elle doit être l'expression de notre dernière liberté. J'espère que le Gouvernement avancera dans ce sens.

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