Cet article 8 n'apporte rien de neuf par rapport aux textes en vigueur, comme on vient de le voir. Á bien y regarder, la seule nouveauté, en fait, c'est qu'il va occasionner un redécoupage des zones actuelles, ce qui présente des risques importants avec l'arrivée de nouveaux acteurs sur le marché.
Dans les faits, ce qui est à craindre peut être assez rapidement résumé.
Nous avons aujourd'hui une péréquation tarifaire qui concerne les acteurs du service public de distribution du gaz, c'est-à-dire essentiellement Gaz de France et, dans un ordre de grandeur plus faible, les distributeurs non nationalisés, dont nous avons pu voir, notamment lors de la discussion de l'article 6, le grand cas que l'on faisait sur les travées de la majorité sénatoriale.
Et nous avons, de l'autre côté, si l'on peut dire, des clients potentiels de cette couverture du pays par le réseau de transport et de distribution, au moment même - devons nous le souligner ? - où ce réseau obéit à de nouvelles règles, notamment en matière d'accès.
Dans tous les cas de figure, l'un des aspects essentiels de la directive est de pousser au plus loin les feux de la concurrence en matière de distribution d'énergie, quitte à revenir quelque peu sur le sens que l'on peut donner à l'égalité des usagers devant le service.
Qu'on le veuille ou non, la péréquation tarifaire participe pleinement de cette égalité d'accès des usagers. Qu'elle ait un coût est une réalité, puisque les prix sont alignés, sur l'ensemble des réseaux publics, par compensation des surcoûts observés dans certaines situations par les moindres coûts constatés ailleurs.
Au demeurant, tout se passe quelque peu comme si nous devions nous résoudre à abandonner la péréquation tarifaire, propre même de la conception française du service public, et faire aveuglément confiance aux effets de la libre concurrence, telle qu'elle est prônée par la directive européenne, pour que les prix proposés aux usagers soient équilibrés.
À la vérité, pourtant, même l'esprit général de la directive est pollué par la croyance quasi religieuse dans les vertus de la concurrence. Comment ne pas indiquer que nous disposons de facultés spécifiques de transposition, rappelées notamment par l'article 3, alinéa 2, de la directive ?
La qualité et le prix de la fourniture, qu'est-ce donc sinon la possibilité, précisément, de décider que la péréquation tarifaire devient l'un des éléments des obligations de service public s'imposant à tous les opérateurs, et ce quel que soit l'état actuel ou futur de la couverture du pays en matière de réseaux de distribution de gaz ?
En laissant en l'état l'article 8, on ne peut que s'inquiéter des conséquences qu'aura la redéfinition des zones. Certains fournisseurs ne risquent-ils pas de se positionner sur les seuls secteurs où ils pourront offrir des prix plus bas, abandonnant à GDF et Suez des espaces où une péréquation plus coûteuse doit être instaurée ?
En clair, ne risque-t-on pas à nouveau de constater que les collectivités territoriales désireuses de se raccorder au réseau national du gaz ne pourront le faire sans que les résidents de ces collectivités soient amenés, une fois encore, à payer le prix fort ou à renoncer à la meilleure qualité de service, celle-ci demeurant proposée aux habitants des zones urbaines plus denses où ne se pose aucun des problèmes techniques régulièrement invoqués pour ne pas aller plus loin dans la desserte gazière du pays ?
Ce serait remettre en cause le principe même de la péréquation, qui consiste à répartir les charges afin que la disparité des coûts de distribution ne conduise pas certains à payer beaucoup plus cher que d'autres.
De fait, ne pas retenir notre amendement reviendrait dans les faits à laisser les fournisseurs organiser leur propre péréquation, au risque d'engendrer une concurrence très vive, voire déloyale, dont ne feront toujours les frais que les usagers.