Intervention de Odette Terrade

Réunion du 23 juillet 2009 à 14h30
Mise en œuvre du grenelle de l'environnement — Adoption définitive des conclusions du rapport d'une commission mixte paritaire

Photo de Odette TerradeOdette Terrade :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les conclusions de la commission mixte paritaire sur le Grenelle I mettent un terme, au moins provisoire – nous devrions en effet consacrer une bonne part du début de la session 2009-2010 à l’examen du Grenelle II –, au débat engagé dès l’automne 2007 sur les enjeux environnementaux du développement économique et social de notre pays.

Nous pourrions évidemment nous cantonner à la position d’abstention que nous avions adoptée tant lors de la discussion en première lecture, en janvier et en février dernier, que lors de la deuxième lecture, au début de ce mois. Nous pourrions la motiver de nouveau en notant que chacun s’accorde sur le constat de la situation, sur la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique, sur celle tout à la fois de maîtriser la consommation d’énergies fossiles et de faciliter l’émergence de sources énergétiques alternatives, sur les efforts à accomplir en termes de changement de modes de production des logements, d’aménagement urbain, d’organisation des transports, tant ceux des personnes que des marchandises, et j’en passe...

Dans le même ordre d’idées, la dimension environnementale devra sans doute être prise en compte de manière plus précise encore dans l’ensemble des politiques d’aménagement du territoire et des politiques économiques. Pour le coup, s’il fallait sortir une proposition digne de ce nom, pourquoi ne pas encourager les investissements éco-responsables en concentrant l’allégement de la taxe professionnelle sur ces investissements aux dépens de ceux qui ne présenteraient pas de garanties pour l’environnement ?

Nous savons pertinemment que l’examen du Grenelle II permettra a priori de pousser plus loin l’ensemble de ces débats. Pour autant, il semble que, s’agissant de certaines mesures, on ait pris un peu d’avance. Ainsi en est-il du fameux décret de Mme Boutin, qui tend à rendre largement possible, dans le cadre réglementaire, le fait que la mise aux normes environnementales des logements puisse être imputée sur la quittance des locataires. Cette imputation risque de conduire à une sensible augmentation du montant des charges locatives, frappant au porte-monnaie des familles d’autant plus fragiles que le logement locatif est malheureusement de plus en plus réservé aux familles les plus modestes.

Pour faire bonne mesure, voilà que le groupe de travail coprésidé par Michel Rocard et Alain Juppé, un temps ministre de l’environnement, vient de rendre ses conclusions sur la contribution climat-énergie. Cette contribution, élément important du pacte écologique de la fondation Nicolas Hulot, c’est l’impôt que l’on ne veut pas appeler par son nom, préférant à cette dénomination celle de « taxe carbone », par trop malsonnante. Au-delà de ce jésuitisme sémantique, quelles sont les conclusions du groupe de travail Rocard-Juppé ? Eh bien ! qu’il ne faut pas attendre et instituer cette taxe dès 2010 !

Pour faire bonne mesure, on va évidemment commencer par le début dans cette affaire. Le début, c’est de faire en sorte que les entreprises ne paient pas la taxe carbone, au motif qu’elles seraient assujetties au système des quotas de pollution, lequel est marqué pour le moment, faut-il le rappeler, par la gratuité. En clair, dans le code général des impôts, nous avons un compte spécial avec des rentrées fiscales issues du paiement des quotas de pollution, à la nuance près que ces paiements n’interviendront pas avant 2012 ou 2013. Vous me direz, madame la secrétaire d’État, si je me trompe !

En revanche, dès 2010, la taxe carbone viendra compléter le prix de l’essence – déjà largement grevé de taxes, puisque celles-ci représentent plus ou moins 75 % du prix – et celui des combustibles destinés au chauffage. Bien entendu, la hausse du prix de l’essence ne fera qu’ajouter 8 à 9 centimes de plus au prix du litre, c’est-à-dire 3 à 4 euros par plein d’essence et complétera, si l’on peut dire, la pastille verte, tandis que disparaîtra, de fait, le bonus écologique accordé aux véhicules dits peu polluants.

La vérité, c’est que ce seront les usagers de l’automobile, à titre privé, qui paieront la facture. Je pense notamment à tous ces salariés mal payés, contraints pour certains de travailler en horaires décalés, en travail posté, parfois le samedi et le dimanche, et qui sont aussi obligés d’aller habiter à plusieurs dizaines de kilomètres de leur lieu de travail et d’utiliser leur véhicule pour s’y rendre, faute de transports en commun à la hauteur des besoins. C’est d’ailleurs en partant de cette observation qu’une association de consommateurs comme l’UFC-Que Choisir a marqué, dès hier, sa grande inquiétude et sa désapprobation devant ce qui est prévu pour la mise en place de la taxe carbone.

Nous devons sans doute plus que tout éviter que les préoccupations environnementales ne deviennent l’outil de l’émergence d’une fiscalité toujours plus injuste et inéquitable, où la préoccupation écologique ne ferait que servir de cache-sexe à l’inégalité fiscale. Comme nous devons éviter que les légitimes préoccupations écologiques ne finissent par n’être qu’une forme de supplément d’âme que s’accorderaient les familles les plus aisées, celles pouvant se passer d’un véhicule pour aller travailler, celles ayant les moyens de payer les conséquences de l’intense spéculation immobilière qui exclut toujours plus des centres-villes et du logement de qualité les plus modestes.

Le jour où le combat écologique aura été mené au bout de sa logique, c’est lorsque les familles populaires reviendront peupler les centres-villes dans des logements à énergie positive et à loyer social !

Reste le cas des entreprises. Michel Rocard a déclaré qu’il ne lui serait pas agréable que la création de la taxe carbone vienne compenser l’allégement de la taxe professionnelle. Il récuserait par avance l’existence de lien entre les deux, à l’image, faut-il le souligner, de ce qu’ont dit les associations d’élus sur la question.

Manque de chance, il sera difficile de ne pas faire le lien et il faudrait d’ailleurs pour cela que le Président de la République lui-même arrête d’opposer à longueur de discours une taxe professionnelle qui pèserait sur le travail et une taxe carbone qui sanctionnerait la pollution du cadre de vie de tous.

Ainsi, le 22 juin dernier, lors du discours de Versailles, le Président Nicolas Sarkozy disait à propos de la fiscalité : « […] allons-nous continuer à taxer la production et à taxer le travail alors que nous savons bien qu’en faisant peser des charges fixes trop lourdes sur le travail et sur la production, nous détruisons nos emplois et nos industries ? Les délocalisations systématiques sont devenues insupportables aux Français. Notre fiscalité entièrement ciblée sur la production et sur le travail en est responsable ».

Il ajoutait : « Et c’est au nom de ce choix stratégique en faveur du travail et de la production que la taxe professionnelle doit être supprimée. Cette réforme sera l’occasion de repenser notre système de fiscalité locale, qui en a bien besoin. C’est avec la même détermination que je souhaite que nous allions le plus loin possible sur la taxe carbone. Plus nous taxerons la pollution et plus nous pourrons alléger les charges qui pèsent sur le travail. C’est un enjeu immense. C’est un enjeu écologique. C’est un enjeu pour l’emploi ».

À la vérité, la fiscalité environnementale existe déjà, et ce depuis un certain temps : elle rapporte à l’État et aux collectivités locales plus ou moins 50 milliards d’euros.

Le problème, c’est que si les taxes et redevances d’assainissement sont utilisées conformément à leur objet, de même que les taxes et redevances portant sur le traitement des ordures ménagères, la taxe intérieure sur les produits pétroliers, la TIPP, sert à tout autre chose qu’à financer la politique environnementale de l’État. Par exemple, les 15 milliards d’euros de la TIPP qui restent au budget général deviennent 333 millions d’euros dans le programme « Urbanisme, paysages, eau et biodiversité » et moins de 4 milliards d’euros dans le programme « Conduite et pilotage des politiques de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire ».

Soyons plus précis : il nous semble que la TIPP doit devenir l’outil du financement de la politique environnementale du pays. Trouvons donc une autre ressource fiscale, au demeurant plus dynamique, afin de compenser pour les collectivités locales les charges qui le sont aujourd’hui par la taxe et utilisons les sommes ainsi dégagées pour créer un véritable fonds environnemental.

Ce fonds pourrait accorder des prêts à faible taux – tirons parti de la situation actuelle des taux du crédit – pour favoriser les investissements « éco-responsables » ou « grenello-compatibles ».

Ce fonds pourrait aussi financer la mise aux normes énergétiques de notre parc locatif, et singulièrement du parc locatif social.

De tels débats seront au premier plan de l’actualité et viendront naturellement lors de l’examen du Grenelle II.

Le débat fiscal accompagnera d’ailleurs le débat fondamental sur le développement des infrastructures de transport.

Quand Pierre Blayau, président de la division fret de la SNCF, annonce que la société nationale entend abandonner définitivement le service dit « des wagons isolés », il ne fait que montrer que le débat est loin d’être clos.

Du reste, mes chers collègues, le fait que l’ancien PDG de Moulinex, auteur de l’un des plans sociaux les plus meurtriers de ces dernières années, se positionne ainsi dans le débat n’est pas du tout de nature à nous rassurer.

Nous devons poser clairement la question de l’alternative à la route, et en particulier celle du développement des transports ferroviaires.

C’est donc en attente de ces débats que nous confirmons, à l’occasion de la présentation des conclusions de cette commission mixte paritaire, notre abstention vigilante sur ce texte.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion