Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’en venir à l’article 30 du projet de loi, qui constitue la raison essentielle de notre opposition à ce texte, je voudrais vous faire part de notre mécontentement quant à la méthode utilisée par le Gouvernement pour imposer la suppression de la pénibilité reconnue à la profession d’infirmier. Car c’est bien de cela qu’il s’agit !
Le texte dont nous discutons aujourd’hui avait initialement vocation à transposer dans la loi ce qu’il est convenu d’appeler les accords de Bercy.
Ces accords, signés par six organisations syndicales – la CGT, la CFDT, la FSU, l’UNSA, Solidaires et la CGC –, prévoyaient à la fois d’asseoir la représentativité des organisations syndicales sur leur audience et de favoriser la concertation. Sur ce dernier point, il était notamment envisagé de reconnaître les « accords majoritaires », c’est-à-dire de considérer comme valides les accords qui seraient signés par des organisations syndicales ayant obtenu au moins 50 % des voix à l’occasion des élections professionnelles.
Mais si ce projet de loi fait parler de lui, c’est moins en raison de ces deux dispositions que de deux autres, qui ne sont pas prévues par les accords de Bercy et que, madame la ministre, vous imposez contre l’avis des organisations syndicales.
Je veux parler, d’une part, de l’intéressement, qui constitue un pas supplémentaire dans le démantèlement de la fonction publique, et, d’autre part, du chantage odieux auquel vous avez soumis les infirmiers et personnels paramédicaux des établissements publics de santé en subordonnant le renforcement du pouvoir d’achat et la reconnaissance professionnelle au report de l’âge de départ à la retraite.
Avec cette méthode, nous sommes bien loin des déclarations que M. Éric Woerth, alors ministre du budget, des comptes et de la fonction publique, faisait en 2008, selon lesquelles le Gouvernement privilégierait la voie de la discussion.
Madame la ministre, vous aviez connaissance de l’opposition des organisations syndicales avant même le dépôt de cet article 30.
Lors des négociations sur le protocole d’accord relatif au passage de la profession d’infirmier en catégorie A, une seule organisation syndicale a approuvé votre proposition tendant à conditionner cette reconnaissance légitime par la suppression du droit à la retraite anticipée. Cette organisation, faut-il le rappeler, a obtenu moins de 1 % des suffrages, tous collèges confondus, lors des dernières élections professionnelles, et aucune voix dans le collège infirmier…
Avouez, mes chers collègues, qu’il est quelque peu singulier d’imposer par une loi censée sacraliser le principe de l’accord majoritaire une disposition assise sur un accord ultra-minoritaire !
Les organisations syndicales ont encore exprimé leur opposition à cette disposition à deux reprises, lors de la réunion du Conseil supérieur de la fonction publique, qui s’est d’ailleurs très majoritairement prononcé contre cette mesure, et au sein du Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière, qui lui aussi l’a rejetée.
La méthode n’est malheureusement pas nouvelle. Je me souviens qu’en 2008, vous aviez eu recours à un procédé identique pour mener une attaque sans précédent contre les 35 heures. Vous aviez alors intégré des mesures relatives au temps de travail n’ayant pas été approuvées par les organisations syndicales à un texte destiné précisément à transposer dans la loi un accord national interprofessionnel portant sur la représentativité des organisations syndicales dans le secteur privé. Les textes se succèdent et, malheureusement, les basses manœuvres politiques se ressemblent !
Mais, au-delà de la forme, déjà très contestable, c’est le contenu même de cet article 30 que nous entendons dénoncer.
Il s’agit en effet, sous prétexte de satisfaire une ancienne et légitime revendication des personnels infirmiers et paramédicaux des établissements publics de santé – le passage de la catégorie B à la catégorie A –, de supprimer le droit à bénéficier d’une retraite anticipée à 55 ans.
Or, contrairement à ce que l’on pourrait croire de prime abord, cette disposition ne représente pas une simple attaque scandaleuse contre un droit acquis. Elle est une traduction concrète de ce que nous dénonçons depuis le début du débat sur les retraites : la volonté du Gouvernement de ne pas traiter, voire de nier, la question de la pénibilité.
En effet, le Gouvernement propose ni plus ni moins que de demander aux infirmiers de choisir entre, d’un côté, le passage en catégorie A et les hausses de rémunération, d’ailleurs très faibles, qui l’accompagnent, et, de l’autre, le maintien du droit à la retraite à 55 ans.
Or, ce droit à la retraite anticipée à été accordé à ces professionnels en raison de la pénibilité de leurs conditions de travail. Leur demander aujourd’hui d’y renoncer, même volontairement, c’est considérer au mieux que cette pénibilité peut être financièrement compensée, au pire qu’elle n’existe pas.
Telles sont d’ailleurs les conclusions que nous tirons des propos que vous avez tenus, madame la ministre, le 7 avril dernier à l’Assemblée nationale : « Puis-je rappeler que le taux de ceux qui partent à la retraite avec une invalidité est de 6, 7 % dans la totalité de la fonction publique hospitalière et de 4, 7 % pour les infirmières ? Puis-je rappeler que la gravité de l’invalidité ne cesse de baisser pour les infirmières ? »
Pourtant, les faits sont tenaces. Si l’on s’en tient au recueil statistique réalisé en 2008 par la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, la CNRACL, sur 1 070 infirmiers pensionnés décédés, 192 étaient titulaires d’une pension d’invalidité, soit un sur cinq. Ces éléments relativisent quelque peu les statistiques que vous avez présentées devant l’Assemblée nationale !
De la même manière, comment ne pas tenir compte du nombre important d’infirmiers qui renoncent à exercer à l’hôpital public au bout de cinq ans d’activité à peine ? Ils représentent 8 % de l’effectif de la profession et citent majoritairement deux causes pour expliquer leur départ de la fonction publique hospitalière : le manque de travail en équipe et, surtout, l’épuisement lié aux conditions de travail.
Si tous ces arguments ne parviennent pas à vous convaincre, madame la ministre, je vous invite à lire le rapport du député Jean-Frédéric Poisson. Celui-ci fait la démonstration que l’espérance de vie d’un infirmier ayant effectué une carrière complète est réduite de six ans.