Intervention de Pierre-Yvon Trémel

Réunion du 10 décembre 2004 à 15h15
Loi de finances pour 2005 — V. - mer

Photo de Pierre-Yvon TrémelPierre-Yvon Trémel :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le débat budgétaire qui nous mobilise autour des crédits consacrés à la mer nous donne l'opportunité d'observer une situation paradoxale.

Avec ses 5 500 kilomètres de littoral, avec un domaine public maritime de 11 millions de kilomètres carrés qui en fait la seconde superficie maritime du monde, avec une tradition et une histoire maritimes remarquables, avec un patrimoine maritime de grand intérêt, la France réunit, à coup sûr, de nombreux « ingrédients » lui permettant de valoriser une vocation maritime bien établie.

Force est pourtant de constater que notre pays, ses élus, ses institutions et sa population, manifestent à l'égard de la mer un intérêt relatif et semblent trop souvent tourner le dos à d'exceptionnels atouts.

Il convient dès lors de saisir chaque occasion, et la discussion budgétaire en est une, et même excellente - l'aurons-nous encore dans l'avenir ? -, pour dire combien cette situation paradoxale est regrettable. Le petit nombre de parlementaires convaincus, motivés et libres qui « chérissent » la mer, affirmera cette année, à nouveau, monsieur le secrétaire d'Etat, son attente depuis si longtemps insatisfaite d'une politique volontariste de la mer dans notre pays.

Notre débat doit porter à la fois sur le projet de budget et sur les leviers qui jouent un rôle influent sur l'économie de la mer, dont il faut rappeler le poids : 20 milliards d'euros, hors tourisme, et 450 000 emplois à la clé.

Le projet de budget consacré à la mer respecte un scénario annuel désormais bien rôdé.

Les crédits inscrits, 1 141 millions d'euros, sont affectés pour une très large part - 77 % - au financement de l'ENIM.

Hors ENIM, les dotations prévues atteignent 319 millions d'euros et connaissent une progression de 0, 9 %. C'est dire la faible marge de manoeuvre dont vous disposez, monsieur le secrétaire d'Etat, pour donner une réalité à des priorités sur lesquelles nous pouvons nous retrouver : la solidarité à l'égard des gens de mer, la sécurité, la formation, le soutien à la flotte de commerce, la modernisation des ports, la protection et la valorisation du littoral.

La subvention de l'Etat à l'ENIM, destinée équilibrer son budget, est en progression. Elle ne permet pas pour autant de répondre complètement aux attentes des pensionnés ressortissants du régime, soucieux du maintien de leur pouvoir d'achat et constants, quel que soit le Gouvernement en place, dans leurs revendications à caractère social.

La sécurité maritime est affichée comme une priorité absolue. Or l'analyse des crédits qui lui sont affectés révèle une évolution contrastée.

Le plan de modernisation des CROSS se poursuit et il faut se féliciter de la forte croissance des crédits de paiement, qui va permettre de réaliser le renforcement de la couverture radar en Manche.

Les moyens consacrés à la signalisation maritime sont, en revanche, en forte diminution, tant en fonctionnement qu'en investissement. Le plan de modernisation lancé en 1998, et qui doit durer huit années, semble vraiment en panne.

A quand, monsieur le secrétaire d'Etat, l'acquisition d'un baliseur neuf pour le Verdon ? A quand la réfection du phare de Cordouan ?

Il serait grave à mon sens d'abandonner ces deux missions de l'Etat : la sécurisation de nos côtes et la nécessaire remise à niveau de ce patrimoine maritime exceptionnel que constituent nos phares.

La sécurité des navires et de la navigation repose aussi pour une large part sur l'activité des centres de sécurité des navires. S'il convient de se réjouir du taux d'inspection des navires étrangers en 2003, et sans doute aussi en 2004, l'absence de création de postes d'inspecteur en 2005 est difficilement compréhensible.

Un plan pluriannuel 2000-2006 fixe comme objectif un effectif de 130 inspecteurs habilités à inspecter l'ensemble des navires. Sur les 125 inspecteurs actuellement recensés, 89 seulement seront habilités à effectuer les contrôles des navires étrangers, alors même que les missions confiées à ce corps continuent à s'élargir avec, par exemple, la mise en oeuvre du code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires, le code ISPS.

A propos de l'entrée en vigueur de ce code, qui entraînerait, dit-on, des dépenses nouvelles s'élevant à plusieurs dizaines de millions d'euros par an, il serait intéressant, monsieur le secrétaire d'Etat, de connaître les suites que vous entendez donner aux conclusions de la mission interministérielle, en particulier à la suggestion de créer une taxe de sûreté sur le transport des passagers.

En ce qui concerne la formation, qui est une autre priorité affichée, on observe également une évolution contrastée des crédits : dotation en augmentation pour l'enseignement secondaire, reconduction des moyens pour l'enseignement supérieur et réduction des moyens consacrés à la formation continue des enseignants.

Au moment où nous entrons dans une période nouvelle, avec le transfert aux régions de la responsabilité des bâtiments de nos quatre écoles nationales de la marine marchande, deux questions méritent d'être posées.

Premièrement, pourquoi ce projet de budget ne prévoit-il pas de plan de formation continue pour les enseignants, alors même que la navigation maritime connaît des évolutions technologiques permanentes ?

Deuxièmement, quelles mesures nouvelles l'Etat entend-il prendre face à la situation préoccupante entraînée par la pénurie d'officiers, le manque de candidatures aux concours de recrutement et une pyramide des âges des cadres défavorable ? Il est bon de rappeler en effet qu'il faut douze ans pour former un capitaine au long cours.

L'Etat apporte un soutien financier à la flotte de commerce. Ce soutien revêt différentes formes.

Les crédits affectés à l'allègement des charges jouent un rôle clé, mais ils sont souvent considérés comme insuffisants pour tenir les engagements concernant les cotisations d'allocations familiales et d'assurance chômage.

La taxe au tonnage est un dispositif récent. L'observation de pratiques similaires en Grande-Bretagne et en Allemagne suscite cependant des inquiétudes, puisque les emplois promis en contrepartie de l'allègement fiscal n'ont pas été créés dans ces pays.

Il est encore trop tôt pour avoir un aperçu de ce qui se passera en France. Il nous faut donc prendre date, monsieur le secrétaire d'Etat. Mais nous voudrions d'ores et déjà connaître les premières initiatives prises par les armateurs à la suite de l'ouverture de ce dispositif.

Le GIE fiscal a fait la preuve de son attractivité. Je souhaite quant à moi connaître les conclusions de la Commission européenne sur la compatibilité du dispositif avec les règles relatives aux aides d'Etat. A-t-on une idée du calendrier de remise de ces conclusions ?

L'Union européenne place le cabotage parmi les orientations majeures de sa politique des transports.

Deux parlementaires, MM. François Liberti et Henri de Richemont, le nouveau président du groupe d'étude de la mer du Sénat, ont publié des rapports très intéressants démontrant l'intérêt du cabotage sur les plans économique, écologique et de l'aménagement du territoire.

Une ligne budgétaire a été ouverte, instaurant une aide au démarrage de nouvelles lignes de cabotage. Or les crédits ne sont pas consommés. Le simple constat d'inefficacité doit donc être dépassé et certaines suggestions contenues dans ces rapports méritent de connaître une suite.

Au moment où l'on parle des autoroutes de la mer, au demeurant sans voir venir grand-chose depuis les annonces du CIADT de décembre 2003 - un bilan a eu lieu cette semaine -, il vous appartient, monsieur le secrétaire d'Etat, de faire des propositions permettant de « transformer une bonne idée en réalité politique et économique ».

Le développement des ports est un enjeu économique et stratégique majeur.

Avec l'adoption de la loi du 13 août 2004, les actuels ports d'intérêt national ont vocation à être décentralisés au profit des collectivités territoriales et de leurs groupements.

Nous assistons à un réel mouvement d'intérêt, en particulier de la part des conseils régionaux, qui correspond au développement de « consciences maritimes régionales », ce dont nous nous réjouissons. Dans quelques mois, il sera possible d'observer les résultats de cette évolution importante.

Deux questions concernant les ports retiennent pour l'heure notre attention : la chute continue des crédits de fonctionnement accordés aux ports autonomes, qui rend leur entretien de plus en plus difficile, et le retard constaté dans la desserte ferroviaire des espaces portuaires.

La + «Mer » de ce projet de budget consacre des crédits à la protection et à l'aménagement du littoral. Un rapport demandé à la Cour des comptes par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale nous renseignera sur le niveau et la pertinence des moyens mis en oeuvre pour lutter contre les pollutions maritimes accidentelles.

Dans l'attente des conclusions de ce rapport, nous souhaitons, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous fassiez le point sur le projet de zone maritime particulièrement vulnérable, sur la transposition des directives européennes et sur l'Agence européenne de sécurité maritime.

S'agissant de l'aménagement du littoral, nous ne pouvons rester insensibles au fait qu'aucun schéma de mise en valeur de la mer, ou SMVM, n'a été approuvé depuis huit ans. Deux SMVM devraient, paraît-il, être bientôt finalisés : celui du Trégor-Goëlo, en Côtes-d'Armor, et celui du golfe du Morbihan. Peut-être ai-je encore toutes mes chances, grâce à vous, monsieur le secrétaire d'Etat !

Le SMVM du Trégor-Goëlo, initié en 1993, devait être finalisé en 2003. Pouvez-vous me donner, monsieur le secrétaire d'Etat, un calendrier fiable sur sa date d'approbation ?

Je souhaite à présent sortir du cadre strictement budgétaire pour aborder quelques grandes questions maritimes d'actualité.

Comment ne pas parler du registre international français ? En effet, nous sommes tous ici préoccupés par le recul du pavillon français.

La chute des effectifs des personnels navigants français est un problème majeur pour certaines régions qui ont longtemps vécu de l'emploi maritime. Nous le savons bien, en Côtes-d'Armor. La proposition de loi déposée par M. Henri de Richemont a fait se lever des « vents contraires » violents. Nous attendons des informations de votre part, monsieur le secrétaire d'Etat, sur les résultats de la médiation organisée, sur votre initiative, par M. Scemama, et sur le calendrier envisagé pour la poursuite du débat autour d'un texte, je l'espère, amendé.

Il est impossible de ne pas vous interroger sur l'état des lieux concernant le nouveau projet de directive européenne relative à l'accès au marché des services portuaires. Le débat autour de l'auto-assistance reste passionné. Où en sommes-nous exactement ?

Les riverains de l'Atlantique et de la Manche restent très vigilants sur les pollutions à répétition. Il ne se passe guère de mois sans qu'un navire laissant derrière lui un sillage suspect ne soit surpris en Manche ou dans le golfe de Gascogne. Mais nous disposons désormais d'un pouvoir de sanction. Dans les milieux maritimes, on commence ainsi à connaître les « mardis de Brest ».

Vous serait-il possible, monsieur le secrétaire d'Etat, de nous faire parvenir, même plus tard, un état descriptif des affaires traitées par trois tribunaux, ceux de Brest, du Havre et de Marseille, retraçant le nombre de dossiers traités, l'immatriculation des navires concernés et les sanctions prononcées ?

Enfin, il faudrait évoquer la question de la plaisance. Mais je ne peux éviter de vous interroger sur la Société nationale de sauvetage en mer, la SNSM. J'ai été très frappé par l'observation formulée en commission des finances de l'Assemblée nationale à propos de la sous-évaluation annuelle, constatée depuis plusieurs années, des besoins réels de financement de la SNCM, qui joue pourtant un rôle essentiel pour la sécurité des plaisanciers.

Avant de conclure, monsieur le secrétaire d'Etat, je vous poserai deux questions.

La première concerne le lien entre la mer et la production d'énergie. La France n'a pas encore expérimenté, pour l'instant, les technologies utilisant l'énergie des courants et de la houle. L'Etat a cependant lancé un appel d'offres concernant la mise en chantier de centrales éoliennes marines. Pourriez-vous nous donner quelques informations sur les résultats de cet appel d'offres ?

La seconde question est liée au lancement récent du concept de « pôle de compétitivité ». La mer recèle bien des potentialités en matière de recherche et d'innovation. Peut-on envisager le dépôt de projets de pôles de compétitivité sur la thématique Mer ?

Monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai suivi avec attention le récent colloque organisé par le Conseil économique et social, qui avait pour thème : « La mer, richesse exploitée ou richesse gâchée ? », et au cours duquel vous avez affirmé votre volonté de passer « de la richesse gâchée à la richesse créée ».

Ambition, volonté, lisibilité, continuité : nous nous retrouvons autour de principes communs. Mais une politique de la mer ne peut réussir que si les moyens financiers, matériels et humains sont au rendez-vous. Il n'y a pas de politique de la mer sans politique publique globale.

Une approche trop sectorielle, trop cloisonnée et des crédits publics trop modestes, vraiment, monsieur le secrétaire d'Etat, beaucoup de milles marins restent encore à parcourir avant de pouvoir parler d'une véritable politique de la mer dans notre pays ! Nous ne pouvons donc pas nous satisfaire de ce projet de budget qui ne vous permet pas, monsieur le secrétaire d'Etat, de prendre le bon cap que vous souhaiteriez atteindre.

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