Intervention de Jean Arthuis

Réunion du 8 novembre 2007 à 15h00
Prélèvements obligatoires — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Jean ArthuisJean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, rarement ce débat aura autant mérité son nom.

Il se déroule en effet au seuil d'un nouveau quinquennat, à l'heure où des choix cruciaux vont devoir être faits, notamment pour affermir dans la durée notre « modèle social ». Il permet ainsi à notre commission des finances de réaffirmer ses priorités qui, si elles sont partagées par beaucoup, ne le sont pas toutes, à l'évidence, par la commission des affaires sociales. Débattons-en donc !

S'agissant des prélèvements, et notamment de la part de ceux-ci qui est affectée au financement de la protection sociale, le constat est implacable : c'est celui de la fiscalisation de notre système de prélèvements sociaux dans une proportion croissante d'année en année. Ainsi, 40 % de ses ressources sont désormais issus de prélèvements fiscaux, alors que cette part était résiduelle voilà vingt ans. Pendant le même temps, les missions de la sécurité sociale ont perdu en clarté, mais aussi, me semble-t-il, en légitimité.

À la logique d'assurance reposant sur des cotisations versées par les seuls salariés se mêle de plus en plus une logique de solidarité qui s'appuie, elle, sur des prélèvements fiscaux acquittés par tous les contribuables.

Ayons donc la lucidité de voir la réalité en face pour refonder sur des bases claires notre pacte social, en conservant à l'esprit le fait qu'aucun système de prélèvements ne peut être conçu indépendamment de la mondialisation. La globalisation s'impose à nous chaque jour davantage comme une évidence. Faute pour nous de la reconnaître, notre système de prélèvements ne sera qu'un objet d'études savantes et totalement désincarnées.

Le débat de cet après-midi doit donc permettre de préserver les atouts de notre système de sécurité sociale. En effet, ce dernier ne pourra pas être durablement maintenu en l'état, car il doit s'adapter pour prendre en compte la réalité d'une économie désormais globalisée.

C'est à une autre opération vérité que la commission des finances vous appelle une fois encore aujourd'hui, car il convient de repenser les fondements de notre système de prélèvements qui repose sur des concepts d'un autre âge.

Le consensus semble désormais établi pour estimer qu'il n'est plus concevable, sauf à vouloir délocaliser la plupart des emplois marchands, après avoir laissé liquider la plupart des emplois industriels, de financer plus longtemps la branche santé et la branche famille par des cotisations assises sur les salaires et les revenus du travail perçus par les travailleurs indépendants, les commerçants, les artisans, les industriels, les agriculteurs.

Madame la ministre, monsieur le ministre, les gouvernements successifs proclament qu'ils ont deux objectifs : se battre contre la vie chère et pour le plein-emploi. Permettez-moi de vous dire que, dans une économie globalisée, sans réforme structurelle, notamment des prélèvements obligatoires, ces deux objectifs sont totalement incompatibles.

Mes chers collègues, puis-je considérer que la commission des affaires sociales et la commission des finances sont au moins d'accord sur ce constat et sur un diagnostic, celui de la nécessaire fiscalisation des recettes ? D'ailleurs, Alain Vasselle, dans son rapport, l'écrit très clairement : « la fiscalisation des financements de la protection sociale est un mouvement inéluctable ». Je me réjouis de cette convergence, cher collègue Nicolas About. C'est au moins un acquis commun à nos deux commissions.

Si nous sommes d'accord pour financer autrement la santé et la politique familiale, nous devons convenir qu'il s'agit bien d'aller jusqu'au bout de la fiscalisation en cours, telle que nous l'appelons de nos voeux.

Mais alors, quel impôt choisir ? Imaginons un instant qu'il puisse s'agir d'un impôt mis à la charge des entreprises. Monsieur le ministre des comptes publics, lors de la présentation du budget de l'État, il est de bon ton de dire qu'un effort est demandé aux ménages et qu'un autre est demandé aux entreprises. Mais existe-t-il un seul impôt payé par les entreprises qui, en définitive, ne serait pas répercuté dans le prix de vente aux consommateurs ? Osons affirmer que les impôts, tous les impôts, sont payés par nos concitoyens !

Certains avaient imaginé une taxe sur la valeur ajoutée qui était une version relookée de la taxe professionnelle. Notre analyse nous invite à rompre avec la convention politiquement correcte qui proclame que certains impôts sont payés par les ménages et d'autres, par les entreprises. À la vérité, tous les impôts sont à la charge des ménages.

Quel impôt peut donc répondre tout à la fois à un objectif de compétitivité - car c'est bien la compétitivité qui nous permettra de retrouver des marges de manoeuvre - et à l'idée que nous nous faisons de l'équité sociale ? Il est évident que le choix est difficile !

Si, rompant avec le politiquement correct, on admet que ce sont les ménages qui paient, quelles sont les assiettes possibles ? Elles sont au nombre de trois : la fortune, le revenu et la consommation.

S'agissant de la première, l'augmentation du barème de l'impôt de solidarité sur la fortune est une impasse, une chimère. Notre dispositif est une singularité qui pousse hors du territoire national une partie du patrimoine délocalisable, et cela au détriment de la croissance et de l'emploi.

Quant au revenu, peut-il faire l'objet d'un supplément de prélèvements par un rehaussement de notre barème, alors même que nous venons tout juste de le ramener au niveau de ceux qui sont en vigueur dans les pays comparables à la France ?

Nous voulons éviter de susciter de nouvelles tentations de délocalisations fiscales, des vocations de « réfugiés fiscaux », comme l'on dit en Belgique. O tout rehaussement du barème de l'impôt sur le revenu ne manquerait pas d'entraîner de nouveaux exils fiscaux, que ce soit en Belgique, en Suisse ou ailleurs.

Seule la remise en cause des niches fiscales nous offre un potentiel de ressources nouvelles. Sans doute existait-il chez nous une culture de la niche fiscale : pour réduire l'impact d'un barème très élevé, on a en effet multiplié les dérogations, les exonérations, les réductions, les abattements, les crédits d'impôt.

Tout cela doit faire l'objet d'une révision objective et courageuse. Mais il serait toutefois aventureux de penser qu'un plafonnement des avantages procurés par ces niches fiscales se traduirait par plus d'une dizaine de milliards d'euros de supplément d'impôt.

À défaut de réviser à la hausse le barème de l'impôt sur le revenu, pouvons-nous demander plus à la CSG ? J'en doute pour les mêmes motifs. Au surplus, un tel prélèvement porterait directement atteinte au pouvoir d'achat des ménages français. Ce seul argument me semble presque définitivement condamner une telle initiative.

Alors, que reste-t-il ? Il reste l'impôt de consommation, c'est-à-dire la TVA, que l'on peut dénommer « TVA anti-délocalisation », « TVA-emploi » ou « TVA sociale ». Malheureusement, la réputation de cet impôt rend son maniement extrêmement délicat. Mes chers collègues, brisons les tabous et faisons justice du mauvais procès qui inspire la tentation de ne rien faire et de camper dans la pusillanimité.

La TVA sociale, c'est l'augmentation des taux en vigueur pour compenser l'exonération des cotisations d'assurance maladie et d'allocations familiales. Il n'y a donc, en aucun cas, accroissement des prélèvements pesant sur les Français. Aussi, je voudrais vous en convaincre, les trois critiques qui sont faites à la TVA sociale sont infondées.

La première critique est que la hausse de la TVA est un facteur d'inflation. Je crois très sincèrement que l'on a tort de redouter l'inflation. D'abord, l'exonération des charges sociales fera baisser mécaniquement le prix hors taxes des biens et des services issus du travail des Français d'au moins 5 %, surtout dans un pays dont le PIB est aux deux tiers constitué par les salaires et les charges sociales !

Autrement dit, un article vendu 100 euros hors TVA, et payé 119, 6 euros par le consommateur, sera vendu 95 euros hors TVA. Si le taux est porté de 19, 6 % à 25 %, la taxe s'élèvera à 23, 75 euros et le prix TTC sera de 118, 75 euros, c'est-à-dire moins que le prix payé aujourd'hui.

Il est évident qu'à l'exportation le prix offert aux clients étrangers sera ramené de 100 euros à 95 euros. Seuls les biens importés subiront une hausse, le supplément de TVA. Mais mon hypothèse est la suivante et vous disposez de tous les éléments d'information pour en juger : ceux qui mettent sur le marché des produits importés sont ceux qui dégagent les marges les plus consistantes.

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