Intervention de Michel Billout

Réunion du 10 décembre 2004 à 15h15
Loi de finances pour 2005 — Iii. - transports et sécurité routière

Photo de Michel BilloutMichel Billout :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de revenir quelques instants sur la création de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France, la future AFITF.

Monsieur le ministre, vous avez déjà apporté certains éclaircissements, mais je souhaiterais obtenir quelques précisions supplémentaires sur les questions de financement. Et, puisque la parole m'est donnée, je ne manquerai pas de vous présenter mon point de vue sur le sujet.

Je tiens, tout d'abord, à faire remarquer que la création d'une telle agence, destinée à financer de grands projets d'infrastructures de transport, ne va pas de soi, car sont concernés de véritables grands travaux qui, par leurs retombées potentielles et prévisibles, dépassent de fait le strict cadre de notre territoire national.

Vous l'avez indiqué tout à l'heure, d'autres choix étaient possibles et, en tous les cas, avaient été examinés à l'échelon gouvernemental.

Pour ma part, j'aurais préféré la création d'un véritable pôle public de financement autour de la Caisse des dépôts et consignations, de La Poste, de la Caisse d'épargne, de la Banque de développement des PME et d'autres institutions bancaires. Il était tout à fait possible de procéder ainsi, et cela aurait sans doute contribué à une meilleure maîtrise publique à la fois des besoins de financement et de la mobilisation des moyens existants, au service de l'aménagement équilibré de notre territoire.

La CDC ne dispose-t-elle pas dans ses réserves de 100 milliards d'euros, qui, au lieu d'alimenter les marchés financiers, pourraient être utilement employés au financement de nos infrastructures de transport ?

La mobilisation de tels fonds d'origine publique aurait aussi permis d'éviter que les projets ne soient soumis à des taux de retour sur investissement extrêmement courts et à des taux de rendement élevés, de l'ordre de 7 % à 15 %, alignés sur les taux des marchés financiers.

Enfin, l'intervention d'un pôle bancaire public aurait mieux permis d'assurer la pérennité des financements nécessaires.

D'autres ressources auraient également pu être obtenues pour répondre à la perte de parts de marché du fret ferroviaire, par exemple en recourant à une taxation sur les chargeurs ou sur les gros transporteurs routiers, dans le cadre d'une politique de rééquilibrage intermodal.

Bref, il était possible de faire de tout autres choix, qui auraient à tout le moins mérité un débat : vous me permettrez d'en faire l'observation, monsieur le ministre ! Or tel n'a pas été le cas, puisque la création de cette nouvelle agence de financement, décidée lors du CIADT de décembre 2003, a fait l'objet d'un décret, ce qui a privé le Parlement d'un débat sur sa nature, son fonctionnement et ses ressources.

Nous découvrons donc un organisme, qui plus est assez difficile à qualifier, dont les principales ressources seront, aux termes de l'article 5, les dotations de l'Etat, le produit des dividendes des sociétés d'autoroutes, le produit de placements, des emprunts et, sans plus de précision, « toute autre ressource directement affectée à l'établissement ».

Pour l'instant, le projet de loi de finances pour 2005 permet de lui allouer 635 millions d'euros de crédits de paiement, dont 435 millions provenant des prévisions de dividendes des sociétés d'autoroutes, le reste étant issu des dotations de l'Etat. Ce montant est particulièrement faible compte tenu des énormes besoins de financement !

D'après le Gouvernement, le niveau de financement de l'agence pourrait atteindre 7, 5 milliards d'euros, ce qui, selon vous, monsieur le ministre, permettrait de faire face à environ 20 milliards d'euros de dépenses. Cela montre bien le niveau de l'investissement de l'Etat par rapport aux besoins !

J'ai de sérieux doutes sur le fait que les moyens de l'agence puissent être abondés à cette hauteur, et ce pour plusieurs raisons.

D'abord, une partie de ses ressources est loin d'être pérenne puisqu'elle proviendra des dividendes des sociétés d'autoroutes ; or certaines sont en voie de privatisation. En témoignent par exemple l'ouverture, déjà engagée, du capital de la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône, la SAPRR, et celle, prévue, du capital de la société des autoroutes du nord et de l'est de la France, la SANEF.

Pourquoi le Gouvernement, qui privatise abondamment, renoncerait-il à ces privatisations de sociétés autoroutières ?

Ensuite, les ressources provenant de placements sont, par définition, incertaines et elles sont aujourd'hui pratiquement nulles si l'on en croit l'affectation actuelle de 635 millions d'euros.

Enfin, l'ultime solution consistera à faire appel à des partenariats public- privé, ce qui suppose des exigences de rentabilité et un certain taux de retour sur investissement à court terme. Le groupe Bouygues, par exemple, pourrait-il se satisfaire de taux de rentabilité inférieurs à ceux qui se pratiquent sur les marchés ?

De nombreux projets sont concernés, monsieur le ministre, vous l'avez vous-même souligné : la poursuite de la réalisation du TGV -Est, la modernisation de la ligne Paris-Limoges-Toulouse, la modernisation de la ligne Dijon-Modane. Vous me permettrez d'y ajouter l'indispensable et urgente électrification de la ligne Paris-Provins-Troyes-Bâle ; à cet égard, l'Etat doit tenir tous ses engagements, et je sais que M. François Baroin, notamment, partage cette opinion.

En bref, monsieur le ministre, l'agence doit faire face à d'énormes besoins de financement. Or ceux-ci ne peuvent être soumis aux critères de rentabilité exigés par les marchés financiers, dans la mesure où l'agence remplit une mission de service public et d'intérêt général, et où certains de ses objectifs nécessitent des actions à long terme.

Dès lors, comment cette agence sera-t-elle abondée in fine, de quels moyens disposera-t-elle exactement, sur quels mécanismes financiers s'appuiera-t-elle ?

De tout cela dépend la réussite de ce programme de développement d'infrastructures dont les ambitions, à la suite d'un audit financier d'ailleurs tout à fait contestable, ont été largement revues à la baisse.

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