Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2009, la récession a touché la France, avec son lot de faillites d’entreprises et ses cohortes de chômeurs qui agrandissent chaque mois un peu plus les files d’attentes des pôles emploi.
Ainsi, on compte la destruction de plus de 138 000 emplois au premier trimestre 2009 et plus de 240 000 nouveaux demandeurs d’emploi pendant ce même trimestre. L’UNEDIC prévoit 630 000 chômeurs supplémentaires et la destruction de 591 000 emplois en 2009. Sur la période 2009-2010, l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, annonce la destruction de plus de 800 000 emplois.
Dans ce contexte désastreux, quelques grandes entreprises françaises d’envergure internationale réussissent néanmoins à battre des records de bénéfices. Normalement, nous devrions nous réjouir de ces résultats, nous sentir réconfortés de savoir que quelques bastions de notre économie résistent à la crise, voire s’en sortent encore mieux qu’auparavant.
Hélas, trois fois hélas, ces mêmes entreprises, suivant la logique extrême d’un capitalisme sans âme, licencient malgré leurs résultats, ou utilisent une grande part de leurs bénéfices à distribuer des dividendes à leurs actionnaires, ou augmentent de façon indécente les salaires de leurs dirigeants, ou encore leur accordent bonus, stocks options, parachutes dorés… tandis que les salariés de base continuent à voir diminuer leur pouvoir d’achat et que le taux d’investissement productif des entreprises diminue !
Je rappellerai par exemple, ce n’est un secret pour personne, que les profits du groupe pétrolier Total ont été de 14 milliards d’euros en 2008 et seront sans doute équivalents en 2009 si l’on extrapole à partir des chiffres du premier trimestre de l’année.
Or, ces profits sont avant tout le résultat de restructurations drastiques dans la plupart des activités qui touchent notamment le raffinage : 555 suppressions de postes sur le site de Gonfreville-l’Orcher en Seine-Maritime ont été annoncées le 10 mars dernier et, dans la société Hutchinson, filiale du groupe, 6 000 salariés sont au chômage partiel depuis le mois de janvier.
De même, chez GDF-Suez, l’assemblée générale des actionnaires du 4 mai dernier décidait d’attribuer 6, 8 milliards d’euros aux détenteurs de parts sociales.
Ainsi, dans un pays parmi les plus développés de la planète, un pays membre du G8, la France, nous assistons de plus en plus à l’évolution d’une société qui sanctuarise la croissance et la prospérité de quelques-uns en même temps que la tiers-mondisation du plus grand nombre.
N’ayons pas peur des mots, nous vivons une crise sans précédent qui oblige le système économique libéral à réclamer l’intervention de l’État, cet État qu’en temps de prospérité il ignore. Et que fait l’État ? L’État maintient le bouclier fiscal de ceux qui ont déjà beaucoup, donne des milliards à ceux-là mêmes qui sont responsables de la crise, sauve les banques et les multinationales en danger, et il crée le RSA pour ceux qui n’ont rien !
Où allons-nous donc ? Dans quelle société vivons-nous ? Sommes-nous encore dans une démocratie dont la bannière symbolise la liberté, l’égalité, la fraternité – j’ajouterai la solidarité ?
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, chers collègues, devant une situation grave sur le plan économique et explosive sur le plan social, la proposition de loi présentée au Sénat entend donner des ressources supplémentaires à l’État pour faire face aux besoins alors que sa dette publique explose et que son déficit se creuse, en mettant en place un principe à la fois simple et équitable.
Il s’agit de faire participer les entreprises réalisant des bénéfices record à l’effort de solidarité nécessaire en temps de crise pour la relance globale de l’économie et du pouvoir d’achat, pour le soutien aux personnes et aux TPE les plus démunies ou les plus touchées par la crise.
À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle, c’est pourquoi cette contribution est conçue comme un dispositif temporaire.
Notre démarche témoigne d’une préoccupation de justice sociale et de cohérence économique. Elle se situe au-delà d’une vaine tentative de moraliser le capitalisme, et encore moins de le « refonder », selon les vœux du Président de la République, qui y a d’ailleurs bien vite renoncé une fois l’émotion des premiers jours passée.
Nous voulons interpeller chacun d’entre nous sur ce que l’actualité de ces grandes entreprises peu citoyennes dévoile de la nature véritable d’un système inique, amoral, qui a perverti la définition même du mot « économie », et qui n’est pas « moralisable », car se fondant sur la seule logique du profit. À ce titre, nous avons la responsabilité historique de l’encadrer pour en limiter les perversions et les dégâts collatéraux.
C’est pourquoi la proposition de loi attaque également, plus fondamentalement, le problème de la répartition de la richesse produite. Cette répartition est au cœur du drame social que vivent nos concitoyens aujourd’hui avec un sentiment d’injustice dont les effets peuvent être redoutables à la longue.
Sur ce point, la proposition de loi nous place en face de notre devoir, du devoir de l’État en temps de crise, qui doit sauver ou relancer l’économie, mais également tout faire pour maintenir la cohésion sociale dans le pays.
De même que la cohérence économique, cette cohésion sociale est aujourd’hui plus que menacée. Elle a d’ailleurs explosé dernièrement aux confins de la République, dans ces territoires les plus durement frappés par cette crise où la population désespérée criait dans la rue à l’exploitation et à la profitation. Nous en connaissons les conséquences dramatiques.
Le secrétaire d’État chargé de l’outre-mer, Yves Jégo, s’est d’ailleurs ému du scandale des prix inadmissibles de l’essence pratiqués par la SARA, la Société anonyme de la raffinerie des Antilles, une filiale de Total, alors qu’elle réalisait 50 millions d’euros de bénéfices, en évoquant l’ « enrichissement sans cause des compagnies pétrolières ».
Croyez-vous que les schémas du fonctionnement économique soient si différents dans l’Hexagone ? Je ne le pense pas.
Cette proposition de loi invite chacun de nous à dépasser le débat stérile qui opposerait la justice sociale à l’efficacité économique, en apportant à la puissance publique, par une fiscalité juste, des moyens supplémentaires afin d’améliorer le sort de nos concitoyens et celui des entreprises qui en ont le plus besoin pour relancer l’économie de notre pays.
Il s’agit également, avec cette proposition de loi, de pragmatisme économique. Pour financer la relance, l’État creuse son déficit, alors même que ses recettes s’affaiblissent. Sans ressources supplémentaires, jusqu’à quand pourra-t-il soutenir son plan de relance ? La question du financement de l’activité économique est clairement posée. Il faut à l’État de nouvelles ressources, qu’il s’agisse de financer de nouvelles activités économiques ou des dispositifs visant à préserver la cohésion sociale.
Nous n’avons donc pas le droit, par des arguments fallacieux qui n’ont en réalité pour objectif que de protéger ces superprofits, de renoncer à cette possibilité offerte par la proposition de loi d’une meilleure répartition des profits en faveur de l’économie réelle, de l’investissement et de l’amélioration de la situation des salariés et, plus généralement, de nos concitoyens. C’est ce à quoi nous invite l’article 2.
Ne nous laissons pas troubler par le chantage à la délocalisation, car cela est hors sujet pour de telles entreprises.
Des entreprises de pays européens moins imposées qu’en France délocalisent aussi. Les causes de la délocalisation sont donc à chercher ailleurs. En outre, un plus faible taux d’imposition n’a pas empêché les entreprises de ces pays d’être touchées par la crise, comme en Grande-Bretagne.
Ne cédons pas non plus à la peur de la perte de compétitivité qui serait due à une trop forte imposition. Là aussi, pour les entreprises concernées, cela est hors de propos. Nous n’y gagnerons qu’une chose : conforter la politique d’optimisation fiscale et de recherche du profit immédiat à tout prix de ceux qui foulent aux pieds nos valeurs fondamentales, sans même agir, au nom de l’intérêt économique, dans une perspective de pérennité des entreprises.
L’un des facteurs de compétitivité des entreprises, c’est en effet la capacité d’investir et d’innover, et cela passe par la réservation de fonds propres. Or il s’agit de l’une des principales faiblesses des entreprises françaises, à laquelle l’article 2 vise justement à remédier par une mesure incitative en faveur de l’investissement.
Il est du ressort de l’État, surtout en temps de crise, d’assurer l’équilibre entre la réussite micro-économique de quelques-uns et la réponse aux enjeux macro-économiques qui se posent à l’échelle de la nation.
Nous proposons une démarche juste au plan social, responsable et pragmatique au plan économique, courageuse au plan politique, et dont les résultats ne seront que bénéfiques pour l’ensemble de la nation. Nous devons voter cette proposition de loi !