La séance est ouverte à neuf heures trente.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
Mes chers collègues, nous abordons notre troisième journée mensuelle réservée aux groupes de l’opposition et aux groupes minoritaires en application des nouvelles dispositions du dernier alinéa de l’article 48 de la Constitution entrées en vigueur le 1er mars.
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à créer une contribution exceptionnelle de solidarité des entreprises ayant réalisé des bénéfices records, présentée par MM. François Rebsamen, Jean-Pierre Bel et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, (nos 363 et 437, 2008-2009).
Dans la discussion générale, la parole est à M. François Rebsamen, auteur de la proposition de loi.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier ceux qui sont présents ici, en nombre, ce matin, …
M. Jean Arthuis, rapporteur de la commission des finances. Les places sont chères !
Sourires.
… au premier rang desquels mes collègues du groupe socialiste.
La proposition de loi que nous vous présentons s’inscrit dans la continuité des réflexions menées par le groupe socialiste à l’occasion de différents débats.
Elle a pour objectif, à l’article 1er, d’instaurer une contribution exceptionnelle de solidarité à l’égard des grandes entreprises qui ont dégagé, en 2008, des bénéfices au moins supérieurs de 10 % à ceux de 2007.
Elle tend, à l’article 2, à moduler l’impôt sur les sociétés en fonction du « comportement » de l’entreprise en matière de réinvestissement des bénéfices dégagés. Pour simplifier, disons qu’il pourrait s’agir d’une sorte de bonus-malus.
Elle vise, à l’article 3, à créer une contribution complémentaire à l’égard des entreprises « pétrolières ».
Enfin, elle prévoit, à l’article 4, ce qui ne vous surprendra pas, mes chers collègues, de supprimer des dispositifs de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite TEPA, qui grèvent dangereusement les finances publiques.
La situation, nous la connaissons : les recettes de l’État sont en chute libre, …
… les rentrées de l’impôt sur les sociétés ont fondu de 11 milliards d’euros au cours du premier trimestre de 2009. À cet égard, le Premier président de la Cour des comptes le rappelait hier encore, les recettes nettes de l’impôt sur les sociétés ont connu, dès 2008, un recul sensible sous l’effet de l’augmentation des dégrèvements et autres remboursements, ce qui représente plus de 20 % de l’impôt sur les sociétés brut.
Cet effondrement, associé aux nombreux cadeaux fiscaux accordés aux ménages les plus favorisés et à une situation économique très préoccupante, creuse plus encore le déficit de l’État, qui est déjà colossal. Rappelons-le, la dernière loi de finances rectificative a prévu un déficit de plus de 5, 6 % du produit intérieur brut, soit 104 milliards d’euros. Lorsque les moins-values de recettes fiscales seront connues, ce déficit va encore augmenter. Ne nous voilons pas la face ! Plus le déficit sera important, plus les conditions de la reprise seront difficiles !
Nous considérons, et nous ne sommes sans doute pas les seuls, que l’État doit retrouver la capacité financière d’intervenir. Comme les membres du groupe socialiste et nos collègues de gauche l’ont déjà rappelé, le Gouvernement ne doit pas, par dogmatisme, s’entêter à maintenir des mesures fiscales socialement injustes et économiquement inefficaces. Nous devons rechercher de nouvelles voies.
Les mesures proposées aujourd’hui visent à obtenir de la part des grands groupes français des contributions significatives afin d’assurer une partie du financement de mesures de lutte anticrise, en s’appuyant sur le principe de solidarité nationale. Elles pourraient aussi corriger les effets peu adaptés au contexte de crise du « bouclier fiscal », abonder le fonds stratégique d’investissement ou soutenir les PME sous-traitantes. Les pistes sont donc nombreuses, même si, nous le savons bien, on ne peut réellement affecter, le cas échéant, les produits de cette contribution.
Du côté de l’emploi, la situation est également très préoccupante, voire dramatique. L’UNEDIC prévoit plus de 630 000 chômeurs supplémentaires et la destruction de 600 000 emplois en 2009. Sur la période 2009-2010, près de un million d’emplois seraient supprimés ! On mesure ainsi l’ampleur du traumatisme pour toutes les familles qui rencontrent de telles difficultés. C’est pourquoi notre proposition de loi pourrait constituer un début de solution.
La contribution sur les sociétés que nous prévoyons à l’article 1er avait déjà été mise en œuvre par le Gouvernement Jospin et elle avait bien conservé son caractère exceptionnel. Je veux donc rassurer tous ceux qui pensent que « toute taxe dérogatoire et exceptionnelle est suspecte et serait contraire aux principes de stabilité et de prévisibilité de l’impôt ».
Je vois que vous vous êtes reconnu, monsieur le rapporteur.
De plus, la mesure prévue à l’article 1er n’est pas une taxe, c’est une contribution temporaire. Cette subtilité sémantique a son importance.
Hier encore, Mme Bachelot-Narquin écartait l’idée d’une « taxe », mais évoquait celle d’une « contribution ». Par ailleurs, en 2005, le ministre des finances de l’époque avait appelé les acteurs du secteur pétrolier à se comporter en « entreprises citoyennes » face à l’envolée des prix du pétrole, attendant de leur part « des propositions concrètes et tangibles », faute de quoi, il n’excluait pas « la possibilité de soumettre au vote des députés » – et des sénateurs aurait-il dû ajouter – « une taxe exceptionnelle correspondant à une situation exceptionnelle ».
Je ne vois donc pas pourquoi on nous opposerait aujourd’hui la dangerosité de mesures dérogatoires que le ministre des finances avait lui-même envisagées en 2005.
Il s’agit donc d’une contribution exceptionnelle à l’effort national, affectée au budget global de l’État, et qui pourrait redonner des marges de manœuvre au Gouvernement. En outre, rien ne permet de croire que son caractère ponctuel serait dangereux.
Les grands groupes « éligibles » à cette contribution sont GDF-Suez, dont les bénéfices ont augmenté de 13 % en 2008 – nous nous en félicitons –, Total, qui a enregistré des bénéfices de 14 %, ou Lagardère, qui a dégagé 11 % de bénéfices. Je le répète, nous ne sommes pas contre les bénéfices ; nous sommes contre la façon dont ils sont utilisés.
Venons-en à Total, dont j’ai parlé à plusieurs reprises dans cet hémicycle, et je ne suis d’ailleurs pas le seul. Le géant pétrolier, tout en annonçant 555 suppressions d’emplois, que son P-DG qualifie d’« ajustement progressif des effectifs », sans oublier la mise en chômage partiel de 6 000 salariés dans sa filiale Hutchinson, procède à des rachats d’actions et octroie à ses dirigeants plus de 5, 4 milliards d’euros de dividendes. D’ailleurs, j’entendais hier encore l’un d’eux se féliciter d’échapper au paiement de l’impôt grâce aux niches fiscales et aux retraites chapeau. En tout cas, pour l’instant !
Nous ne nous satisfaisons pas de l’annonce faite par ce groupe d’abonder de 50 millions d’euros sur cinq ans le fonds d’expérimentation pour les jeunes. Après un rapide calcul, j’ai constaté que cela représentait 0, 072% des bénéfices de 2008. Cette enveloppe ou cette participation volontaire, qui a été décidée unilatéralement par le groupe à la suite de l’annonce de la suppression de 555 postes, ne se suffit pas à elle seule !
Nous le répétons encore une fois, c’est au Parlement de décider du principe d’une participation financière aux efforts nationaux à l’occasion du plan de relance. C’est à lui de s’exprimer sur le bien-fondé de la création d’une contribution exceptionnelle de solidarité des grandes entreprises !
L’arme fiscale doit être une arme anticrise et l’outil absolument indispensable de la solidarité, sans creuser davantage les déficits et faire porter aux générations futures une dette encore et toujours plus lourde. Nous n’héritons pas la dette de nos parents, mais nous la léguons assurément à nos enfants.
Lors d’un récent débat, un de nos collègues déclarait qu’il y avait seulement deux solutions pour obtenir des contributions significatives de la part des grands groupes français.
La première, contraignante, consiste à instituer une contribution additionnelle exceptionnelle. C’est l’objet des articles 1er et 3 de notre proposition de loi.
La seconde, partenariale, réside dans des dispositifs d’incitation fiscale. C’est ce que nous essayons de faire avec le « bonus malus » fiscal prévu à l’article 2. D’ailleurs, nous sommes prêts, si c’est nécessaire pour faire adopter cette disposition, à nous montrer ouverts aux modifications que M. le président de la commission des finances pourrait nous suggérer.
Un tel système de « bonus malus » correspond à des propositions que nous avons déjà formulées dans cet hémicycle en vue d’une meilleure répartition des profits. À cette occasion, M. le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique avait affirmé que cela méritait d’être « approfondi ». Il s’était engagé à consulter le Trésor et la direction de la législation fiscale pour avoir leur expertise sur le sujet. Il nous avait également indiqué que nous aurions un rendez-vous lorsqu’il disposerait d’éléments d’information suffisants, peut-être lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2010. Nous, nous proposons d’avoir ce débat dès à présent.
Selon nous – je parle des membres du groupe socialiste et, d’une manière plus générale, de l’ensemble des sénateurs de gauche –, il est impératif d’adresser des signes de justice aux citoyens, aux consommateurs, aux ménages, aux contribuables ou aux petites et moyennes entreprises, qui subissent lourdement, parfois doublement – je fais référence à la situation observée en 2008, avec une hausse à la fois des prix et du chômage – les effets de la crise, alors qu’on assiste parallèlement au versement incongru de parachutes dorés, de retraites chapeau et de dividendes mirifiques ! C’est, en quelque sorte, une double peine qui est imposée à nos concitoyens, régulièrement « nargués » et agacés par les millions d’euros de dividendes reversés et d’autres super-revenus annoncés.
Les entreprises visées par la présente proposition de loi ont les moyens d’être mises à contribution. Elles ont été largement bénéficiaires en 2008 – j’aurai l’occasion d’y revenir –, même si elles ont enregistré une baisse de leurs bénéfices en 2009.
Pas du tout ! Au premier trimestre, les bénéfices dégagés par certains grands groupes – je pense une nouvelle fois à Total – se chiffrent, et c’est tant mieux, en milliards d’euros, …
… et ils vont continuer à progresser, notamment en raison de la hausse du prix du pétrole, qui est appelé à atteindre de nouveaux sommets.
C’est pourquoi nous voulons maintenir une logique vertueuse et mettre un terme à cette politique de maximisation des profits et de retour aux seuls actionnaires, politique d’ailleurs jumelée en 2008 – nous verrons si c’est toujours le cas en 2009 – à une hausse des prix subie par les consommateurs, qu’il s’agisse des ménages ou des petites et moyennes entreprises. Ainsi, nous avons dû attendre le mois d’avril pour voir le prix du gaz baisser, alors que la période de chauffe a touché tous nos concitoyens pendant l’hiver avec des prix maximisés !
Nous proposons donc de faire face à de telles stratégies d’optimisation développées par les grandes firmes et, vous le savez très bien, monsieur le président de la commission des finances, par leur armada d’experts financiers.
M. le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique a renoncé à une réforme qui aurait pu contribuer à améliorer le rendement de l’impôt sur les sociétés, ce qui semble nécessaire au vu des rapports de la Cour des comptes. Il s’agit de lutter contre d’ingénieux montages fiscaux que même les juristes de la direction générale des impôts qualifient « d’abus de droit ». À mon sens, la technique qui consiste à exploiter toutes les finesses des procédures légales pour réduire l’addition payée par l’entreprise doit être combattue.
Madame la secrétaire d’État, nous constatons que le Gouvernement recule aujourd'hui sur le contrôle des « prix de transfert », technique permettant à une société de faire transiter sa production par un pays à la fiscalité plus avantageuse. Au même moment – quelle ironie ! –, le président des États-Unis entend, lui, vérifier que les entreprises paient bien leurs impôts à l’État fédéral. Je rappelle que les bénéfices des sociétés américaines sont imposés à hauteur de 35 %. Ce chiffre est à comparer à notre impôt sur les sociétés, dont le taux est de 33 % et dont les recettes sont régulièrement amputées du fait des différentes niches fiscales qui existent. Selon le secrétaire au trésor américain, certaines grandes sociétés recourent à des stratégies de défiscalisation et d’évasion fiscale, alors même que des millions de familles travaillent dur et que les petites entreprises paient, elles, leur part.
En outre, la croissance des entreprises concernées ne s’est pas nécessairement traduite – pourtant, on aurait au moins pu en attendre cela ! – par une hausse proportionnelle des investissements productifs. Et l’explosion des profits financiers au détriment de l’investissement dans le capital productif s’est également souvent accompagnée d’une dérive exponentielle des plus hautes rémunérations. Au cours de ces dernières années, les rémunérations supérieures à 200 000 euros annuels – c’est tout de même un seuil qui permet de vivre convenablement… – n’ont eu de cesse d’augmenter dans la masse salariale, alors même que les salaires des travailleurs de ces entreprises étaient comprimés.
Dès lors, l’argument selon lequel une telle contribution réduirait la capacité d’investissement des entreprises concernées et pénaliserait ce que d’aucuns qualifient, parfois à juste titre, de « fleurons de l’économie française » ne tient pas. Idem pour l’objection selon laquelle les résultats de certaines entreprises au premier trimestre seraient moins bons. D’ailleurs, les bénéfices enregistrés par certaines entreprises, comme Total, en 2008 constituaient des records qui seront difficiles à dépasser.
En outre, et je souhaite insister sur ce point, ces « moins bons résultats » ponctuels ne peuvent pas constituer un argument valable, puisque le Gouvernement demande lui-même une participation ponctuelle à des entreprises publiques dans le cadre du plan de relance. Or des entreprises publiques moins bénéficiaires en 2008 – c’est le cas d’EDF, qui a réalisé 40 % de bénéfices en moins cette année-là – ont bien été mises à contribution.
Si Total annonce des bénéfices en baisse pour le premier trimestre de l’année 2009, d’autres entreprises, par exemple GDF-Suez, sans doute en raison de sa politique des prix, ont continué de progresser, ce dont je me réjouis. À mon sens, de tels résultats justifient l’article 1er de notre proposition de loi.
J’en viens à ma conclusion, madame la présidente.
Le Gouvernement américain a récemment annoncé l’abrogation de plusieurs niches fiscales, qui coûtent des centaines de milliards de dollars, afin de mettre fin à tels allégements.
Par conséquent, on ne peut pas, me semble-t-il, nous opposer l’argument, que nous avons déjà entendu à de nombreuses reprises, du risque de délocalisation.
L’entreprise Total a besoin de la puissance diplomatique de la France pour s’implanter à l’étranger. D’ailleurs, elle serait bien inspirée de regarder à deux fois avant de s’installer dans certains pays, comme la Birmanie !
Nos propositions ne sont donc pas de nature à fragiliser la situation des entités qui résistent le mieux à la crise.
Heureusement, il reste quelques entreprises publiques pour financer le plan de relance, puisque, comme je l’ai déjà indiqué, le Gouvernement ne dégage pas de nouvelles marges de manœuvre !
Après avoir mentionné EDF, je souhaite faire référence à la SNCF et à la RATP, qui ont été mises à contribution à hauteur respectivement de 300 millions d’euros et de 500 millions d’euros. Nous le voyons bien, il y a là deux poids deux mesures. Nous voulons optimiser les chances de diminuer ce déficit, qui est particulièrement important.
Voilà quelques années, M. Gérard Mestrallet, qui n’était pas encore à la tête de GDF-Suez, mais qui co-présidait la commission « fiscalité » de l’Institut de l’entreprise, écrivait : « L’optimisation fiscale est une pratique aussi ancienne que la fiscalité elle-même ; il est clair, en revanche, que ses techniques tendent à se complexifier…
… à mesure que progresse la mondialisation des échanges et que s’intensifie la concurrence fiscale internationale. »
En d’autres termes, la complexification du système fiscal est liée non pas aux nouveaux dispositifs que nous proposons, mais bien à la mondialisation des échanges. Pour notre part, nous essayons d’y répondre.
De notre point de vue, et je me permets de le souligner ici, les collectivités locales, qui contribuent à l’investissement public à hauteur de 75 %, ne doivent pas être les seules à servir de parachutes à la crise. Nous pensons que des mesures justes et efficaces s’imposent.
La présente proposition de loi a pour objectif de répondre à une situation de crise exceptionnelle – nous sommes d'accord sur l’analyse –, face à laquelle l’État doit agir pour aider les plus faibles et permettre à l’économie de repartir le moment venu.
À mon sens, c’est justement pour éviter que des débats de cette nature ne ressurgissent que certains, dont des premiers ministres, avaient déjà proposé des taxations, voire des sur-taxations temporaires. Certaines, comme le dispositif institué par M. Juppé, ont duré, duré ! D’autres, comme celle qui a été mise en place par le gouvernement Jospin, n’ont duré que le temps de la promesse.
Sourires
Refuser les propositions que nous formulons aujourd'hui, ce serait, me semble-t-il, faire preuve d’un dogmatisme idéologique dont les Français n’ont que faire en cette situation de crise.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre Haute Assemblée est invitée ce matin à se prononcer sur une proposition de loi, déposée par nos collègues du groupe socialiste, dont l’objectif est d’augmenter la contribution fiscale de certaines entreprises réalisant actuellement des bénéfices « records », afin de financer les mesures nécessaires pour faire face à la crise. François Rebsamen vient de tenter de nous faire partager ses convictions.
Cher collègue, je tiens à vous dire au préalable que mon propos se veut à l’abri de tout dogmatisme. Votre proposition témoigne d’une préoccupation légitime.
Je souhaite saluer votre intention et y rendre hommage.
La dégradation des finances publiques résulte à la fois d’une baisse des recettes fiscales et d’une augmentation des besoins de financement. La présente proposition de loi, qui comporte quatre articles, a notamment pour conséquence de majorer, sous certaines conditions, l’impôt sur les sociétés.
Oui, votre intention est bonne. Il faut tout mettre en œuvre pour retrouver l’équilibre de nos finances publiques.
Je souhaite rappeler, à titre liminaire, que la France connaît d’ores et déjà un des taux nominaux d’impôt sur les sociétés les plus élevés d’Europe et que, à ce titre, la commission des finances rappelle régulièrement la nécessité d’envisager une réforme de cet impôt, fondée sur une diminution du taux et un élargissement de l’assiette, par abrogation des multiples niches, dérogations et exonérations spécifiques, …
… qui font sans doute le bonheur d’un certain nombre d’experts en optimisation fiscale.
Donc, vous le voyez, madame la secrétaire d'État, notre commission est attachée à la simplification et à la clarté. Elle prône l’abaissement des taux pour accroître l’attractivité du territoire français et l’élargissement de l’assiette.
Sur la base de ce constat, la proposition de l’alourdissement de fiscalité sur certaines entreprises faite par François Rebsamen apparaît – malheureusement, car l’objectif est excellent – particulièrement contre-productive et fondamentalement inefficace pour au moins trois raisons.
Premièrement, la proposition aggrave la dégradation de la compétitivité de la France et accroît le risque de délocalisation d’activités, d’emplois et d’assiette fiscale, ce qui, dans la période actuelle, mes chers collègues, apparaît particulièrement « dangereux ».
Madame la secrétaire d'État, n’est-il pas vrai que les grands groupes français investissent à l’étranger dans la période que nous traversons ? Peut-être pourrez-vous nous apporter quelques précisions à ce sujet.
En se focalisant sur les entreprises bénéficiaires, la proposition de loi qui nous est soumise fragilise, à court terme, une activité économique déjà affaiblie.
Je rappelle que notre commission s’est félicitée, lors de l’examen de la dernière loi de finance rectificative, que le Gouvernement ne procède à aucun ajustement pour compenser les moins-values fiscales attendues, soutenant ainsi indirectement l’activité par le jeu des stabilisateurs automatiques.
Dans la même ligne, notre commission a appelé à un moratoire fiscal pendant l’année 2009. Le grand rendez-vous des initiatives fiscales et des innovations aura lieu à l’automne, au moment de la discussion du projet de loi de finances initiale pour 2010.
La proposition de loi fragilise également, à long terme, une compétitivité qui nécessite d’être maintenue, voire renforcée, afin de réussir la sortie de crise et, tout spécialement, l’après-crise.
Il s’agit, notamment, de conserver sur notre territoire les entreprises dynamiques. Or, si la fiscalité n’explique pas, à elle seule, la localisation des activités, elle en est un facteur décisif, convenons-en.
Deuxièmement, les mesures proposées ajouteraient de la complexité à un système fiscal d’ores et déjà peu lisible ; c’est peu dire !
Ainsi devrait-on distinguer non seulement les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 7, 63 millions d’euros et dont l’impôt sur les sociétés est supérieur à 763 000 euros, mais aussi les entreprises qui ne sont pas des PME au sens communautaire, mais qui réalisent des bénéfices dont la croissance annuelle est supérieure à 10 %, les entreprises qui réinvestissent leurs profits, celles qui distribuent leurs profits, celles qui appartiennent au secteur pétrolier et les autres ; j’arrête là ma liste ! Mon cher collègue, vous donnez du grain à moudre à tous les optimisateurs !
Ces microrégimes, qui se superposeraient à l’ensemble des niches fiscales, sont contraires à la position de notre commission, qui milite depuis plusieurs années pour un dispositif simple, fondé sur une assiette élargie et un taux d’imposition abaissé.
Troisièmement, les dispositions proposées ont une efficacité pour le moins incertaine.
La proposition de loi a pour objectif, notamment, d’accroître l’effort de contribution fiscale de certaines sociétés et d’inciter ces entreprises à renforcer leurs fonds propres.
Toutefois, les modalités retenues par cette proposition de loi pour atteindre ces objectifs apparaissent particulièrement discutables.
En premier lieu, on peut s’interroger sur le nombre de redevables de la contribution exceptionnelle de solidarité en 2010. Cette contribution concerne des entreprises qui réalisent des bénéfices en hausse de plus de 10 % par rapport à l’exercice précédent.
Vous avez évoqué, François Rebsamen, les résultats de 2008. Mais ce sont les résultats de 2009 qui seraient concernés par votre proposition de loi si elle était adoptée. Or les premiers résultats du premier trimestre de 2009, publiés par certaines grandes entreprises françaises, sont décevants. Le nombre d’entreprises qui seront en mesure d’afficher des bénéfices à deux chiffres pour l’année 2009 risque d’être malheureusement très réduit, convenons-en. Si tel était le cas, la mesure aurait non seulement le tort de présenter les inconvénients que je viens d’indiquer, mais aussi celui de ne pas apporter de recettes supplémentaires à l’État. Par conséquent, ayant affiché une magnifique intention, vous ne vous donneriez pas les moyens de la servir.
En second lieu, la proposition de modulation de l’impôt sur les sociétés en fonction de la politique de distribution des bénéfices des entreprises, si intéressante soit-elle, ne paraît permettre ni un renforcement significatif des fonds propres des entreprises ni une augmentation de recettes fiscales.
La mesure proposée à l’article 2 repose sur la distinction entre profits distribués et profits investis, c’est-à-dire soit mis en réserve, soit incorporés en capital. Le taux de l’impôt sur les sociétés serait majoré de 10 % dès lors que l’entreprise distribue plus de 60 % de ses bénéfices imposables.
À cet égard, je veux souligner que le bénéfice imposable est non pas le bénéfice susceptible d’être distribué ou mis en réserve, mais le bénéfice avant déduction de l’impôt sur les sociétés. Or l’impôt sur les sociétés peut être supérieur à 60 % du bénéfice comptable, parce que certaines dépenses ne sont pas fiscalement déductibles. Par conséquent, à mon avis, la référence au bénéfice imposable nous entraîne dans l’erreur.
Ce dispositif serait particulièrement opportun si la distinction entre profits investis et profits distribués avait un sens pour le plus grand nombre des entreprises établies sur notre territoire, mais tel n’est pas le cas. Comme le souligne le rapport Cotis, le nombre d’entreprises qui distribuent des dividendes est restreint : en 2006, 16, 4 % des PME ont distribué des dividendes, cette proportion étant de 30, 6 % pour les entreprises de taille intermédiaire et de 41 % pour les grandes entreprises.
En outre, ce dispositif serait intéressant si ses modalités d’application revêtaient un caractère incitatif pour les entreprises potentiellement concernées. Or la référence au bénéfice imposable, c’est-à-dire avant soustraction de l’impôt sur les sociétés, compte tenu des éléments non déductibles du bénéfice comptable, conduit à un dispositif non opérationnel : en effet, très rares seraient les sociétés à dépasser un taux de distribution supérieur à 60 % dans les conditions de la proposition de loi, car cela signifierait qu’elles distribuent la quasi-totalité de leur résultat net.
L’examen des taux de distribution des grandes entreprises françaises montre, à ce titre, que la mesure proposée n’aurait pas l’impact souhaité, puisque la moyenne du taux de distribution des entreprises privées du CAC 40 – taux calculé, selon l’usage, par le ratio entre le montant des dividendes nets et le bénéfice net – était, en 2007, de 40, 56 %, soit un taux d’environ 27 %, si l’on prend comme dénominateur le bénéfice imposable. On est bien loin de vos 60 %, mon cher collègue !
Au vu de la proposition de loi, les entreprises bénéficieraient d’une minoration du taux d’impôt sur les sociétés sans avoir pour autant à changer leur politique de distribution.
Par ailleurs, l’actionnaire peut avoir intérêt à ne pas percevoir de dividendes, la mise en réserve de l’intégralité du bénéfice ayant pour conséquence d’augmenter la valeur de ses titres. Il peut être plus intéressant pour l’actionnaire de voir la valeur du titre augmenter plutôt que de percevoir un dividende ; s’il a besoin d’un peu de liquidités, il lui suffit de mettre sur le marché les quelques actions dont le prix de cession lui apportera les ressources dont il a besoin.
En conclusion, la modulation de l’impôt sur les sociétés en fonction de la politique de distribution n’apparaît pas comme le vecteur adéquat pour renforcer les fonds propres des entreprises, notamment les petites et moyennes entreprises.
À ce sujet, j’estime que la consolidation du capital des PME passe davantage par une modification du dispositif de réduction d’impôt de solidarité sur la fortune et je vous renvoie à ma proposition de loi, …
… qui devrait être discutée en séance publique le 29 juin prochain.
Je rappelle, mes chers collègues, que, en application de la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite loi TEPA, les redevables de l’impôt de solidarité sur la fortune peuvent souscrire des parts de PME.
Les banques ont inventé des holdings ayant un rôle d’intermédiation financière pour collecter ces fonds d’ISF et les mettre ensuite à disposition des PME. Or il faut parfois attendre trente mois avant que les fonds ainsi collectés soient mis à la disposition des PME.
La proposition de loi que je soumettrai au Sénat vise à réduire impérativement à six mois le délai de détention de ces fonds, afin que, bénéficiant d’un avantage fiscal substantiel, ils ne constituent pas une sorte de matelas où dorment des ressources, au moment même où les PME ont un impératif besoin de fonds propres.
À présent, je dresserai un rapide résumé du contenu des articles.
L’article 1er vise à créer une contribution exceptionnelle de solidarité de 5 % sur l’impôt sur les sociétés, soit 1, 66 point, sur les entreprises qui dégagent des bénéfices au moins supérieurs à 10 % à ceux de l’année précédente. Outre le fait que cet article s’appuie sur des dispositions abrogées du code général des impôts, cette mesure est particulièrement inopportune pour les raisons que je viens de développer.
L’article 2 vise à moduler le taux de l’impôt sur les sociétés, de plus ou moins 3, 33 points, en fonction de l’affectation des bénéfices réalisés par les entreprises afin de les inciter à renforcer leurs fonds propres. Je m’interrogeais, en introduction, sur la pertinence d’un tel dispositif eu égard à l’objectif recherché et à la situation actuelle des entreprises en la matière. J’ajoute que la neutralité fiscale est souhaitable sur ce point, car l’arbitrage entre ce qui doit être mis en réserve, afin d’alimenter l’autofinancement, et ce qui doit être distribué sous forme de dividendes relève de l’entière responsabilité des organes sociaux des entreprises.
L’article 3 vise à créer une contribution exceptionnelle de solidarité pour les entreprises du secteur pétrolier. La taxe « Total » est une idée récurrente. Toutefois, l’application de cette taxe selon les modalités proposées constituerait un alourdissement très significatif, et de surcroît permanent, de la fiscalité de ce secteur.
Or, d’une part, ce dernier contribue à la compétitivité de notre pays et, d’autre part, il convient de prendre du recul sur ces « superprofits » en tenant compte, notamment, de l’importance des budgets d’investissement de ces entreprises – 14 milliards d’euros pour Total en 2009, soit un montant quasi équivalent à ses bénéfices pour 2008 – et du caractère fortement internationalisé de leur activité.
Par ailleurs, on peut s’interroger sur l’aspect quelque peu arbitraire du périmètre de la disposition au regard de l’ensemble des entreprises relevant du secteur énergétique.
J’ajoute que, en tant qu’actionnaire de plusieurs sociétés sur notre territoire, le groupe Total maintient aujourd'hui des emplois dans des conditions difficiles. En outre, ses profits servent aussi à assurer le financement d’un certain nombre de PME.
L’article 4 prévoit, afin de compenser une éventuelle perte de recettes fiscales, quatre gages, dont l’abrogation de la loi dite TEPA et la suppression de l’indexation automatique de l’impôt de solidarité sur la fortune.
Cette compensation financière n’est pas seulement formelle, puisqu’elle a pour conséquence de remettre en cause la politique économique conduite par le Gouvernement.
Rappelons que la loi TEPA a, notamment, instauré la défiscalisation des heures supplémentaires, encouragé l’accession à la propriété, allégé les droits de succession et de donation, amélioré le financement des PME et, enfin, mis en place le bouclier fiscal.
Ces deux dernières mesures font certes l’objet de réflexions au sein de la commission ; elles ne sauraient toutefois être purement et simplement supprimées, sans qu’une mesure alternative soit instaurée. Puis-je rappeler que j’ai eu l’occasion de défendre dans cet hémicycle un triptyque visant à supprimer le bouclier fiscal, abroger l’ISF et instituer une tranche supplémentaire d’impôt sur le revenu pour compenser la diminution des recettes fiscales qui résulterait de l’abrogation de l’ISF ? Nous aurons l’occasion d’en reparler.
En conséquence et pour conclure, je vous propose, vous n’en serez pas surpris, de n’adopter, mes chers collègues, aucun article de cette proposition de loi, ce qui reviendra à la rejeter.
Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi présentée par M. François Rebsamen est fondée sur une analyse avec laquelle nous pouvons être d’accord sur deux points : la gravité de la crise…
… et le souci qu’elle nous inspire en matière de finances publiques, comme l’a dit M. le président Jean Arthuis.
Pour autant, les dispositions de cette proposition de loi ne nous paraissent pas du tout de nature à répondre de manière pertinente à cette double préoccupation.
Je ne reviendrai pas, monsieur Rebsamen, sur le dispositif que vous avez présenté et que M. le président Jean Arthuis a commenté. Je voudrais cependant dire que le Gouvernement conteste l’idée de rechercher des boucs émissaires chez les grandes entreprises ou chez les ménages qui acquittent l’ISF comme si cela permettait de régler les très sérieux problèmes auxquels, c’est vrai, nombre de nos PME et nombre de nos compatriotes sont confrontés.
Dans le cas d’une crise mondiale, il serait particulièrement dangereux de détériorer la situation relative de nos entreprises, particulièrement celle de nos grandes entreprises, qui, compte tenu de la structure de notre appareil industriel, sont aujourd’hui des leaders mondiaux qui tirent nos échanges.
Je voudrais insister sur cette question de la compétitivité par rapport à l’étranger et sur les risques, signalés par M. le président Jean Arthuis, de délocalisation en raison des différents taux d’impôt sur les sociétés.
Je pense que nous devons nous réjouir que nos grandes entreprises, comme d’autres d’ailleurs, investissent à l’étranger. De même devons-nous nous réjouir du fait que la France soit le deuxième pays d’accueil des investissements étrangers. Il n’en reste pas moins que le souci de l’attractivité de notre territoire, qui va de pair avec la compétitivité de nos entreprises, doit, en cette période de crise mondiale, être le fil directeur de notre politique économique et, en l’occurrence, de notre politique fiscale.
Notre analyse des différents articles procède de cette idée.
Le Gouvernement n’est pas favorable à l’article 1er parce qu'il est à l'exact opposé de ses orientations de politique économique, qui consistent à réduire les charges fixes des entreprises, telles l’imposition forfaitaire annuelle ou la taxe professionnelle, et à éviter de léser celles qui affrontent un contexte économique défavorable.
S’agissant de l’article 2, qui vise à moduler le taux de l’impôt sur les sociétés en fonction des bénéfices distribués, M. le président Jean Arthuis a parfaitement présenté la situation réelle des entreprises et les difficultés techniques qui résulteraient de l’adoption de cette disposition. Je rappellerai que c’est un dispositif tellement complexe, tant pour les entreprises que pour l’administration, que la majorité à laquelle vous apparteniez, monsieur Rebsamen, y avait renoncé en l’an 2000.
Ce dispositif serait source de distorsions de concurrence parce que la politique de distribution des bénéfices ne procède pas seulement en réalité du libre arbitre de l’entreprise elle-même ; elle dépend, entre autres choses, de la structure de ses financements, de la composition de son actionnariat et de son secteur d’activité. Il est donc inapproprié de parler, à ce sujet, de la situation des entreprises publiques qui, dans les secteurs que vous avez indiqués, ont été appelées à participer au financement d’infrastructures spécifiques à leur secteur d’activité, par exemple des infrastructures de transport ou des investissements en matière électrique.
Enfin, le Gouvernement n’est pas non plus favorable, monsieur le sénateur, à l’article 3 de votre proposition, qui crée une taxe sur les entreprises pétrolières. Ce débat a déjà eu lieu au Sénat, et vous n’ignorez pas que les grandes entreprises du secteur de l’énergie sont déjà toutes fortement taxées. Leurs bénéfices sont, dans la généralité des cas, soumis à l’impôt sur les sociétés au taux de 33, 33 %, auquel s’ajoute une contribution sociale de 3, 3 %, soit un taux effectif d’imposition de 34, 43 %.
Quant au cas de l’entreprise Total, sur lequel vous vous êtes plus particulièrement arrêté, vous savez bien que les bénéfices que vous avez évoqués sont en réalité ses bénéfices comptables mondiaux consolidés et non les bénéfices imposables en France. Ils ne représentent d’ailleurs que moins de 5 % du résultat net du groupe et ont déjà été lourdement taxés à l’étranger. Il ne me semble pas opportun de surtaxer notre champion national au seul motif que ses activités imposables chez nous dégagent peu de bénéfices, alors qu’il investit et crée des emplois, en son sein mais aussi dans les entreprises dans lesquelles il détient une participation financière ou chez ses nombreux sous-traitants, comme je peux moi-même le constater à travers le monde.
Vous comprenez donc, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement n’est pas favorable à l’adoption de la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui.
Je voudrais, en outre, monsieur Rebsamen, m’inscrire en faux contre certains de vos propos et donner quelques informations complémentaires au Sénat.
Tout d’abord, je voudrais vous confirmer que nous n’avons renoncé à rien s’agissant du contrôle des montages abusifs ! Nous avons d’ailleurs un dispositif de répression de l’abus de droit particulièrement performant, dont le Sénat a eu connaître à la fin de l’année dernière.
Ensuite, je voudrais rappeler que nous sommes, avec l’Allemagne, le pays qui, en Europe, procède au plus grand nombre de redressements en matière de prix de transfert. Nous faisons preuve d’une extrême vigilance, et les services de mon collègue Éric Woerth travaillent même, comme vous le savez sans doute, à un durcissement des outils de contrôle des grandes entreprises, avec la création d’une obligation documentaire.
Quant aux niches fiscales, j’ai parlé de l’impôt sur les sociétés, mais il faudrait que vous nous précisiez à laquelle vous pensez. S’il s’agit du bénéfice mondial consolidé, sachez que c’est un régime fort ancien – il existe depuis les années soixante – et, en réalité, très peu attractif, qui ne bénéficie qu’à moins de cinq entreprises. Il est, en tout état de cause, parfaitement transparent, puisque le Gouvernement fournit chaque année au président et au rapporteur général de la commission des finances toutes les informations utiles relatives aux bénéficiaires.
Pour terminer, j’indiquerai que, dans ce très difficile contexte de crise, il importe de soutenir les entreprises et l’activité, non pas en revenant sur les avancées de la loi TEPA – M. le président Jean Arthuis s’est exprimé très clairement à ce sujet – mais en construisant face à la crise un plan de relance cohérent et responsable.
Cela passe, bien sûr, par les mesures d’urgence prises à la fin de l’année 2008 pour soutenir notre système financier, au bénéfice des entreprises et des ménages, par le plan de soutien à l’activité, au travers des chantiers de relance, suivis, notamment, par Patrick Devedjian, par l’accélération, que vous avez votée à la fin de l’année 2008, des remboursements de crédits de TVA et de trop-perçus d’impôts sur les sociétés, pour renforcer la trésorerie des entreprises, par les mesures prises à l’issue du sommet social du 18 février 2009 ou encore par le plan de soutien à la filière automobile conclu, également en février dernier, par Christine Lagarde et Luc Chatel.
En conclusion, je répète que, pour préparer la sortie de crise, nous devons renforcer la compétitivité des entreprises françaises par l’innovation, par l’information et par l’investissement. C’est à cela que s’attache le Gouvernement, plutôt qu’à des mesures qui semblent largement inspirées, on peut le dire, par une approche idéologique.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi de notre collègue François Rebsamen et de l’ensemble des sénateurs du groupe socialiste fait suite à une question orale avec débat qu’il avait posée le 7 mai dernier sur l’opportunité d’instaurer une contribution exceptionnelle de solidarité des grandes entreprises du secteur de l’énergie.
Force est de constater, monsieur Rebsamen, que vous avez – et j’y vois une qualité – de la suite dans les idées. Le texte que nous allons examiner cette fois-ci concerne non seulement, de nouveau, les grandes entreprises du secteur de l’énergie, ou, du moins, du secteur pétrolier, visées à l’article 3, mais aussi, d’une manière plus générale, toutes les entreprises, à partir du moment où elles réalisent des bénéfices.
Le groupe socialiste fait donc le choix d’une politique de relance fondée notamment sur l’augmentation des impôts et la taxation des entreprises. Ce choix politique n’est pas le nôtre.
Le Président de la République a déclaré sans ambages qu’il n’était pas élu pour augmenter les impôts.
Le Premier ministre l’a rappelé il y a quelques semaines. Le groupe UMP s’y refuse également.
La crise ne nous fera pas changer de cap, car nous sommes d’avis que notre logique est la bonne et que la crise ne change en rien la vertu de cette logique, bien au contraire.
La hausse des impôts pesant sur les ménages engendre une diminution de la consommation et, donc, de l’activité économique et, par conséquent, de l’emploi. La hausse de la taxation des entreprises freine la compétitivité et l’investissement. Elle affecte, par conséquent, le dynamisme et la santé des entreprises. Elle menace ainsi également l’emploi.
Pour autant, notre logique économique et fiscale n’a pas pour corollaire l’inaction.
Nous luttons contre les abus, en encadrant la rémunération des hauts dirigeants.
Nous avons plafonné les niches fiscales.
Nous poursuivons indéfectiblement nos efforts en matière de diminution de la dépense, par la révision générale des politiques publiques, dite RGPP.
Les résultats sont probants : présenté le 13 mai dernier, le deuxième rapport d’étape de la RGPP souligne que 95 % des 374 décisions de modernisation, qui fondent les économies structurelles de la loi de programmation des finances publiques 2009-2011, sont en cours de mise en œuvre.
Dans la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, vous prônez donc, monsieur Rebsamen, une augmentation de la taxation des entreprises, qui prendrait la forme d’une majoration, sous certaines conditions, de l’impôt sur les sociétés.
Au-delà des raisons politiques que je viens d’évoquer, c’est également pour des raisons fondées sur des considérations plus techniques, que le rapport de la commission des finances, dont je tiens à saluer le travail, a parfaitement soulignées, que nous ne souscrivons pas, sur le fond, à l’objet de ce texte.
La commission a rejeté l’ensemble des articles de la proposition de loi, au motif qu’elle était préjudiciable, inopportune et inefficace.
En matière d’impôt sur les sociétés, la France applique déjà l’un des taux les plus élevés d’Europe. Le président Jean Arthuis, rapporteur de ce texte, l’a souligné, non seulement cet alourdissement de la fiscalité irait à l’encontre de la simplification de notre fiscalité, mais surtout il engendrerait une perte de compétitivité pour nos entreprises et risquerait de provoquer des délocalisations. Il serait contre-productif pour l’économie française d’augmenter la pression fiscale sur ses entreprises les plus solides, qui parviennent à réaliser des bénéfices en dépit d’un contexte économique particulièrement difficile.
Comme le rapporteur l’a également rappelé dans son exposé, les mesures proposées par ce texte seraient inefficaces, voire inopérantes.
La création d’une contribution exceptionnelle de solidarité sur les entreprises bénéficiaires apporterait peu de recettes à l’État, car le nombre d’entreprises concernées serait très faible.
De même, la modulation du taux de l’impôt sur les sociétés en fonction de l’affectation des bénéfices réalisés par les entreprises, avec notamment une majoration de 10 % dès lors que l’entreprise distribue plus de 60 % de ses bénéfices imposables, est une mesure inopérante, car très peu d’entreprises sont susceptibles de dépasser un taux de distribution de 60 %. Cela signifierait qu’elles distribuent la quasi-totalité de leur résultat net.
Quant à la contribution exceptionnelle de solidarité pour les entreprises du secteur pétrolier que vise à créer l’article 3 de la proposition de loi, elle reprend l’idée d’une contribution exceptionnelle de solidarité des grandes entreprises du secteur de l’énergie déjà débattue au Sénat le 7 mai dernier.
La surtaxe appliquée au secteur pétrolier non seulement représenterait une forte augmentation de son imposition, de 13, 33 points, mais, en outre, serait automatique et non liée aux bénéfices, ce qui est contradictoire avec l’intitulé de la proposition de loi.
Le groupe UMP partage pleinement l’avis de la commission des finances : une telle surtaxe serait inopportune, car les entreprises françaises participent pleinement au dynamisme de notre économie. Une hausse significative de leur fiscalité risquerait d’entraîner leur délocalisation.
Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, le groupe UMP ne votera pas en faveur de cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par nos collègues du groupe socialiste est intéressante, car elle nous permet aujourd'hui de débattre des inégalités flagrantes entre ceux qui subissent la crise de plein fouet, notamment les PME et les personnes les plus fragiles, et ceux dont les gains annuels très importants présentent, aux yeux de certains, un caractère parfois indécent.
Cette proposition de loi nous offre également l’occasion de revenir sur le bien-fondé du bouclier fiscal. Est-il nécessaire de maintenir un tel dispositif alors que nous traversons une crise très grave ?
Quelle que soit la position que nous ayons pu adopter à certaines périodes, nous devons nous interroger sur ce point.
Je rappelle que les radicaux, qui sont à l’origine de l’impôt sur le revenu, sont particulièrement attachés à la progressivité de l’impôt, car elle constitue le socle de la solidarité nationale.
Toutefois, cette proposition de loi, aussi alléchante qu’elle puisse paraître, présente, à nos yeux, quelque caractère insidieux : le mieux peut être l’ennemi du bien !
Je vais étayer mon raisonnement en m’appuyant sur trois ou quatre points.
Tout d’abord, le prélèvement exceptionnel risque d’être durable.
Ensuite, il n’est pas bon de flécher des entreprises, qui sont susceptibles d’être montrées du doigt. Après tout, si des entreprises françaises sont performantes et gagnent de l’argent, cela n’a rien de choquant. Nous devrions même nous en féliciter !
Nous devons également éviter de donner à certaines entreprises l’impression, je me risque à employer le terme, d’être rackettées, ce qui pourrait entraîner des délocalisations accélérées.
Certes, dans certains cas, les entreprises n’attendent pas pour délocaliser qu’on les y incite !
Mais nous devons tout de même éviter certaines de prises de position, surtout en période de décroissance.
L’impératif absolu est de ne pas faire fuir à l’étranger les entreprises qui sont le fleuron économique de notre pays.
Plutôt que de créer une contribution exceptionnelle de solidarité, nous préférerions mettre en place, sous l’autorité de l’État, une forte incitation pour que les entreprises réalisant des bénéfices participent de façon massive à la relance par une sorte de solidarité économique.
Les fonds prélevés ne doivent pas tomber directement dans le budget de l’État, mais doivent être en quelque sorte « fléchés ». C’est la raison pour laquelle nous serions favorables à une forme de parrainage des entreprises afin qu’elles participent à la solidarité économique ainsi qu’à l’aménagement équilibré et harmonieux du territoire national.
À ce jour, le parrainage existe, mais ne fonctionne pas très bien. C’est pourtant une piste à creuser. Nous ne serions pas hostiles à la création d’un abondement librement négocié, via de fortes incitations de l’État, et destiné à financer des actions à vocation sociale ou écologique. Après tout, l’économie solidaire existe. Il est évident qu’elle peut être développée dans notre pays.
À titre personnel, j’ajoute que je me méfie des mesures fiscales de circonstance, surtout lorsqu’elles sont autoritaires et contraignantes. Toute nouvelle forme de taxation doit être mûrement réfléchie, non seulement avec les partenaires sociaux, mais encore avec les entreprises, notamment, dans ce cas précis, avec les grands groupes français et mondiaux.
C’est pourquoi la majorité des membres du groupe du RDSE s’abstiendra sur cette proposition de loi.
Applaudissements sur certaines travées de l ’ UMP.
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, avec cette proposition de loi, mes amis du groupe socialiste et moi-même continuons à proposer, avec obstination, vous en conviendrez, des remèdes fiscaux, voire moraux, à la crise.
Nous sommes très inquiets face à la dégradation de la situation économique et sociale. Notre pays traverse une crise grave que la crise financière internationale n’a fait qu’accélérer et aggraver puisque, avant la crise internationale, la France connaissait déjà la crise, comme l’a souligné M. Philippe Séguin.
Cette crise menace la cohésion nationale en dressant, de fait, l’un contre l’autre, deux pans entiers de la société.
D’un côté se trouvent les géants du CAC 40, les actionnaires aux dividendes croissants. Un de vos collègues du Gouvernement, madame la secrétaire d'État, a dit il y a quelques mois au sujet de la situation créée par Total, entreprise vertueuse dont nous avons parlé, à côté du Havre que c’était scandaleux !
De l’autre se trouvent les PME survivant difficilement, les salariés en proie au chômage et à la précarité, ainsi que les collectivités locales asphyxiées par le désengagement de l’État.
Je ne suis pas habituellement un partisan de l’approche manichéenne, souvent caricaturale et outrancière, des choses.
En l’espèce, le gouffre ne cesse de s’élargir entre ces deux catégories. En tant que maire, comme d’autres ici, je le constate chaque jour dans ma commune.
Madame la secrétaire d'État, avez-vous eu l’occasion de rencontrer des gens qui ont été brutalement licenciés ?
Dans ma commune, si vous me permettez cette parenthèse locale, en quatre mois, trois entreprises ont fermé, ce qui représente la suppression de 500 emplois directs.
Malgré une situation financière saine, les entreprises et les groupes annoncent brutalement des suppressions de postes et acceptent très difficilement de mettre en œuvre un plan social relativement correct. Non seulement des groupes financièrement sains ferment certains sites, mais en plus ils « mégotent » sur le plan social !
Je rencontre des personnes brutalement licenciées, soit en mairie, soit au sein des associations dont elles font partie. Elles sont écœurées.
Le message qu’elles font passer au Gouvernement comme au Président de la République est le suivant : il ne sert à rien de rouler des mécaniques à la télévision au sujet des « flics voyous » si les comportements ne changent pas !
De plus, nous avons appris tout à l’heure de la bouche de M. Arthuis que les banques stockent pendant trente mois les fonds destinés aux PME qui viennent de l’ISF.
Nous avons entendu des propos fermes à la télévision, du type « vous allez voir ce que vous allez voir », et qu’apprenons-nous ? Que de l’argent est stocké par les banques alors que les PME attendent ! Que fait donc le Gouvernement ?
Les dispositions du texte que nous proposons constituent un outil fiscal efficace, qui déroule une politique plus juste et plus solidaire. Les grandes entreprises devront verser une contribution de solidarité sur leurs bénéfices. « Solidarité », le mot est là, simple, incontournable, pour qui défend le pacte républicain.
Il s’agit de faire participer les entreprises qui sont largement bénéficiaires à l’effort d’investissement et d’innovation. Aujourd’hui, les entreprises n’investissent pas assez, ni dans le capital humain ni dans l’outil de production.
Il existe bel et bien un plafonnement qui fait que les grandes entreprises sont aujourd’hui favorisées par rapport aux autres. Les profits des géants du CAC 40 n’ont, jusqu’en 2008, jamais été aussi élevés : 220 millions d’euros par jour pendant cinq ans ! Certes, les profits ont un peu baissé depuis cette époque, mais les grands groupes faisaient-ils auparavant, en matière d’investissements ou de salaires, des efforts à la hauteur de ces profits record ?
En réalité, la prospérité des grandes entreprises, qui peuvent jouer à plein la carte de la mondialisation, n’a pas sur le reste de l’économie autant de retombées qu’on pourrait l’espérer.
L’effort de solidarité nationale doit être fait par tous et pour tous ! Les mieux dotés ne doivent pas en être exemptés, bien au contraire !
En outre, pourquoi se priver d’une telle recette fiscale alors que le déficit atteint des records abyssaux et menace les finances publiques?
Face à cette situation sociale extrêmement difficile, assise sur les ruines d’un système qui arrive à épuisement, il est impératif de mettre en œuvre, rapidement, des mesures en faveur de nos concitoyens et des entreprises les plus fragiles. Pourquoi ne pas saisir l’opportunité qui vous est donnée de modifier un modèle archaïque et injuste de répartition des richesses ?
La modulation du taux d’impôt sur les sociétés que le texte vise à prévoir privilégiera davantage les entreprises qui participent à la relance et pénalisera les autres. Comme l’a déjà fait remarquer mon collègue auteur de cette proposition de loi, François Rebsamen, cette mesure de « bonus-malus » a déjà été discutée lors du deuxième collectif budgétaire par voie d’amendement sénatorial. Le ministre du budget a alors déclaré qu’un tel débat méritait d’être approfondi. Plus avant, il s’est engagé à interroger le Trésor et la direction de la législation fiscale pour avoir leur expertise sur le sujet, et il nous a donné rendez-vous au projet de loi de finances pour 2010. Comme l’a dit tout à l’heure François Rebsamen : pourquoi attendre ?
En ce qui concerne la répartition des richesses, le chef de l’État a proposé une règle des trois tiers pour la distribution des profits : un tiers à l’investissement, un tiers aux actionnaires et un tiers aux salariés.
Pour éclairer ce choix, il a confié au directeur général de l’INSEE, Jean-Philippe Cotis, la rédaction d’un rapport présentant « un diagnostic de l’évolution du partage de la valeur ajoutée au cours des dernières décennies » et une étude « de la répartition des profits entre salariés, actionnaires et autofinancement ».
Sur le fond, les conclusions du rapport se sont révélées fort intéressantes : elles relèvent notamment que « la croissance des salaires nets depuis vingt ans est extrêmement faible », en raison de la faible croissance économique, du poids accru des cotisations sociales et de la montée des emplois précaires.
Les écarts de salaires se sont creusés, avec notamment une forte accélération dans la dernière décennie pour la tranche représentant un pour cent ou un pour mille des salariés les mieux payés. Selon le rapport, cette situation « a contribué au sentiment de déclassement relatif du salarié médian, progressivement rejoint par le bas de l’échelle et fortement distancé par l’extrémité haute de cette même échelle »…
… et « l’intéressement et la participation occupent une place réduite mais croissante » au sein de la masse salariale depuis le début des années quatre-vingt-dix.
Autre enseignement : le montant des dividendes versés aux actionnaires a quasiment quintuplé depuis 1993, tandis que l’autofinancement des investissements par les entreprises a baissé. Les profits sont affectés pour un peu plus d’un tiers aux revenus du capital – 36 % –, pour une grosse moitié à l’investissement – 57 % – et les 7 % restants vont à la participation et à l’intéressement. Enfin, le rapport relève de fortes différences entre grandes entreprises et PME.
Pour me résumer en une seule phrase, les salariés n’ont profité ni des hausses de salaires, ni d’une meilleure répartition des profits.
Face aux conclusions critiques de ce rapport, le Président de la République s’est très vite défaussé de sa responsabilité sur les partenaires sociaux, en leur demandant de lui soumettre des propositions avant le 15 juillet prochain. Ce positionnement « attentiste » est fallacieux, puisque le MEDEF restera arc-bouté sur ses convictions conservatrices, empêchant ainsi toute avancée significative.
Nous retrouvons ici la cacophonie gouvernementale qui prévaut depuis deux ans : en février, Nicolas Sarkozy réclame une meilleure répartition des profits et suggère d’appliquer la règle dite « des trois tiers » – « une bonne règle », affirme-t-il de surcroît – et, deux mois plus tard, le Premier ministre, puis la ministre de l’économie et des finances, écartent toute application de ladite règle en arguant de différences trop grandes entre les entreprises.
Dans ce contexte de crise sociale et économique, les déclarations d’un jour, qui n’ont pas bénéficié d’une étude préalable de faisabilité et ne se concrétiseront pas, sont inutiles, anxiogènes et malvenues ; elles révèlent un capitaine qui navigue à vue… Les nombreuses victimes de la crise sociale et économique mériteraient une politique fiscale globale bien définie et rapidement « redistributive ».
Enfin, mes chers collègues, les discours officiels invoquent souvent les « valeurs de la République ». Ces valeurs ont été puisées dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Face à la situation actuelle, il n’est pas inutile de rappeler la teneur de deux articles de cette déclaration.
Selon l’article XIII, « pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés. »
Selon l’article XIV, « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »
Madame la secrétaire d’État, comme tous vos collègues du Gouvernement, vous reprochez souvent aux socialistes de n’être que des opposants, et rien de plus. Eh bien, en déposant cette proposition de loi, nous souhaitons aider le Gouvernement…
M. Marc Massion. … à mettre en cohérence les valeurs auxquels il se réfère et les actes qui devraient en résulter !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, un déficit budgétaire atteignant pratiquement 44 milliards d’euros en trois mois, une contraction du produit intérieur brut de 1, 5 % pour le premier trimestre, la probabilité de compter 640 000 chômeurs de plus d’ici à la fin de l’année : voilà comment on pourrait, à l’occasion de la discussion de cette proposition de loi, dépeindre la situation de la France d’aujourd’hui. Ajoutons qu’avec une constance qui s’apparente à de l’autosuggestion, le Gouvernement escompte que le plan de relance obtiendra dans les semaines et les mois à venir d’authentiques résultats, et la description sera presque bouclée !
Ainsi, après les intentions déterminées de la loi en faveur de l’emploi, du travail et du pouvoir d’achat, après les rodomontades de l’automne, après la « brillante » présidence française de l’Union européenne, …
M. Thierry Foucaud. … qui a failli permettre aux salariés de notre pays de travailler 65 heures par semaine,
M. Daniel Raoul applaudit
Le nombre des chômeurs enfle, celui des sans-abri ne diminue pas, les fermetures d’entreprises succèdent aux périodes de chômage technique qui accompagnent les plans de licenciement et les redressements judiciaires, et les comptes publics, qu’il s’agisse de ceux de l’État comme de ceux de la sécurité sociale, sont dans le rouge vif !
Le déficit de l’État atteint 103, 8 milliards d’euros, celui de la sécurité sociale une vingtaine de milliards d’euros, au bas mot, le tout malgré la cure d’austérité que vous imposez aux Français depuis de trop longues années, fidèles en cela à ces engagements européens qui recommandent sans cesse la baisse des dépenses publiques, la dérégulation, l’ouverture à la concurrence des services publics, le dumping fiscal et social permanent, et j’en passe !
La proposition de loi de nos collègues du groupe socialiste explore les voies et moyens permettant d’infléchir la dérive des comptes publics dont, il faut bien le dire, nous ne trouvons pour l’heure aucune justification dans la mise en œuvre du plan de relance.
Car, madame la secrétaire d’État, à quoi sert-il de rembourser plus vite la TVA ou l’impôt sur les sociétés, si c’est pour constater la persistance des plans sociaux, de l’ajustement à la baisse des salaires et de l’emploi, du chômage technique ? Faudrait-il en déduire que l’argent dont l’État s’est délesté, par anticipation, en faveur des entreprises ne sert, pour le moment, qu’à alimenter le produit net bancaire des banques créancières de nos PME, banques dont nous constatons d’ailleurs qu’elles ne sollicitent que relativement peu la ligne de trésorerie que vous leur aviez accordée cet automne ?
La proposition de loi de nos collègues vise expressément les entreprises qui, dans le contexte actuel de crise, roulent sur l’or et n’assument pour autant aucune responsabilité sociale dans le cadre de l’utilisation de ces ressources.
Il est vrai que Total – pour ne donner qu’un exemple évident – préfère sans doute utiliser ses profits à racheter ses propres actions pour les détruire qu’à assurer l’approvisionnement du pays en produits pétroliers. La même compagnie doit sans doute avoir quelques obligations à l’égard de certains dirigeants de pays producteurs, comme ces démocraties exemplaires que sont la Birmanie, le Gabon ou le Congo, où elle procède sans trop d’états d’âme à des activités de production…
En sollicitant des ressources fiscales nouvelles, pour certaines de caractère exceptionnel, en proposant de revenir sur les dispositions de la loi TEPA, nos collègues du groupe socialiste engagent le débat sur une des questions clés qui engagent l’avenir du pays : quelle politique fiscale pouvons-nous concevoir, dans un contexte de crise économique sérieuse, pour redresser, au minimum, les comptes publics et éviter que toute politique ultérieure ne soit en quelque sorte hypothéquée par les conséquences du déficit abyssal que deux années d’agitation élyséenne ont réussi à creuser ?
Le débat est ouvert, et il est plus que regrettable qu’il soit aussitôt refermé, puisque M. le président de la commission des finances – qui a exprimé par le passé sa grande inquiétude devant l’accroissement des déficits – nous recommande de ne pas voter le moindre article de la proposition de loi qui nous est soumise.
Pour notre part, nous sommes des parlementaires conséquents et, puisque nous croyons quelque peu à l’initiative parlementaire – dont on prétendait en juillet dernier qu’elle sortirait grandie de la révision constitutionnelle ! –…
… nous avons déposé quelques amendements sur ce texte, en vue de le rendre plus directement efficace.
En effet, il faut donner un coup d’arrêt à l’aggravation des déficits publics, non pas parce que M. Barroso, du haut de l’immeuble de la Commission européenne, le demande, mais parce qu’un renversement de tendance est nécessaire.
Il est nécessaire pour ne pas hypothéquer l’avenir, en laissant filer un déficit qu’il faudra ensuite résorber et qui privera les Français de toute réforme fiscale digne de ce nom avant longtemps. Il est nécessaire aussi parce que les choix fiscaux et budgétaires du gouvernement actuel ont conduit au désastre, qu’il est beaucoup trop facile d’imputer à une « crise économique » qui a bon dos lorsqu’il s’agit de fuir ses responsabilités.
La loi TEPA, nous l’avons dit, porte une grande responsabilité dans la dérive des comptes publics et le coût de cette loi imbécile et inefficace ne se mesure pas qu’en termes de moins-values fiscales ! Il se mesure aussi en emplois sacrifiés sur l’autel des heures supplémentaires défiscalisées, en chute de l’activité du bâtiment et de l’immobilier du fait de l’allégement des droits de succession, conséquences désastreuses de dispositifs qui ajoutent des coûts supplémentaires au coût initial !
Enfin, nombre de réformes mises en place par le Gouvernement montrent aussi leurs limites. Recommande-t-on à la justice d’être exemplairement rigoureuse ? Les prisons sont surpeuplées et leurs personnels déclenchent des mouvements sociaux ! Se félicite-t-on de supprimer des milliers de postes d’enseignants ? On feint aujourd’hui de découvrir la violence à l’école et on se prépare à recruter une brigade volante de plusieurs centaines de super-surveillants scolaires qui ne remplacera jamais les 80 000 emplois supprimés dans l’éducation nationale depuis quatre ans !
C’est parce que ceux qui peuvent supporter aujourd’hui le poids des déficits publics doivent le faire qu’il faut voter cette proposition de loi. Mais c’est aussi parce qu’il faut définir les voies et moyens de nouveaux choix fiscaux et budgétaires justes, efficaces et détachés des contingences imposées par une construction européenne obsolète qu’il faut aussi la voter.
La France doit porter d’autres choix budgétaires et fiscaux, et montrer la voie à une Europe exténuée par des politiques récessives imposées par la Commission de Bruxelles !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur certaines travées du groupe socialiste.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2009, la récession a touché la France, avec son lot de faillites d’entreprises et ses cohortes de chômeurs qui agrandissent chaque mois un peu plus les files d’attentes des pôles emploi.
Ainsi, on compte la destruction de plus de 138 000 emplois au premier trimestre 2009 et plus de 240 000 nouveaux demandeurs d’emploi pendant ce même trimestre. L’UNEDIC prévoit 630 000 chômeurs supplémentaires et la destruction de 591 000 emplois en 2009. Sur la période 2009-2010, l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, annonce la destruction de plus de 800 000 emplois.
Dans ce contexte désastreux, quelques grandes entreprises françaises d’envergure internationale réussissent néanmoins à battre des records de bénéfices. Normalement, nous devrions nous réjouir de ces résultats, nous sentir réconfortés de savoir que quelques bastions de notre économie résistent à la crise, voire s’en sortent encore mieux qu’auparavant.
Hélas, trois fois hélas, ces mêmes entreprises, suivant la logique extrême d’un capitalisme sans âme, licencient malgré leurs résultats, ou utilisent une grande part de leurs bénéfices à distribuer des dividendes à leurs actionnaires, ou augmentent de façon indécente les salaires de leurs dirigeants, ou encore leur accordent bonus, stocks options, parachutes dorés… tandis que les salariés de base continuent à voir diminuer leur pouvoir d’achat et que le taux d’investissement productif des entreprises diminue !
Je rappellerai par exemple, ce n’est un secret pour personne, que les profits du groupe pétrolier Total ont été de 14 milliards d’euros en 2008 et seront sans doute équivalents en 2009 si l’on extrapole à partir des chiffres du premier trimestre de l’année.
Or, ces profits sont avant tout le résultat de restructurations drastiques dans la plupart des activités qui touchent notamment le raffinage : 555 suppressions de postes sur le site de Gonfreville-l’Orcher en Seine-Maritime ont été annoncées le 10 mars dernier et, dans la société Hutchinson, filiale du groupe, 6 000 salariés sont au chômage partiel depuis le mois de janvier.
De même, chez GDF-Suez, l’assemblée générale des actionnaires du 4 mai dernier décidait d’attribuer 6, 8 milliards d’euros aux détenteurs de parts sociales.
Ainsi, dans un pays parmi les plus développés de la planète, un pays membre du G8, la France, nous assistons de plus en plus à l’évolution d’une société qui sanctuarise la croissance et la prospérité de quelques-uns en même temps que la tiers-mondisation du plus grand nombre.
N’ayons pas peur des mots, nous vivons une crise sans précédent qui oblige le système économique libéral à réclamer l’intervention de l’État, cet État qu’en temps de prospérité il ignore. Et que fait l’État ? L’État maintient le bouclier fiscal de ceux qui ont déjà beaucoup, donne des milliards à ceux-là mêmes qui sont responsables de la crise, sauve les banques et les multinationales en danger, et il crée le RSA pour ceux qui n’ont rien !
Où allons-nous donc ? Dans quelle société vivons-nous ? Sommes-nous encore dans une démocratie dont la bannière symbolise la liberté, l’égalité, la fraternité – j’ajouterai la solidarité ?
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, chers collègues, devant une situation grave sur le plan économique et explosive sur le plan social, la proposition de loi présentée au Sénat entend donner des ressources supplémentaires à l’État pour faire face aux besoins alors que sa dette publique explose et que son déficit se creuse, en mettant en place un principe à la fois simple et équitable.
Il s’agit de faire participer les entreprises réalisant des bénéfices record à l’effort de solidarité nécessaire en temps de crise pour la relance globale de l’économie et du pouvoir d’achat, pour le soutien aux personnes et aux TPE les plus démunies ou les plus touchées par la crise.
À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle, c’est pourquoi cette contribution est conçue comme un dispositif temporaire.
Notre démarche témoigne d’une préoccupation de justice sociale et de cohérence économique. Elle se situe au-delà d’une vaine tentative de moraliser le capitalisme, et encore moins de le « refonder », selon les vœux du Président de la République, qui y a d’ailleurs bien vite renoncé une fois l’émotion des premiers jours passée.
Nous voulons interpeller chacun d’entre nous sur ce que l’actualité de ces grandes entreprises peu citoyennes dévoile de la nature véritable d’un système inique, amoral, qui a perverti la définition même du mot « économie », et qui n’est pas « moralisable », car se fondant sur la seule logique du profit. À ce titre, nous avons la responsabilité historique de l’encadrer pour en limiter les perversions et les dégâts collatéraux.
C’est pourquoi la proposition de loi attaque également, plus fondamentalement, le problème de la répartition de la richesse produite. Cette répartition est au cœur du drame social que vivent nos concitoyens aujourd’hui avec un sentiment d’injustice dont les effets peuvent être redoutables à la longue.
Sur ce point, la proposition de loi nous place en face de notre devoir, du devoir de l’État en temps de crise, qui doit sauver ou relancer l’économie, mais également tout faire pour maintenir la cohésion sociale dans le pays.
De même que la cohérence économique, cette cohésion sociale est aujourd’hui plus que menacée. Elle a d’ailleurs explosé dernièrement aux confins de la République, dans ces territoires les plus durement frappés par cette crise où la population désespérée criait dans la rue à l’exploitation et à la profitation. Nous en connaissons les conséquences dramatiques.
Le secrétaire d’État chargé de l’outre-mer, Yves Jégo, s’est d’ailleurs ému du scandale des prix inadmissibles de l’essence pratiqués par la SARA, la Société anonyme de la raffinerie des Antilles, une filiale de Total, alors qu’elle réalisait 50 millions d’euros de bénéfices, en évoquant l’ « enrichissement sans cause des compagnies pétrolières ».
Croyez-vous que les schémas du fonctionnement économique soient si différents dans l’Hexagone ? Je ne le pense pas.
Cette proposition de loi invite chacun de nous à dépasser le débat stérile qui opposerait la justice sociale à l’efficacité économique, en apportant à la puissance publique, par une fiscalité juste, des moyens supplémentaires afin d’améliorer le sort de nos concitoyens et celui des entreprises qui en ont le plus besoin pour relancer l’économie de notre pays.
Il s’agit également, avec cette proposition de loi, de pragmatisme économique. Pour financer la relance, l’État creuse son déficit, alors même que ses recettes s’affaiblissent. Sans ressources supplémentaires, jusqu’à quand pourra-t-il soutenir son plan de relance ? La question du financement de l’activité économique est clairement posée. Il faut à l’État de nouvelles ressources, qu’il s’agisse de financer de nouvelles activités économiques ou des dispositifs visant à préserver la cohésion sociale.
Nous n’avons donc pas le droit, par des arguments fallacieux qui n’ont en réalité pour objectif que de protéger ces superprofits, de renoncer à cette possibilité offerte par la proposition de loi d’une meilleure répartition des profits en faveur de l’économie réelle, de l’investissement et de l’amélioration de la situation des salariés et, plus généralement, de nos concitoyens. C’est ce à quoi nous invite l’article 2.
Ne nous laissons pas troubler par le chantage à la délocalisation, car cela est hors sujet pour de telles entreprises.
Des entreprises de pays européens moins imposées qu’en France délocalisent aussi. Les causes de la délocalisation sont donc à chercher ailleurs. En outre, un plus faible taux d’imposition n’a pas empêché les entreprises de ces pays d’être touchées par la crise, comme en Grande-Bretagne.
Ne cédons pas non plus à la peur de la perte de compétitivité qui serait due à une trop forte imposition. Là aussi, pour les entreprises concernées, cela est hors de propos. Nous n’y gagnerons qu’une chose : conforter la politique d’optimisation fiscale et de recherche du profit immédiat à tout prix de ceux qui foulent aux pieds nos valeurs fondamentales, sans même agir, au nom de l’intérêt économique, dans une perspective de pérennité des entreprises.
L’un des facteurs de compétitivité des entreprises, c’est en effet la capacité d’investir et d’innover, et cela passe par la réservation de fonds propres. Or il s’agit de l’une des principales faiblesses des entreprises françaises, à laquelle l’article 2 vise justement à remédier par une mesure incitative en faveur de l’investissement.
Il est du ressort de l’État, surtout en temps de crise, d’assurer l’équilibre entre la réussite micro-économique de quelques-uns et la réponse aux enjeux macro-économiques qui se posent à l’échelle de la nation.
Nous proposons une démarche juste au plan social, responsable et pragmatique au plan économique, courageuse au plan politique, et dont les résultats ne seront que bénéfiques pour l’ensemble de la nation. Nous devons voter cette proposition de loi !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Après l'article 235 ter ZA du code général des impôts, il est inséré un article 235 ter ZB ainsi rédigé :
« Art. 235 ter ZB. -- Les personnes morales sont assujetties, dans les conditions prévues aux II à V de l'article 235 ter ZA, à une contribution exceptionnelle de solidarité égale à une fraction de l'impôt sur les sociétés calculé sur leurs résultats imposables aux taux mentionnés au 1 de l'article 219 quand ceux-ci font apparaître des bénéfices supérieurs de 10 % à ceux de l'exercice précédent.
« Cette fraction est égale à 5 % pour les exercices clos ou la période d'imposition arrêtée entre le 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2010 inclus. Elle est réduite à 2, 5 % pour les exercices clos ou la période d'imposition arrêtée entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2011 inclus.
« Sont exonérées les personnes morales ayant réalisé un chiffre d'affaires de moins de 50 millions d'euros et qui occupent moins de 250 salariés. Le chiffre d'affaires à prendre en compte s'entend du chiffre d'affaires réalisé par l'entreprise au cours de l'exercice ou la période d'imposition, ramené à douze mois le cas échéant et, pour la société mère d'un groupe mentionné à l'article 223 A, de la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe. Le capital des sociétés, entièrement libéré, doit être détenu de manière continue, pour 75 % au moins, par des personnes physiques ou par une société répondant aux même conditions dont le capital est détenu pour 75 % au moins par des personnes physiques.
« Pour la détermination de ce pourcentage, les participations des sociétés de capital risque, des fonds communs de placements à risques, des sociétés de développement régional et des sociétés financières d'innovation ne sont pas prises en compte à la condition qu'il n'existe pas de lien de dépendance au sens du 1 bis de l'article 39 terdecies entre la société en cause et ces dernières sociétés ou ces fonds. »
L'amendement n° 1, présenté par MM. Foucaud et Vera, Mme Beaufils et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le premier alinéa de cet article :
L'article 235 ter ZB du code général des impôts est rétabli dans la rédaction suivante :
La parole est à M. Thierry Foucaud.
Nous comprenons très bien l’esprit de cet amendement, qui permet au groupe CRC-SPG de réaffirmer sa position. Cet amendement ne modifie qu’à la marge notre proposition de loi. Or nous ne souhaitons pas la dénaturer, c’est pourquoi nous nous abstiendrons.
Cet amendement rédactionnel ne modifie pas la position de la commission. Lors de la discussion générale, j’ai eu l’occasion de montrer combien ce dispositif nous paraissait inopérant et même dangereux.
En outre, M. François Rebsamen l’a lui-même indiqué, les résultats des entreprises ont été satisfaisants, impressionnants pour certains, en 2008, mais tout laisse à penser que les résultats de 2009 seront décevants, en retrait par rapport à 2008.
Par conséquent, votre proposition risque de s’appliquer à une assiette qui se sera dissipée, estompée, évaporée. Nous sommes là dans l’incantation : y a-t-il matière à légiférer ?
Enfin, je répondrai à plusieurs de nos collègues du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG que nous ne devons pas nous méprendre : ces entreprises qui opèrent à l’échelon international, Mme la secrétaire d’État l’a rappelé, sont dans l’économie mondiale et, pour l’essentiel, leurs bénéfices sont constatés hors du territoire national. Or ces territoires mettent eux-mêmes en recouvrement un impôt sur les bénéfices.
Ces bénéfices qui nous impressionnent par leur montant sont donc très largement constatés et imposés hors de France. Ne prenons pas le risque de faire sortir du territoire national les bénéfices qui nous restent.
Cette disposition étant inopérante, la commission demande le retrait de l’amendement n° 1 et le rejet de l’article 1er.
J’ai déjà eu l’occasion d’indiquer les raisons pour lesquelles le Gouvernement, comme la commission des finances, était opposé à l’article 1er.
L’amendement n° 1 est de nature rédactionnelle et M. Rebsamen a lui-même reconnu qu’il ne modifiait le dispositif qu’à la marge. En conséquence, un amendement rédactionnel ou une modification mineure d’une disposition qui ne nous convient pas appelle évidemment un avis défavorable du Gouvernement.
La parole est à M. François Rebsamen, pour explication de vote sur l'amendement n° 1.
Certains arguments qui ont été avancés ne me semblent pas correspondre à la réalité économique. On ne peut pas affirmer que notre pays est le deuxième pays d’accueil pour les entreprises et les investissements étrangers, tout en déclarant que nos taux d’imposition ou une contribution exceptionnelle feraient fuir de notre pays les fleurons de notre industrie. Un tel amalgame me paraît inexact.
Je voudrais en outre souligner, mes chers collègues, que le dispositif ne concerne que les grandes entreprises. Les PME, au sens communautaire, en sont bien sûr écartées.
D'ailleurs, lorsque de tels dispositifs ont été appliqués, ils ont fonctionné et ils ont souvent permis de relancer l’économie, ce qui serait intéressant, surtout en l’état actuel de nos finances publiques.
Les arguments avancés sont de bonne foi, comme les nôtres, mais ils s’opposent radicalement, et je le déplore. Lorsque le Gouvernement nous proposera d’augmenter les prélèvements obligatoires, il ne faudra pas accuser la crise. Il faudra se souvenir que des propositions avaient été faites en 2009, au moment où il était encore possible d’agir.
Cet amendement n’est pas simplement rédactionnel, il vise aussi à un rappel historique.
En juillet 1995, mes chers collègues, à l’époque de ce que l’on a appelé « la fracture sociale », la dérive des comptes publics était telle que le collectif présenté par le gouvernement Juppé, Madelin, d’Aubert avait pleinement intégré la majoration de certains impôts. Par un tour de passe-passe assez habituel en pareille circonstance, les parlementaires de la majorité s’étaient alors chargés, au nom de l’emploi et notamment de la mise en œuvre du fameux contrat initiative emploi, de majorer la TVA de deux points. Une proposition de loi, défendue par quelques-uns des balladuriens de l’époque « repentis », avait été adoptée en ce sens.
Il faut aussi noter que le collectif budgétaire de l’été 1995 avait également intégré une augmentation – temporaire mais nécessaire – du produit de l’impôt sur les sociétés et avait même prévu une majoration de 10 % de l’impôt de solidarité sur la fortune, comme vous vous le rappelez sans doute.
Les deux mesures étaient rendues nécessaires par l’état des comptes publics, qui présentaient alors, au terme de la gestion Balladur-Sarkozy, un déficit avoisinant 300 milliards de francs. Elles avaient été votées en faisant abstraction de tous les correctifs existant en ces deux matières, c’est-à-dire sans imputation des déficits antérieurs, soit 12 milliards à 14 milliards de francs de recettes fiscales, ou prise en compte des personnes à charge, soit environ 800 millions de francs.
C’est parce que la situation des comptes publics est aujourd’hui particulièrement catastrophique que le groupe CRC-SPG a proposé cet amendement.
Je remercie Thierry Foucaud d’avoir explicité sa position, car il me permet d’émettre l’hypothèse que son amendement s’applique à un texte qui a été abrogé.
Vous nous proposez, monsieur Foucaud, de rétablir un texte mis en œuvre entre 1995 et 1997, qui n’est plus en vigueur aujourd'hui. L’application de votre amendement au texte que nous propose M. François Rebsamen ouvre par conséquent un champ d’égarement absolu, je me permets de vous le dire.
Votre rappel historique était tout à fait intéressant, nous y avons été sensibles, mais on ne va pas, ce matin, ouvrir un débat sur ceux qui paient les impôts en France. C’est politiquement très correct de dire qu’il y a des impôts payés par les entreprises mais je vous ferai remarquer qu’il est très rare que les impôts payés par les entreprises ne soient pas en définitive supportés par les consommateurs, c’est-à-dire par chacun d’entre nous.
Donc, un jour viendra où il faudra peut-être avoir le courage de dire à nos concitoyens que ce sont toujours eux qui paient les impôts.
L'amendement n'est pas adopté.
L'article 1ern’est pas adopté.
Avant le a du I de l'article 219 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« aa. Les taux fixés au présent article sont diminués d'un dixième lorsqu'une fraction du bénéfice imposable au moins égale à 60 % est mise en réserve ou incorporée au capital au sens de l'article 109, à l'exclusion des sommes visées au 6° de l'article 112. Ils sont majorés d'un dixième lorsqu'une fraction du bénéfice imposable inférieure à 40 % est ainsi affectée. »
Monsieur le rapporteur, j’ai bien saisi votre propos sur la complexité du dispositif. Mais la complexité existant aujourd’hui crée, vous l’avez vous-même souligné, des possibilités d’évasion qui sont d’autant plus importantes que nous avons affaire à des experts en la matière.
L’argument que vous avancez pour refuser le principe du bonus-malus, qui a été proposé au niveau européen et présenté dans un certain nombre de pays, c’est que cela ne concernerait que très peu d’entreprises. Cela rapporterait très peu, parce que nous avons visé effectivement le bénéfice imposable et non le bénéfice net.
S’il suffisait que j’inverse ma proposition pour que vous l’acceptiez, je le ferais, mais je sais très bien que, pour autant, vous ne vous y déclareriez pas favorable.
Néanmoins, a contrario, vous devriez la soutenir : de nombreuses entreprises bénéficieraient ainsi d’un bonus, c’est-à-dire qu’elles paieraient moins d’impôts sur les sociétés parce qu’elles investiraient plus.
Il y a donc là certaines contradictions.
De plus, l’un de vos arguments n’est pas recevable, car il est en contradiction avec les propos du Président de la République. Alors que celui-ci prône une plus juste répartition des bénéfices, vous ne pouvez pas affirmer dans cet hémicycle que l’investissement et la répartition des profits de chaque entreprise ne relèvent que des entreprises elles-mêmes.
Nous pensons, pour notre part, qu’il faut une plus juste répartition des bénéfices. Je vous rappelle quand même – peut-être est-ce là une différence entre nous – que les bénéfices des entreprises sont le produit du travail de leurs salariés. Or les seuls qui, aujourd’hui, ne bénéficient pas des plus-values réalisées par les entreprises, ce sont justement ceux qui les créent !
C’est bien beau de redistribuer par des « retraites chapeaux », par des parachutes dorés les bénéfices. Mais le Président de la République a lui-même dit à la télévision – à moins que ce ne soit que des mots, qu’en pensez-vous, mes chers collègues ? – qu’un tiers des bénéfices devait aller aux actionnaires, un tiers aux salariés et un tiers aux investissements. Or, quand nous proposons une plus juste répartition, on nous reproche d’interférer dans la répartition des bénéfices, qui ne relèverait pas de nous. Comment, d’un côté, peut-on soutenir le discours du Président de la République et, de l’autre, nous opposer cet argument ?
Je voulais réaffirmer, au nom de mon groupe, et probablement de l’ensemble des collègues de gauche ici présents, qu’il est profondément injuste que les salariés, les ouvriers, les travailleurs, ceux qui produisent la plus-value des entreprises n’aient jamais, dans les cas que l’on vient de citer, un minimum de retour sur investissement.
Il faut au moins que ces propositions de loi nous donnent l’occasion d’échanger des arguments, de tenter de nous convaincre mutuellement, et que nous ne soyons pas suspects de propos et – oserais-je le dire ? – de gesticulations politiques.
Reconnaissez donc, monsieur Rebsamen, que votre texte tel qu’il est construit pourrait être inopérant.
Je salue cette humilité parlementaire !
Vous évoquez la répartition en trois tiers, mais elle n’a rien à voir avec votre texte, sauf à en rendre la présentation très sympathique.
La répartition des trois tiers est une idée formidable. Mais il vaut mieux être salarié dans une entreprise qui est donneuse d’ordre que chez les sous-traitants, où la règle des trois tiers ne donne pas grand-chose. Bien souvent, le donneur d’ordre, surtout s’il est puissant, incite fortement ses sous-traitants à consacrer une part significative de leur activité à des opérations hors du territoire national. À force d’imagination, nous avons fini par ruiner la compétitivité du travail en France.
Nos considérations politiques sont belles à entendre, elles peuvent entretenir le rêve et susciter un bonheur momentané, mais elles peuvent aussi conduire à des désastres économiques. C’est pourquoi je vous mets en garde contre de telles opérations.
Vous qui avez dénoncé l’optimisation fiscale, vous donnez, à travers cet article 2, un formidable instrument d’optimisation.
C’est très simple : si, en tant qu’entreprise, vous distribuez moins de 40 % des bénéfices, vous aurez droit à un bonus. Et vos actionnaires ne seront pas lésés puisqu’ils savent que, si vous mettez en réserve la part non distribuée des bénéfices, la valeur de l’action s’apprécie. Donc, plutôt que de distribuer un dividende, vous donnez la possibilité à l’actionnaire de vendre de temps en temps quelques actions à un niveau de prix plus élevé.
À tous égards, si nos échanges ont pour finalité de faire valoir nos arguments, je crois que vous pourriez renoncer à cet article 2. En tout cas, je suis obligé de demander au Sénat de le rejeter.
L'article 2 n’est pas adopté.
Après l'article 235 ter ZA du même code, il est inséré un article 235 ter ZB bis ainsi rédigé :
« Art. 235 ter ZB bis – À compter du 1er janvier 2009, les sociétés dont l'objet principal est d'effectuer la première transformation du pétrole brut ou de distribuer les carburants issus de cette transformation sont assujetties à une contribution supplémentaire égale à 40 % de l'impôt sur les sociétés calculée sur leurs résultats imposables aux taux mentionnés aux I et IV de l'article 219. »
Alors que nous nous acheminons vers la fin de ce texte, voilà une nouvelle occasion de faire valoir quelques arguments.
Nos collègues du groupe CRC-SPG ont tout à l'heure évoqué les contributions exceptionnelles qui ont été adoptées dans l’histoire récente, notamment la contribution dite Juppé, qu’à l’époque nos collègues de l’actuelle majorité avaient d'ailleurs votée au regard de l’état des finances.
Madame la secrétaire d’État, vous avez tout à l’heure rappelé les contributions temporaires adoptées par le gouvernement de Lionel Jospin, en disant qu’elles avaient été supprimées parce qu’elles n’étaient pas efficaces. Non, elles ont été supprimées parce que le dispositif était arrivé à son terme, et Mme Parly, en 2001, avait parlé de « succès relatif ». Je préfère que l’on soit précis, car cela permet d’avoir un débat plus approfondi. Ces contributions avaient en tout cas permis d’accompagner les finances.
La contribution que nous proposons, pour être exceptionnelle, ne fait pas de Total un bouc émissaire. Total n’a nul besoin de tels défenseurs dans notre assemblée. C’est un groupe qui se défend très bien lui-même par les investissements qu’il réalise un peu partout dans le monde. Le jour où il quittera notre pays n’est pas arrivé.
Les contributions qui sont aujourd’hui demandées permettent de participer à l’effort de solidarité et en même temps au redressement des finances publiques.
L'article 3 n’est pas adopté.
Les pertes de recettes résultant pour l'État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par :
1° La suppression du dernier alinéa de l'article 885 U du code général des impôts ;
2° L'abrogation de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat ;
3° Les recettes dégagées par les articles 1 et 3 de la présente loi ;
4° La création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
L'amendement n° 2, présenté par MM. Foucaud et Vera, Mme Beaufils et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
Les articles 1er, 8, 9, 10, 11, 14 et 16 de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat sont abrogés.
La parole est à M. Thierry Foucaud.
Même si cet amendement est en retrait par rapport à l’article 4, il est contraire aux positions de la commission. Par conséquent, j’en demande le rejet au Sénat.
Cet amendement, qui tend à proposer une nouvelle rédaction de l’article 4, est devenu inopérant du fait du rejet des trois articles précédents. Le Gouvernement y est donc défavorable.
La parole est à M. Jean-Pierre Plancade, pour explication de vote sur l'amendement n° 2.
Cette explication de vote va me permettre de préciser la position du RDSE sur l’ensemble du texte.
Nous avons examiné ce texte avec beaucoup d’attention. Il a suscité un vaste débat, ce qui n’a rien d’étonnant au regard des origines très diverses des membres de notre groupe.
Je n’entrerai pas dans le détail de la proposition de loi, M. le rapporteur ayant largement développé toutes les conséquences économiques que son adoption pouvait entraîner.
J’ai lu ce matin les débats qui se sont tenus en commission. Ils n’ont fait que confirmer ce que nous pensions : dans un monde en crise, il est nécessaire d’envoyer certains signaux. Soumettre une entreprise qui gagne de l’argent grâce à un marché extérieur à une taxe si ses bénéfices sont supérieurs de 10 % à ceux de l’an passé n’a pas de sens !
La proposition de loi aurait pu prévoir une répartition différente des bénéfices et affecter une partie de ceux-ci aux salariés, à ceux qui produisent la richesse : mais rien de tel ne figure dans le texte.
En ce qui nous concerne, je tiens à rappeler que nous soutenons la progressivité générale de l’impôt. Nous sommes favorables à ce que les entreprises qui travaillent à l’étranger puissent participer davantage à la solidarité nationale, mais sous une autre forme que celle qui nous est proposée.
C’est pourquoi le groupe RDSE s’abstiendra sur cette proposition de loi.
L'amendement n'est pas adopté.
La parole est à M. François Rebsamen, pour explication de vote sur l'article 4.
… sur la demande d’abrogation de la loi TEPA, qui – nous le voyons bien ! – commence à agacer sérieusement nos collègues de la majorité. Rien de plus normal, d’ailleurs, puisqu’ils mesurent tous les jours la profonde injustice du bouclier fiscal dans notre pays. Au moment où les agents des services fiscaux signent des chèques pour rembourser le trop-perçu à près d’un millier de personnes les plus fortunées, le RSA est créé pour aider les travailleurs pauvres qui ont beaucoup de mal à s’en sortir.
La loi TEPA, cet article est l’occasion de le rappeler, est le pêché originel de cette législature. Nous reviendrons inéluctablement un jour sur cette profonde injustice qui nous a privés, l’année dernière, de plus de 3, 5 milliards d’euros de recettes fiscales. Vous le savez bien, monsieur le rapporteur, puisque vous militez, avec d’autres, pour la suppression du bouclier fiscal.
L'article 4 n’est pas adopté.
L'amendement n° 3, présenté par MM. Foucaud et Vera, Mme Beaufils et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 4, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 885 U du code général des impôts est ainsi rédigé :
« Art. 885 U. - Le tarif de l'impôt est fixé à :
FRACTION DE LA VALEUR
nette taxable du patrimoine
TARIF
applicable (%)
N'excédant pas 790 000 €
Supérieure à 790 000 € et inférieure ou égale à 1 280 000 €
Supérieure à 1 280 000 € et inférieure ou égale à 2 520 000 €
Supérieure à 2 520 000 € et inférieure ou égale à 3 960 000 €
Supérieure à 3 960 000 € et inférieure ou égale à 7 570 000 €
Supérieure à 7 570 000 € et inférieure ou égale à 16 480 000 €
Supérieure à 16 480 000€ ou égale à 30 000 000€
Supérieure à 30 000 000€
« Les limites des tranches du tarif prévu au tableau ci-dessus sont actualisées chaque année dans la même proportion que la limite supérieure de la première tranche du barème de l'impôt sur le revenu et arrondies à la dizaine de milliers d'euros la plus proche. »
La parole est à M. Thierry Foucaud.
Nous préconisons, avec cet amendement, de procéder à l’augmentation du produit de l’impôt de solidarité sur la fortune.
Ainsi, nous proposons de majorer d’un dixième – ou peu s’en faut – le taux d’imposition de chacune des tranches actuelles du barème de l’impôt sur le revenu et nous créons une nouvelle tranche, plus fortement taxée, pour les patrimoines supérieurs à 30 millions d’euros.
D’aucuns ne manqueront pas de nous demander pourquoi nous faisons une telle proposition dans un texte qui vise expressément les entreprises, et non les particuliers. Mais c’est oublier un peu vite que l’ISF, particulièrement depuis la loi TEPA, a partie liée avec le monde de l’entreprise, puisqu’un versement effectué au capital d’une PME ou la souscription d’un pacte d’actionnaires permettent de le réduire.
Notre proposition favorise indirectement le financement des PME et la stabilité du capital des entreprises, pour peu que les détenteurs de ce capital soient redevables de l’ISF. Chers collègues de la majorité sénatoriale, si vous étiez véritablement attachés au devenir de nos PME et à la préservation de nos entreprises contre les raids boursiers et les OPA hostiles, vous la voteriez sans hésiter.
Cela dit, l’objet principal de notre amendement est bel et bien d’accroître le rendement d’un impôt particulièrement mis à mal par la loi TEPA et pourtant indispensable à tout système fiscal qui se respecte.
Monsieur Foucaud, je salue votre constance, mais nous n’allons pas reprendre ce matin un débat que nous avons déjà eu à maintes reprises. En tout cas, vous ne devez pas beaucoup croire à l’adoption de votre amendement puisque vous n’avez pas proposé de modifier l’intitulé de la proposition de loi.
La commission demande le rejet de cet amendement.
La position du Gouvernement est identique.
Je voudrais, pour répondre notamment aux interrogations de M. Massion, apporter quelques informations complémentaires. Sur un total de 1, 1 milliard d’euros levé en faveur des PME grâce à la réduction d’ISF, 800 millions d’euros ont déjà été distribués. Il reste effectivement la question du solde, à savoir 300 millions d’euros. Le médiateur du crédit, M. René Ricol, a signé une convention avec les gestionnaires de fonds et les établissements financiers pour réduire, avant la fin de l’année 2009, les délais entre la collecte et la distribution, qui sont effectivement choquants.
Monsieur le rapporteur, vous avez vous-même pris l’initiative de déposer une proposition de loi à ce sujet. Le Gouvernement, qui est favorable à un raccourcissement du délai d’investissement des fonds, lui réservera un accueil positif.
Pour autant, le problème ne se pose ni pour l’ISF investi en quelque sorte directement par les contribuables dans les PME, ni pour l’ISF affecté aux holdings, dans lequel la mise à disposition des fonds est traitée autrement.
La parole est à M. François Rebsamen, pour explication de vote sur l’amendement n° 3.
Nous comprenons l’esprit qui a présidé au dépôt de cet amendement, mais nous pensons que celui-ci relève du projet de loi de finances. Néanmoins, la présentation de cet amendement a permis à nos collègues du groupe CRC-SPG de rappeler leur position.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 4, présenté par MM. Foucaud et Vera, Mme Beaufils et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 4, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Dans le 2 de l'article 200 A du code général des impôts, le taux : « 18 % » est remplacé par le taux : « 22 % ».
La parole est à M. Thierry Foucaud.
La commission est défavorable à cet amendement, qui aurait plus certainement sa place dans la discussion du projet de loi de finances pour 2010.
L'amendement n'est pas adopté.
Chacun des articles de la proposition de loi ayant été rejeté, il n’y a pas lieu de procéder à un vote sur l’ensemble.
La proposition de loi est rejetée.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à onze heures quarante, est reprise à onze heures quarante-cinq.
L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale européenne avec débat n° 4 de M. Richard Yung à M. le Premier ministre sur l’avenir de la politique sociale européenne.
Cette question est ainsi libellée :
« M. Richard Yung interroge M. le Premier ministre sur l’avenir de la politique sociale européenne. Il lui rappelle que depuis quelques années l’intégration européenne en matière sociale est en panne et que la méthode ouverte de coordination n’a pas permis de la relancer. Le manque de volonté de la Commission européenne, soutenue par les États membres, de légiférer a laissé dans de nombreux domaines le champ libre à la Cour de justice des communautés européennes. Dans trois arrêts consécutifs en 2007 et 2008, celle-ci a ainsi donné une interprétation très étroite des possibilités de déroger à la libre prestation de services remettant en cause le droit fondamental à l’action collective, dont le droit de grève.
« Il déplore le fait que la France, lors de sa présidence du Conseil de l’Union européenne, n’ait pas fait de la relance de l’Europe sociale l’une de ses priorités. Le Gouvernement n’a pas su saisir cette formidable occasion pour prendre des initiatives ambitieuses dans les domaines des services publics, des salaires, du droit de grève, de la négociation collective, etc. La France s’est au contraire alignée sur la position des États les plus libéraux en rendant caduque la limite du temps de travail. Il regrette aussi le fait que le programme de la présidence tchèque en matière sociale se réduise à la libre circulation des travailleurs et à la flexibilité du marché de l’emploi.
« Ce désintérêt est d’autant plus critiquable et dommageable que la crise économique et sociale qui sévit actuellement en Europe plonge les citoyens dans un sentiment d’insécurité sociale. Les Européens, en particulier ceux qui subissent de plein fouet la montée du chômage (4, 5 millions d’Européens devraient perdre leur emploi en 2009) et qui basculent dans la précarité, sont demandeurs d’une Europe sociale.
« La gravité de la crise économique et sociale prouve l’impérieuse nécessité d’investir dans l’Europe sociale afin de protéger les citoyens. Comme l’a rappelé le Conseil européen des 19 et 20 mars derniers auquel participait le chef de l’État, pour rétablir et renforcer la confiance et contribuer à préparer la relance, il est essentiel de s’appuyer sur la solidarité et de permettre aux systèmes de protection sociale de jouer pleinement leur rôle de stabilisateurs automatiques.
« Alors qu’une nouvelle ère politique et institutionnelle est sur le point de s’ouvrir (élection du Parlement européen, renouvellement de la Commission européenne, fin du processus de ratification du traité de Lisbonne et, dans le domaine social, nouvelle stratégie de Lisbonne post-2010), il lui demande quelles sont les propositions du Gouvernement pour donner un nouvel élan à la construction d’une Europe sociale. »
La parole est à M. Richard Yung, auteur de la question.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission des affaires européennes s’est réunie le 14 mai dernier afin d’examiner le rapport d’information, dont je suis l’auteur, intitulé L'Europe sociale, état des lieux et perspectives, et de débattre sur la question. Le moment me paraît donc opportun, à trois jours du scrutin européen, pour préciser les positions en présence.
Je rappellerai, au préalable, tout ce que l’Europe sociale doit à Jacques Delors, lequel, en 1985, a réussi à transformer ce qui n’était qu’un ensemble de vœux pieux en réalité, en instaurant un dialogue social à l’échelle européenne entre les partenaires sociaux, transposé ensuite dans la législation communautaire.
Les textes qui ont suivi, l’Acte unique européen, la Charte des droits sociaux fondamentaux des travailleurs et le traité de Maastricht, ont permis des avancées importantes dans les domaines, notamment, de la santé et de la sécurité sur le lieu de travail, du travail à temps partiel et temporaire, des CDD et des comités d’entreprise européens.
Malheureusement, force est de constater que, depuis un certain temps, l’intégration européenne en matière sociale est en panne. Plusieurs raisons peuvent être avancées.
Tout d’abord, dans tous les États membres, le débat social est, par essence, au cœur de la vie politique nationale. Comme l’enseignement, il façonne nos sociétés. La question est éminemment sensible, car elle touche à des valeurs profondes. C’est dire si la subsidiarité joue à plein en la matière.
Ensuite, les mécanismes institutionnels mis en place ne favorisent pas le développement de l’Europe sociale.
Il est ainsi absolument impossible de s’y retrouver dans les règles de vote, entre ce qui relève de l’unanimité, de la majorité qualifiée, de la codécision ou du seul conseil des ministres. Rien d’étonnant, alors, que nos concitoyens se détournent d’une question aussi hermétique. Au demeurant, dans le domaine social, peut-être encore plus que dans d’autres, la prise de décision à l’unanimité des Vingt-Sept est impossible.
En fait, le tour de table en matière sociale est complexe ; les divisions sur cette question ne sont pas celles auxquelles nous sommes habituellement confrontés.
Certains pays, à l’image de la Grande-Bretagne, sont par idéologie réticents, voire hostiles, à toute intervention.
D’autres, à savoir les pays nordiques, notamment la Suède, plus avancés en matière sociale, craignent de se voir imposer une législation européenne finalement en retrait et même en régression par rapport à leurs normes nationales. Ils sont donc extrêmement prudents.
Inversement, les PECO, les pays d’Europe centrale et orientale, redoutent que la fixation de minima sociaux trop élevés ne vienne contrecarrer leurs efforts d’intégration à l’économie européenne et au marché unique.
Par ailleurs, le domaine social est l’un des domaines où le couple franco-allemand, qui est le moteur de l’Europe, fonctionne mal et n’est pas suffisamment énergique. Les Français manquent d’allant. Quant aux Allemands, leur prudence s’explique par le fait que la quasi-totalité de leur législation nationale relève des Länder. Nous connaissons tous les relations entre ces derniers et le Bund, lequel est donc contraint d’agir avec beaucoup de réserve. En outre, tant Mme Merkel, influencée sans doute par le souvenir de sa formation dans l’ex-RDA, que son gouvernement sont assez réticents à toute intervention par trop étatiste.
Ce tour d’horizon le montre : les positions des uns et des autres ne favorisent pas le dynamisme en matière sociale.
En outre, après avoir utilisé les différents outils législatifs européens et, d’une certaine façon, après les avoir épuisés, au moins aux yeux de certains, l’Europe s’est dotée d’un nouveau système, la méthode ouverte de coordination : de prime abord plutôt sympathique, elle fixe des objectifs généraux communs à moyen terme, en laissant aux États membres le soin de choisir, sur le plan national, les voies qu’ils estiment les mieux appropriées pour les atteindre. Voilà, en théorie, une bonne façon de se coordonner !
Cela étant, la méthode a assurément ses limites, car, faute d’avoir un caractère contraignant, elle ne produit pas les résultats escomptés.
L’entrée en vigueur, que nous espérons prochaine, du traité de Lisbonne devrait permettre de surmonter une petite partie de ces obstacles, en particulier grâce à la clause passerelle. Cependant, si avancées il y a, elles resteront à l’évidence bien modestes.
En définitive, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, toutes les difficultés que nous rencontrons dans le domaine de la politique sociale européenne résident moins dans les carences des mécanismes institutionnels que dans l’insuffisance de la volonté politique.
Depuis cinq ans, la Commission européenne a ainsi été singulièrement absente dans ce domaine. M. Barroso a relégué le social au second plan – il a même proposé l’instauration d’un « moratoire social » –, préférant concentrer son action sur l’économie, en suivant ce raisonnement que vous connaissez tous : l’essentiel est que l’économie se porte bien, le social suivra. On sait ce que cela donne !
En dépit des demandes formulées par le groupe socialiste au Parlement européen, le PSE, la Commission européenne a refusé de légiférer sur toute une série de questions importantes qui sont pourtant sur la table des négociations : l’économie sociale, les services d’intérêt général, les services sociaux d’intérêt général. Elle a également écarté l’idée d’une nouvelle directive sur le problème ô combien délicat des travailleurs détachés.
Quant au Conseil européen, il est lui-même extraordinairement partagé et, de ce fait, bloquant, voire « autobloquant » !
La révision de la directive sur le temps de travail est, à ce titre, symptomatique. Le compromis qui avait été dégagé au Parlement européen a malheureusement été brisé, je dois le dire, par le revirement de la France, qui a rejoint les partisans du maintien de la clause permettant de déroger à la durée maximale du travail hebdomadaire. Fixée à 48 heures, cette dernière constituait pourtant selon nous un plafond déjà raisonnable. Or nous en sommes maintenant à 65 heures !
Il convient en outre de rappeler que le sommet européen en matière d’emploi, prévu le 7 mai dernier, a été purement et simplement annulé et remplacé par une réunion de la « troïka sociale européenne ».
Le manque de volonté de la Commission européenne et des États membres de légiférer a laissé le champ libre à la Cour de justice des communautés européennes. Dans une série d’arrêts, celle-ci, au lieu de pallier l’insécurité juridique découlant de cette absence de législation communautaire, l’a au contraire développée en autorisant une certaine forme de dumping social et de mise en concurrence des travailleurs. Une telle situation n’est pas acceptable et montre la nécessité de réviser la directive sur le détachement des travailleurs.
Au Parlement européen, le groupe du parti populaire européen, le PPE, bloque toute relance de l’Europe sociale. Au cours des cinq dernières années, aucun progrès d’envergure n’est ressorti des débats qui s’y sont tenus.
En 2007, les députés du PSE ont proposé de mettre en place un salaire minimum dans chaque État membre, au moins égal à 50 % du salaire moyen national.
Je sais bien qu’il s’agit d’une question difficile et sensible, mais on est en droit de penser que l’on pouvait tout de même la faire progresser.
Il faut prévoir, pour l’avenir, un certain nombre de points de relance. Nous allons avoir un nouveau Parlement européen, une nouvelle Commission. Nous devons nous préoccuper dès maintenant de ce que cette Commission mettra sur la table des discussions en matière sociale. Il nous faut également faire pression sur le patronat européen, qui est singulièrement timide en la matière. Les sujets ne manquent pas ! Ma collègue Bariza Khiari développera les thèmes sur lesquels nous souhaitons être allants.
J’aimerais connaître, madame la secrétaire d’État, le niveau d’ambition de votre gouvernement et les mesures que vous entendez promouvoir au sein du Conseil pour relancer la politique sociale européenne.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour remercier vivement notre collègue Richard Yung et le président Hubert Haenel de nous permettre d’engager au Sénat un débat sur la politique sociale européenne.
L’Europe sociale, voilà bien un thème qui devrait recueillir un large consensus. Nous sommes tous persuadés ici, quel que soit notre bord politique, que l’Europe ne peut pas être seulement un espace de libre concurrence économique, mais qu’elle doit prendre en compte et défendre des valeurs afin de favoriser le progrès social.
Le référendum de 2005 nous a pourtant montré que nombre de nos concitoyens sont déçus des réalisations européennes en matière sociale, qu’ils les jugent insuffisantes, voire négligeables. Ce désappointement provient sans doute, en partie, d’un manque d’information sur les réalisations européennes en matière sociale. Il résulte également d’une incompréhension de ce que peut être une politique sociale européenne, compte tenu de la répartition des compétences entre l’Union européenne et les États membres, et de la nécessité de persuader nos partenaires au sein de l’Union.
L’Europe sociale, c’est d’abord un projet politique. C’est la volonté de montrer concrètement que l’Union européenne repose sur des valeurs, au premier rang desquelles figurent la solidarité, la protection des plus faibles et la non-discrimination. Ce n’est pas un hasard si la politique sociale occupe, dans les États européens, une place plus importante que dans les autres pays développés. C’est le résultat d’une histoire qui repose sur des valeurs.
L’Europe sociale, c’est aussi la volonté de ne pas seulement prendre en compte les avantages économiques de l’ouverture des marchés vers l’extérieur, mais aussi ses conséquences sociales, et d’apporter des remèdes : en un mot, de protéger. Dans la période de crise que nous connaissons, cette volonté est plus nécessaire que jamais.
L’acquis communautaire en matière sociale est loin d’être négligeable. Comme notre collègue Richard Yung le rappelle dans son rapport d’information, ce corpus juridique est constitué de près de 200 textes normatifs, qui concernent aussi bien la libre circulation des travailleurs que le droit du travail, l’égalité entre les hommes et les femmes, ou la lutte contre les discriminations.
Alors, pourquoi cette déception des citoyens européens ?
Sans doute est-elle due au fait que le cœur de la politique sociale relève de la compétence des États membres : les avancées qui résultent des textes européens ne peuvent pas avoir la même portée que celles qui sont obtenues au niveau national, et il est rare qu’elles fassent la « une » des journaux.
Pourtant, la France fait partie des pays européens qui ont mis en place un appareil juridique particulièrement développé en matière sociale.
Certains de nos concitoyens, qui ne sont pas toujours de bonne foi, dénoncent les textes proposés en soutenant qu’ils provoquent une régression sociale. Il n’en est rien, car si ces textes visent à établir un seuil minimal obligatoire, ils laissent chaque État membre libre de mettre en place ou de conserver une législation plus favorable.
Les textes européens, bien qu’en retrait par rapport à notre propre système, ont l’avantage d’éviter le dumping social qui pourrait s’établir au sein de l’Union européenne. De ce fait, même s’ils ne font pas bénéficier directement les travailleurs français d’avancées sociales, ils les protègent indirectement. Si nous voulons éviter les délocalisations et le moins-disant social au sein de l’Union, il nous faut en effet favoriser le rattrapage des nouveaux États membres.
Enfin, on ne doit pas attendre de l’Union européenne qu’elle harmonise les systèmes. Nous n’aurions certainement rien à y gagner, car il serait naïf de croire que c’est le système français qui s’imposerait à tous. La diversité actuelle des systèmes sociaux en Europe correspond à des cultures et à des histoires sociales différentes, une diversité que la subsidiarité doit permettre de conserver.
Quel est l’avenir de la politique sociale européenne ? Que peut-on en attendre ? Faut-il craindre, selon les termes employés par Richard Yung dans son rapport, « une paralysie croissante » ?
Il est vrai que l’on a vu apparaître, au cours des derniers mois, des conflits entre certains États membres, ou entre le Conseil et le Parlement européen, conflits qui ont empêché l’adoption de plusieurs textes importants. Mais cela ne doit pas nous faire oublier les avancées récentes.
Je citerai, tout d’abord, la révision de la directive relative aux comités d’entreprise européens qui, dans l’actuel contexte de crise économique, apporte des garanties supplémentaires aux salariés. Cette directive touche tout de même quinze millions de salariés !
Je pense, ensuite, à l’adoption de la directive relative aux conditions de travail des travailleurs intérimaires : c’est un exemple de ces textes qui ne représentent peut-être pas un progrès direct pour les intérimaires français, mais qui permettent de lutter contre le dumping social. Cette directive constitue un progrès substantiel pour les salariés de dix-sept États membres qui, jusqu’à présent, ne bénéficiaient pas du principe d’égalité de traitement, dès le premier jour, entre les travailleurs intérimaires et les travailleurs permanents.
Par ailleurs, le fonctionnement du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation et celui du Fonds social européen ont été améliorés, ce qui permettra, pour chacun d’entre eux, une utilisation plus large et plus aisée des crédits qui y sont inscrits.
Or toutes ces avancées ont été obtenues récemment, très précisément pendant le deuxième semestre de l’année 2008, c’est-à-dire sous la présidence française de l’Union.
J’ai beaucoup apprécié votre rapport, monsieur Yung, et je souscris quasiment à toutes vos propositions, mais j’ai regretté que vous paraissiez ignorer ou négliger ce qui a été fait durant ces six mois.
Quelles sont, en conclusion, les perspectives de la politique sociale européenne ?
Bien sûr, il y a le traité de Lisbonne, dont nous attendons tous ici, ou presque tous, l’entrée en vigueur.
Le traité de Lisbonne donne une valeur contraignante à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui reconnaît de nombreux droits sociaux. Dans cette perspective, les droits sociaux seront désormais garantis par les juges nationaux et européens, et constitueront un socle social commun. Il prévoit également une clause sociale « horizontale », qui s’applique à toutes les politiques de l’Union. Le traité de Lisbonne, c’est aussi la consécration des services d’intérêt général sous la forme d’un protocole spécifique.
L’avenir de la politique sociale européenne résultera de la révision de la stratégie de Lisbonne, à laquelle le Gouvernement a beaucoup œuvré. L’emploi et la cohésion sociale doivent reconnaître le rôle de filet de sécurité joué par la protection sociale, qui doit améliorer la capacité de l’Union à amortir les chocs résultant de la mondialisation et répondre au défi du vieillissement démographique.
L’avenir de l’Europe sociale reposera, enfin, sur les réflexions menées au sein de l’Union européenne pour moderniser les marchés du travail en Europe.
Je veux évoquer, à ce sujet, la mission européenne sur la flexisécurité, coprésidée par le président Gérard Larcher et par le commissaire européen Vladimir Spidla. En effet, l’Europe sociale s’illustre aussi par l’établissement d’un équilibre entre la flexibilité dont ont besoin les entreprises et les sécurités que souhaitent les salariés. Le rapport remis en décembre dernier au Conseil de l’Union souligne le rôle primordial de la formation professionnelle pour anticiper et accompagner les mutations du marché du travail. Il y a là un champ d’action important pour l’Union.
Oui, il existe bien une approche intégrée de la flexisécurité, rassemblant le contrat de travail, la formation, l’accompagnement pendant les phases de transition, l’indemnisation et la protection sociale.
On le voit, mes chers collègues, il y a encore beaucoup à faire. C’est pourquoi je serai plus optimiste que Richard Yung. Certes, on pourrait attendre plus et mieux, mais ce qui a été réalisé et ce qui peut être accompli dans les années à venir est plus important qu’on ne le croit. La politique sociale européenne, j’en suis persuadée, a encore un bel avenir devant elle.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et sur certaines travées du RDSE.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, quelques jours nous séparent du scrutin européen et dans cette perspective, quelles que soient nos attaches politiques, nous avons un adversaire commun : l’abstention.
Depuis 1979, la participation électorale pour cette échéance n’a cessé de diminuer et les prévisions de participation sont moroses.
On nous reproche d’être en partie responsables de la désaffection de l’opinion publique en menant une campagne nationale, alors que l’enjeu est européen : il est vrai que les discours répétés du chef de l’État sur l’insécurité, les bandes, les cités, s’ils ont pour mérite de sonner doux aux oreilles de certains, sont loin de faire vibrer l’idéal européen. C’est pourquoi je vous propose, mes chers collègues, pour faire mentir ceux qui nous reprochent de ne pas parler d’Europe, de débattre et de confronter nos conceptions de l’Europe, et en premier lieu notre conception de son avenir social.
L’Europe des « pères fondateurs » a apporté la paix et, avec elle, l’espérance d’une vie meilleure. Cette promesse d’une vie meilleure pour la génération d’après-guerre, la nôtre, a été honorée : développement de l’État-providence, croissance économique, démocratisation de nos sociétés et, surtout, paix européenne durable.
Soixante ans après sa fondation, l’Union européenne, parce qu’elle s’est détournée de sa vocation sociale, est méconnue de nos concitoyens. L’Europe, dominée par la droite libérale et conservatrice, parce qu’elle ne parvient pas à proposer une protection et un futur meilleurs, est perçue comme un projet politique désenchanté. L’Europe ne fait plus rêver…
L’Europe de la décennie précédente était à majorité sociale-démocrate. Le gouvernement de Lionel Jospin avait alors encouragé l’adoption de la stratégie de Lisbonne reposant sur les trois piliers : économique, écologique et social. Dans cette feuille de route, le social et l’écologie étaient conçus comme des facteurs de la compétitivité économique.
La Commission Barroso et l’Europe libérale ont tourné le dos à cette stratégie. Pire, elles ont dénaturé le projet politique des pères fondateurs en se limitant au seul marché intérieur. Le social est considéré comme un fardeau, relevant de la seule responsabilité des États membres.
La crise des subprimes, de crise financière, est devenue crise économique et sociale. Elle a remis la question sociale et les vertus de la réglementation sur le devant de la scène.
Certes, l’Europe résiste mieux que le reste du monde. Au sein de l’Europe, la France souffre, mais moins durement que d’autres pays, grâce à un modèle social que le Gouvernement s’acharne pourtant à remettre en cause bout par bout. Alors même que l’OCDE se tourne vers notre modèle et vante ses mérites protecteurs, le Gouvernement, par idéologie et manque de pragmatisme politique, persiste à vouloir tout mettre à bas au nom de l’adaptation à un monde qui vient de s’effondrer.
Cette crise a accentué le très fort sentiment d’insécurité économique et sociale : peur de perdre son emploi et de ne pas en retrouver ; peur des parents pour l’avenir professionnel de leurs enfants, qui sont les premiers touchés.
Le gouvernement français, et il n’est pas le seul, a tardé à prendre conscience de l’ampleur du marasme. En août dernier, François Fillon affirmait qu’il était ridicule de craindre la récession. Nous savons à présent que vont arriver sur le marché du travail, en l’absence de mesures adéquates, plus de 1 million de chômeurs supplémentaires en France, et plus de 9 millions en Europe.
En décembre, le Conseil européen, dominé par la droite, a adopté un plan de relance économique à hauteur de 1, 5 % du PIB, dont 1, 2 % à la charge des États. Ce plan est cruellement insuffisant : alors que l’Europe est la première puissance économique au monde, le Conseil européen s’est contenté d’un « mini plan » indigent, qu’il refuse de reconsidérer à la hausse et dont la seule ambition est d’avaliser les plans nationaux.
Or l’interdépendance des économies européennes implique la coordination des actions nationales et des plans de relance nationaux. Pour l’heure, ils jouent plutôt les uns contre les autres.
Un dessin de Plantu illustrait parfaitement l’état d’esprit qui prévaut dans les gouvernements nationaux : il montrait un ouvrier de chez Renault se réjouissant de la faillite possible d’Opel et un ouvrier de chez Opel se félicitant des difficultés de Renault. Or, il convient non de jouer une entreprise contre l’autre, mais de consolider les deux. Les dogmes de la toute- puissance du marché ont la peau dure et, en dépit des déclarations de principe, ni la droite européenne, ni le gouvernement français n’ont la volonté de mener une véritable politique de relance.
Dans ce contexte, les discours électoraux d’une droite convertie aux vertus de la réglementation ne sont qu’un hommage de circonstance. Hier, le modèle que les pays européens avaient patiemment élaboré depuis un demi-siècle était dénoncé par les esprits chagrins comme un frein à la compétitivité mondiale qu’il fallait démembrer.
Aux yeux de la droite, qu’elle soit française ou européenne, l’Europe sociale est au mieux une chimère, au pire un handicap dans la compétition mondiale. J’en veux pour preuve la décision de juin 2008 du gouvernement français d’accepter que l’on puisse étendre la durée hebdomadaire du travail à 65 heures par semaine, en dérogation à la règle des 48 heures.
Heureusement, cette disposition a été rejetée, mais la tentation demeure. Comment peut-on, d’un côté, prétendre lutter contre les délocalisations et, de l’autre, autoriser un mécanisme de dumping social aussi incitatif ? La tentation de régression sociale est grande dans notre pays quand certains ont l’impudence de proposer de travailler pendant un congé de maladie ou de maternité au motif de l’acquisition de nouveaux droits !
Face à cette droite européenne incohérente et inconséquente, tous les leaders socialistes et sociaux démocrates des vingt-sept pays membres de l’Union ont adopté un véritable programme commun, le Manifesto.
Nous avons fait l’Europe économique en créant des critères contraignants : c’était l’Europe de Maastricht. Aujourd’hui, nous devons nous engager dans un Maastricht social. Il ne s’agit pas de contraindre les États nationaux à modifier leur système de protection sociale. Mais nous pouvons, dans l’Europe des Vingt-Sept, trouver des points d’accord et construire un socle commun de droits sociaux qui prendra appui sur la Charte des droits fondamentaux.
Dans cet esprit, les socialistes et sociaux-démocrates européens se sont engagés sur un Pacte européen de progrès social. Ce pacte prévoit la fixation, dans chaque pays européen, d’un salaire minimum permettant de vivre décemment, un salaire adapté au niveau de vie du pays concerné. Il prévoit aussi la fixation d’un niveau de dépenses sociales et d’un niveau de dépenses d’éducation et de recherche.
Le Manifesto prévoit, en outre, l’insertion d’une clause de non-régression sociale dans chaque directive : cela signifie qu’aucun texte ne pourra s’appliquer au niveau national s’il comporte une menace de diminution des droits sociaux nationaux.
Alors que la droite fait du moins-disant social un élément de compétitivité économique, socialistes et sociaux-démocrates veulent que l’Europe soit le moteur du mieux-disant social. L’idéal européen, c’est non de mettre les travailleurs et les territoires en concurrence, mais de garantir leur protection et d’aligner leurs conditions de vie.
L’Union à Vingt-Sept représente un vrai défi. Le niveau de salaire d’un pays à l’autre varie de un à dix, le seuil de pauvreté de un à cinq. À l’occasion du dernier élargissement, l’Union européenne n’a pas mis assez de moyens pour permettre aux nouveaux entrants de s’engager dans une stratégie de rattrapage social. Elle n’a pas réuni les conditions pour éviter le dumping fiscal et social.
Et les récents arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes – Laval, Viking, Rüffert – sont à cet égard édifiants : la libre prestation de services serait supérieure au droit de grève puisque, dans ces arrêts, la Cour juge toutes les actions collectives illégales et donne une interprétation très étroite des possibilités de déroger à la liberté de circulation des services à des fins de protection des travailleurs.
Y aurait-il donc une hiérarchie des normes à peine voilée, les droits économiques primant sur les objectifs sociaux et les droits fondamentaux de l’Union européenne ? Dans cette jurisprudence, le droit syndical devient un élément de concurrence, alors qu’il devrait être un facteur de protection ! Nous demandons donc la révision de la directive sur le détachement des travailleurs, demande jusqu’ici restée lettre morte, à la Commission comme au Conseil.
Dans ce contexte de crise, nous devons également réaffirmer le principe de solidarité économique en renforçant l’appui financier aux États membres qui souffrent le plus de cette crise. Je pense, notamment, aux pays d’Europe centrale et orientale, non protégés par l’euro. Leur intégration européenne est aujourd’hui en péril. Si nous ne faisons rien, ils risquent de s’enfoncer un peu plus dans la crise et de ne jamais rattraper notre niveau de développement.
Il faut donc renforcer la capacité de la Banque européenne d’investissement, de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, du Fonds social européen et de tous les mécanismes existants pour les aider à stabiliser leur système financier, à investir dans la relance, enfin et surtout à protéger leurs salariés.
En outre, le Manifesto s’engage pour l’élaboration d’une directive-cadre sur les services publics en Europe. Le groupe socialiste du Sénat a présenté le 30 avril dernier une proposition de résolution demandant l’adoption d’une telle mesure. La majorité sénatoriale a profondément dénaturé le texte présenté par Catherine Tasca. Or les services publics, c’est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas !
En l’absence d’une véritable réglementation européenne, c’est le droit de la concurrence qui s’applique à nos services publics nationaux et locaux ; autrement dit, sans cette directive, nous nous privons des moyens de préserver nos services publics et nous assisterons, impuissants, à leur démantèlement progressif, au nom de la concurrence libre et non faussée !
Il est donc urgent de donner une nouvelle perspective à l’Europe après ces cinq années de Commission Barroso et d’institutions européennes dominées par une droite libérale. L’agenda social dit « renouvelé » de la Commission Barroso n’est pas à la hauteur du drame qui se joue.
De même, la présidence française du Conseil de l’Union européenne est loin d’avoir été un succès sur le plan économique et social. La fonction a été occupée par le chef de l’État français avec une satisfaction évidente. Or rien de ce qui est issu de cette présidence ne permet de pavoiser : pour la première fois, et dans un contexte de crise mondiale sans précédent depuis les années trente, le thème de l’Europe sociale ne figurait pas au rang des priorités françaises.
La majorité aurait donc bien tort d’instrumentaliser cette présidence à des fins électorales, d’abord parce que nous n’aurons pas la présidence du Conseil européen avant un certain temps, ensuite parce qu’il s’agit ici non de reconduire Nicolas Sarkozy au poste de président du Conseil, mais d’élire des députés européens.
La majorité entretient volontairement la confusion dans l’esprit de nos concitoyens sur les fonctions des institutions. Comment peut-on dès lors être surpris que l’Europe apparaisse illisible auprès des Français ?
Nos concitoyens attendent de l’Europe qu’elle les protège, non qu’elle les rende plus vulnérables. Ils attendent un bouclier social et n’ont que faire d’un bouclier fiscal qui ne profite qu’aux plus riches. Ils attendent un débat « propositions contre propositions », et non un énième discours réchauffé sur la sécurité ou des moulinets sur la prétendue ultragauche terroriste corrézienne.
J’ai ainsi développé certains points du programme socialiste pour les élections européennes. Je regrette qu’au mépris du projet européen et du débat démocratique qui devrait le nourrir, la majorité élève la triangulation au rang de programme politique en utilisant dans cette campagne des mots qui ne sont pas les siens, comme « protection » et « solidarité », alors qu’au nom de la concurrence libre et non faussée, nous assistons, de mois en mois, à une véritable casse de toutes nos protections.
Nous, socialistes, voulons retrouver une Europe de la solidarité et de la coopération, si chère à Jacques Delors.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à quelques jours des élections européennes, l’ordre du jour du Sénat nous appelle à débattre, sur l’initiative de notre collègue Richard Yung, de l’avenir de la politique sociale de l’Union.
Effectivement, il n’aura échappé à personne qu’autour de la dimension sociale de la construction européenne s’ancrent les attentes des peuples, ce qui fait donc de cette question un enjeu électoral majeur en cette période.
À ce titre, l’annonce récente par le président de la Commission d’un plan de relance sociale de 19 milliards d’euros confirme l’importance du sujet. Il est juste regrettable que cet acte, qui se voudrait emblématique, se résume au déblocage de crédits déjà programmés. Il s’agit donc là d’un geste purement médiatique.
De même, l’ensemble des candidats au Parlement européen revendique aujourd’hui avec force l’approfondissement de l’Europe sociale, fustige les dérives de la Commission et appelle à moraliser le capitalisme financier. On en oublierait parfois que beaucoup d’entre eux sont responsables de la construction de ce modèle européen ultralibéral.
En effet, cet apparent consensus cache bien évidemment des desseins très différents. Le leitmotiv de l’Europe sociale ne cesse d’être repris et énoncé comme une formule magique. Avant la prise de fonction de la présidence française de l’Union, le Premier ministre affirmait déjà la volonté du Président Sarkozy de faire de l’Europe sociale sa priorité politique.
Or, évidemment, il n’en a rien été : bien au contraire, alors que cette présidence a été bouleversée par la crise, aveu même de l’échec des politiques mises en œuvre par les institutions européennes, il n’a été à aucun moment question d’une quelconque remise en cause des dogmes libéraux.
Ainsi, les réponses à la crise se sont bornées au sauvetage du système bancaire et financier à grand renfort de dizaines de milliards d’euros, mais sans réelles contreparties, comme en témoigne la faiblesse du paquet de directives proposé pour une régulation des marchés financiers.
En revanche, pour ce qui concerne les garanties sociales, le Conseil européen n’a eu de cesse d’estimer qu’il s’agissait principalement d’une compétence des États membres.
Ainsi, alors qu’un Conseil européen extraordinaire sur les questions de l’emploi devait se tenir le 7 mai dernier, celui- ci s’est transformé en troïka pour la simple raison, affirmée et assumée par le Conseil européen, qu’il ne faudrait pas, à quelques semaines des élections européennes, laisser penser que l’Union serait compétente pour répondre à la crise sociale ! Cela illustre bien le manque d’ambition sociale de la Commission et du Conseil.
Si chacun appelle de ses vœux la mise en chantier de l’Europe sociale, celle-ci se réduit donc souvent à un simple mythe. En effet, après avoir pointé cette exigence comme une priorité politique, un autre consensus se dégage immédiatement. Il a trait, précisément, à l’impossibilité de mettre en œuvre une véritable Europe sociale.
Cette impossibilité est d’ailleurs relayée par le présent rapport qui en expose les deux raisons principales : d’abord, la difficulté d’obtenir un compromis satisfaisant des Vingt-Sept sur ces questions ; ensuite, le fameux principe de subsidiarité dans le domaine des compétences partagées.
En effet, le principe de subsidiarité a le plus souvent conduit l’Union soit à ne prendre les questions sociales que sous l’angle de la lutte contre les discriminations, soit à l’adoption de « soft law », c’est-à-dire de l’usage d’un droit non contraignant.
Pourtant, et contradictoirement, lorsque l’Union a souhaité imposer des mesures libérales et légiférer pour augmenter la durée légale du travail à 65 heures ou pour adopter le fameux principe du pays d’origine, elle s’est estimée compétente ! Il y a donc une ambiguïté coupable dans la faculté de l’Union à se décréter compétente ou non concernant ces domaines.
Au final, sur les questions sociales, les institutions européennes ont mis en place, au fil des années, tout un arsenal législatif visant à la mise en concurrence des travailleurs, des entreprises et des territoires. Ces pratiques ont conduit à la généralisation du dumping social, environnemental et fiscal puisque la compétitivité se fonde essentiellement sur la baisse des coûts salariaux.
Il est vrai, hélas, que l’Europe n’apparaît pas comme un outil de progrès social et que les citoyens en appellent à leur État afin de les protéger contre le dogme de la « concurrence libre et non faussée ».
À ce titre, si beaucoup d’entre vous, en cette période de campagne électorale, évoquent le refus par le peuple français du projet de Constitution européenne comme l’exigence d’une Europe sociale et le refus de l’ultralibéralisme, permettez-moi de vous rappeler que vous ne teniez pas le même discours quand il a fallu, le 4 février 2008, accepter en Congrès la ratification du traité de Lisbonne, simple avatar de feu la Constitution européenne ! Seuls les groupes communistes ont rejeté ce texte pour respecter le vote des Français.
Comment est-il possible de se targuer d’avoir compris les aspirations du peuple français, tout en continuant de penser que les Français se sont trompés en refusant l’application de ce traité, comme les Néerlandais et, plus récemment, d’une certaine façon, les Irlandais ? Il faut un minimum de sincérité dans nos débats !
Sur le fond, en effet, comment pouvez-vous juger que le traité de Lisbonne représente une avancée dans la construction de l’Europe sociale ? Au-delà des évolutions institutionnelles positives comme l’élargissement des domaines soumis au principe de codécision, le projet sous-tendu par ce traité reste manifestement antisocial !
La banque centrale reste indépendante, le pacte de stabilité demeure le socle de toute action publique, la libre circulation des capitaux est réaffirmée à l’article 26 du traité.
Comment envisager un quelconque développement des politiques sociales en dehors d’une réforme globale des politiques de l’Union qui ont conduit, sous prétexte de mise en œuvre de la fameuse notion de service d’intérêt général, à remettre en cause les services publics ?
Comment estimer possible, dans ce cadre, le développement des services publics puisque toute aide d’État reste proscrite par l’article 107 du traité ?
Au final, comme l’indique l’article 119, « l’action des États membres et de l’Union comporte l’instauration d’une politique économique conduite conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ».
La messe est dite, et ce traité ne permet donc aucun progrès vers l’Europe sociale.
Dès lors, nous ne pensons pas que l’« harmonisation sociale rime avec l’Europe libérale ».
Nous ne pensons pas davantage que, comme il est prétendu dans le rapport, « une politique sociale soit un facteur de progrès, favorisant à moyen terme des gains significatifs de productivité ». Cette conception de l’utilité sociale n’est pas la nôtre. La raison d’être de l’Union n’est pas simplement économique ; elle correspond avant tout à un modèle de développement solidaire des peuples européens.
La question fondamentale est en effet là : l’Europe doit être utile pour ses peuples. Or, aujourd’hui, non seulement elle n’offre pas la garantie d’accès aux droits fondamentaux, mais, pis, elle se juge profondément incompétente pour mettre en œuvre une politique industrielle, pour agir contre les délocalisations, pour définir une politique sociale en vue d’harmoniser les conditions de travail des Européens.
Le rapport de notre collègue évoque également un renforcement du dialogue social permis par les institutions européennes, mais le cadre même des discussions est entaché par les politiques économiques menées.
La Cour de justice des Communautés européennes, notamment, considère que l’exercice du droit de grève est contraire à la liberté économique des entreprises !
On voit donc, une nouvelle fois, que la primauté du marché prévaut sur toute autre considération.
Certains nous diront qu’Europe sociale et Europe libérale ne sont pas antinomiques, et que nous pourrions même poser les bases d’une Europe sociale libérale, promesse d’une Europe de progrès et de liberté...
Au contraire, nous estimons que le nouveau document définissant la politique économique de l’Union tourne le dos à l’idée même de l’Europe sociale en préconisant la modernisation du marché du travail par la « flexisécurité » ainsi que la soumission de l’éducation aux besoins du marché du travail.
En effet, dans ce nouveau modèle social européen, il ne peut être trouvé de réponse aux besoins collectifs en dehors de l’institution d’un grand marché commun, soumis aux règles de la concurrence. Dans ce modèle, les services publics ne sont plus des outils de progrès garantissant à tous l’accès à des droits dits fondamentaux, mais doivent être simplement réservés aux plus démunis. Les autres citoyens, devenus des clients, peuvent disposer d’un service fourni par des opérateurs privés.
C’est donc le glissement d’une conception assurantielle à une conception « assistantielle ». Or nous estimons que le développement des services publics ne sert pas à corriger les dysfonctionnements du système libéral, qui est une machine à exclure, mais constitue bien au contraire un modèle de société de progrès.
Pour toutes ces raisons, nous militons pour un changement radical d’orientation des politiques européennes et, dans cette perspective, préconisons la mise en chantier d’un nouveau traité européen fondateur, dont les maîtres mots ne seraient pas « concurrence libre et non faussée », mais coopération et harmonisation sociale et fiscale.
Ainsi, nous proposons de troquer cette Europe des marchés, qui a lourdement failli, contre une Europe des peuples, qui reste à construire.
Nous proposons également, au-delà de la nécessaire mobilité des travailleurs, que prône le rapport, d’aller encore plus loin pour permettre cette Europe sociale.
En effet, nous demandons qu’à l’échelle européenne tous les instruments disponibles soient mis prioritairement au service de l’emploi, de sa qualité et de sa sécurisation, de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, ainsi que de l’éradication de la précarité.
La promotion des capacités humaines par la formation, l’éducation, la santé, la culture, la recherche, le logement, des salaires décents, des conditions de travail humaines et des retraites dignes, doit devenir un objectif fondamental de l’Union.
Un autre type de production doit être impulsé, alliant développement humain, social et écologique, ce qui implique notamment la mise en œuvre des fonctions d’anticipation, de prévision et de programmation de la puissance publique.
Cela suppose de nouveaux pouvoirs d’intervention pour les citoyens à l’échelon européen, comme pour les salariés dans l’entreprise.
Cela suppose également, surtout dans la phase actuelle, la maîtrise du crédit pour orienter la gestion des entreprises dans le sens de ces nouvelles priorités.
Nous devons donc nous orienter vers une maîtrise publique du système bancaire pour parvenir à une politique européenne coordonnée en matière monétaire, qui mette au centre de la construction européenne une stratégie de l’emploi et de lutte contre le chômage.
À cette fin, les missions de la BCE doivent être transformées de manière que celle-ci soit mise au service des populations et soumise à un contrôle démocratique.
Face à la crise, il faut mettre en place, au niveau européen un vrai « bouclier social », permettant notamment de s’opposer aux plans de licenciements et aux délocalisations, mais aussi d’augmenter les salaires, les minima sociaux et les pensions.
Il faut donc, sans tarder, engager une harmonisation sociale par le haut, remettre en cause le dogme du libre-échange, développer des services publics européens; soutenir une politique industrielle respectueuse de l’environnement et créatrice d’emplois de qualité.
On se doit aussi d’œuvrer à une large redistribution des richesses, au moyen, notamment, de nouveaux dispositifs fiscaux.
Voilà les propositions ambitieuses que les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche formulent pour une réorientation de l’Europe sociale vers la satisfaction des besoins et la garantie des droits fondamentaux des peuples européens.
Mme Bariza Khiari applaudit.
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, à la veille d’élections européennes dont le monde politique parle aujourd'hui beaucoup, bien qu’elles semblent n’intéresser que fort peu nos compatriotes – les sondages sont là, qui augurent un taux d’abstention record –, le débat qui nous est proposé sur l’initiative de notre éminent collègue Richard Yung est de la première importance.
On ne peut que se réjouir que notre Haute Assemblée s’interroge sur l’avenir de la politique sociale européenne, qui plus est à l’heure où la crise économique frappe de plein fouet nos pays.
Dans le contexte actuel, tout nous incite à penser que, sans volet social véritable, il n’y aura pas d’Europe lisible pour les peuples qui la composent.
Le groupe du RDSE partage, à l’évidence, cette façon de voir et fait pleinement sienne l’idée selon laquelle il ne peut y avoir de construction européenne sans une politique sociale forte, respectueuse de la liberté d’entreprendre, certes, mais exigeant aussi des États européens qu’ils soient, comme ils en ont le pouvoir et devoir, les garants absolus de la cohésion sociale et de la solidarité nationale.
L’intervention de l’Union européenne en matière sociale fait l’objet d’une forte attente des citoyens européens, en particulier des citoyens français, attachés qu’ils sont aux dispositions sociales dont ils bénéficient et qui sont jugées parmi les plus favorables. Je pense en particulier à l’assurance maladie, aux retraites garanties par l’État, à l’indemnisation du chômage, à la santé : autant de domaines protecteurs que nous envient beaucoup de nos partenaires européens.
Conjuguée à une situation économique assez favorable lors des premières années d’existence de la Communauté économique européenne, époque des « Trente Glorieuses », où le Vieux continent connaissait une croissance à deux chiffres, la diversité des traditions sociales des États membres a fait que l’Europe, à ses débuts, a manifesté une certaine timidité en matière sociale. En témoigne le traité de Rome, qui n’avait prévu de mesures contraignantes qu’en matière d’égalité des sexes.
Si l’Acte unique européen de 1986 introduisait quelques mesures destinées à protéger les travailleurs, la charte des droits sociaux fondamentaux, dite « charte sociale », promulguée quatre ans plus tard, fut un peu plus explicite, de même que le protocole social annexé au traité de Maastricht en 1992.
Cinq ans plus tard, le traité d’Amsterdam a enfin consacré l’emploi comme question d’intérêt communautaire et proclamé comme objectif la lutte contre les exclusions, tandis que la stratégie de Lisbonne, en 2000, visait à la réalisation du plein-emploi à l’horizon 2010.
Nous mesurons combien cette perspective s’est aujourd'hui éloignée pour l’Europe : sous l’effet de la crise, le nombre de chômeurs semble aller galopant tandis que le ralentissement économique ne peut manquer de nous conduire tous, tous pays d’Europe confondus, de la perplexité à l’inquiétude.
Ce constat étant dressé, il convient de se demander de quels outils l’Europe dispose pour répondre aux grands enjeux de notre xxie siècle, un xxie siècle où toutes les lignes sociales se déplacent, clairement soumises au phénomène de la mondialisation et à ses retombées tantôt bénéfiques, tantôt maléfiques : mutations économiques, nouvelles formes prises par le travail et, en négatif, par le chômage ; mutations sociales, avec le problème – mais en est-ce un ? – de l’allongement de la durée de vie et son cortège de risques, dépendance, isolement des personnes âgées, fracture intergénérationnelle ; émergence de nouvelles valeurs éthiques modifiant notre cadre de vie, qu’il s’agisse de la famille, de la bioéthique, de l’intrusion informatique, laquelle soulève parallèlement la question de l’inclusion de populations ou, à l’opposé, celle des risques de rupture du principe du respect du droit à la vie privée.
Je pourrais allonger la liste de ces nouveaux défis qui montrent combien il est impératif que l’Europe ait, sur toutes ces problématiques, des outils bien préparés.
Il existe, en tout premier lieu, la consultation systématique des partenaires sociaux avant de présenter des propositions dans le domaine social, comme le prévoit le protocole sur la politique sociale annexé au traité de Maastricht, ainsi que la possibilité de négociation d’un accord par ces mêmes partenaires avant qu’interviennent les propositions de la Commission.
Viennent les instruments financiers : 11 milliards d’euros consacrés au domaine de l’emploi et des affaires sociales, soit 8, 3 % des crédits, ce qui représente un montant d’intervention bien modeste si on le compare aux 56 milliards d’euros alloués, à bon droit, à l’agriculture.
Il faut néanmoins ajouter à ce montant les fonds de la politique de cohésion, soit 307 milliards d’euros pour la période 2007-2013, issus du fonds européen de développement régional, du fonds social européen et du fonds de cohésion.
Ces deux premiers instruments sont complétés par le programme PROGRESS, programme communautaire destiné à financer la promotion des actions de formation et le retour à l’emploi – soit 657 millions d’euros pour la période 2007-2013 –, et par le fonds européen d’ajustement à mondialisation, qui dispose de 500 millions d’euros pour la même période et soutient les travailleurs venant à perdre leur emploi au sein de secteurs économiques bouleversés par la modification des structures du commerce mondial résultant de la mondialisation.
Si j’ai voulu citer ces chiffres, c’est pour bien montrer que la politique sociale de l’Europe ne se réduit pas au néant dénoncé ici ou là.
Il n’en demeure pas moins que cette politique est encore insuffisante et que ses effets, localement et ponctuellement, sont bien mal appréciés.
Les quelques échecs récents sur la directive « temps de travail », sur la portabilité des pensions ou encore sur les règles relatives au congé de maternité sont là pour illustrer les difficultés rencontrées par l’Union européenne pour intervenir dans le domaine social.
Le principe de subsidiarité, introduit dans le traité de Maastricht, est souvent montré du doigt – l’exemple des Länder allemands est, en ce sens, révélateur –, mais il ne constitue pas le seul frein à l’Europe sociale que nous appelons de nos vœux et qui peine à se mettre en place : s’y ajoutent les antagonismes croissants entre États membres sur les contours de cette même Europe sociale. Il faut voir là les effets de cultures politiques différentes selon qu’on appartient à l’Europe du Nord ou du Sud, à l’Europe anglo-saxonne ou méditerranéenne, cette dernière étant celle qui comporte le plus grand nombre d’États véritablement favorables à une harmonisation sociale plus poussée.
Les élargissements de 2004 et de 2007, enfin, ne sont pas, eux non plus, sans conséquences sur l’action européenne en matière sociale, l’arrivée massive de nouveaux États risquant de se traduire par du dumping social à l’intérieur même de l’Union.
Cela explique pourquoi il est aujourd'hui très difficile de réunir un vote du Conseil à la majorité qualifiée sur les questions sociales, ce qui, du reste, conduit régulièrement la Cour de justice des Communautés européennes à intervenir pour pallier l’insécurité juridique née de l’absence de législation ou de disposition précise.
Malgré les préjugés de certains, en particulier les thuriféraires les plus acharnés du libéralisme absolu, l’Europe a besoin qu’on se préoccupe plus que jamais du social. Serait-il en effet concevable qu’aujourd'hui, alors que sévit la crise économique et sociale, on se préoccupât moins de ce domaine qu’en période plus prospère ?
N’est-il pas nécessaire que notre Europe réunisse toutes ses forces pour éliminer la pauvreté et la précarité, qui prennent aujourd'hui des visages si divers et restent trop souvent, par fierté, dissimulées ? Ne vaut-il pas mieux coordonner et harmoniser les législations sociales dans un pacte de convergence sociale ? N’avons-nous pas des devoirs à l’égard des personnes qui sont victimes des embûches de notre situation actuelle ? Ne nous faut-il pas, partout dans l’Union, préserver les droits familiaux, assurer un emploi aux travailleurs seniors, garantir le minimum vital aux personnes retraitées, harmoniser les retraites ?
Tous ces chantiers exigent, madame la secrétaire d'État, volontarisme et détermination.
Comment ne pas évoquer la politique européenne en matière de santé ? Au mois de mars 2002, le Conseil européen de Barcelone a adopté trois principes fondamentaux pour la réforme du système de santé : l’accessibilité pour tous, une haute qualité de soins, une viabilité financière à long terme ; trois principes qui faisaient de la politique de santé en France un modèle.
Au moment où la Haute Assemblée examine le projet de loi « hôpital, patients, santé, territoires », comment ne pas former le vœu que ces trois principes soient bien ceux qui président à la mise au point de ce texte et qu’on y trouve inscrit en lettres d’or qu’il n’est pas de plus haute valeur que le respect de la dignité humaine ?
Madame la secrétaire d'État, vous l’aurez compris, mes collègues du RDSE et moi-même nous interrogeons sur les perspectives de l’Europe sociale au moment où le traité de Lisbonne entre en vigueur. Une porte semble s’ouvrir, à tout le moins s’entrouvrir, vers le renforcement, au sein des États membres, de la défense des droits sociaux, de la lutte contre les exclusions sous toutes leurs formes et de la reconnaissance du rôle joué par les partenaires sociaux.
Madame la secrétaire d'État, il serait intéressant à plus d’un titre que vous nous livriez votre interprétation des textes sur ces divers points. Pourriez-vous surtout nous dire si le Gouvernement envisage d’aiguiller dans ce sens les futurs sommets européens ?
Il est temps, nous semble-t-il, que cesse cette oscillation chronique entre des effets d’annonce et des résultats modestes, trop modestes. Il est également temps d’en finir avec un mécanisme institutionnel européen qui a pour effet de bloquer toute évolution sociale.
Peu avant que nos compatriotes prennent, dimanche, le chemin des urnes, nous attendons dans cet hémicycle un signe fort, qui pourrait constituer un encouragement à continuer de croire en l’Europe et nous donnerait une bonne raison de nous battre pour elle.
Applaudissements.
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, il n’est pas du tout dans mes intentions de marcher sur les brisées de mon collègue Richard Yung ou sur celles des différents orateurs qui sont intervenus sur la politique sociale européenne. Je voudrais seulement faire un peu de pédagogie.
Ce que nous vivons aujourd'hui est inédit. Depuis qu’a été créée la commission des affaires européennes du Sénat, à la suite de la révision constitutionnelle, nous pouvons intervenir régulièrement sur les questions européennes, à titre de vigies, en quelque sorte. En outre, dans le cadre de la journée mensuelle réservée aux groupes de l’opposition et aux groupes minoritaires, il nous est possible soit de poser une question orale européenne avec débat, comme c’est le cas aujourd'hui, soit de demander au Gouvernement de nous informer sur les suites qu’il a ou non données aux positions qu’a prises le Sénat, que ce soit dans l’hémicycle, au sein des commissions permanentes ou de la commission des affaires européennes.
Il nous faut nous habituer à utiliser les nouveaux instruments que nous offre la Constitution et que mettra d’ici peu à notre disposition le nouveau règlement du Sénat, dès que le Conseil constitutionnel aura rendu sa décision.
Si j’ai appuyé, en conférence des présidents, l’inscription à l’ordre du jour de cette question orale européenne avec débat déposée par Richard Yung et soutenue par le groupe socialiste – étant entendu que, au demeurant, cet appui n’était nullement nécessaire pour que cette inscription soit décidée –, c’est Qu’il me paraissait absolument indispensable que notre assemblée débatte sur ce point.
En tant que membre de la commission des affaires européennes, Richard Yung a mené un important travail en amont et sa question orale européenne avec débat s’adosse au rapport qu’il a rédigé au nom de la commission des affaires européennes et qui vous a été communiqué. Il s’agit d’un document de référence, car il dresse un état des lieux de l’Europe sociale et trace des perspectives, ce qui n’a jamais été accompli jusqu’à présent. Nous pouvons imaginer ce que se serait exclamé le général de Gaulle : « L’Europe sociale ! L’Europe sociale ! Qu’est-ce que c’est ? » Eh bien, maintenant, nous avons la réponse.
Tous nos collègues, quelle que soit leur sensibilité, ont pu exprimer leur conception de l’Europe sociale. Le traité de Lisbonne entrera en vigueur – je le souhaite – et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne deviendra une norme européenne, certains l’ont souligné. Nous pourrons enfin nous appuyer sur les dispositions de nature sociale de ce texte pour bâtir l’Europe sociale que nous souhaitons tous.
Mes chers collègues, la nouvelle politique sociale européenne sera la prochaine étape. Nos travaux d’aujourd'hui nous y préparent. §
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la crise mondiale que nous traversons actuellement aura au moins eu un mérite, celui de révéler l’importance de la dimension sociale de l’Union européenne. Elle a aussi montré que nos concitoyens attendaient une Europe qui protège. Enfin, elle a mis en évidence que chaque citoyen européen avait besoin d’être accompagné, soutenu et épaulé.
Nous faisons tous le même constat, et ce pour deux raisons.
D’une part, nous, Européens, et en particulier nous, Français, sommes attachés au caractère « global » du projet européen. Nous ne nous sommes jamais contentés d’une construction européenne qui serait limitée au marché ou à la monnaie. Comme l’a rappelé le 5 mai dernier le Président de la République, « l’Europe, c’est nous ».
Les politiques relatives au travail et aux affaires sociales doivent se trouver au cœur du projet européen, dans la mesure où elles concernent très directement la vie quotidienne de millions d’Européens et que la justice à l’égard des personnes les plus fragiles est un facteur indispensable à la croissance économique, au développement durable et à la stabilité.
D’autre part, il existe une conviction commune qu’aucun État membre ne pourra, isolément, ni défendre ses intérêts ni promouvoir son modèle sans l’Europe. Nous avons besoin d’une solidarité européenne pour défendre nos intérêts communs. Malgré la diversité dans l’organisation des relations et des politiques sociales en Europe, ce qui nous rapproche l’emporte de loin sur ce qui nous sépare, surtout lorsque nous comparons les États membres de l’Union européenne au reste du monde.
Il est vrai, monsieur Yung, que, pendant plusieurs années, le processus législatif communautaire avait pu donner le sentiment de ne plus produire de résultats dans le champ social. Mais des progrès ont été accomplis sous la présidence française de l’Union européenne ; j’y reviendrai.
Le modèle social européen, quel est-il ? Il représente à la fois les valeurs communes à tous les États membres et les droits que ceux-ci reconnaissent.
Nous sommes aujourd’hui parvenus à un niveau de développement social de l’Europe que nous n’avons jamais connu dans le passé.
En droit du travail, nous avons des standards minimums dans pratiquement tous les domaines : temps de travail, travail intérimaire, santé et sécurité au travail, information et consultation des travailleurs.
Par ailleurs, nous avons des mécanismes de coordination, d’évaluation et d’échange de bonnes pratiques sur l’emploi, la protection sociale, la lutte contre la pauvreté, le revenu minimum. Je prendrai un exemple très concret : un rapport d’Eurostat publié mardi dernier fait apparaître que les vingt-sept pays de l’Union européenne ont consacré en moyenne 6 350 euros par habitant à la protection sociale en 2006, soit plus d’un quart du PIB de l’Union. Dans le classement qui a été établi, la France arrive d’ailleurs en tête avec 31 % de son PIB. Ces chiffres témoignent de la réalité de la dimension sociale de l’Europe.
D’indéniables progrès ont été réalisés afin de construire ce modèle social européen qui protège. Car tel est bien notre objectif.
Je pense en particulier aux garanties contre le dumping social. Il s’agit à la fois de garanties juridiques – l’article 136 du traité précise que les directives visent à l’harmonisation dans le progrès, grâce à la clause de non-régression que comporte chaque directive – et de garanties économiques – les politiques de convergence entre les économies des États membres tendant à accélérer le développement de nos partenaires les moins avancés.
Je pense aussi à l’égalité professionnelle, dont vous rappelez dans votre rapport, monsieur Yung, qu’elle représente un acquis important à l’échelon européen. Le traité de Rome a posé des principes et des règles claires. S’il est un domaine où l’Europe a fait avancer les droits des citoyens, c’est bien celui-là.
Pourtant, les inégalités et les écarts de rémunération perdurent. C’est bien le signe que, au-delà du droit et des principes, ce sont les mentalités qu’il faut changer et qu’il importe de mobiliser l’ensemble des acteurs de la société civile, en collaboration avec les partenaires sociaux. La France milite ainsi en faveur d’un label européen pour favoriser les bonnes pratiques.
Je pense encore à des exemples très concrets d’harmonisation européenne au bénéfice de nos concitoyens, comme la carte européenne d’assurance maladie, qui permet à un Français qui passe ses vacances en Allemagne et qui doit consulter un médecin de voir ses dépenses de santé prises en charge. Cette carte a fêté ses cinq ans lundi et, à la fin de 2008, plus de 180 millions de citoyens européens en détenaient une, soit 35, 7 % de la population des trente et un pays où elle a été introduite, à savoir les vingt-sept États membres de l’Union européenne, l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse.
Tous ces exemples illustrent l’action des États membres, notamment de la France, pour que l’Europe sociale s’incarne de façon concrète dans la vie de nos concitoyens.
La présidence française de l’Union européenne a marqué une étape importante dans la promotion du modèle social européen.
Durant ces six mois, sous l’autorité de Nicolas Sarkozy, nous avons défendu cette vision sociale de l’Europe et sommes parvenus à la fois à renouveler les bases d’un consensus entre États membres sur le projet européen et à obtenir des avancées concrètes pour les citoyens. Celles-ci portent sur plusieurs sujets ; vous les connaissez. Madame Papon, vous avez eu raison de souligner que nous avions relancé des dossiers qui étaient enlisés depuis des années.
Ainsi, la directive sur le travail intérimaire a été adoptée au mois de novembre 2008. Elle marque une étape importante dans l’harmonisation par le haut des conditions de travail au sein de l’Union européenne.
Désormais, les travailleurs intérimaires devront partout être traités sur un pied d’égalité avec les salariés de l’entreprise dans laquelle ils exercent leurs missions, comme c’est déjà le cas en France.
La directive sur le comité d’entreprise européen a été révisée, comme le réclamaient les syndicats européens depuis 1999. Ce texte, qui concernera 880 entreprises européennes et 15 millions de salariés européens, permettra de renforcer le dialogue social en Europe.
Le règlement de coordination des régimes de sécurité sociale a connu une refonte importante. Certes, il s’agit d’un exercice technique et complexe, qui a néanmoins un impact direct sur la situation de tous les citoyens en Europe et de leurs familles. Modernisé, ce règlement garantit le maintien d’une affiliation à la sécurité sociale pour tous les citoyens européens, la reconnaissance des droits acquis d’un pays à l’autre – pour la retraite, par exemple – et l’égalité d’accès aux prestations de chaque État membre.
Je pourrais également citer un accord sur la transposition en Europe de la convention maritime de l’organisation internationale du travail en 2006 – là encore, nous nous sommes appuyés sur les partenaires sociaux – qui renforce les droits et protections des 300 000 marins soumis au droit communautaire.
Un accord sur les principes communs d’inclusion active a également été trouvé. Il s’agit d’une stratégie commune européenne pour lutter contre la pauvreté, promouvoir un revenu minimum dans chaque État membre qui puisse s’inscrire dans des politiques actives de retour à l’emploi. C’est bien la preuve que, à l’échelon européen, la question de l’exclusion est au cœur de nos préoccupations.
Une feuille de route a été adoptée, que la Commission s’est engagée à mettre en œuvre, visant notamment à garantir une meilleure sécurité juridique aux prestataires de services sociaux d’intérêt général vis-à-vis des règles des marchés publics.
En collaboration avec la Commission, a été lancée une évaluation de la situation résultant des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes – arrêts Laval, Viking, Rüffert et Luxembourg – sur le détachement des travailleurs, pour identifier les failles de la mise en œuvre de la réglementation européenne en ce domaine, étant entendu que, le cas échéant, cette dernière devra faire l’objet d’une révision. Les partenaires sociaux européens ont entamé cette tâche ardue.
Nos travaux ont également laissé une large place à la famille, en particulier aux mesures en faveur de l’activité des femmes et de l’égalité professionnelle.
Outre les avancées concrètes que je viens de rappeler, nous avons aussi posé les fondements d’un nouveau consensus entre les États membres sur la dimension sociale de l’Union européenne. Tous ces clivages paralysaient en effet les travaux du conseil « Emploi, politique sociale, santé et consommateurs », dit « conseil EPSCO », notamment depuis 2004.
Nous avons proposé un programme de travail pour mettre en œuvre l’agenda social renouvelé de l’Union européenne. Nous avons mené à bien une mission européenne sur la flexicurité, avec Gérard Larcher et le commissaire Špidla, afin de rechercher un juste équilibre entre la flexibilité et la sécurité dont ont respectivement besoin les entreprises et les salariés.
Cette mission a reçu un accueil très positif dans des pays aussi divers que la Suède, l’Espagne et la Pologne. Signe de son succès, les partenaires sociaux européens y ont participé et en ont approuvé les conclusions.
Il importe, par ailleurs, de relancer le dialogue social européen.
Le dialogue avec les partenaires sociaux constitue en effet l’un des piliers du modèle social européen. Il est la clé de réussite de l’Europe sociale. La présidence française a donc souhaité associer étroitement l’ensemble de ces partenaires sociaux.
En bref, la présidence française aura conduit à l’affirmation de la dimension sociale de l’Europe, grâce à l’adoption de textes qui étaient en discussion depuis plusieurs années et de principes communs d’action, et je répète que ce résultat est dû à une collaboration étroite avec les partenaires sociaux européens.
La France tire aujourd'hui les bénéfices des efforts qu’elle a déployés lors de cette présidence. Face à la crise, nous disposons désormais d’instruments européens rénovés, qu’il s’agisse du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation ou encore du Fonds social européen, qui ont été adaptés, sur une impulsion forte et décisive de la France, afin qu’ils soient mieux utilisés en cette période de crise. Je vous rappelle que ces fonds jouent un rôle de levier. Ils doivent compléter les financements nationaux et cibler des priorités définies au plan européen.
Quel avenir pour la dimension sociale de l’Europe ?
Je veux insister sur la nécessité de promouvoir des avancées concrètes dans les mois et les années qui viennent pour les citoyens, pour les travailleurs et leurs familles. Il faut ainsi continuer à améliorer les droits des citoyens européens, qu’il s’agisse de l’égalité de traitement dans tous les cas de discrimination possibles, de l’égalité entre hommes et femmes ou encore de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.
Il faut aussi améliorer les garanties en matière de droits sociaux nationaux lorsque ces derniers entrent en conflit avec des règles communautaires, comme celles du marché intérieur. À cet égard, il faudra être attentif aux suites de l’arrêt Laval et aux travaux que les partenaires sociaux européens ont engagés.
Il faut également poursuivre la réflexion menée, sous la présidence française, sur les services sociaux d’intérêt général, sur la formation professionnelle, qui est la clé à la fois de la sécurisation des transitions professionnelles, de l’amélioration de l’insertion des jeunes et du maintien des seniors dans l’emploi, et sur la méthode de travail au sein de l’Union européenne, notamment de la méthode ouverte de coordination, la MOC, qui a déjà permis une extension de la coopération entre États membres, des échanges d’expériences et de bonnes pratiques et une participation de la société civile sur le plan européen.
Monsieur Yung, vous reprochez à la MOC d’être trop bureaucratique, de manquer de visibilité. Nous avons fait le même constat. C’est pourquoi la présidence française a défendu certaines propositions telles que des objectifs plus simples, des procédures d’évaluation plus transparentes. Vous retenez d’ailleurs toutes ces propositions dans votre rapport d’information.
Pour les années qui viennent, il faut maintenir le cap. La crise a révélé l’importance de la politique sociale en Europe. Il faut donc saisir l’occasion pour réaffirmer cette dimension sociale, alors que l’Union européenne doit élaborer sa nouvelle stratégie, celle qui est appelée à succéder en 2010 à la stratégie de Lisbonne.
Dans ce travail de rénovation, nous devons aujourd’hui relever en commun un certain nombre de défis qui ne se prêtent pas à une réglementation communautaire. Je pense, en particulier, à l’adaptation à la mondialisation, au vieillissement démographique, à la modernisation des marchés du travail ou encore à la lutte contre la pauvreté.
L’Union européenne doit servir à nous enrichir réciproquement de l’expérience et des pratiques nationales pour parvenir à des objectifs définis en commun.
Enfin, ainsi que vous l’avez fort justement souligné, madame Papon, le traité de Lisbonne met en œuvre des avancées dans le domaine des droits sociaux.
Il intègre d’abord les principes et les droits de la Charte des droits fondamentaux, qui, par conséquent, lieront le juge européen, de même que la Commission. Ce n’est pas abstrait ; c’est une avancée très concrète.
Ensuite, la clause sociale dite « horizontale » impose que la Commission et le législateur européen prennent en compte, dans chacune des politiques communautaires et des législations sectorielles, les objectifs de protection sociale et de plein-emploi. Là encore, elle permettra de mieux orienter les politiques commerciales, les politiques de la concurrence ou du marché intérieur en fonction de leurs conséquences sociales.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Président de la République l’avait réaffirmé dès le mois de décembre 2007 : « le projet européen doit également revêtir une dimension sociale ».
Je suis fière de l’affirmer aujourd’hui devant vous : la dimension sociale de l’Europe n’est pas un concept abstrait, c’est une réalité concrète. J’en veux pour preuve les nombreuses avancées que je viens de mentionner. Bien évidemment, certains progrès restent à accomplir, dans le droit chemin de l’action engagée au cours de la présidence française de l’Union européenne.
À force de dialogue et de concertation, nous apportons une réponse collective aux défis qui sont devant nous, en particulier dans ce contexte de crise mondiale.
Il est aujourd’hui plus que jamais de notre responsabilité à tous – élus européens, nationaux, locaux, responsables politiques et syndicaux – de placer la cohésion sociale, la protection des citoyens et la solidarité au cœur de nos priorités.
Si l’Europe doit agir vite face à la crise actuelle afin de protéger les populations, nous devons aussi développer un projet à long terme sur lequel nous devons travailler sans cesse.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
En application de la décision de la conférence des présidents, la parole est à M. Richard Yung, auteur de la question, qui dispose de cinq minutes pour répondre au Gouvernement.
Nous ne pouvons que nous réjouir du débat qui vient de se dérouler sur une question d’une telle importance. Dans le même temps, nous pouvons regretter la faible participation de nos collègues. Madame la présidente, peut-être pourriez-vous signaler ce fait lors d’une prochaine conférence des présidents. Visiblement, l’examen de ce type de questions, pourtant au cœur de la démocratie, soulève un problème.
Le débat qui vient d’avoir lieu m’inspire quelques remarques.
Je veux à nouveau revenir sur une idée centrale : la crise économique et ses conséquences sociales devraient constituer un accélérateur de la politique sociale. Tous les jours, nous constatons la suppression de dizaines de milliers d’emplois engendrant drames et misère.
Des instruments existent déjà à l’échelon européen, notamment le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation, mais il ne représente que 500 millions d’euros, soit un montant ridicule au regard du PIB européen. Nous devrions envisager un accroissement significatif de ce fonds, qui sous-tend l’existence d’un modèle social européen défendant les droits et assurant la protection des citoyens – sorte d’État-providence, comme on disait jadis –, différent du système américain.
Madame le secrétaire d’État, vous avez évoqué un certain nombre de perspectives. Je fais d’ailleurs miennes certaines d’entre elles. Vous avez souligné la volonté d’avancer en ce qui concerne les services sociaux d’intérêt général, et nous sommes les premiers à œuvrer en la matière.
Nous devrions également faire progresser les droits des travailleurs détachés. À ce sujet a été citée la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes. Nous serons vigilants, car nous ne nous contenterons pas de déclarations. Or la Commission paraît bien timide en la matière et les perspectives politiques immédiates me donnent peu de raisons d’espérer.
Comme vous, j’ai pris connaissance de la déclaration commune du Président Sarkozy, et de la Chancelière Merkel relative à la plate-forme européenne, je l’ai même relue : on n’y trouve pas un seul sur la politique sociale ! Il est clair que, dans ces conditions, le Conseil ne sera donc pas très audacieux.
Pour ma part, je ne m’en remettrais pas trop à la méthode ouverte de coordination parce que celle-ci permet, en réalité, de botter en touche. Ce que je souhaite, c’est qu’un programme social européen soit présenté par la Commission, repris par le Conseil, adopté par le Parlement, afin que la Commission puisse ensuite formuler des propositions. C’est ainsi que nous pourrons progresser. Mais, dans l’état actuel des choses, j’ai quelques doutes.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
En application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures quinze.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à treize heures quinze, est reprise à quinze heures quinze.