Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission des affaires européennes s’est réunie le 14 mai dernier afin d’examiner le rapport d’information, dont je suis l’auteur, intitulé L'Europe sociale, état des lieux et perspectives, et de débattre sur la question. Le moment me paraît donc opportun, à trois jours du scrutin européen, pour préciser les positions en présence.
Je rappellerai, au préalable, tout ce que l’Europe sociale doit à Jacques Delors, lequel, en 1985, a réussi à transformer ce qui n’était qu’un ensemble de vœux pieux en réalité, en instaurant un dialogue social à l’échelle européenne entre les partenaires sociaux, transposé ensuite dans la législation communautaire.
Les textes qui ont suivi, l’Acte unique européen, la Charte des droits sociaux fondamentaux des travailleurs et le traité de Maastricht, ont permis des avancées importantes dans les domaines, notamment, de la santé et de la sécurité sur le lieu de travail, du travail à temps partiel et temporaire, des CDD et des comités d’entreprise européens.
Malheureusement, force est de constater que, depuis un certain temps, l’intégration européenne en matière sociale est en panne. Plusieurs raisons peuvent être avancées.
Tout d’abord, dans tous les États membres, le débat social est, par essence, au cœur de la vie politique nationale. Comme l’enseignement, il façonne nos sociétés. La question est éminemment sensible, car elle touche à des valeurs profondes. C’est dire si la subsidiarité joue à plein en la matière.
Ensuite, les mécanismes institutionnels mis en place ne favorisent pas le développement de l’Europe sociale.
Il est ainsi absolument impossible de s’y retrouver dans les règles de vote, entre ce qui relève de l’unanimité, de la majorité qualifiée, de la codécision ou du seul conseil des ministres. Rien d’étonnant, alors, que nos concitoyens se détournent d’une question aussi hermétique. Au demeurant, dans le domaine social, peut-être encore plus que dans d’autres, la prise de décision à l’unanimité des Vingt-Sept est impossible.
En fait, le tour de table en matière sociale est complexe ; les divisions sur cette question ne sont pas celles auxquelles nous sommes habituellement confrontés.
Certains pays, à l’image de la Grande-Bretagne, sont par idéologie réticents, voire hostiles, à toute intervention.
D’autres, à savoir les pays nordiques, notamment la Suède, plus avancés en matière sociale, craignent de se voir imposer une législation européenne finalement en retrait et même en régression par rapport à leurs normes nationales. Ils sont donc extrêmement prudents.
Inversement, les PECO, les pays d’Europe centrale et orientale, redoutent que la fixation de minima sociaux trop élevés ne vienne contrecarrer leurs efforts d’intégration à l’économie européenne et au marché unique.
Par ailleurs, le domaine social est l’un des domaines où le couple franco-allemand, qui est le moteur de l’Europe, fonctionne mal et n’est pas suffisamment énergique. Les Français manquent d’allant. Quant aux Allemands, leur prudence s’explique par le fait que la quasi-totalité de leur législation nationale relève des Länder. Nous connaissons tous les relations entre ces derniers et le Bund, lequel est donc contraint d’agir avec beaucoup de réserve. En outre, tant Mme Merkel, influencée sans doute par le souvenir de sa formation dans l’ex-RDA, que son gouvernement sont assez réticents à toute intervention par trop étatiste.
Ce tour d’horizon le montre : les positions des uns et des autres ne favorisent pas le dynamisme en matière sociale.
En outre, après avoir utilisé les différents outils législatifs européens et, d’une certaine façon, après les avoir épuisés, au moins aux yeux de certains, l’Europe s’est dotée d’un nouveau système, la méthode ouverte de coordination : de prime abord plutôt sympathique, elle fixe des objectifs généraux communs à moyen terme, en laissant aux États membres le soin de choisir, sur le plan national, les voies qu’ils estiment les mieux appropriées pour les atteindre. Voilà, en théorie, une bonne façon de se coordonner !
Cela étant, la méthode a assurément ses limites, car, faute d’avoir un caractère contraignant, elle ne produit pas les résultats escomptés.
L’entrée en vigueur, que nous espérons prochaine, du traité de Lisbonne devrait permettre de surmonter une petite partie de ces obstacles, en particulier grâce à la clause passerelle. Cependant, si avancées il y a, elles resteront à l’évidence bien modestes.
En définitive, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, toutes les difficultés que nous rencontrons dans le domaine de la politique sociale européenne résident moins dans les carences des mécanismes institutionnels que dans l’insuffisance de la volonté politique.
Depuis cinq ans, la Commission européenne a ainsi été singulièrement absente dans ce domaine. M. Barroso a relégué le social au second plan – il a même proposé l’instauration d’un « moratoire social » –, préférant concentrer son action sur l’économie, en suivant ce raisonnement que vous connaissez tous : l’essentiel est que l’économie se porte bien, le social suivra. On sait ce que cela donne !
En dépit des demandes formulées par le groupe socialiste au Parlement européen, le PSE, la Commission européenne a refusé de légiférer sur toute une série de questions importantes qui sont pourtant sur la table des négociations : l’économie sociale, les services d’intérêt général, les services sociaux d’intérêt général. Elle a également écarté l’idée d’une nouvelle directive sur le problème ô combien délicat des travailleurs détachés.
Quant au Conseil européen, il est lui-même extraordinairement partagé et, de ce fait, bloquant, voire « autobloquant » !
La révision de la directive sur le temps de travail est, à ce titre, symptomatique. Le compromis qui avait été dégagé au Parlement européen a malheureusement été brisé, je dois le dire, par le revirement de la France, qui a rejoint les partisans du maintien de la clause permettant de déroger à la durée maximale du travail hebdomadaire. Fixée à 48 heures, cette dernière constituait pourtant selon nous un plafond déjà raisonnable. Or nous en sommes maintenant à 65 heures !
Il convient en outre de rappeler que le sommet européen en matière d’emploi, prévu le 7 mai dernier, a été purement et simplement annulé et remplacé par une réunion de la « troïka sociale européenne ».
Le manque de volonté de la Commission européenne et des États membres de légiférer a laissé le champ libre à la Cour de justice des communautés européennes. Dans une série d’arrêts, celle-ci, au lieu de pallier l’insécurité juridique découlant de cette absence de législation communautaire, l’a au contraire développée en autorisant une certaine forme de dumping social et de mise en concurrence des travailleurs. Une telle situation n’est pas acceptable et montre la nécessité de réviser la directive sur le détachement des travailleurs.
Au Parlement européen, le groupe du parti populaire européen, le PPE, bloque toute relance de l’Europe sociale. Au cours des cinq dernières années, aucun progrès d’envergure n’est ressorti des débats qui s’y sont tenus.
En 2007, les députés du PSE ont proposé de mettre en place un salaire minimum dans chaque État membre, au moins égal à 50 % du salaire moyen national.
Je sais bien qu’il s’agit d’une question difficile et sensible, mais on est en droit de penser que l’on pouvait tout de même la faire progresser.
Il faut prévoir, pour l’avenir, un certain nombre de points de relance. Nous allons avoir un nouveau Parlement européen, une nouvelle Commission. Nous devons nous préoccuper dès maintenant de ce que cette Commission mettra sur la table des discussions en matière sociale. Il nous faut également faire pression sur le patronat européen, qui est singulièrement timide en la matière. Les sujets ne manquent pas ! Ma collègue Bariza Khiari développera les thèmes sur lesquels nous souhaitons être allants.
J’aimerais connaître, madame la secrétaire d’État, le niveau d’ambition de votre gouvernement et les mesures que vous entendez promouvoir au sein du Conseil pour relancer la politique sociale européenne.