Intervention de Monique Papon

Réunion du 4 juin 2009 à 9h30
Avenir de la politique sociale européenne — Discussion d'une question orale européenne avec débat

Photo de Monique PaponMonique Papon :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour remercier vivement notre collègue Richard Yung et le président Hubert Haenel de nous permettre d’engager au Sénat un débat sur la politique sociale européenne.

L’Europe sociale, voilà bien un thème qui devrait recueillir un large consensus. Nous sommes tous persuadés ici, quel que soit notre bord politique, que l’Europe ne peut pas être seulement un espace de libre concurrence économique, mais qu’elle doit prendre en compte et défendre des valeurs afin de favoriser le progrès social.

Le référendum de 2005 nous a pourtant montré que nombre de nos concitoyens sont déçus des réalisations européennes en matière sociale, qu’ils les jugent insuffisantes, voire négligeables. Ce désappointement provient sans doute, en partie, d’un manque d’information sur les réalisations européennes en matière sociale. Il résulte également d’une incompréhension de ce que peut être une politique sociale européenne, compte tenu de la répartition des compétences entre l’Union européenne et les États membres, et de la nécessité de persuader nos partenaires au sein de l’Union.

L’Europe sociale, c’est d’abord un projet politique. C’est la volonté de montrer concrètement que l’Union européenne repose sur des valeurs, au premier rang desquelles figurent la solidarité, la protection des plus faibles et la non-discrimination. Ce n’est pas un hasard si la politique sociale occupe, dans les États européens, une place plus importante que dans les autres pays développés. C’est le résultat d’une histoire qui repose sur des valeurs.

L’Europe sociale, c’est aussi la volonté de ne pas seulement prendre en compte les avantages économiques de l’ouverture des marchés vers l’extérieur, mais aussi ses conséquences sociales, et d’apporter des remèdes : en un mot, de protéger. Dans la période de crise que nous connaissons, cette volonté est plus nécessaire que jamais.

L’acquis communautaire en matière sociale est loin d’être négligeable. Comme notre collègue Richard Yung le rappelle dans son rapport d’information, ce corpus juridique est constitué de près de 200 textes normatifs, qui concernent aussi bien la libre circulation des travailleurs que le droit du travail, l’égalité entre les hommes et les femmes, ou la lutte contre les discriminations.

Alors, pourquoi cette déception des citoyens européens ?

Sans doute est-elle due au fait que le cœur de la politique sociale relève de la compétence des États membres : les avancées qui résultent des textes européens ne peuvent pas avoir la même portée que celles qui sont obtenues au niveau national, et il est rare qu’elles fassent la « une » des journaux.

Pourtant, la France fait partie des pays européens qui ont mis en place un appareil juridique particulièrement développé en matière sociale.

Certains de nos concitoyens, qui ne sont pas toujours de bonne foi, dénoncent les textes proposés en soutenant qu’ils provoquent une régression sociale. Il n’en est rien, car si ces textes visent à établir un seuil minimal obligatoire, ils laissent chaque État membre libre de mettre en place ou de conserver une législation plus favorable.

Les textes européens, bien qu’en retrait par rapport à notre propre système, ont l’avantage d’éviter le dumping social qui pourrait s’établir au sein de l’Union européenne. De ce fait, même s’ils ne font pas bénéficier directement les travailleurs français d’avancées sociales, ils les protègent indirectement. Si nous voulons éviter les délocalisations et le moins-disant social au sein de l’Union, il nous faut en effet favoriser le rattrapage des nouveaux États membres.

Enfin, on ne doit pas attendre de l’Union européenne qu’elle harmonise les systèmes. Nous n’aurions certainement rien à y gagner, car il serait naïf de croire que c’est le système français qui s’imposerait à tous. La diversité actuelle des systèmes sociaux en Europe correspond à des cultures et à des histoires sociales différentes, une diversité que la subsidiarité doit permettre de conserver.

Quel est l’avenir de la politique sociale européenne ? Que peut-on en attendre ? Faut-il craindre, selon les termes employés par Richard Yung dans son rapport, « une paralysie croissante » ?

Il est vrai que l’on a vu apparaître, au cours des derniers mois, des conflits entre certains États membres, ou entre le Conseil et le Parlement européen, conflits qui ont empêché l’adoption de plusieurs textes importants. Mais cela ne doit pas nous faire oublier les avancées récentes.

Je citerai, tout d’abord, la révision de la directive relative aux comités d’entreprise européens qui, dans l’actuel contexte de crise économique, apporte des garanties supplémentaires aux salariés. Cette directive touche tout de même quinze millions de salariés !

Je pense, ensuite, à l’adoption de la directive relative aux conditions de travail des travailleurs intérimaires : c’est un exemple de ces textes qui ne représentent peut-être pas un progrès direct pour les intérimaires français, mais qui permettent de lutter contre le dumping social. Cette directive constitue un progrès substantiel pour les salariés de dix-sept États membres qui, jusqu’à présent, ne bénéficiaient pas du principe d’égalité de traitement, dès le premier jour, entre les travailleurs intérimaires et les travailleurs permanents.

Par ailleurs, le fonctionnement du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation et celui du Fonds social européen ont été améliorés, ce qui permettra, pour chacun d’entre eux, une utilisation plus large et plus aisée des crédits qui y sont inscrits.

Or toutes ces avancées ont été obtenues récemment, très précisément pendant le deuxième semestre de l’année 2008, c’est-à-dire sous la présidence française de l’Union.

J’ai beaucoup apprécié votre rapport, monsieur Yung, et je souscris quasiment à toutes vos propositions, mais j’ai regretté que vous paraissiez ignorer ou négliger ce qui a été fait durant ces six mois.

Quelles sont, en conclusion, les perspectives de la politique sociale européenne ?

Bien sûr, il y a le traité de Lisbonne, dont nous attendons tous ici, ou presque tous, l’entrée en vigueur.

Le traité de Lisbonne donne une valeur contraignante à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui reconnaît de nombreux droits sociaux. Dans cette perspective, les droits sociaux seront désormais garantis par les juges nationaux et européens, et constitueront un socle social commun. Il prévoit également une clause sociale « horizontale », qui s’applique à toutes les politiques de l’Union. Le traité de Lisbonne, c’est aussi la consécration des services d’intérêt général sous la forme d’un protocole spécifique.

L’avenir de la politique sociale européenne résultera de la révision de la stratégie de Lisbonne, à laquelle le Gouvernement a beaucoup œuvré. L’emploi et la cohésion sociale doivent reconnaître le rôle de filet de sécurité joué par la protection sociale, qui doit améliorer la capacité de l’Union à amortir les chocs résultant de la mondialisation et répondre au défi du vieillissement démographique.

L’avenir de l’Europe sociale reposera, enfin, sur les réflexions menées au sein de l’Union européenne pour moderniser les marchés du travail en Europe.

Je veux évoquer, à ce sujet, la mission européenne sur la flexisécurité, coprésidée par le président Gérard Larcher et par le commissaire européen Vladimir Spidla. En effet, l’Europe sociale s’illustre aussi par l’établissement d’un équilibre entre la flexibilité dont ont besoin les entreprises et les sécurités que souhaitent les salariés. Le rapport remis en décembre dernier au Conseil de l’Union souligne le rôle primordial de la formation professionnelle pour anticiper et accompagner les mutations du marché du travail. Il y a là un champ d’action important pour l’Union.

Oui, il existe bien une approche intégrée de la flexisécurité, rassemblant le contrat de travail, la formation, l’accompagnement pendant les phases de transition, l’indemnisation et la protection sociale.

On le voit, mes chers collègues, il y a encore beaucoup à faire. C’est pourquoi je serai plus optimiste que Richard Yung. Certes, on pourrait attendre plus et mieux, mais ce qui a été réalisé et ce qui peut être accompli dans les années à venir est plus important qu’on ne le croit. La politique sociale européenne, j’en suis persuadée, a encore un bel avenir devant elle.

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