Intervention de Bariza Khiari

Réunion du 4 juin 2009 à 9h30
Avenir de la politique sociale européenne — Discussion d'une question orale européenne avec débat

Photo de Bariza KhiariBariza Khiari :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, quelques jours nous séparent du scrutin européen et dans cette perspective, quelles que soient nos attaches politiques, nous avons un adversaire commun : l’abstention.

Depuis 1979, la participation électorale pour cette échéance n’a cessé de diminuer et les prévisions de participation sont moroses.

On nous reproche d’être en partie responsables de la désaffection de l’opinion publique en menant une campagne nationale, alors que l’enjeu est européen : il est vrai que les discours répétés du chef de l’État sur l’insécurité, les bandes, les cités, s’ils ont pour mérite de sonner doux aux oreilles de certains, sont loin de faire vibrer l’idéal européen. C’est pourquoi je vous propose, mes chers collègues, pour faire mentir ceux qui nous reprochent de ne pas parler d’Europe, de débattre et de confronter nos conceptions de l’Europe, et en premier lieu notre conception de son avenir social.

L’Europe des « pères fondateurs » a apporté la paix et, avec elle, l’espérance d’une vie meilleure. Cette promesse d’une vie meilleure pour la génération d’après-guerre, la nôtre, a été honorée : développement de l’État-providence, croissance économique, démocratisation de nos sociétés et, surtout, paix européenne durable.

Soixante ans après sa fondation, l’Union européenne, parce qu’elle s’est détournée de sa vocation sociale, est méconnue de nos concitoyens. L’Europe, dominée par la droite libérale et conservatrice, parce qu’elle ne parvient pas à proposer une protection et un futur meilleurs, est perçue comme un projet politique désenchanté. L’Europe ne fait plus rêver…

L’Europe de la décennie précédente était à majorité sociale-démocrate. Le gouvernement de Lionel Jospin avait alors encouragé l’adoption de la stratégie de Lisbonne reposant sur les trois piliers : économique, écologique et social. Dans cette feuille de route, le social et l’écologie étaient conçus comme des facteurs de la compétitivité économique.

La Commission Barroso et l’Europe libérale ont tourné le dos à cette stratégie. Pire, elles ont dénaturé le projet politique des pères fondateurs en se limitant au seul marché intérieur. Le social est considéré comme un fardeau, relevant de la seule responsabilité des États membres.

La crise des subprimes, de crise financière, est devenue crise économique et sociale. Elle a remis la question sociale et les vertus de la réglementation sur le devant de la scène.

Certes, l’Europe résiste mieux que le reste du monde. Au sein de l’Europe, la France souffre, mais moins durement que d’autres pays, grâce à un modèle social que le Gouvernement s’acharne pourtant à remettre en cause bout par bout. Alors même que l’OCDE se tourne vers notre modèle et vante ses mérites protecteurs, le Gouvernement, par idéologie et manque de pragmatisme politique, persiste à vouloir tout mettre à bas au nom de l’adaptation à un monde qui vient de s’effondrer.

Cette crise a accentué le très fort sentiment d’insécurité économique et sociale : peur de perdre son emploi et de ne pas en retrouver ; peur des parents pour l’avenir professionnel de leurs enfants, qui sont les premiers touchés.

Le gouvernement français, et il n’est pas le seul, a tardé à prendre conscience de l’ampleur du marasme. En août dernier, François Fillon affirmait qu’il était ridicule de craindre la récession. Nous savons à présent que vont arriver sur le marché du travail, en l’absence de mesures adéquates, plus de 1 million de chômeurs supplémentaires en France, et plus de 9 millions en Europe.

En décembre, le Conseil européen, dominé par la droite, a adopté un plan de relance économique à hauteur de 1, 5 % du PIB, dont 1, 2 % à la charge des États. Ce plan est cruellement insuffisant : alors que l’Europe est la première puissance économique au monde, le Conseil européen s’est contenté d’un « mini plan » indigent, qu’il refuse de reconsidérer à la hausse et dont la seule ambition est d’avaliser les plans nationaux.

Or l’interdépendance des économies européennes implique la coordination des actions nationales et des plans de relance nationaux. Pour l’heure, ils jouent plutôt les uns contre les autres.

Un dessin de Plantu illustrait parfaitement l’état d’esprit qui prévaut dans les gouvernements nationaux : il montrait un ouvrier de chez Renault se réjouissant de la faillite possible d’Opel et un ouvrier de chez Opel se félicitant des difficultés de Renault. Or, il convient non de jouer une entreprise contre l’autre, mais de consolider les deux. Les dogmes de la toute- puissance du marché ont la peau dure et, en dépit des déclarations de principe, ni la droite européenne, ni le gouvernement français n’ont la volonté de mener une véritable politique de relance.

Dans ce contexte, les discours électoraux d’une droite convertie aux vertus de la réglementation ne sont qu’un hommage de circonstance. Hier, le modèle que les pays européens avaient patiemment élaboré depuis un demi-siècle était dénoncé par les esprits chagrins comme un frein à la compétitivité mondiale qu’il fallait démembrer.

Aux yeux de la droite, qu’elle soit française ou européenne, l’Europe sociale est au mieux une chimère, au pire un handicap dans la compétition mondiale. J’en veux pour preuve la décision de juin 2008 du gouvernement français d’accepter que l’on puisse étendre la durée hebdomadaire du travail à 65 heures par semaine, en dérogation à la règle des 48 heures.

Heureusement, cette disposition a été rejetée, mais la tentation demeure. Comment peut-on, d’un côté, prétendre lutter contre les délocalisations et, de l’autre, autoriser un mécanisme de dumping social aussi incitatif ? La tentation de régression sociale est grande dans notre pays quand certains ont l’impudence de proposer de travailler pendant un congé de maladie ou de maternité au motif de l’acquisition de nouveaux droits !

Face à cette droite européenne incohérente et inconséquente, tous les leaders socialistes et sociaux démocrates des vingt-sept pays membres de l’Union ont adopté un véritable programme commun, le Manifesto.

Nous avons fait l’Europe économique en créant des critères contraignants : c’était l’Europe de Maastricht. Aujourd’hui, nous devons nous engager dans un Maastricht social. Il ne s’agit pas de contraindre les États nationaux à modifier leur système de protection sociale. Mais nous pouvons, dans l’Europe des Vingt-Sept, trouver des points d’accord et construire un socle commun de droits sociaux qui prendra appui sur la Charte des droits fondamentaux.

Dans cet esprit, les socialistes et sociaux-démocrates européens se sont engagés sur un Pacte européen de progrès social. Ce pacte prévoit la fixation, dans chaque pays européen, d’un salaire minimum permettant de vivre décemment, un salaire adapté au niveau de vie du pays concerné. Il prévoit aussi la fixation d’un niveau de dépenses sociales et d’un niveau de dépenses d’éducation et de recherche.

Le Manifesto prévoit, en outre, l’insertion d’une clause de non-régression sociale dans chaque directive : cela signifie qu’aucun texte ne pourra s’appliquer au niveau national s’il comporte une menace de diminution des droits sociaux nationaux.

Alors que la droite fait du moins-disant social un élément de compétitivité économique, socialistes et sociaux-démocrates veulent que l’Europe soit le moteur du mieux-disant social. L’idéal européen, c’est non de mettre les travailleurs et les territoires en concurrence, mais de garantir leur protection et d’aligner leurs conditions de vie.

L’Union à Vingt-Sept représente un vrai défi. Le niveau de salaire d’un pays à l’autre varie de un à dix, le seuil de pauvreté de un à cinq. À l’occasion du dernier élargissement, l’Union européenne n’a pas mis assez de moyens pour permettre aux nouveaux entrants de s’engager dans une stratégie de rattrapage social. Elle n’a pas réuni les conditions pour éviter le dumping fiscal et social.

Et les récents arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes – Laval, Viking, Rüffert – sont à cet égard édifiants : la libre prestation de services serait supérieure au droit de grève puisque, dans ces arrêts, la Cour juge toutes les actions collectives illégales et donne une interprétation très étroite des possibilités de déroger à la liberté de circulation des services à des fins de protection des travailleurs.

Y aurait-il donc une hiérarchie des normes à peine voilée, les droits économiques primant sur les objectifs sociaux et les droits fondamentaux de l’Union européenne ? Dans cette jurisprudence, le droit syndical devient un élément de concurrence, alors qu’il devrait être un facteur de protection ! Nous demandons donc la révision de la directive sur le détachement des travailleurs, demande jusqu’ici restée lettre morte, à la Commission comme au Conseil.

Dans ce contexte de crise, nous devons également réaffirmer le principe de solidarité économique en renforçant l’appui financier aux États membres qui souffrent le plus de cette crise. Je pense, notamment, aux pays d’Europe centrale et orientale, non protégés par l’euro. Leur intégration européenne est aujourd’hui en péril. Si nous ne faisons rien, ils risquent de s’enfoncer un peu plus dans la crise et de ne jamais rattraper notre niveau de développement.

Il faut donc renforcer la capacité de la Banque européenne d’investissement, de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, du Fonds social européen et de tous les mécanismes existants pour les aider à stabiliser leur système financier, à investir dans la relance, enfin et surtout à protéger leurs salariés.

En outre, le Manifesto s’engage pour l’élaboration d’une directive-cadre sur les services publics en Europe. Le groupe socialiste du Sénat a présenté le 30 avril dernier une proposition de résolution demandant l’adoption d’une telle mesure. La majorité sénatoriale a profondément dénaturé le texte présenté par Catherine Tasca. Or les services publics, c’est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas !

En l’absence d’une véritable réglementation européenne, c’est le droit de la concurrence qui s’applique à nos services publics nationaux et locaux ; autrement dit, sans cette directive, nous nous privons des moyens de préserver nos services publics et nous assisterons, impuissants, à leur démantèlement progressif, au nom de la concurrence libre et non faussée !

Il est donc urgent de donner une nouvelle perspective à l’Europe après ces cinq années de Commission Barroso et d’institutions européennes dominées par une droite libérale. L’agenda social dit « renouvelé » de la Commission Barroso n’est pas à la hauteur du drame qui se joue.

De même, la présidence française du Conseil de l’Union européenne est loin d’avoir été un succès sur le plan économique et social. La fonction a été occupée par le chef de l’État français avec une satisfaction évidente. Or rien de ce qui est issu de cette présidence ne permet de pavoiser : pour la première fois, et dans un contexte de crise mondiale sans précédent depuis les années trente, le thème de l’Europe sociale ne figurait pas au rang des priorités françaises.

La majorité aurait donc bien tort d’instrumentaliser cette présidence à des fins électorales, d’abord parce que nous n’aurons pas la présidence du Conseil européen avant un certain temps, ensuite parce qu’il s’agit ici non de reconduire Nicolas Sarkozy au poste de président du Conseil, mais d’élire des députés européens.

La majorité entretient volontairement la confusion dans l’esprit de nos concitoyens sur les fonctions des institutions. Comment peut-on dès lors être surpris que l’Europe apparaisse illisible auprès des Français ?

Nos concitoyens attendent de l’Europe qu’elle les protège, non qu’elle les rende plus vulnérables. Ils attendent un bouclier social et n’ont que faire d’un bouclier fiscal qui ne profite qu’aux plus riches. Ils attendent un débat « propositions contre propositions », et non un énième discours réchauffé sur la sécurité ou des moulinets sur la prétendue ultragauche terroriste corrézienne.

J’ai ainsi développé certains points du programme socialiste pour les élections européennes. Je regrette qu’au mépris du projet européen et du débat démocratique qui devrait le nourrir, la majorité élève la triangulation au rang de programme politique en utilisant dans cette campagne des mots qui ne sont pas les siens, comme « protection » et « solidarité », alors qu’au nom de la concurrence libre et non faussée, nous assistons, de mois en mois, à une véritable casse de toutes nos protections.

Nous, socialistes, voulons retrouver une Europe de la solidarité et de la coopération, si chère à Jacques Delors.

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