Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 4 juin 2009 à 15h15
Sociétés publiques locales — Adoption d'une proposition de loi

Photo de Jacques MézardJacques Mézard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Ce dispositif est destiné à permettre aux collectivités, pour l’exercice de leurs compétences, d’intervenir dans le domaine concurrentiel, dans le respect des dispositions régissant ce champ. Il introduit dans notre arsenal législatif les instruments qui, dans les autres États membres de l’Union européenne, assurent aux collectivités publiques la liberté de contracter avec une société locale conformément aux exigences communautaires.

En effet, la jurisprudence dispense, sous certaines conditions, une collectivité de l’application des règles édictées en matière de marchés publics, selon le principe dit des « prestations intégrées ». Je fais d’ailleurs observer qu’il ne s’agit aucunement de contourner la jurisprudence européenne, mais bien au contraire d’être en harmonie avec elle.

C’est pourquoi les auteurs de la proposition de loi suggèrent d’adapter la loi française aux principes européens pour renforcer la capacité d’action des collectivités locales en leur permettant d’agir plus rapidement.

La proposition modifie par ailleurs le régime des sociétés publiques locales d’aménagement introduites par la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement.

Au fil des années, la Cour de justice des Communautés européennes a élaboré une jurisprudence dont on peut considérer qu’elle est aujourd'hui univoque.

Elle a fixé les conditions permettant à une personne morale qui dispose d’un pouvoir adjudicateur, au sens de la réglementation communautaire, de confier à un tiers la réalisation d’opérations qualifiées de « prestations intégrées », non soumises aux procédures de passation des marchés publics ; ces normes communautaires visent à garantir le jeu de la concurrence.

Pour écarter l’application des règles concurrentielles, la jurisprudence communautaire des « prestations intégrées » exige la réunion de deux conditions, qui ont été déterminées par l’arrêt Teckal du 18 novembre 1999 : l’autorité publique doit, d'une part, exercer sur la personne en cause un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services et, d'autre part, réaliser l’essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent.

Dans des décisions ultérieures, la Cour a précisé ces deux circonstances.

En ce qui concerne la réalité du contrôle analogue, celui-ci ne doit pas nécessairement être identique en tout point au contrôle exercé sur les services propres de l’autorité publique, comme le précise l’arrêt Coditel Brabant SA du 13 novembre 2008. Il doit permettre au pouvoir adjudicateur d’influencer les décisions sur son cocontractant, c’est-à-dire de disposer « d’une possibilité d’influence déterminante tant sur les objectifs stratégiques que sur les décisions importantes de cette société ».

En tout état de cause, le critère du contrôle analogue se trouve exclu si le capital de l’entité en cause est ouvert au privé, même pour une part infime, puisque, dans ce cas, la Cour considère que l’entreprise obéit « à des considérations propres aux intérêts privés et poursuit des objectifs de nature différente de ceux d’intérêt public ».

Nos sociétés d’économie mixte locales, nos SEML, sont donc clairement soumises aux procédures de mise en concurrence, puisqu’elles doivent comporter au moins un actionnaire privé ; d’où l’intérêt de créer et de développer des sociétés publiques locales. Pour le reste, les éléments de l’espèce sont déterminants.

Par ailleurs, s’il importe que le contrôle exercé sur l’entité soit effectif, il n’est pas indispensable qu’il soit individuel. En conséquence, ce contrôle peut être exercé conjointement par les autorités publiques. La procédure utilisée pour la prise de décision dans un organe collégial, notamment le recours à la majorité, est sans incidence.

Le second critère fixé par la Cour de justice est dit « de l’essentiel de l’activité ». Cette exigence, destinée à établir une harmonie avec les règles communautaires, impose à l’entité distincte de la collectivité – ou des collectivités – qui la détient de réaliser avec cette dernière l’essentiel de son activité.

Là encore, cette condition vise à préserver le jeu de la concurrence, dans le cas où une entreprise contrôlée par une ou plusieurs collectivités publiques exercerait une part importante de son activité économique avec d’autres opérateurs.

Cette notion résulte de la jurisprudence de la Cour de justice, qui, au fil de ses décisions, en a affiné les contours, prenant en compte « toutes les circonstances de l’espèce, tant qualitatives que quantitatives ».

L’activité de l’entreprise doit donc être consacrée principalement à la collectivité publique. Son volume, dans le cas d’une entité détenue par plusieurs collectivités publiques – une configuration que votre commission a souhaité favoriser – est évalué en prenant en compte les prestations réalisées au profit de l’ensemble des actionnaires.

La Cour vérifie le respect du second critère sans exiger que l’essentiel de l’activité soit réalisé avec telle ou telle de ces collectivités ; il importe, en revanche, de prendre en compte ces collectivités dans leur ensemble.

Je le répète, depuis la publication de l’arrêt Teckal, une série de décisions de la Cour de justice des Communautés européennes ont permis de dégager une jurisprudence que l’on peut considérer comme univoque et qui a été clairement confirmée par l’arrêt République italienne du 17 juillet 2008.

Par ailleurs, les sociétés publiques locales d’aménagement ont été créées par la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, après de longs débats et plusieurs tentatives antérieures, avec notamment, au Sénat, la proposition de notre ancien collègue M. André Vézhinet et les interventions de MM. Jean-Jacques Hyest et Jean-Pierre Sueur.

En définitive, la loi a consacré cette initiative. Les SPLA constituées sous la forme de sociétés anonymes avec des actionnaires exclusivement publics – les collectivités territoriales et leurs groupements –, ont pour objet de réaliser des opérations d’aménagement.

Selon un premier bilan de ce dispositif dressé au 31 mars 2009, trente-neuf initiatives ont été engagées : sept sociétés publiques locales d’aménagement ont été créées et trente-deux autres sont en projet. Parmi les promoteurs des SPLA, on trouve tout à la fois une région, des départements, des communes et des intercommunalités.

Deux cas de figure se présentent : soit la création d’une SPLA ex nihilo, soit la transformation en une telle société d’une SEML existante.

La proposition de loi présentée par notre collègue Daniel Raoul prévoit, en premier lieu, d’offrir aux collectivités locales un nouvel outil d’intervention, en généralisant à l’ensemble des services publics locaux le dispositif des SPLA, et, en second lieu, d’amender le régime des SPLA au vu de l’expérience acquise depuis trois ans.

Les sociétés publiques locales, ou SPL, se définissent tout à la fois par leur objet, la qualité de leurs actionnaires et la spécificité des règles qui les régissent.

Aux termes de l’article 1er de la présente proposition de loi, ces sociétés seraient créées soit pour réaliser, en plus des activités déjà ouvertes aux SPLA, des opérations de construction, soit pour exploiter des services publics à caractère industriel ou commercial ou toutes autres activités d’intérêt général.

Pour les auteurs de ce texte, les SPL, dont l’objet social doit être déterminé par référence aux compétences reconnues par la loi aux collectivités territoriales, pourraient intervenir « dans tous les domaines de compétence actuellement ouverts aux SEM ». En effet, nombre de ces dernières, comme l’a constaté Daniel Raoul, « ne travaillent que pour leurs collectivités actionnaires ».

Mes chers collègues, précisons que ce dispositif provoquera la transformation de certaines SEML en EPL, c'est-à-dire en établissements publics locaux, mais concernera essentiellement des sociétés créées à l’initiative d’une collectivité pour ses besoins propres.

Ces SPL sont constituées sous la forme de sociétés anonymes régies par le code de commerce, sous réserve des dispositions spécifiques aux SEML qui sont prévues par le code général des collectivités territoriales.

En ce qui concerne le capital de la société, l’ensemble des actions est détenu par des personnes publiques, à savoir les collectivités territoriales et leurs groupements, associées éventuellement – j’insiste sur ce dernier terme, car nous trouverons, me semble-t-il, une solution permettant de supprimer cette disposition – à des établissements publics.

Par dérogation à l’article L. 225-1 du code de commerce, qui fixe à sept le nombre minimum des actionnaires, la proposition de loi abaisse ce seuil à un ; toutefois, nous serons amenés à examiner un amendement tendant à le relever à deux.

Afin de tirer les enseignements de l’expérimentation menée actuellement dans les sociétés publiques locales d’aménagement, l’article 2 de la proposition de loi en modifie le régime sur trois points : la composition de l’actionnariat, l’objet et la forme de ces sociétés.

En ce qui concerne l’allégement de l’actionnariat, la loi du 25 mars 2009 a abaissé à deux le nombre minimum d’actionnaires.

Par ailleurs, l’article 2 de la proposition de loi élargit l’objet des sociétés publiques locales d’aménagement, pour permettre à celles-ci de « devenir de réels outils d’aménagement et de rénovation urbaine ». Il tend à doter les SPLA des pouvoirs institués dans ce cadre au profit des collectivités locales, à savoir la réalisation d’études préalables, l’acquisition foncière ou immobilière, les opérations de construction et de réhabilitation immobilières, l’acquisition et la cession de baux commerciaux.

Ces sociétés pourraient également exercer, par délégation de leurs titulaires, les droits de préemption et de priorité définis par le code de l’urbanisme, mais aussi agir par voie d’expropriation.

Enfin, l’article 2 de la proposition de loi prévoyait de diversifier le champ de la forme sociétale en permettant la constitution de SPLA en sociétés par actions simplifiées. Toutefois, après réflexion, nous sommes tous d'accord, me semble-t-il, pour supprimer une disposition qui emporterait plus de conséquences dommageables en matière de sécurité juridique qu’elle n’aurait d’avantages.

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