Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Réunion du 2 décembre 2005 à 15h45
Loi de finances pour 2006 — Travail et emploi

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission « Travail et emploi » est archétypale - c'est-à-dire emblématique, caractéristique, significative -, et ce à double titre.

Elle témoigne d'un caractère très relatif de sincérité, ce qui jette une ombre sur la sincérité du projet de budget pour 2006 en général.

Alors que cette mission devait apparaître dans les comptes de l'État comme la troisième en termes de crédits alloués, elle n'y figure que comme mission d'importance secondaire. La raison en est facilement intelligible : la plus importante politique de l'emploi s'est vue exclue de son périmètre. Dans ces conditions, comment prétendre sérieusement que « la justification au premier euro » est respectée ?

Les 13 milliards d'euros de crédits de paiement dont font état les documents budgétaires, répartis en cinq programmes, ne rendent compte que de manière très partielle de l'engagement national en faveur du travail et de l'emploi.

Comme le fait remarquer à juste titre le rapporteur spécial, Serge Dassault, « le transfert des exonérations générales de charges sociales à la sécurité sociale est problématique » ; c'est un euphémisme ! Par l'affectation de neuf taxes à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l'ACOSS, la première politique en faveur de l'emploi se trouve de fait débudgétisée. La reconstitution de façon cachée, en catimini, d'un nouveau FOREC - tout le monde ici se souvient du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale - est incohérente et prive la représentation nationale d'un débat fondamental. Le FOREC a été supprimé voilà trois ans ; feu le FOREC est aujourd'hui ressuscité. C'est la marque sinon d'une certaine incohérence - le mot est un peu dur -, du moins d'une politique qui se cherche.

Comment ce fonds a-t-il été reconstitué ? Par l'affectation de taxes peu dynamiques. La Haute Assemblée aurait été à notre avis mieux inspirée de remplacer ces neuf taxes par une fraction de TVA déterminée annuellement par le Parlement. Il se serait agi là d'une avancée courageuse vers la mise en place d'une TVA sociale. Alors que les comptes sociaux connaissent toujours une situation difficile, l'amélioration de la réforme du financement de la protection sociale semble une fois de plus manquée. Cela étant, le débat est désormais incontournable.

La représentation nationale ne peut plus discuter, en matière de lutte contre le chômage, de la politique clé que constituent les baisses de charges sociales. Les sept indicateurs « rattachables » à la politique d'exonération de charges ont disparu des projets annuels de performance, et aucun indicateur ne viendra combler ce vide dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Vous me permettrez une fois de plus, monsieur le ministre, de citer le rapport de la Haute Assemblée : « Les exonérations générales se trouveront ainsi écartées de la discussion budgétaire et de la mesure de la performance, alors que leur coût est élevé et leur efficacité contestable. »

Nous touchons là à la seconde raison pour laquelle la mission « Travail et emploi » nous paraît archétypale : elle témoigne de l'utilité de la « démarche LOLF », mais aussi de ses limites.

En matière de travail et d'emploi, la définition d'indicateurs de performance ainsi que la fixation d'objectifs chiffrés sont une démarche très positive. Mais la construction de ces indicateurs est une gageure. C'est particulièrement vrai pour la première de nos politiques de lutte contre le chômage, celle de la baisse des charges sociales.

Les études existantes se contredisent. Alors que cette politique absorbe près de 60 % des crédits consacrés au travail et à l'emploi, leur efficacité réelle en matière d'emploi peu qualifié est toujours sujette à spéculations. La part des effets d'aubaine est incertaine. Où en est-on de la mesure de la performance des baisses de charges ? Va-t-on continuer à subventionner une politique coûteuse pour l'État et la sécurité sociale sans plus de repères et, je le répète, sans engager de réforme du financement de la protection sociale ? La question est plus que jamais cruciale.

Pour le reste, la mission « Travail et emploi » rend compte de la mise en oeuvre, souvent erratique, des plans de lutte contre le chômage récemment adoptés. Ainsi, le présent projet de loi de finances fait apparaître que la programmation budgétaire de la loi de cohésion sociale n'est pas respectée. Le volet « emploi » du plan Borloo semblerait accuser un retard de 600 millions d'euros.

De même, l'organisation par l'ANPE d'un entretien mensuel pour tous les chômeurs n'est pas financée. Selon mes informations, il manquerait 150 millions d'euros.

Entre précarisation du contrat de travail, liée à la mise en place du contrat « nouvelles embauches », baisse non évaluée des charges sociales et absence de financement des politiques les plus prometteuses, à l'heure où le chômage marque le pas et où l'emploi constitue la première préoccupation de nos concitoyens, c'est une politique plus transparente, plus étayée et plus structurée que les Français sont en droit d'attendre en matière de lutte contre le chômage.

Monsieur le ministre, vous qui êtes notre ancien collègue, je voudrais que vous regardiez cette intervention quelque peu critique comme une contribution au débat. Mes collègues du groupe de l'UC-UDF et moi-même comptons beaucoup sur votre dynamisme et sur votre action pour prendre nos remarques en considération et essayer d'améliorer la situation.

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