Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, même si elle s'adresse à des populations et à des territoires précis, la politique de la ville est une politique globale : violences, chômage, mixité sociale, intégration culturelle, économie souterraine, logement, urbanisme, éducation, sécurité, soutien à la fonction parentale, autant de problèmes qui ont nécessité la mise en oeuvre de politiques publiques à tous les niveaux - l'Europe, l'État, la région, le département, l'intercommunalité, la commune, les établissements publics - sans que la cohérence soit toujours la règle. Comment d'ailleurs le serait-elle, puisque la ville est non pas un sujet de droit, mais un objet politique et social indéfini ?
Cette cohérence limitée s'explique déjà par trois facteurs constitutifs.
Les plans se sont succédé au gré des crises urbaines et des alternances politiques sans que la continuité de l'action de l'État soit toujours assurée. D'autre part, les politiques publiques ont été élaborées sous la forme du contrat, procédure souple mais incertaine car tous les cocontractants ne s'engagent pas avec la même force, à commencer par l'État.
Enfin, politique expérimentale promue par une administration de mission à ses origines, la politique de la ville est aujourd'hui vieille de trente ans : cet enracinement pose la question de sa transformation en politique publique pérenne, qui a besoin de stabilité pour être efficace.
Comment rendre la politique de la ville efficace ?
À la veille du plan présenté ces jours-ci par le Gouvernement, il faut reconnaître que la mobilisation financière et politique pour la politique de la ville s'était fragilisée
La politique de la ville a subi les effets des remises en cause au gré des alternances et des disponibilités financières.
Les différents contrats sont trop souvent soumis aux fluctuations politiques et budgétaires, alors qu'il est nécessaire qu'ils s'inscrivent dans la durée.
Ces dernières années, les crédits de l'État ont diminué. Depuis deux ans, l'État a demandé aux collectivités de hiérarchiser les actions et la baisse des crédits de fonctionnement au profit des crédits d'investissement, notamment pour les opérations de démolition et de reconstruction, s'est accélérée de 2004 à 2005.
La péréquation effective des ressources entre les villes, qui contribue en grande partie au financement de la politique de la ville, a été remise en cause par certains. Si la réforme de la DSU est satisfaisante, celle du fonds de solidarité des communes de la région d'Île-de-France reste à éclaircir et à consolider.
Les aides favorisent souvent les territoires les plus pauvres, qui concentrent la majorité des crédits, au détriment des territoires intermédiaires, qu'il faut éviter pourtant de faire basculer dans la pauvreté.
Par ailleurs, les crédits européens destinés à la politique de la ville sont menacés de réduction, voire de disparition, dans la prochaine programmation financière, et il ne faut pas oublier que l'engagement de certains financeurs, comme les caisses d'allocations familiales, a tendance à diminuer, parfois même de façon brutale.
De ce fait, la responsabilité financière repose sur les villes ou les établissements publics de coopération intercommunale du fait de la défaillance de certains partenaires, au point que la politique de la ville a pu contribuer parfois à fragiliser et à dégrader les finances communales.
Dès lors, comment favoriser la continuité et la pérennité des actions ?
Après trente ans de politique de la ville, celle-ci doit en effet passer d'une logique d'expérimentation à une logique de pérennisation pour être pleinement efficace.
Une adaptation des procédures est nécessaire. La continuité de l'action rend obligatoire un assouplissement des règles d'adoption des projets, qui doivent s'inscrire dans le temps et ne pas faire l'objet d'une négociation annuelle aboutissant souvent à contraindre les collectivités à un nouvel habillage de projets identiques.
Les contrats doivent par ailleurs être alignés sur le mandat municipal : les futures conventions devraient constituer le socle des engagements du maire et des dirigeants d'établissements publics de coopération intercommunale, qui sont d'ailleurs eux-mêmes des maires. Il faut ramener leur durée à six ans, en cohérence avec le mandat municipal, tout en prévoyant une importante possibilité de révision à mi-parcours
Les politiques publiques sont fractionnées par domaine d'intervention, avec un noyau dur - les contrats de ville - et des politiques sectorielles - les contrats pour l'éducation, la sécurité, les activités parascolaires, le secteur social, l'enfance, le logement - qui ne sont pas toujours coordonnés, voire qui ne le sont jamais, et qui n'ont pas les mêmes échéances. Ces politiques devraient être intégrées dans une contractualisation globale.
J'en viens à la pertinence territoriale.
Il serait utile de cibler les quartiers les plus pénalisés sans les couper du reste du territoire urbain, d'abord grâce à la révision permanente de la géographie prioritaire de la politique de la ville : celle-ci date de plus de dix ans ! Ainsi, le périmètre des zones urbaines sensibles, les ZUS, a été arrêté en 1996 selon les données du recensement de l'INSEE de 1990. Les recensements effectués depuis permettraient d'actualiser les données !
Ensuite, il faudrait prévoir un système évolutif, après évaluation des situations sur le moyen et le long terme, afin de permettre la sortie progressive du contrat de ville lorsque les territoires ne connaissent plus de difficultés, tout en préparant les porteurs de projets à s'orienter progressivement vers des financements de droit commun.
Il convient d'appréhender l'ensemble des agglomérations et non des périmètres communaux trop exigus du fait de l'émiettement communal - y aurait-il d'ailleurs une politique de la ville s'il y avait 8000 communes au lieu de 37 000 ? - et de faire de la structure intercommunale le seul interlocuteur de l'État dans un cadre contractuel, ce qui implique d'intégrer les projets des communes dans un projet global d'agglomération.
Le territoire d'intervention des politiques publiques est théoriquement le quartier et leur territoire de cohérence l'agglomération urbaine. En fait, certains quartiers passent à travers le dispositif ou ne sont appréhendés qu'en partie et les agglomérations sont rarement concernées globalement, faute pour l'État de pouvoir passer des contrats avec toutes les communes concernées, du fait de l'absence de continuité territoriale des contrats d'agglomération.
L'application des contrats entre l'intercommunalité et les communes devrait s'inspirer du principe de subsidiarité : par exemple, pour l'agglomération, la sécurité et l'aménagement du territoire, et, pour les communes, la prévention et le suivi social.
Comment renforcer aujourd'hui les « piliers » de la politique de la ville ?
Disons-le d'abord, les axes du plan du Gouvernement présenté par M. de Villepin sont les bons : l'emploi, le logement, l'éducation.
En matière d'emploi, le plan vise à combattre le chômage, notamment par la formation et la création de nouvelles zones franches.
Il tend également à développer l'apprentissage. L'abaissement de l'âge d'entrée en apprentissage à quinze ans est une bonne idée, à condition évidemment de maintenir les passerelles avec le système scolaire classique et de ne pas transformer l'apprentissage en ghetto éducatif.
De même, les emplois de proximité sont à développer, à condition qu'ils ne soient pas précaires et que les plans de formation nécessaires à ce type de personnels soient également financés par l'État et non par les collectivités, comme c'est le cas actuellement.
En matière de logement, il est nécessaire de construire, mais il convient aussi de rénover et d'adapter l'habitat existant.
En matière d'éducation, le plan global pour l'éducation présenté le 1er décembre 2005 par le Premier ministre est un projet qui cible les vrais enjeux à travers les six chantiers pour « l'égalité des chances » à l'école : la lecture et l'apprentissage du français, le redéploiement de l'aide aux zones d'éducation prioritaires, les ZEP - dont il faudrait cependant rendre les procédures de création moins bureaucratiques -, la formation et la stabilité des enseignants, la responsabilisation des parents, la réforme de l'orientation pour la rendre plus efficace, et l'apprentissage.
A ces six chantiers s'ajoutent les mesures annoncées le 9 novembre par le Premier ministre : le renforcement du soutien scolaire à tous les niveaux et l'émergence d'une élite - par l'augmentation substantielle du nombre de bourses -, à condition évidemment de ne pas oublier les autres
On doit également inclure dans cet ensemble les initiatives prises pour inciter l'éducation nationale à investir dans les banlieues, à l'exemple du projet de lycée d'excellence qui a été annoncé dans la Seine-Saint-Denis.
Pour autant, il ne faudra pas oublier la priorité absolue du maintien de l'ordre public, de l'égalité devant la loi et du démantèlement de l'économie souterraine.
Comment garantir dans la durée les engagements qui ont été pris ?
L'État doit s'engager à long terme en matière de financement, en évitant notamment les gels de crédits, qui sont fréquents.
Il convient, d'autre part, de simplifier la passation des contrats en unifiant les procédures et les durées, et il faut en finir avec la négociation permanente, qui est le lot de tous les maires des communes de banlieue.
Il faut aussi que l'on puisse s'appuyer sur des partenaires stables : le préfet, le sous-préfet à la ville, le pouvoir d'agglomération, les maires, sans en inventer de nouveaux qui ne seront jamais plus compétents que ceux qui suivent les dossiers au jour le jour depuis des années.
Il faut enfin renforcer la pérennité et le professionnalisme des partenaires associatifs, mais aussi les évaluer sans complaisance avant et après les avoir financés.
Madame la ministre, la politique de la ville nécessite, si l'on veut qu'elle ait des effets, un travail à long terme, avec des acteurs assurés de pouvoir disposer de moyens et de temps. Mais elle ne peut avoir de chance de réussir qu'à deux conditions.
La première est qu'elle associe ceux auxquels elle s'adresse. Le développement de la démocratie de proximité est une condition indispensable du succès, ce qui implique que l'on s'appuie, par exemple, sur les conseils de quartier - trois ans après la loi Vaillant, leur action pourrait être évaluée -, et que le fonctionnement des communautés d'agglomération et des communautés urbaines devienne plus transparent en attendant d'être un jour - espérons-le - plus démocratique.
La seconde condition est que cette politique de la ville s'enracine sur un socle de valeurs communes transmises aux nouvelles générations, souvent sans repères, qui vivent dans ces banlieues, et que ces valeurs soient transmises par toutes les institutions et les associations qui forment le tissu vivant de la politique de la ville.