Intervention de Odette Terrade

Réunion du 16 décembre 2009 à 14h45
Renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux — Article 1er

Photo de Odette TerradeOdette Terrade :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été soulignées par les nombreux intervenants précédents.

Je centrerai mon intervention sur le mode d’élection des futurs conseillers territoriaux que prévoit le projet de réforme des collectivités territoriales, du moins tel que nous en avons connaissance, c'est-à-dire le scrutin uninominal majoritaire à un tour. J’aborderai, en particulier, la question de la parité entre les femmes et les hommes parmi les futurs conseillers territoriaux.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, dans cet hémicycle, je suis de celles qui ont voté avec enthousiasme les lois sur la parité en 1999 et en 2000 ! J’espérais qu’elles seraient un levier pour d’autres avancées dans toutes les sphères de la société, politique, économique, privée.

Hélas, le projet de loi que vous nous proposez constitue non pas une avancée, mais un recul considérable !

Pourtant, la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 relative à l’égalité entre les femmes et les hommes et la modification qu’elle a introduite dans notre norme fondamentale faisaient suite à de nombreuses luttes des femmes pour conquérir leurs droits et parvenir à l’égalité. Je pense notamment au droit de vote, au droit à l’interruption volontaire de grossesse, l’IVG, à l’accès à la contraception ou aux luttes pour l’emploi et pour l’égalité professionnelle.

Or, d’après les informations dont nous disposons actuellement, rien n’est prévu aujourd'hui pour garantir la parité parmi les conseillers territoriaux et pour assurer le respect de notre Constitution.

Monsieur le secrétaire d’État, pensez-vous un seul instant que les femmes vont accepter cette marche arrière radicale ? En proposant le mode de scrutin uninominal à un tour, qui n’a plus été utilisé depuis 1852, comment avez-vous pu imaginer que les femmes allaient se laisser faire et se résoudre à voir remis en cause les progrès durement acquis pour l’égale représentation des femmes dans nos institutions ?

Faut-il vous rappeler que les femmes représentent la moitié de l’humanité, qu’elles constituent 51 % de la population de notre pays et 53 % du corps électoral ? Il est donc tout à fait normal de penser à leur juste représentation parmi les élus de la nation et des collectivités.

Une fois de plus, sous prétexte de « simplification » ou de « modernisation », vous proposez un texte qui réduit ce qu’il pouvait y avoir de bon et de démocratique dans le système actuel, certes imparfait, au profit d’une machine anti-démocratique, centraliste, voire monarchique.

Quel argument allez-vous utiliser pour justifier le scrutin uninominal, qui oriente plus vers un choix de personne que vers un choix de programme, au lieu du scrutin de liste ? En effet, comment faire avancer la parité avec un tel mode de scrutin, alors qu’il est déjà si difficile de la garantir sur des listes, même lorsqu’elle est imposée par la loi ?

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez habilement répondu aux précédentes interrogations sur le sujet en évoquant uniquement les élus des communes de 500 à 3 500 habitants, alors que les questions portent bien sur les conseillers territoriaux !

Je le rappelle, la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 relative à l’égalité entre les femmes et les hommes a inséré, à l’article 3 de notre Constitution, un alinéa ainsi rédigé « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » et a complété son article 4 en précisant que les partis et groupements politiques contribuaient à la mise en œuvre de ce principe.

Comme je l’ai indiqué, cette loi fut le résultat de plusieurs années de combat des femmes de tous les bords politiques contre une situation où la « non-place » dans la vie publique relève de la responsabilité des partis politiques. Il a fallu de longs débats, à plusieurs reprises, en particulier au sein de cette assemblée, pour que la loi devienne un peu contraignante et que des résultats tangibles voient le jour.

Grâce à cela, les conseils régionaux sont aujourd’hui l’une des institutions où le principe de parité est le moins mal respecté, puisque 47, 6 % des conseillers régionaux sont des femmes, et ce grâce au scrutin de liste.

Selon une étude réalisée par l’Observatoire de la parité au mois d’octobre, le nouveau mode de scrutin envisagé – 80 % des conseillers territoriaux seraient élus au scrutin uninominal majoritaire à un seul tour et les 20 % restants au scrutin proportionnel –, ferait passer le nombre de conseillères territoriales de 23 % à 19, 6 %. Sur ce plan au moins, ce n’est pas un progrès !

Je le rappelle également, avant la révision constitutionnelle de 1999, il n’y avait aucune femme dans vingt-trois conseils généraux. Aujourd'hui, une telle situation ne concerne plus que trois départements. Certes, c’est toujours trois de trop, mais nous avons bien la preuve que le fait d’imposer par la loi la parité dans les scrutins de liste, notamment pour les élections régionales, a bel et bien eu une influence non négligeable sur les autres scrutins.

Certes, le fait que le principe de parité soit mieux respecté dans les conseils municipaux des villes ayant entre 500 et 3 500 habitants constitue un progrès, et c’est un argument à retenir. Mais qu’en sera-t-il réellement lorsque les communes seront regroupées, comme c’est le souhait du Gouvernement, en intercommunalités, ce qui aura pour résultat de supprimer, de fait, l’échelon communal ?

Présenter une démarche très volontariste pour la parité dans des instances appelées à disparaître pourrait être interprété comme une habile manipulation, voire l’expression d’un certain cynisme.

Je veux le réaffirmer ici, malgré les progrès obtenus, qui disparaîtraient avec cette réforme, la représentation des femmes dans notre société et dans les institutions de la République est, aujourd’hui encore, très en dessous de ce qu’elle devrait être.

Alors que les femmes représentent un peu plus de la moitié de nos concitoyens, elles restent minoritaires, voire très minoritaires, dans les rangs des élus. En outre, leur représentation a bizarrement tendance à diminuer à mesure qu’on s’éloigne de l’échelon local.

De plus, compte tenu des circonstances, il semble qu’il faille encore rappeler à quel point la parité est un véritable enjeu de société. C’est un point essentiel dans la démocratie et dans l’implication de toute la société en politique. Cet aspect prend toute sa valeur si l’on considère la progression de l’abstention au cours de ces dernières années.

En d’autres termes, notre attachement à la parité vise non pas à remplacer une élite masculine par une élite féminine, mais à permettre à un plus grand nombre de nos concitoyennes et de nos concitoyens de participer à la vie politique et d’investir les lieux de décisions.

À ceux de nos collègues tentés de me répondre que la parité n’a pas besoin d’incitation légale ou que le mode de scrutin n’y fait rien, je rappelle une phrase prononcée par ma collègue Nicole Borvo Cohen-Seat lors du débat de 1999 : « Si l’égale capacité des femmes est une réalité aussi ancienne que le partage de l’Humanité entre hommes et femmes, c’est la volonté politique et la loi qui ont fait que les études, les grandes écoles, les corps de l’État leur sont peu à peu ouverts. »

Mes chers collègues, ne soyons pas en 2009 en-deçà de ce qui a été fait en 2000 ! Ne décidons pas, à partir d’une vision technocratique de notre territoire, d’une réforme des collectivités qui complique nos institutions et éloigne un peu plus les élus de terrain de leurs électeurs !

Comme vous l’avez compris, en l’état actuel, je ne peux pas accepter l’article préparant une réforme qui n’amène rien de bon pour les femmes. C’est pourquoi je voterai contre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion