Doutes sur la réalité des chiffres du chômage, inquiétudes pour les trop nombreux jeunes qui ne peuvent accéder à l'emploi, interrogations quant à la persistance des discriminations à l'embauche, mais, monsieur le ministre, certitude sur les objectifs de votre politique de l'emploi : vous avez utilisé la pression du chômage pour favoriser l'explosion de la précarité. Vous vous félicitez aujourd'hui d'un taux de chômage à 8, 8 %, mais la réalité de ce que vivent nos concitoyens rend inaudible votre autosatisfaction.
Selon M. Souvet, rapporteur pour avis de cette mission, la baisse de 4 % des crédits affectés à la mission « Travail et emploi » par rapport à 2006 n'est qu'une question de changement de périmètre.
Cette affirmation est exacte, mais le choix des coupes budgétaires éclaire les motivations du Gouvernement : l'État fait baisser ses charges en réduisant, d'une part, sa subvention au fonds de solidarité, qui gère notamment l'ASS, l'allocation de solidarité spécifique, et d'autre part, les sommes allouées à l'AFPA.
Monsieur le ministre, c'est donc en vous désengageant des programmes de solidarité pour les chômeurs en fin de droits et en affectant à la formation des ressources aléatoires et non pérennes que vous abordez la question des objectifs de cette mission budgétaire !
Si les subventions qui concernent directement les chômeurs et les salariés se voient rognées, d'autres, en revanche, ne cessent de croître.
En 2007, les allégements de cotisations sociales patronales dépasseront pour la première fois 25 milliards d'euros. Il s'agit d'un montant bien supérieur à celui du budget que nous examinons, et donc aux sommes consacrées, en principe, aux politiques « actives » du marché du travail, comme la formation des demandeurs d'emplois, l'insertion par l'économie et la prévention du licenciement.
Les exonérations de cotisations sont devenues l'instrument majeur de la politique de l'emploi, dans des proportions jamais égalées, alors même que leur efficacité se trouve de plus en plus contestée.
Vous me répondrez, monsieur le ministre, que la loi sur les 35 heures s'est, elle aussi, appuyée sur ce type d'exonérations. Toutefois, ces dernières présentent une différence fondamentale : elles étaient ciblées et s'accompagnaient de contreparties en termes d'embauche et d'organisation du travail.
Vous, vous distribuez les aides sans rien exiger en retour, sans aucun contrat d'objectifs et sans jamais contrôler l'usage qui en est fait.
Pourtant, dans un pays où la dette publique dépasse 64 % du PIB, l'argent est un bien rare : il ne devrait être dépensé qu'à bon escient.
Or non seulement l'efficacité de telles dépenses n'est pas démontrée, mais ces exonérations sont détournées de leur fonction : les industries les plus exposées à la compétition internationale et au risque de délocalisation en bénéficient peu, alors que les emplois de ce secteur sont les plus menacés.
En revanche, les plus gros bénéficiaires du système, comme la grande distribution et le secteur tertiaire en général, profitent pleinement de l'aubaine, alors qu'ils sont les moins exposés.
Le rapport de la Cour des comptes de juin 2006 traite fort bien de ces questions. Outre les doutes nourris par les magistrats sur l'impact réel de cette manne financière, il pointe les effets secondaires négatifs pour les salariés concernés.
La concentration des allégements sur les salaires inférieurs à 1, 6 fois le montant du SMIC a créé une trappe à bas salaire. Selon l'INSEE, prés de la moitié des salariés se trouvent aujourd'hui concernés.
Le rapport témoigne également de la précarisation croissante du travail. Aujourd'hui, 75 % des embauches se font sous forme de CDD. La majorité des créations d'emplois se font autour de contrats précaires et ne proposent qu'instabilité et insécurité aux salariés.
Cette instabilité de l'emploi est d'ailleurs la première source d'inégalité en France. Dans son rapport, le Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, le CERC, constate qu'« environ 40 % des salariés français voient chaque année leur salaire individuel baisser, principalement en raison de la variation de leur durée d'emploi ou de leur durée de travail ».
Cumulant des taux de rémunération faible, des emplois à temps partiel ou dont la durée ne porte pas sur toute l'année, les salariés sont les principales victimes de votre politique.
Vous connaissez les observations de la Cour des comptes, les constats de l'INSEE, les remarques du CERC. Si vous choisissez de ne pas en tenir compte, c'est que votre but est simple : comme le déclarait M. Jean-Pierre Revoil, directeur général de l'UNEDIC, il s'agit de convaincre tout un chacun, qu'« un emploi précaire est préférable au chômage. »
Les mesures que vous présentez dans ce budget se situent dans la droite ligne de la stratégie que vous mettez en place : déréglementation du marché du travail, précarisation de l'emploi, projet de contrat de travail unique.
Vous savez toutefois que ce n'est pas en baissant les salaires que vous trouverez une solution au problème du sous-emploi.
Pis encore, la consommation intérieure qui soutenait jusqu'à présent la croissance s'essouffle, et les informations qui viennent d'être publiées montrent que ce choix a des effets immédiats sur les chiffres du chômage en octobre.
À travers ce budget, le Gouvernement persiste et signe. J'en donnerai quelques exemples : les crédits du programme « Développement de l'emploi » sont en hausse de 48, 3 % et sont concentrés sur deux secteurs : les services à la personne et l'aide à l'emploi dans les hôtels, cafés et restaurant.
La majorité des créations d'emploi à porter au crédit du Gouvernement se fait d'abord dans le secteur des aides à la personne, d'où votre choix de développer ce type d'emploi en vous appuyant sur le dispositif des chèques emploi-service universels, les CESU.
Ce sont 1 200 sociétés de services qui ont vu le jour depuis un an. Elles bénéficient des allégements généraux de cotisations sociales patronales sur les salaires équivalents au montant du SMIC et d'une TVA réduite à 5, 5 %.
Les agréments qui devaient être limités ont été très largement distribués. A l'article 12 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Parlement a encore élargi le champ de ces agréments.
En revanche, les salariés ne bénéficient pas d'une convention collective, alors que c'est paradoxalement le cas des salariés de particuliers employeurs.
Par ce biais, vous tendez à transformer les salariés en prestataires de service : ils assument tous les risques, pour des salaires a minima et des durées de travail non garanties. Ce secteur compte déjà 1, 3 million d'employés et votre objectif est de créer 500 000 emplois par an.
Ces emplois peu qualifiés, précaires, à temps partiel, sont financés par la collectivité nationale à travers la prime pour l'emploi et les exonérations de cotisations et d'impôts. Avec ce type de mesures, le phénomène des travailleurs pauvres n'a aucune chance de reculer et, de plus, la dette sociale n'a aucune chance d'être maîtrisée.
Dans le secteur des hôtels, cafés et restaurants, votre objectif est clair. Le rapport Joyandet présenté à l'Assemblée nationale le dit clairement : vous entendez « baisser le coût du travail pour faciliter le développement de ces secteurs à fort potentiel d'emplois ».
L'aide spécifique s'élève à 697 millions d'euros en 2007. Ce dispositif fait suite à une aide de 500 millions d'euros en 2004, de 1, 4 milliard d'euros en 2005 et à un plan de croissance en 2006 qui s'est traduit par des allégements de cotisations sociales et des aides forfaitaires d'un montant de 530 millions d'euros.