Monsieur le ministre, vous nous présentez votre dernier budget de la législature pour la recherche et l'enseignement supérieur. Permettez-moi donc d'en dresser un rapide bilan.
Cette législature aura vu s'exercer, en matière d'enseignement supérieur et de recherche, comme dans d'autres secteurs d'ailleurs, l'art du leurre et de la désillusion. Envers les étudiants, envers les chercheurs, comme envers tant d'autres catégories de Français, vous n'avez pas tenu vos engagements.
Je ne prendrai que quatre exemples pour étayer mon propos.
Premièrement, s'agissant du logement étudiant, il manque, dans votre budget, 10 millions d'euros pour financer le plan Anciaux lancé en 2004. L'objectif de 70 000 chambres réhabilitées et de 50 000 chambres construites sur dix ans ne pourra être tenu. Pour l'heure, depuis la mise en oeuvre du plan, 6 000 logements seulement ont été construits, alors que 15 000 auraient dû l'être durant cette période.
Seuls ont été entrepris des travaux de mise en conformité et de sécurité dans les résidences les plus vétustes. Et là, monsieur le ministre, vous ne pouvez pas invoquer l'argument du foncier : il ne peut en aucun cas justifier le retard pris en la matière ! Or, ce retard sera encore accentué l'an prochain. Pour financer les 5 000 réhabilitations prévues pour 2007, 15 millions d'euros auraient été nécessaires au titre de la participation de l'État ; le « bleu » ne fait apparaître que 1, 7 million d'euros.
Deuxièmement, concernant l'emploi, les promesses du Président de la République portaient sur 3 000 créations en 2006 et autant en 2007, dans l'enseignement supérieur et la recherche. Elles ne seront qu'au nombre de 2 000 cette année. La LOLF nous interdit de créer des emplois. C'est bien regrettable parce que les projections, à l'horizon 2016, pour le seul enseignement supérieur, font état de 9 842 départs à la retraite de professeurs des universités sur les quelques 18 000 en exercice, soit plus de la moitié du corps, et d'environ 9 500 départs chez les maîtres de conférence, soit un quart du corps. Avec une moyenne de création de moins de 1 000 emplois par an dans l'enseignement supérieur, vous êtes bien loin d'assurer le renouvellement du corps enseignant, monsieur le ministre !
Troisièmement, s'agissant de l'allocation de recherche pour les doctorants, vous vous étiez fait fort, monsieur le ministre, lors de l'examen de la loi de programme pour la recherche, de la porter à 1, 5 fois le SMIC au 1er janvier 2007. Là encore, vous ne tenez pas vos engagements. En réalité, les allocations de recherche n'augmenteront que de 8 % à partir du 1er février prochain, et la revalorisation annoncée à 1, 5 fois le SMIC ne sera effective qu'au 1er octobre 2007, et n'interviendra qu'en troisième année de doctorat, c'est-à-dire à la fin de la thèse !
Quatrièmement, le milliard d'euros annuel pour la recherche reste hypothétique, comme l'an passé, puisque, pour presque un tiers, il porte sur le crédit d'impôt recherche, une prévision de dépense non garantie.
Non seulement vous ne tenez pas les engagements que vous avez pris devant les Français, mais, en plus, votre politique en matière d'enseignement supérieur comme de recherche ne permet pas de répondre aux enjeux actuels de ces secteurs.
Pour l'enseignement supérieur, la priorité doit être la lutte contre l'échec en première année universitaire. C'est une aberration que des bacheliers des filières professionnelles ou technologiques viennent « se perdre à la fac », alors que des places en IUT ou BTS, où ils ont de bien meilleures chances de réussir, restent vacantes ! Cela n'est pas seulement dû à une mauvaise orientation ; c'est bien plutôt le fait d'une surreprésentation des lycéens des filières générales dans ces sections sélectives et, parfois, d'une volonté délibérée de restreindre les recrutements.
Or, monsieur le ministre, vous n'abordez l'échec en premier cycle que sous l'angle de l'orientation. Encore faut-il s'entendre sur ce terme ! Les craintes sont grandes que l'orientation ne s'apparente, dans votre logique, au cheval de Troie de la sélection. Les solutions à la sélection par l'échec ne peuvent pas passer par une autre forme de sélection, institutionnalisée celle-là.
J'en viens maintenant plus spécifiquement au secteur de la recherche. Le bilan de cette législature en ce domaine, monsieur le ministre, se traduit avant tout par une erreur stratégique manifeste durant les trois premières années. Vous avez asphyxié les laboratoires de recherche, en remettant en cause le programme pluriannuel des emplois scientifiques mis en place en 2000 par le gouvernement de Lionel Jospin et en pratiquant des coupes claires dans les budgets.
Vous tentez un rattrapage depuis deux ans, très en deçà des promesses faites aux chercheurs, comme je l'ai déjà démontré, et en cassant les assises de notre système de recherche.
Le déséquilibre prévisible, que nous avions dénoncé lors de l'examen de la loi de programme sur la recherche, entre les financements sur projets de l'ANR et les financements récurrents des organismes de recherche se voit confirmé.
Face au resserrement des crédits, des laboratoires du CNRS voient leur dotation fondre comme neige au soleil, alors que des disciplines pourtant jugées « priorité nationale » se trouvent menacées. Ainsi, pour les sciences de la vie, par exemple, qui maintiendra les recherches fondamentales, si ce n'est le CNRS ? C'est la politique de la courte vue qui s'impose. Hors de l'association d'un pôle de compétitivité et d'un financement par l'ANR, il n'est pas de salut pour les équipes de recherche.
Quant aux PRES, seule mesure d'importance de votre réforme pour les universités, quel bilan pouvons-nous en tirer ? Vous avez certes réussi un bon coup de marketing, monsieur le ministre : chacun a pu mettre ce qu'il voulait dans l'emballage de ce sigle. Il en résulte que, sur le terrain, les règles du jeu sont si floues qu'elles sont source de blocage, et que les organismes de recherche ne se sentent pas concernés par la constitution de PRES, faute de précisions sur leurs missions. Au final, les universités risquent fort de voir les réseaux de thématiques de recherche avancée les assécher de leurs meilleurs éléments.
Pour 2007, les dépenses fiscales en faveur de la recherche atteignent 1, 8 milliard d'euros. Vous avez trouvé un biais, en faveur de la recherche industrielle, celui de la dépense fiscale prévue, mais certainement pas garantie, pour tenter de respecter le fameux milliard d'euros annuel supplémentaire.
Mais quid du financement et de la pérennité de l'Agence d'innovation industrielle ?
Cette année, ce sont 280 millions d'euros de dépenses fiscales supplémentaires qui sont avancés, dont 170 millions d'euros pour le crédit d'impôt recherche. Ces augmentations annuelles répétées sont-elles crédibles au regard de la consommation effective du crédit d'impôt recherche ? Quel est, monsieur le ministre, le résultat pour 2005, et la consommation réelle attendue pour 2006 ? La question de l'efficacité du crédit d'impôt recherche se pose d'autant plus que le Gouvernement devait déposer au Parlement, le 1er octobre dernier, un rapport établissant l'évaluation économique du crédit d'impôt pour dépenses de recherche.
En 2004, vous avez revu les modalités du crédit d'impôt recherche, pour prendre en compte une part « volume », de l'ordre de 5 % des dépenses consacrées à la recherche et au développement sur une année. Vous avez également réévalué le plafond par an et par entreprise, qui est ainsi passé de 6, 1 millions d'euros à 8 millions d'euros.
En 2005, un nouveau changement est survenu, qui porte non seulement sur le plafond de dépenses éligibles, leur nature, mais aussi sur la répartition entre accroissement et volume.
Monsieur le ministre, quel premier bilan pouvez-vous tirer de cette réforme ? Quel est l'impact du crédit d'impôt recherche en termes d'emplois ? Dans quelle proportion constitue-t-il, pour certaines entreprises, une aide publique comme une autre, au même titre que les baisses de charges, sans qu'il soit réinvesti dans le budget « recherche » de l'entreprise ? Représente-t-il réellement une incitation à investir dans la recherche et le développement pour les entreprises qui n'en font pas du tout, ou très peu ? Le Parlement n'a pas les moyens d'en juger.
Néanmoins, si le rapport du Gouvernement n'était pas disponible à la date prévue, une étude du mois de mai 2006 sur l'impact du crédit d'impôt recherche, effectuée par un cabinet spécialisé dans le conseil en politiques technologiques, figure sur le site de votre ministère.
On y apprend, selon le panel d'entreprises ayant répondu à l'enquête, que, plus que le crédit d'impôt recherche, les avances remboursables sont l'instrument de soutien à la recherche et au développement le plus efficace en termes d'impact sur le volume de l'effort de recherche et développement des entreprises.
Le crédit d'impôt recherche n'est pas le premier élément qui intervient dans la décision d'une entreprise de faire de la recherche ; c'est bien l'existence ou non d'un projet clairement identifié. Les entreprises bénéficiaires du crédit d'impôt recherche et d'une aide de l'ANVAR - avance remboursable ou aide au recrutement d'un ingénieur ou d'un docteur - plébiscitent cette dernière et déclarent que, sans elle, les recrutements ou les projets n'auraient pas eu lieu.
Par rapport aux aides publiques, le crédit d'impôt recherche présente deux inconvénients majeurs : il n'a pas d'effet immédiat sur la trésorerie à cause du décalage temporel entre la décision d'investir et le remboursement, contrairement aux aides publiques qui interviennent immédiatement dans le processus décisionnel ; il se réduit au versement d'une subvention, alors que les aides de l'ANVAR s'accompagnent d'une assistance technique.
L'enquête conclut sur le constat que le crédit d'impôt recherche incite surtout « les entreprises ayant des dépenses de recherche et développement à les augmenter. Bien que cet impact soit diffus, implicite, et intervienne avec un délai, il est sans nul doute positif. Les entreprises qui ne font pas ou très peu de recherche-développement sont peu influencées par le crédit d'impôt recherche », ce qui contrevient en grande partie à son objectif.
Dans ces conditions, la question du rapport entre le coût et l'impact du crédit d'impôt recherche est posée. Ne vaudrait-il pas mieux renforcer les moyens et les aides de l'agence Oséo-ANVAR plutôt que la dépense fiscale du crédit d'impôt recherche pour un soutien plus efficace à la recherche privée ?
Sur l'ANR comme sur le crédit d'impôt recherche, la politique de recherche exige un changement d'orientation.
Pour conclure, la sincérité de ce projet de budget pour 2007 est doublement affectée, d'une part, dans la réalité des chiffres annoncés, et, d'autre part, dans son exécution, qui est déjà mise en cause par l'annonce de gels de crédits, sans même attendre son vote par le Parlement.
Lors des échéances électorales des prochains mois, l'un des enjeux majeurs pour l'avenir de notre pays consistera à dire clairement aux Français quelle recherche et quel enseignement supérieur nous voulons pour les quinze à vingt ans à venir.
Pendant cette législature, vous avez largement entamé le démantèlement de notre système de recherche pour le faire aller, de force, vers une évolution à l'anglo-saxonne. Pour notre part, nous sommes convaincus qu'il existe une autre voie pour notre recherche et notre enseignement supérieur, qui sont très liés. Cette autre voie, au sein de l'Europe, conserve les spécificités de notre système - grands organismes et universités acteurs de la recherche française, statuts protecteurs pour les chercheurs et enseignants- chercheurs - tout en l'adaptant, le remodelant, afin que nous puissions répondre aux enjeux de notre temps.
La communauté scientifique a montré, lors des états généraux, non seulement qu'elle y était prête, mais qu'elle avait des propositions en ce sens. À nous, politiques, de savoir lui faire confiance pour avancer ensemble.