Intervention de Jean-Jacques Hyest

Réunion du 21 novembre 2007 à 15h00
Réforme de la prescription en matière civile — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest, président :

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, il est suffisamment rare qu'une proposition de loi portant sur un pan entier du code civil puisse être examinée par notre assemblée pour que je le souligne. En tout cas, la commission des lois a pu travailler en toute confiance avec le ministère de la justice, afin que nous progressions dans la réalisation de cette grande ambition qu'est la réforme du code civil, et dont nous avions regretté que de nombreux pans - filiation, sûreté - soient traités par ordonnance.

Pourquoi ai-je présenté cette proposition de loi ?

Le Sénat a d'abord créé une mission d'information sur le régime des prescriptions civiles et pénales, confiée à deux rapporteurs, MM. Hugues Portelli et Richard Yung, et dont j'ai assumé la présidence, pour parvenir à un constat partagé et à des recommandations aussi consensuelles que possible.

À cette fin, la mission d'information a réalisé plus de trente auditions, entendant aussi bien des universitaires, des magistrats, des avocats et des notaires que des représentants du monde des affaires, de la société civile et des administrations publiques.

Elle a pris en compte deux projets : l'un, très ambitieux, élaboré par le professeur Philippe Malaurie dans le cadre d'un groupe d'universitaires présidé par le professeur Pierre Catala et chargé de réfléchir à une réforme d'ensemble du droit des obligations ; l'autre, plus modeste, préparé par le ministère de la justice en suivant les recommandations de la Cour de cassation et destiné, à l'époque, à faire l'objet d'une ordonnance.

La commission des lois a adopté le rapport de la mission d'information en juin 2007. Pour faire avancer les choses, j'ai déposé une proposition de loi mettant en oeuvre les recommandations de la mission d'information et destinée à moderniser exclusivement les règles de la prescription civile.

Madame le garde des sceaux, je me permets de vous signaler que nous avons également fait des propositions extrêmement intéressantes en matière de prescription pénale. Le sujet est certes plus sensible, mais j'espère que nous pourrons nous y consacrer ultérieurement.

En matière civile, qu'avons-nous constaté ?

La prescription demeure un principe fondamental de notre droit. Elle fait de l'écoulement du temps, dans les conditions déterminées par la loi, un moyen d'acquérir un droit ou de se libérer d'une dette. On distingue ainsi - je le dis à l'attention de nos collègues qui ne sont pas coutumiers de ce langage quelque peu ésotérique - la prescription acquisitive, ou usucapion, et la prescription extinctive, dite également libératoire.

La prescription répond à un impératif de sécurité juridique. En effet, le titulaire d'un droit resté trop longtemps inactif est censé y avoir renoncé. La prescription sanctionne donc la négligence, tout autant qu'elle évite l'insécurité créée par la possibilité d'actions en justice tardives. Elle joue également un rôle probatoire, en permettant de suppléer la disparition éventuelle de preuves et en évitant à celui qui s'en prévaut d'avoir à les conserver trop longtemps.

J'ai ainsi connu le cas d'un architecte dont les ayants droit étaient mis en cause pour une faute professionnelle commise par lui trente ou quarante ans auparavant. C'est tout à fait insupportable !

Les règles qui régissent la prescription sont à la fois pléthoriques, complexes et inadaptées. La Cour de cassation a recensé plus de 250 délais de prescription différents, dont la durée varie de trente ans à un mois. Cette situation est source d'incertitude et d'incohérence ; elle alimente de surcroît les contentieux et le sentiment d'arbitraire.

L'action en nullité d'une convention, par exemple, est enserrée dans un délai de cinq ans quand la nullité est relative, de trente ans lorsqu'elle est absolue. Or la ligne de partage entre les nullités relatives et absolues n'est pas nettement définie.

De même, le délai de prescription de l'action civile en responsabilité contractuelle est de trente ans, mais celui de l'action civile en responsabilité extra-contractuelle est de dix ou de vingt ans selon les cas. Du fait de cette distinction, le passager d'un autobus blessé à la suite d'une collision avec un véhicule dispose de dix ans pour agir contre le conducteur du véhicule et de trente ans pour agir contre le transporteur afin d'être indemnisé d'un même préjudice. Reconnaissons que, dans la situation actuelle, ce n'est pas vraiment la logique qui prévaut !

Les modalités de computation des délais de prescription s'avèrent complexes en raison des incertitudes entourant parfois leur point de départ et des possibilités multiples d'interruption ou de suspension de leur cours.

Certains délais, qualifiés de délais de forclusion ou de délais « préfix » par la jurisprudence et la doctrine, sont censés différer des délais de prescription par leur finalité et leur régime, plus rigoureux. Toutefois, leur détermination demeure, comme le disait un auteur, « l'un des grands mystères du droit français ».

Si les règles relatives à la prescription acquisitive ne donnent pas lieu à de fortes critiques - il conviendrait d'ailleurs d'agir avec la plus extrême prudence si l'on voulait en raccourcir les délais, c'est un élu rural qui vous le dit -, il en va tout autrement de celles qui concernent la prescription extinctive.

En effet, le délai de droit commun de trente ans se révèle inadapté au nombre et à la rapidité, croissants, des transactions juridiques. Une durée aussi longue ne semble plus nécessaire, car les acteurs juridiques ont un accès plus aisé qu'auparavant aux informations indispensables pour exercer leurs droits. Son coût, induit par l'obligation de conserver les preuves dans des conditions très encadrées, est également dénoncé.

D'ailleurs, la plupart des grands pays européens retiennent des délais de prescription de droit commun plus courts, même s'il faut se méfier des comparaisons entre les différents systèmes juridiques. Ce délai est de trois ans en Allemagne, pays dont la législation en la matière est la plus récente, et s'établit à six ans en Grande-Bretagne ; mais les Britanniques pensent réduire encore ce délai dans les prochaines années.

Or les règles de prescription constituent un élément de la concurrence entre les systèmes juridiques nationaux. Le law shopping est une réalité, et nous devons être attentifs à ce que notre droit ne soit pas trop en décalage par rapport à celui des autres pays européens.

Ce constat étant dressé, la mission d'information a recommandé de moderniser les règles de la prescription civile et de leur rendre leur cohérence, à la fois en réduisant le nombre et la durée des délais, en simplifiant leur décompte et en autorisant, sous certaines conditions, leur aménagement contractuel.

Premier objectif, donc : la réduction du nombre et de la durée des délais de prescription.

En premier lieu, nous avons proposé que la durée de prescription de droit commun de trente ans pour les actions réelles immobilières reste inchangée, mais soit fixée à cinq ans pour les actions personnelles ou mobilières. Dès lors, les actions en nullité se seraient plus soumises à un délai différent selon que la nullité encourue est absolue ou relative.

En deuxième lieu, nous avons proposé de conserver les durées de prescription plus courtes actuellement prévues par le code civil, sous réserve d'une simplification.

Je rappelle que le délai de la prescription acquisitive en matière immobilière est actuellement abrégé à dix ou à vingt ans, selon que le vrai propriétaire est domicilié dans ou hors du ressort de la cour d'appel où l'immeuble est situé, en cas de bonne foi et de juste titre du possesseur !

Cette distinction est sans doute obsolète. On pourrait considérer qu'un délai de dix ans est suffisant quand il y a bonne foi et juste titre du possesseur.

En troisième lieu, nous avons suggéré de modifier plus substantiellement les durées de prescription plus longues figurant actuellement dans le code civil, certaines étant maintenues, d'autres réformées ou supprimées.

Nous avons ainsi prévu un délai unique de dix ans pour la prescription des actions en responsabilité civile tendant à la réparation de dommages corporels, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité extra-contractuelle, tout en conservant un délai de prescription de vingt ans pour l'action en réparation des préjudices résultant de tortures ou d'actes de barbarie, ou de violences ou d'agressions sexuelles sur un mineur, puisqu'il s'agit d'une législation récente.

Enfin, nous avons proposé de porter de quatre à cinq ans le délai de prescription des dettes des personnes publiques, connu sous le nom de « déchéance quadriennale ». Toutefois, cette prescription obéit à un régime dérogatoire et dure en fait de quatre à cinq ans compte tenu du report de son point de départ. Aussi, sur la suggestion de notre collègue Laurent Béteille, la commission des lois a-t-elle finalement pensé qu'il y avait lieu de reporter l'examen de cette importante question, qui est complexe, et d'engager une concertation avec tous les acteurs.

Notre deuxième objectif était de simplifier les règles relatives au cours de la prescription.

Conformément aux recommandations de la mission d'information, j'ai proposé que la négociation de bonne foi entre les parties devienne une cause de suspension de la prescription extinctive, y compris en cas de recours à la médiation. Si l'on veut faciliter les solutions alternatives au procès, il faut absolument permettre que les délais de prescription soient suspendus pendant la négociation de bonne foi. Il reste cependant à en déterminer les modalités.

J'ai également proposé de transformer la citation en justice en une cause de suspension de la prescription, alors qu'elle a actuellement un effet interruptif, et de conférer un effet suspensif à la désignation d'un expert en référé.

La suppression des interversions de prescription nous est en outre apparue nécessaire. Celles-ci ont actuellement pour effet, après l'interruption d'un court délai de prescription fondé sur une présomption de paiement ou lorsqu'il s'agit d'une créance périodique, de faire courir non plus ce délai, mais le délai de prescription de droit commun, ce qui est totalement inimaginable !

Enfin, nous avons proposé de consacrer les solutions jurisprudentielles prévoyant que la prescription ne court pas tant que le créancier ignore l'existence ou l'étendue de la créance ou qu'il se trouve dans l'impossibilité d'agir à la suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.

Lorsque l'on nous dit qu'il existe déjà une jurisprudence et qu'il n'est pas nécessaire d'inscrire de telles dispositions dans la loi, je réponds qu'il y aurait au moins un avantage à cela : la loi n'est pas aussi fluctuante que la jurisprudence, même si l'on peut parfois en douter dans certaines matières...

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